Jean Pontas. SONGE. Extrait du « Dictionnaire de cas de conscience, ou décisions des plus considérables difficultez touchant la Morale et la Discipline Ecclésiastique … (Paris), tome troisième, 1786, pp. 950-956.

Jean Pontas. SONGE. Extrait du « Dictionnaire de cas de conscience, ou décisions des plus considérables difficultez touchant la Morale et la Discipline Ecclésiastique : Tirées de l’Écriture, des Conciles, des Pères, des décrétales des Papes, et des plus célèbres théologiens et canonistes. Nouvelle édition revue, corriger et augmenter par l’auteur.] (Paris), tome troisième, 1786, pp. 950-956.

 

Jean Pontas (1638-1728). Prêtre et casuiste.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. –  Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images ont été rajoutées par nos soins. Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 950]

SONGE. Le songe, dit Richelet, est un mouvement de l’imagination qui, lorsque l’on dort, représente au sens un objet qui cause quelque impression selon la nature de la chose représentée, & cette impression est quelquefois si forte, que la personne toute endormie qu’elle est, en est effrayé, suivant cette parole de jambes : Terribus me per somnia, & per visiones concuties : qu’elle parle quelquefois fort distinctement & répond même à ceux qui l’interroge : qu’elle rit avec éclat, ou qu’elle parle en colère ; où que même elle se lève de son lit pour faire quelque chose d’extérieur : comme faisait un certain Stoïcien nommé Theon, dont parle Aristote, & Dupleix après lui dans son traité de la veille & du sommeil. Nous en avons connu & nous en connaissons encore aujourd’hui plusieurs de ce caractère.

L’histoire nous fournit un exemple fort extraordinaire de l’impression vive que les songes produisent dans l’imagination :C’est au sujet d’un certain Affricain appelé [p. 951] Cellesius, qui aïant rêvé dans son profond sommeil, qu’il avait trouvé quantité d’Or en masse dans une caverne près de Carthage, fut si persuadé le lendemain que c’était une vérité qu’il passa à Rome pour en donner avis à Néron, qui envoya des galères en Affrique pour enlever ce trésor imaginaire. Mais enfin Cellesius à force de réflexions, reconnut, que c’était un pur songe, et se laissa mourir de faim, de peur d’être puni de mort comme imposteurs, par ce cruel Empereur.

Souvent les songes n’ont d’autre causes que notre propre tempérament : Ce qui fait qu’un voluptueux songe d’ordinaire à ce qui lui cause du plaisir : un homme violent à la vengeance ; un Atrabilaire aux choses tragiques, un Poëte à la poésie, & un Avare aux richesses.

Quelquefois ils sont causés par les objets donts l’imagination a été vivement frappés pendant le jour : l’âme d’un homme qui dort n’aïant de liberté, que pour former des chimères & des extravagances.

Ils peuvent aussi être causés par la malice du Démon, & pour les mauvaises fins qu’il se propose.

L’on ne peut pas néanmoins disconvenir, qu’il n’y en ait eû quelques-uns dont Dieu a été l’auteur ; & par où il a manifesté en quelque occasion de ces mystères & ses volontés aux hommes, comme nous le ferons voir dans la suite par les exemples de ceux de Jacob, de Joseph & de tant d’autres.

La plupart des songes (à l’exception de ceux qui sont inspirés de Dieu) sont autant d’idées creuses &  vaines, sur lesquels on ne doit faire aucun fonds. Ubi multa sunt somnia, plurrimæ sunt vanitates : dit le Sage, &  Qui ne servent à tromper que ceux qui y ajoutent foi. Multos enim errare fucerunt somnia & exiderunt sperentes il illus.  C’est pour cela que le prophète Jérémie deffend d’y faire attention :  Ne attendatis ad somnia vestra, quæ simniatis : &  que l’Ecriture mais au nombre des impiétés du roi Manassès, la foi qu’il ajoutait au songe : Observabat somnia.   Dieu permet pourtant quelquefois, que les songes se trouvent le vrais par les effets qui s’ensuit. Et c’est pour cela que Socrate, Néron, Galba, Caracalla, Domitien, Genseric,  Constants &  Aristodamus eurent des songes du jour qu’il devait mourir, si on en croit Dupleix ;  & que l’empereur Maurice rêva qu’il périrait par la main d’un de ses soldats, ce qui arriva en effet. Valere-Maxime, (9) Hérodote (10) &  d’autres Historiens en rapportent plusieurs autres exemples.  Vespasien étant en Achaïe,  songea en dormant qu’il serait heureux, quand Néron aurait perdu une dent : ce qui arriva par son élévation à l’empire peu de temps après, comme le rapporte Caëffeteau (11).

On peut encore voir d’autres exemples semblables dans Cicéron (12) & dans plusieurs autres qu’il est inutile de rapporter. [p. 952,colonne 1]

CAS PREMIER.

Marsillius aïant connu par plusieurs songes qu’il a eûs, certaines choses qui lui sont arrivées dans la suite, ajoûte fois aux autres songes qu’il fait ; & tâche, en les interprétant, de découvrir certains événements qu’il appréhende, ou qu’il désire. On lui en a fait du scrupule ; & on lui a dit qu’il péchoit grièvement ; & que cette espèce de divination étoit vaine et criminelle. Il demande si cela est véritable ?

Pour décider cette difficulté, il faut présupposer il y a quatre sortes de songes différents, dont les uns sont bons, & les autres mauvais.

Les uns peuvent venir de Dieu, qui se sert quelques fois du ministère des Anges, pour faire connoître certaines choses aux hommes. Sprititualis autem causa, dir S. Thomas, est quandoque quidrm à Deo, qui ministerio Angelorum aliqua hominibus revelat in somnis. Auquels songes on est par conséquent obligé d’ajouter une fois & de s’y conformer, quand on est moralement certain que Dieu en est l’Auteur : ce qu’il ne manque jamais de faire connoître avec évidence par une lumière intérieure, dont il éclaire l’esprit de la personne qui les eûs. [p. 952,colonne 2]

C’est de cette sorte de songe dont il est parlé dans le Livre des Nombres, où Dieu dit : Si quù suerit inter vos Prpheta domini ; in visione apprebo ei, vel per somnium loquar ad illum. & dont parlent job, quand il dit, Per somnium i, visione nocturna ; quando irruit sopor inter homines, &dormiunt in lectulo runc aperit (Deus) aures vivorum & erudiens eos instruit siciplinâ. Car le Patriarche Joseph connu en songe qu’il seroit élevé au-dessus de ses frères. Dieu fait connoître par la même voïe à Nabuchodonosor ce qui lui devoit arriver, comme Danïel le lui déclara. Les trois Mages furent avertis de cette manière, de ne pas retourner vers Hérode après avoir trouvé & adoré Jésus-Christ à Bethlehem. Saint-Joseph, Époux de la sainte Vierge, connut encore par un songe, qu’il devoit s’enfuir au plutôt en Égypte. Nous passons sous silence plusieurs autres exemples qui sont autant de preuves incontestable de cette vérité.

Les autres songes sont purement naturel, et ne sont causez, que par le tempérament de la personne : & c’est pour cette raison que, comme le remarque Saint Thomas, les Médecins les observe dans les malades, pour mieux juger de leurs dispositions ; étant fort ordinaire, que ceux en qui est la vie domine par-dessus les autres humeurs font de certains songes [colonne 953] qui n’arrivent presque jamais à ceux qui sont d’un tempérament flegmatique. Quandoque vero, ajoute S.Thomas, causa intrinseca somniorum est corpirals, nam ex interiori dispositione corporis formatur aliquismeum in phantasia, convenien sali dispositioni ; sicut homini, in quo abundant frigidi humores occurrunt in somnis, quod sit, vel in aqua, vel nive ; & propter hac Medici dicunt i,tendendum esse somns ad cognoscendum inyeriores dispisitiones.

Les autres ont pour cause ordinaire les inclination, les pensées &les désirs qu’on a eus pendant le jour, & qui revenant souvent dans l’imagination durant le sommeil, produisent de différentes idées. Intériors autem somnium causa est duplex, c’est toujours le docteur Angelique qui parle, una quidem animalis ; in quantrum felicicet occurrunt hominis phantasia in dormiendo circà que ejus cogitatio & affectio suit immoderata in vigilando. C’est pour cela que le sage dit, que les grands soins sont suivi de songe, multus curas sequuntur somnia.

Les autres enfants sont causés par la malice & la ruse du démon : Quandoque veo operatione aliquà phantasia dormienibus apprent, ex quibus quandoque aliquà futura revelant bi, qui cum eis habent pacta illicita : ce que cet ennemi du genre humain fait avec une facilité incroïable : ingerunt (dæmones) nobis cogitationes & somnia, dit saint Augustin, atque id sit mirâ focilitate. C’est de ces sortes de songes, dont parle l’écriture, où il est dit que les songes & les vaines illusions en ont fait tomber plusieurs dans l’erreur, multos enim errare focerunt somnia, & exciderunt sperantes in illis. Aussi est-ce pourquoi Dieu avoir défendu à son peuple d’ajouter foi aux augures, et d’observer les songes : Non augurabimini, nec observatibus somnia. Et ailleurs, nec inveniatur in te, qui… observes somnia.

Cela étant présupposé, il est aisé de voir que les causes des songes étant aussi équivoques & si incertaines à notre égard ; si différentes entre elles, et en aussi grand nombre, nous ne devons pas y ajouter foi ; parce qu’il est très difficile de connoître celle qui est la véritable. Car quelquesfois le démon promet par le songe des biens et des prospéritez mondaines à ce qu’il sçait y avoir de l’attache. Quelquesfois il len menace d’autres d’adversitez et de malheurs ; & toujours dans le dessein de surprendre les ames par les différens objets qu’il leur propose, selon es différent foibles qu’ilreconnoît en elles. C’est ce que nous apprend saint Grégoire le Grand quand il dit : Cum somnia tot rerum qualitatibus alternent, tanto eis credi difficilius debet, quanto & ex impulsu veniant facilius non elucet. Sape nomque malignus spiritus eis, quos amor vitæ prasentis vigilantes intercipit, prospera etiam dormientibuspromittit : & quos formdare adversa considerat, es hæc durius somni imaginibus intentat ; quatenus indiscretam mentem diversâ qualitates afficiat eamque, aut spe sublevans, aut deprimens timore consundat.

On ne doit pas s’étonner si le malin esprits en use ainsi avec le commun des hommes ; puisque, comme le dit encore le même saint Pape, il s’applique de toutes ses forces à ébranler le cœur des personnes les plus saintes pendant le sommeil, afin de les pouvoir surprendre plus aisément. Sapè utem etiam sanctorum corda [colonne 954] afficere somnis nititur, utab intentatione cogitatione solidæ ad tempus saltem momentumque deriventr ; quæmvis ipsi protinu animum ab illusionis imaginatione discutiant : sed hostis insidians quo eos vigilantes minimsuper at, eo dormientes gravius impugnat. Ce sont les termes de ce Père, qui font voir clairement que le démon étant la cause la plus ordinaire des songes ; on se rend aussi fort ordinairement coupable d’une superstition criminelle, lorsqu’on y ajoute foi, & qu’on prétend connoître par leurs moïens les événemens casuels, auxquels ils n’ont naturellement aucun rapport. C’est Saint-Thomas qui le dit : Si autem hujusmodi divinatio (per somnia) causetur ex revelatione dæmonum, cum quibus pacta habentur expressa, qui ad hot invocantur, vel racitas quia hujusmodi divinatio extenditur ad quod se non potest extendere : erit divinatio illicita & superstitiosa.

C’est donc avec beaucoup de raison, que la divination des songes est généralement défendu, non seulement par les passages de l’Écriture que nous avons rapportez, mais encore par plusieurs Consiles, & particulièrement par ceux d’Ancyre, de Paris et de Milan. Celui d’Ancyre tenu en l’an 314, dit suivant l’interprétation d’Isidore, surnommé Mercator ou Peccator, que ceux qui observent les augures & les songes, doivent faire cinq années de pénitence. Qui auguria, vel auspicia, sive somnia, vel divinationes quaslibet, secindum morem Gentillium, observant… confessi, quinquennio pœnitentiam agant secundum regulas antiquitus constitutas. Celui de Paris, qui est le sixième de ce nom, assemblé en 829 : extant & alia perniciotissima mala, quæ exritu Gentillibus remansisse dubium non es, ut sunt… somniatorum conjectores, quos divina lex irretractabiliter puniri jubet. Celui de Milan, premier de ce nom tenu sur Charles en 1565, ordonne aux Évêques de la Providence de faire cesser et de punir toute sorte de divination, soit qu’elle se fasse par l’inspection des linéamens du corps, ou par le moïen des songes, ou autrement. Omnem divinationem ex aëre, aquâ, terrâ, ex inanimatis, ex ungiuium & lincamentorum corporis inspectione, ex sortibus, somniis, mortuis, alii que rebus, quibus per dæmonum significationem incerta pro certu affirmantur… & hujus generis reliqua, per curiosorum & imperitorum hominum mentes facile decipiuntur, coercant & eficiant.

Concluont donc, pour répondre au cas particulier qu’on a proposé au sujet de Marcelius, que si cet homme prétend sérieusement pouvoir connoître & prévoir les événements casuels, bons ou mauvais par les songes ; il se rend coupable d’une divination superstitieuse, vaine et criminelle, condamnée par l’Écriture, par les Concile, et par les Pères.

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