Jean Lorédan. Les marques du diable. Extrait de la revue « Æsculape », (Paris), deuxième année, n°6, juin 1912, pp. 127-129.
Jean Lorédan (1853-1937). Homme de lettre.
Quelques publications :
— Un grand Procès de sorcellerie au XVIIe siècle (1912)
— La grande misère et les voleurs au XVIIIe siècle (1910)
— La Terreur rouge à Valenciennes, 1794-1795 Lille : Librairie de la « Croix du Nord » , 1909.
— Brigands d’autrefois : La Fontenelle, seigneur de la Ligue (1572-1602). Documents inédits (1926.
— La machine infernale de la rue Nicaise (3 nivôse, an IX) (1924)
— Un prince de Belzébuth, la mort d’un sorcier [l’abbé Louis Gaufridy]. Paris : Bibliothèque mondiale , [1960]
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images sont celles de l’article original. — Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
[p.127]
LES
MARQUES
DU
DIABLE
Par JEAN LORÉDAN
Maints travaux sont parus sur les causes de la folie démoniaque et sur les terribles manifestions de ces grandes épidémies qui passèrent sur l’Europe, surtout aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, et la couvrirent de la cendre des bûchers. Elles firent des milliers de victimes. C’était la grande folie. Tous étaient fous : accusés, juges, médecins, savants … Tous tremblaient, se méfiaient, se dénonçaient les uns les autres. En foule, on buvait le malvoisie qui « excite les chairs à la luxure » ; on mangeait les petits enfants rôtis et dépecés ; on disait la messe à rebours en l’honneur de Satan ; on dansait des rondes affreuses. On habillait de vert des démons à forme de crapaud et l’on baisait dévotement le derrière du Diable. — Et les bûchers s’allumaient ; les corps s’y tordaient dans l’horreur du tourment. Les cendres jetées au vent engendraient d’autres démences.
Le procès en sorcellerie de Louis Gaufridy, prêtre bénéficier de l’église des Accoules de Marseille, est caractéristique de ces époques d’horreur. Accusé du crime « de rapt, séduction, impiété, magie, sorcellerie et autres abominables », d’avoir suborné, violé, possédé, livré au diable Madeleine de Demandolx, jeune fille noble, d’une des plus illustres familles de Provence, et d’être Prince des Magiciens, il fut brûlé vif à Aix, en 1611.
Jean Lorédan nous adressa sur son procès, il y a quelques mois, la primeur des lignes qui vont suivre. Les exigences de la mise en page en ont retardé la publication. Le beau livre auquel elles étaient destinées est récemment paru (1).
[p.127, colonne 1]
LE 26 février, les docteurs Fontaine, Mérindol et Grassi, le chirurgien Bontemps se présentèrent à l’archevêché, trouvèrent Madeleine de Demandolx priant Dieu. Presque aussitôt Belzébuth arriva, à l’appel de l’exorciste ; et les docteurs, mettant les mains sur la tête de la fille, sentirent fort bien « un mouvement et agitation de bouillonnement impétueux du cerveau dessous la main gauche », qu’ils posaient au-dessus du front. Puis Belzébuth partit. Le mouvement cessa. Ensuite vint Léviathan. Il se plaça vers la nuque ; c’était sa place ordinaire ; et le mouvement recommença, cette fois à la partie postérieure du crâne. Ce fut tout (2).
Mais le lendemain dimanche, la visite médicale fut bien plus importante.
Madeleine mit son pied sur un tabouret et montra les marques. Puis on la déshabilla et elle fit voir une autre marque, »de la couleur de celle du pied droit », qu’elle avait « dessous son tétin gauche ». On y enfonça l’aiguille; la possédée ne ressentit aucune douleur. Ensuite on chercha, mais vainement, deux autres empreintes diaboliques qu’elle avait, disait-elle, l’une « dessus l’épine du dos, environ la quatrième ou cinquième côte de la poitrine », l’autre « en la partie antérieure de la teste, environ deux doigts dessus le front ». Elles avaient pourtant été là, affirmait-elle. Et voilà qu’elles n’y étaient plus ! Effacées, envolées, disparues ! comme s’effacent et disparaissent les points insensibles des hystériques.
Enfin, passant à un examen plus intime, ces Messieurs déclarèrent que la fille avait été déflorée. [p.127, colonne 2]
La veille, dans la soirée, Louis Gaufridy avait été interrogé, au Palais des Comtes de Provence. L’interrogatoire, mentionné au procès-verbal sommaire, ne se retrouve plus, ni en original, ni en copie. Quelle fut l’attitude de Messire Louis, au cours de cet interrogatoire ? Tout porte à croire qu’elle fut à peu près [p.127, colonne 3] énergique, du moins que le pauvre bénéficier des Accoules se défendit d’être coupable des crimes dont on l’accusait, comme il le fit le lendemain, lorsqu’on le confronta à Madeleine.
Mais l’infortuné Gaufridy était bien désemparé, bien malade, dès ces premiers jours de mars 1611. Depuis un an tous ces gens le harcelaient, le torturaient, l’accablaient de leurs soupçons, de leurs admonitions plus ou moins hypocrites, de paroles aigres-douces, d’accusations formelles et terribles. Il avait reçu des lettres et des visites qui, soi-disant charitables et bienveillantes, lui révélaient des haines dangereuses, lui montraient des ennemis tout autour de lui. Il avait connu les journées, les nuits lugubres de la Sainte-Baume, alors qu’on l’injuriait, qu’on le fuyait, qu’on l’exorcisait… Et puis, quoi qu’on en ait pu dire et écrire, en dépit de ses allures libres, gaies, un peu folles, de ses filles spirituelles et de ses « petits bons morceaux de pigeon », et de ses joyeux ébats aux maisons et bastides amies, il semble avoir été un prêtre pieux, croyant, un homme superstitieux comme l’étaient tous ceux de son temps, et il avait dû être violemment secoué par ces paroles à lui adressées si souvent, non seulement par Madeleine, par Louise, mais par tous : « Vous êtes un Magicien, le prince des Magiciens, vous vous êtes donné au diable ; vous brûlerez dans l’Enfer durant l’éternité !… »
Et voilà qu’on l’avait emprisonné, enchaîné. Au fond de son affreux cachot, il devait penser à ces choses. Des gens, d’ailleurs, vinrent les lui rappeler. Il était énervé, affaibli par les privations, par les jeûnes, de la Sainte-Baume et de Marseille. Au retour de cette grotte célèbre où s’étaient écoulés pour lui des jours si tristes, il avait, parait-il, voulu faire de grandes [p.128, colonne 1] pénitences. Et maintenant, peu à peu, dans cette solitude, dans cet abandon, n’ayant autour de lui que des indifférents ou des traîtres, il se prit à douter de lui. — Si vraiment, comme tous le disaient, il était possédé par le diable ?… Et sa raison chancela. Nous le voyons en ses interrogatoires, nous le verrons surtout vers la fin de mars. Alors le mal s’aggrave rapidement. Le cerveau a tout à fait perdu son équilibre.
Le vendredi 4 mars, il fut décidé qu’on le visiterait. Ce même jour, M. Thoron fut nommé seul juge du procès, — à l’exclusion de Mr Séguiran, auquel on reprochait deux choses : sans doute d’abord, de n’avoir pas su trouver de bons témoins ; ensuite, d’avoir, par faveur spéciale, insigne, permis au sorcier de respirer un peu, avec les détenus ordinaires, dans la cour commune, — « l’avoir mis au large avec les autres prisonniers », dit le bon Michaëlis, fort mécontent, cela se devine.
En conséquence, le lendemain 5 mars, dès cinq heures du malin, ordre fut donné au geôlier du palais de faire conduire le magicien à l’archevêché.
Il y arriva de bonne heure, et sous bonne escorte, fut enfermé dans la chambre des Décimes, c’est-à-dire dans le bureau du receveur des décimes du diocèse, bureau servant aussi de chambre à Madeleine depuis quelques jours. — Elle n’était pas là en ce moment. On l’avait conduite à la chapelle. Elle y avait déjà entendu trois messes : une du.R. P. Michaëlis, une du P. Boiletot, la troisième du R. P. Romillon et elle hurlait toujours. Elle était fort surexcitée depuis quelque temps, poussait des clameurs qui mettaient en fuite les spectateurs timides, renonçait à la Trinité, à l’Eucharistie, à la Vierge, aux Anges, avec une violence effrayante, toujours « au nom de Louis Gaufridy ! » Et la foule se tassait, haletante. Ce jour-là, on avait même fait fermer la porte de cette chapelle, — « à cause de la presse », dit Michaëlis. N’était-ce pas plutôt parce qu’on préférait être entre soi ?
Le commissaire entra dans la chapelle. Il [p.128, colonne 2] venait d’interroger Louis pendant quelques heures dans cette chambre des Décimes — toute voisine — en présence de M· Garandeau. A présent, il s’agissait d’un acte plus important, obligatoire. Il s’avança vers Madeleine, qui se tenait au pied de l’autel, et il lui dit qu’il était « là venu exprès pour la confronter aud. Louis », dans cette chapelle, « afin qu’en présence de Dieu et de ses Saints Anges elle eût plus de force pour résister aux tentations, embûches et empêchements des Esprits Malins de dire en la présence de Louis, et luy soutenir, ce qu’elle saurait et connaîtrait être la vérité ». L’endroit semblait bien choisi pour influencer Madeleine. En outre, comme la pauvre folle « se montrait fort débile », on voulut, sur « l’avis de Maîtres Fontaine et Grassi », la « fortifier d’un potage ». Mais elle ne voulait pas… On eut grand’peine à lui faire « manger un peu d’une rôtie ». On lui offrit du vin, « pour luy fortifier le cœur ». Elle refusa de même, demanda seulement un verre d’eau.
Et toujours on l’exhortait, toujours on essayait de la persuader : il fallait parler maintenant, dire devant Louis tout ce qu’elle savait. « Doucement et paisiblement, comme si elle eût été en repos de son esprit », elle répétait « qu’elle ne saurait, ne voulait plus rien dire, que son grand amy », lequel on avait « fait secrettement cacher au derrière de la muraille de l’entrée de lad. chapelle, était trop près [p.128, colonne 3] d’elle ». Puis, comme on la poussait de nouveau, elle dit qu’il était « fort homme de bien », se mit à lui crie : « Courage, mon grand amy, courage, tout ce que n’autres aven dich es faux ; sont d’imaginations. Et sur ce, ayant été commandé au démon de la laisser parler », elle continua : « Ti trompes, non parlara pas » (Tu te trompes, elle ne parlera pas), ‘criant et tempêtant, cherchant avec la tête son amy, qu’elle disait sentir près d’elle ». Alors, on lui demanda si elle « désirait de le voir et baiser ». Elle s’exclama : « O que si aqueste lengo li poudié pourta uno boueno paraulo à l’aureillo que contenta¬men » (Oh, si cette langue pouvait lui porter une bonne parole à l’oreille, quel contentement !) Impossible d’en obtenir autre chose. On la laissa. On dit une nouvelle messe, qu’elle ne troubla pas. On l’exorcisa. Tout d’abord elle écouta sagement le P. Billiet, qui faisait l’exorcisme, puis elle essaya de l’interrompre. Enfin elle s’écria : « qu’il la tourmentait pour la faire devenir folle », et elle devint « comme muette sans sonner mot… saisie d’un tel branlement et secouement de tête, de bas en haut, qu’on craignait qu’elle ne se rompît le crâne contre la muraille ; et il fallut éloigner le magicien, dont « la présence et proximité », croyait-on, causait « cet accident ». Même, on tourna « le siège et accoudoir » de Madeleine, afin qu’elle ne vît plus ce mur derrière lequel Il était. Puis on continua les « exorcismes, litanie et autres oraisons dévotes ». Mais la pauvre folle recommença à trembler, à s’agiter « si étrangement que les docteurs… et autre en étaient ravis d’admiration. » On du l’emmener, remettre à plus tard la fameuse confrontation.
*
* *
On la recommença le jour même, après dîner, dans la chambre de Madeleine. Cette fois, on trouva la fille fort abattue, épuisé. Elle priait qu’on voulût bien surseoir un peu mais on jugea cette demande « un artifice du [p.129, colonne 1] Malin » et qu’il fallait continuer, au contraire. On estima convenable aussi, et opportun, de cacher Messire Louis, comme on l’avait fait le matin, afin qu’elle ne le vit pas. Elle « avait horreur (disait-on) de l’aspect dud. Louis Magicien ». Et on le dissimula derrière les rideaux du lit, ayant « trouvé bon qu’elle fût assise au derrière et à la ruelle de son lit, et, par ce moyen, le pavillon du lit servant d’entre deux. » Et l’on fit « prêter serment à Madeleine sur les saints Évangiles ». « Faisant le signe de la Croix et tendant ses deux mains sur les heures », elle jura de dire la vérité. Quant à Louis, il déclara qu’il ne voulait « demeurer au dire et déposition de Magdelaine » parce qu’elle était possédée, parce qu’elle l’avait chargé faussement à la Sainte¬Baume d’une foule de choses dont il était innocent, « croyant bien qu’elle ne l’a dit pas malicieusement, mais pour ce qu’elle est déçue par le malin Esprit ». Et — chose admirable — elle commença à l’accuser violemment, avec rage. « Avec tout son bon sens ferme et solide propos » elle parla des privautés et familiarités, de l’Agnus Dei, du Sabbat… Il disait que tout cela était faux, la priait de « bien penser à son âme », d’implorer Dieu afin qu’il luy fasse la grâce de dire la vérité », ajoutant que, puisqu’elle avait été connue par le diable elle ne pouvait pas sçavoir si assurément » qu’elle eût été dépucellée » par lui Gaufridy, veu que le diable pouvait bien lui avoir charmé les yeux comme l’imagination ». tais toujours « Magdelaine, avec une ferme et merveilleuse constance et modestie, luy répondit qu’il n’y avait point d’apparence à cette prétendue déception », et, comme de nouveau il la suppliait de songer à son âme, elle répondit, joignant les mains : Je prie Dieu qu’il vous fasse la grâce d’avoir connaissance de votre péché et du tord que vous avés de moy… » — C’est le diable qui lui fait dire ça,proteste Gaufridy. — Ne reconnaissez-vous pas qu’elle est « en son bon sens », riposte le juge. — Elle m’en a dit autant à la Sainte-Baume en même état qu’elle est à présent », réplique le sorcier. Il dira sur son bon patron saint Jean-Baptiste. » Elle affirma que « les Magiciens abusent du nom de Dieu et de Notre-Dame, saints et saintes en Paradis », que pour eux Dieu le Père c’est Lucifer, Dieu le fils Belzébuth, Marie la Mère de l’Antéchrist. On en demeura là, pour ce jour du moins. Du reste, déclare le P. Michaëlis, « à propos de l’obstination du Magicien (nous) avons observé que, comme le vray Chrestien a une participation du cœur de Jésus-Christ… aussi les magiciens ont en leur cœur une participation de l’obstination de Lucifer ».
*
* *
On passa donc à une autre opération, — fort importante aussi.
« Après cela, dit la Vocation des Magiciens, s’assemblèrent sur le vespre trois docteurs en Médecine, à sçavoir Fontaine, Mirandol, Grassy et deux chirurgiens, à sçavoir Bontemps et Proët, pour chercher sur la chair du magicien les marques du diable ; et le dépouillans de ses habits, ils furent tous honteux de voir en luy la forme et la disposition de honte si lubrique, si bien qu’ils en destournèrent leurs faces pour ne [p.129, colonne 2] point voir ceste saleté, et luy ayant bandé les yeux, commencèrent à chercher avec une aiguille, qu’ils fichaient en la chair de son corps, les marques du diable, et toutes les fois qu’ils adressaient à picquer un endroit où la chair était vive, il criait, disant : vous me blessez. Mais quand ils piquaient quelque endroit de la chair, et qu’il ne montrait point signe qu’il sentist de la douleur, ils enfonçaient l’aiguille, et en ceste manière ils trouvèrent trois marques en la chair de son corps. Et quand il eut repris ses habillemens, voyant qu’on ne luy disait rien, il pensait qu’on n’eût point trouvé de marques… en sorte qu’il s’en retourna estant aucunement asseuré, dans les prisons… Mais il ne devait pas conserver longtemps ses illusions. « … Deux jours après il fut bien estonné quand il entendit lire en sa présence ce que lesd. médecins et chirurgiens avaient déposé touchant ces choses… D’ailleurs, « il ne nia point que ce ne fussent des marques, ny qu’il fût marqué ». — Non, le diable était en lui hélas ! et il lui avait imposé ces stigmates honteux ; — « mais [p.129, colonne 3] il soutenait que le diable pouvait marquer un Chrestien innocent. »
L’objection était ennuyeuse, d’autant que « des Théologiens et des Jurisconsultes estaient d’opinion que cela pouvait arriver par permission de la providence divine ». Heureusement le R. P. Michaëlis, savant théologien lui aussi, trouva bien vite une réponse. D’abord, il déclara péremptoirement au sieur Thoron, commissaire : « Si cet homme estoit en Avignon, il seroit dès demain bruslè. » Ensuite il établit une distinction très habile entre les plaies « baillées par Dieu à ceux qu’il veut éprouver et châtier — tel le pauvre Job — et les marques imprimées par le diable comme signe de servitude, parla des esclaves turcs qui sont marqués au front par leurs maitres à l’aide d’un fer chaud. Là n’était pas la question ; mais qu’importait ! Ainsi, dit-il, « si cela était, le diable pourrait marquer mesme le Pape et tous les juges ». De cette façon, il sortit vainqueur de la dispute.
Et puis, on envoya au bon sorcier, qu’on avait reconduit dans sa prison, « un certain honneste homme, homme de bien et de bonne renommée en la ville d’Aix, qui faisait les affaires de M. le Révérendissime Archevesque », lequel honnête homme, dont on ne cite pas le nom, ayant connu le Magicien dans sa jeunesse, « devisa pieusement avec lui au fond de son cachot. Quelle fut la conversation ? Le prisonnier, paraît-il, dit à l’important visiteur, camarade d’autrefois : « Quand j’arrivay premièrement en ceste ville, je me mocquais du Parlement, parce que j’avais avec moy un démon très puissant qui pouvait me tirer des mains de tous les hommes du monde et cacher mes marques. » Et, comme le visiteur demandait : « Comment donc ont-elles pu être descouvertes ? il répondit : A Domino factum est istud, c’est-à-dire : C’est le Seigneur qui a fait cela. »
En tout cas, les marques étaient très certaines. On les avait vues tout à loisir durant les deux visites médicales des 5 et 6 mars. — Une seconde visite avait eu lieu le 6 mars, vers 9 heures du matin, dans la chambre des Décimes. — Louis était rasé complètement, sans cheveux, ni barbe, ni sourcils, ni aucun poil. L’usage le voulait. Toujours on rasait et raclait ainsi le corps des magiciens et magiciennes, et souvent aussi le corps des possédés. Il fallait bien enlever au diable ces fourrés mystérieux, où parfois il se plaisait à cacher ses marques. La veille donc, dès avant qu’on commençât la visite médicale, le barbier avait fait son œuvre, — consciencieusement sans doute et vigoureusement, ce qui n’avait pas peu contribué à rendre insensibles certaines parties du corps de l’infortuné prêtre. Et l’on avait on ne peut mieux constaté la présence de trois marques : une sur la cuisse gauche, « sur le milieu et en la partie inférieure » ; une autre « en la région des lombes, en la partie droite, un poulce près de l’épine du dos et quatre doits au-dessus les muscles des fesses » ; la troisième « vers la région du cœur ». Ces marques, lorsqu’on les piquait, ne rendaient point de sang. Une seulement, celle du cœur quand on avait enfoncé l’aiguille, s’était montrée sensible à la douleur, forçant Louis à crier. Les savants en concluaient qu’il y avait là du surnaturel, ce phénomène ne pouvant « arriver par aucune maladie du cuir précédente ».
Notes
(1) Un grand Procès de sorcellerie au XVIIe siècle : L’abbé Gaufridy et Madeleine de Demandolx, par jean Lorédan. Prix 5 francs. Perrin, éditeur, 35, quai des Grand-Angustins, Paris.
(2) Rapport de la Visitation de Madeleine. Pièce E.
LAISSER UN COMMENTAIRE