J. Lévy-Valensi, Pierre Migault et Jacques Lacan. Écrits « inspirés » : schizograhie. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), 13esérie, tome II, décembre 1931, pp. 508-522.

J. Lévy-Valensi, Pierre Migault et Jacques Lacan. Écrits « inspirés » : schizograhie. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), 13esérie, tome II, décembre 1931, pp. 508-522.

 

Joseph Lévy-Valensi (1879-1943). Médecin, neuropsychiatre, Professeur à la Faculté de médecine de Paris, historien de la médecine. Interne, entre autres, de Gilbert Ballet puis chez Fulgence Raymond, il fait connaissance chez celui-ci du jeune agrégé Henri Claude. Ilfut aussi chef de clinique de Jules Déjerine à la Salpêtrière. Reçu au concours de l’agrégation en 1929, il aura été pendant treize ans agrégé dans le service du professeur Henri Claude à Sainte-Anne (Paris). En octobre 1939, Lévy-Valensi devient titulaire de la chaire d’Histoire de la Médecine à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris. Quelques publications :
— (avec Boudon). Deux cas de Délire de persécution à forme démonomaniaque. Extrait de la « Revue neurologique », (Paris), tome XVI, 1908, pp. 1176-1178.  [en ligne sur notre site]
— Spiritisme et folie. Article paru dans la revue «L’Encéphale. Journal mensuel de neurologie et de psychiatrie», (Paris), cinquième année, premier semestre, 1910, pp. 496-716. [en ligne sur notre site]
— (avec Barak Henri et Callegari). Trois cas de délire d’influence. Article paru dans le « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), XXIIe année, 1925, pp. LXXII-LXXVIII.  [en ligne sur notre site]
— Les vertiges. Avec 42 figures. Paris, Nobert Maloine, 1926. 1 vol.
— Avec Picard et Sonn. Délire spirite et pithiatisme. Article paru dans la revue «L’Encépahle», (Paris), vingt troisième année, 1928, pp. 947-951.[en ligne sur notre site]
— Diagnostic neurologique. Avec 395 figures. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1925. 1 vol. – Deuxième édition. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1932. 1 vol.
— L’automatisme mental dans les délires systématisés chroniques d’influence et hallucinatoires. Le syndrome de dépossession. Rapport de psychiatrie présenté au Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, XXXI-Paris, Masson et Cie, 1927. 1 vol.
— Délire spirite, écriture automatique. Article paru dans les « Annales médico-psychologiques », (Paris), XIIIe série, 89e année, tome deuxième, 1931, pp. 126-140. [en ligne sur notre site]
—Délire archaïque (astrologie, envoûtement… magnétisme). iArticle paru dans les « Annales médico-psychologique », (Paris), XIV série, 92e année, tome 2, 1934, pp. 229-232. [en ligne sur notre site]
— La médecine et les médecins français au XVII° siècle. Avec 51 planches et 86 figures dans le texte. Paris, J.-B. Baillière, 1933. 1 vol. — Deuxième édition avec 123 figures dans le texte. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1939. 1 vol. — Troisième édition. Avec figures dans le texte. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1948. 1 vol.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

Pour les deux autres auteurs nous renvoyons à leur biobibliographie.

[p. 508]

ÉCRITS « INSPIRÉS » : SCHIZOGRAPHIE
par
J. LÉVY-VALENSI. Pierre MIGAULT et Jacques LACAN (1)

 

Sous le titre de schizophasie, certains auteurs (2) ont mis en relief la haute valeur qui s’attache à certaines formes plus ou moins incohérentes du langage, non seulement comme symptômes de certains troubles profonds de la pensée, mais encore comme révélateurs de leur stade évolutif et de leur mécanisme intime. Dans certains cas, ces troubles ne se manifestent que dans le langage écrit. Nous tenterons seulement de montrer quelle matière ces écrits offrent à une étude précise des mécanismes psycho-pathologiques. Ceci à propos d’un cas qui nous a semblé original.

Il s’agit d’une malade, Marcelle C., âgée de 34 ans, institutrice primaire, internée depuis un an à la Clinique psychiatrique. Un an et demi auparavant elle avait été internée une première fois mais était aussitôt ressortie sur la demande de son père, petit artisan.

Marcelle C. donne au premier abord l’impression d’une personne qui jouit de l’intégrité de ses facultés mentales. Pas d’étrangeté dans sa tenue. On ne remarque à aucun moment de sa vie dans le service de comportement anormal. Des protestations très vives à l’égard de son internement semblent d’abord obvier à tout contact. Il s’établit néanmoins.

Ses propos sont alors vifs, orientés, adaptés, enjoués parfois. De l’intégrité.de ses fonctions intellectuelles, qui apparaît totale dans une conversation suivie, nous avons poussé ]’exploration objective par la méthode des tests. Les tests ordinaires, portent sur l’attention, la logique, la mémoire, s’étant montrés- très au-dessous de ses capacités, [p. 509] nous avons usé d’épreuves plus subtiles, plus proches des éléments sur lesquels porte notre appréciation quotidienne des esprits. Ce sont les « Tests d’intention » : sens apparent et réel d’un propos, d’une épigramme, d’un texte, etc… Elle s’y est toujours montrée suffisante, rapide et même aisée.

Notons que, si loin qu’on aille dans sa confidence, le contact affectif avec elle reste incomplet. A chaque instant s’affirme une foncière résistance. La malade professe d’ailleurs à tout propos : « Je ne veux être soumise à personne. Je n’ai jamais voulu admettre la domination d’un homme », etc…

Quand nous en sommes à faire cette remarque, la malade a pleinement extériorisé son délire. Il comporte des thèmes nombreux dont certains typiques :

Un thème de revendication, fondée sur une série d’échecs prétendus injustifiés à un examen, s’est manifesté par une série de démarches poursuivies avec une sthénie passionnelle, par la provocation de scandales qui ont amené l’internement de la malade. Pour le dommage de cet internement, elle réclame « vingt millions d’indemnité, dont douze pour privation de· satisfactions intellectuelles et huit pour privation de satisfactions sexuelles ».

Un thème de haine se concentre contre une personne, Mlle G., qu’elle accuse de lui avoir volé la place qui lui revenait à cet examen et de s’être substituée à elle dans la fonction qu’elle devrait occuper. Ce sentiments agressifs s’étendent à plusieurs hommes qu’elle a connus dans une période récente et pour lesquels elle semble avoir eu des sentiments assez ambivalents,—sans leur céder jamais, affirme-t-elle.

Un thème érotomaniaque à l’égard d’un de ses supérieurs dans l’enseignement, l’inspecteur R., — atypique en ceci qu’il est rétrospectif, l’objet du délire étant défunt et la passion morbide ne s’étant révélée d’aucune façon de son vivant.

Un thème « idéaliste » s’extériorise non moins volontiers. Elle a « le sens de l’évolution de l’humanité ». Elle a une mission. Elle est une nouvelle Jeanne d’Arc, mais « plus instruite et d’un niveau de civilisation supérieure ». Elle est faite pour guider les gouvernements et régénérer les mœurs. Son affaire est « un centre lié à de hautes choses internationales et militaires ».

 

Sur quels fondements repose ce délire polymorphe ? La question, on va le voir, reste problématique et peut-être les écrits nous aideront-ils à la résoudre.

Lors de ses deux internements la malade a été examinée à l’Infirmerie spéciale. Les certificats du Dr Logre et du Dr de Clérambault mettent en valeur le caractère paranoïaque « soit ancien, soit néo-formé », admettent l’existence d’un automatisme mental.

Si le caractère paranoïaque s’est anciennement manifesté chez la malade, il est difficile de le préciser tant par l’interrogatoire, à cause des interprétations rétrospectives, que par l’enquête, car nous n’avons eu de la famille que des renseignements épistolaires. [p. 510]

Néanmoins, la simple étude du cursus vitæ de la malade semble faire apparaître une volonté de se distinguer de son milieu familial, un isolement volontaire de son milieu professionnel, une fausseté du jugement, qui se traduisent dans les faits. Ses études sont bonnes et il n’y a, rien à relever jusqu’à sa sortie de l’École normale primaire à 21 ans. Mais en possession d’un poste en 1917, elle prétend régler son service à sa façon, déjà revendique et même interprète. Après quelques années, elle se met en tête d’accéder au professorat d’une école de commerce, réclame à cet effet un changement de poste puis un congé et, en 1924, abandonne purement et simplement son poste, pour venir préparer son examen à Paris. Là, elle gagne sa vie comme employée comptable, mais se croit persécutée dans toutes ses places et en change douze fois en 4 ans. Le comportement sexuel auquel nous avons fait allusion, le caractère très foncier des rébellions exprimées par la malade viennent s’ajouter à l’impression qui se dégage de l’ensemble de son histoire pour faire admettre une anomalie évolutive ancienne de la personnalité, de type paranoïaque .

Pour faire le bilan des phénomènes élémentaires « Imposés » ou dits d’action extérieure, il nous a fallu beaucoup de patience. Ce n’est point en effet seulement la réticence ou la confiance de la malade qui interviennent dans leur dissimulation ou leur divulgation. C’est le fait que leur intensité varie, qu’ils évoluent par poussées et qu’avec ces phénomènes apparaît un état de sthénie à forme expansive, qui d’une part leur donne certainement leur résonnance convaincante pour le sujet, d’autre part en rend impossible, même pour des motifs de défense, l’occultation.

La malade a présenté durant son séjour dans le service une de ces poussées, à partir de laquelle ses aveux sont restés acquis : elle nous a dès lors éclairé sur les phénomènes moins Intenses et moins fréquents qu’elle ressent dans les intervalles et sur les épisodes évolutifs passés.

Les phénomènes « d’action extérieure » se réduisent aux plus subtils qui soient donnés dans la conscience morbide. Quel que soit le moment de son évolution, notre sujet a toujours nié énergiquement d’avoir jamais eu « des voix » ; elle nie de même toute « prise », tout écho de la pensée, des actes ou de la lecture. Questionnée selon les formes détournées que l’expérience de ces malades nous apprend à employer, elle dit ne rien savoir de ces « sciences barbouilleuses où les médecins ont essayé de l’entrainer ».

Tout au plus s’agit-il d’hyperendophasie épisodique, de mentisme nocturne, d’hallucinations psychiques. Une fois la malade entend des noms de, fleurs en même temps qu’elle sent leurs odeurs. La malade, une autre fois dans une sorte de vision intérieure, se voit et se sent à la fois, accouplée dans une posture bizarre avec l’inspecteur R.

L’éréthisme génital est certain. La malade pratique assidument la masturbation. Des rêveries l’accompagnent et certaines sont semi-oniriques. Il est ,difficile de faire la part de l’hallucination génitale. [p. 511]

Par contre, elle éprouve des sentiments d’Influence intensément et fréquemment. Ce sont des « affinités psychiques », des « intuitions », des « révélations d’esprit », des· sentiments de « direction ». « C’est d’une grande subtilité d’intelligence », dit-elle. De ces « inspirations », elle différencie les origines : c’est Foch, Clemenceau, c’est son grand-père, B. V., et surtout son ancien inspecteur M. R.

Enfin, il faut classer parmi ces données imposées du vécu pathologique, les interprétations. Dans certaines périodes, paroles et gestes dans la rue sont significatifs. Tout est mise en scène. Les détails les plus banaux prennent une valeur expressive qui concerne sa destinée. Ces interprétations sont actuellement actives mais diffuses : « J’ai cru comprendre qu’on. a fait de mon cas une affaire parlementaire… mais c’est tellement voilé, tellement diffus. »

 

Ajoutons ici quelques notes sur l’état somatique de la malade. Elles sont surtout négatives. Il faut retenir : une grippe en 1918. Un caféinisme certain. Un régime alimentaire irrégulier. Un tremblement net et persistant des doigts. Une hypertrichose marquée des lèvres. Règles normales. Tous autres appareils normaux, Deux lipothymies très courtes dans le service sans autre signe organique qu’une hyperhémie papillaire qui a duré une huitaine de jours. Bacillose fréquente dans la lignée maternelle.

Venons-en aux écrits très abondants. Nous en publions un choix et le plus possible intégralement. Les chiffres qui s’y trouvent insérés serviront lors des commentaires qui vont suivre, à renvoyer aux textes.

I. — Paris le 30 avril 1931 :

Mon cher papa, plus de quatre mois que je suis enfermée dans cet asile de Sainte-Anne sans que j’aie pu faire l’effort nécessaire pour te l’écrire. Ce n’est pas que j’aie quoi que ce soit de névralgique ou de tuberculeux, mais on t’a fait commettre l’an dernier de telles sottises mettant, en malhonnête, à profit ta parfaite ignorance de ma réelle situation (1) que j’ai subi le joug de la défense (2) par le mutisme. J’ai appris toutefois que le médecin de mon cas, à force de lenteur, t’a mis en garde contre la chose grotesque et je vois qu’il a, sans plus soif d’avatars (3), mis les choses en parfaite voie de mieux éclairci (4) et de plus de santé d’État (5).

Daigne (6) intercepter les sons de la loi pour me faire le plus (7) propre de la terre sinon le plus (7) érudit. Le sans soin de ma foi (8) fait passer Méphisto (9) le plus (7) cruel des hommes mais il faut être sans doux dans les mollets pour être le plus prompt à la transformation. Mais il est digne d’envie qui fait le jeu de la manne du cirque. On voit que etc. [p. 512]

II. — Paris ce 14 mai 1931 :

Monsieur le Président de la République P. Doumer en villégiaturant dans les pains d’épices et les troubadoux.

Monsieur le Président de la République envahie de zèle,

Je voudrais tout savoir pour vous faire le (15) mais souris donc de poltron et de canon d’essai (16) mais je suis beaucoup trop long à deviner (17). Des méchancetés que l’on fait aux autres il convient de deviner que mes cinq oies de Vals (18) sont de la pouilladuire et que vous êtes le melon de Sainte vierge et de pardon d’essai l19). Mais il faut tout réduire de la nomenclature d’Auvergne car sans se laver les mains dans de l’eau de roche on fait pissaduire au lit sec (20) et madelaine est sans tarder la putin de- tous ces rasés de frais (21) pour être le mieux de ses oraies (22) dans la voix est douce et le teint frais. J’aurais voulu médire de la tougnate (23) sans faire le préjudice de vie plénière et de sans frais on fait de la police judiciaire (24). Mais il faut étonner le monde pour être le faquin maudit de barbenelle et de sans lit on fait de la tougnate (25).

Les barbes sales sont les fins érudits du royaume de l’emplâtre judice (26 mais il faut se taire pour érudir (27) la gnogne (28) et la fare couler sec dans si j’accuse je sais ce que j’ai fait (29)

(31) A Iondoyer (30) sans meurs on fait de la bécasse (31) mais la trace de l’orgueil est le plus haut Benoit que l’on puisse couler d’ici longs faits et sans façon. Le péril d’une nation perverse est de cumuler tout sur le dos de quelqu’un et faire de l’emplâtre le plus maigre arlequin alors qu’il est préjudice à qui l’on veut, bonté à coups redoublés à qui l’on ne voulait pas pour soi.

Mais je vous suis d’accord pour le mot de la gloire du Sénat. Cureur (32) était de sa « c’est ma femme qui l’a fait » (33) le plus érudit de tous mais le moins emprunté.

A vous racler la couane te fais de la mais l’as est bonne il nous la faut bondir (34) mais je suis de ce paillasson qui fait prunelle aux cent quoi j’ai fait de l’artichaut avec ce fin bigorneau. Mais il faut passer brenat te fait Je plus plein de commères, de compère on fait le ventre pour le faire suler de toi.

A moi d’avoir raclé la couane te fait la : plus seule mais s’il est un tourteau c’est pour bonheur ailleurs et pas dans ces oraies-Ià elle sont trop basses.

A vous éreinter je fais de l’âme est lasse à toujours vous servir (35) et voir grimper les échelons à qui ne peut les gravir en temps et en heure. Il faut pour cela être gentille amie de l’oracle du Désir (36) et si vous êtes le feu de vendredettes (37) je vous fais le sale four de rat, de rat pâmé (38) et de chiffon de caprice.

La tourte est le soin qu’on a pour l’adolescent quand il fait ses dents avec le jarret d’autrui (39). Son préjudice est celui qu’on n’éteint pas d’un coup d’ombrelle (40). Il faut le suivre à l’essai quand on l’a érudit (41) et si vous voulez le voir pâmer allez sans plus tarder avenue Champs-Élysées en si doré frisson (42) de la [p. 513] patrouille des melons de courage mais de naufrage plein le jarret (44).

A vos souhaits maître ma pâme (45) à vos jarrets (46) et ma désinvolture à vos oraies plus hautes (47).

Bastille Marcelle (48) autrement dit Charlotte la Sainte, mais sans plus de marmelade je vous fais le plus haut fiston de la pondeuse et de ses troupeaux d’amis verts pour me ravir le fruit de sentinelle et pas pervers. Je suis le beau comblons d’humour de sans pinelle et du Vautour, le peloton d’essai (49) et de la sale nuire pour se distinguer à tous rabais des autres qui veulent vous surpasser parce que meilleur à fuir qu’à rester.

Mes hommages volontaires à Monsieur Sa Majesté le Prince de l’ironie française et si vous voulez en prendre un brin de cour fait le succès d’accord de Madelaine et de sans tort on fait de l’artisan pour vous démoder, portefaix. Ma liberté, j’en supplie votre honnête personne, vaudra mieux que le barème du duce le mieux appauvri par parapluie d’escouade.

Je vous honneurs, Monsieur Ventre vert (50). A vous mes saveurs de pétulance et de primeur pour vous honorer et vous plaire. Mecière du Bon Dieu pour vous arroser de honte on vous hantir de succès solide et équilibré. Marais haute de poissons d’eaux douces. Bedouce.

III. — Paris, ce 4 juin 1931 :

Monsieur le Méricain (51) de la buse et du prétoire,

S’il est des noms bien mus pour marquer poésie le somme des emmitouflés (52) oh ! dites, n’est-ce pas celui de la Calvèe (53). Si j’avais fait Pâques avant les Respans (54), c’est que mon École est de  vous asséner des coups de butor tant que vous n’aurez pas assuré le service tout entier. Mais si vous voulez faire le merle à fouine (55) et le tant l’aire est belle qu’il la faut majorer de faits c’est que, vous êtes as (58) de fa tête et qu’il nous faut tous pleurer (56). Mais si vous voulez de ce lieu-ci sans i en fait de l’étrange affaire c’est que combat est mon souci et que, etc…

IV. — Paris, le 27 juillet 1931 :

Monsieur le Préfet de Musique de l’Amique (61) entrainé de style pour péristyliser le compte Potatos et Margoulin réunis sans suite à I’Orgueil, Breteuil.

J’aime à voir conter le fait de l’Amérique en pleurs, mais il est si doux faits qu’on fait longue la vie des autres et suave la sienne au point, qu’il est bien cent fois plus rempli celui qui vit de l’âcre et du faussaire et fait sa digne existence de la longue épitre qu’il a cent fois sonné dans son gousset sans pouvoir de ce « et » faire un beau « maîtrisez-moi (62) je suis cent fois plus lâche que pinbèche mais faites la fine école et vous êtes le soleil de l’Amérique en pleurs.

Mais à scinder le tard on fait de l’agrégée en toutes les matières et [p. 514] si matelotte est fait de boursiers et de bronzes à tout luire, il faut de ce « et Con ? » (63) faire un « salut à toi, piment tu nous rends la vie suve et, sans toi, j’étais pendant aux bulles de St-Clément. »

Le sort « tu vois ma femme, ce qu’on fait de la sorce » le fait le plus grand peintre de l’univers entier, et, si tu es de ceux qui font : poète aux abois ne répond plus, mais hélas ! il est mûr dans l’amur de l’autre monde, tu feras, je crois Jésus dans l’autre monde encore, pourvu qu’on inonde le pauvre de l’habit du moine qui l’a fait (64).

Mon sort est de vous emmitoufler si vous êtes le benêt que je vois que vous êtes, et, si ce coq à l’âne fut le poisson d’essai (65), c’est que j’ai cru, caduque que vous étiez mauvais (66).

Je suis le frère du mauvais rat qui t’enroue si tu rats le chemin de mère la fouine (67) et de sapin refait, mais, si tu es soleil et poète aux longs faits, je fais le Revu, de ce lieu-là j’en sortirai. J’avais mis ma casse dans ta bécasse. Lasse de la tempête, j’achète votre tombe Monsieur (67).

Marcelle Ch. aux abois ne répond pas aux poètes sans foi, mais est cent fois plus assassin que mille gredins.

Genin.

V. — Le 10 novembre, on demande à la malade d’écrire une courte lettre aux médecins en style normal. Elle le fait aussitôt en notre présence, et avec succès. On lui demande ensuite d’écrire un post-scriptum en suivant ses « inspirations ». Voici ce qu’elle nous donne :

Post-Scriptum inspiré.

Je voudrais vous savoir les plus inédits à la marmotte du singe (78} mais vous êtes atterrés parce que je vous hais au point que je vous voudrais tous sauvés (79). Foi d’Arme et de Marne pour vous encoquiner et vous faire pleurer le sort d’autres, le mien point (80).

Marne au diable.

Enfin cette lettre, véritable « art poétique « , où la malade dépeint son style :

IV — Paris, le 10-12-1931 :

« Ce style que j’adresse aux autorités de passage, est le style qu’il faut pour bien former la besace de Mouléra et de son grade d’officier à gratter.

Il est ma défense d’Ordre et de Droit.

Il soutient le bien du Droit.

Il rigoureuse la tougne la plus sotte et il se dit conforme aux droits des peintres.

Il cancre la sougne aux orales de la splendeur, pour la piloter, en menin, dans le tougne qui la traverse.

II est Marne et ducat d’« et tort vous l’avez fait ? ». [p. 515]

Ce m’est inspiré par le grade d’Eux en l’Assemblée maudite Genève et Cie.

Je le fais rapide et biscornu.

Il est final, le plus sage ; en ce qu’il met tougne où ça doit être.

Bien-être d’effet à gratter.
Marcel le Crabe.

 

Le graphisme est régulier du début à la fin de la lettre.

Extrêmement lisible. D’un type dit primaire. Sans personnalité mais non sans prétention.

Fréquemment, la fin de la lettre remplit la marge. Aucune autre originalité de disposition. Pas de soulignages.

Aucune rature. L’acte d’écrire, quand nous y assistons, s’accomplit sans arrêt, comme sans hâte.

 

La malade affirme que ce qu’elle exprime lui est imposé, non pas d’une façon irrésistible ni même rigoureuse, mais sous un mode déjà. formulé. C’est, dans le sens fort du terme, une inspiration.

Cette inspiration ne la trouble pas quand elle écrit une lettre en style normal en présence du médecin. Elle survient par contre et est toujours, au moins épisodiquement, accueillie quand la malade écrit seule. Même dans une copie de ces lettres, destinée à être gardée, elle n’écarte pas une modification du texte, qui lui est « inspirée ».

Interrogée sur le sens de ses écrits, la malade répond qu’ils sont très compréhensibles. Le plus souvent, pour les écrits récemment composés, elle en donne des interprétations qui éclairent le mécanisme de leur production. Nous n’en tenons compte que sous le contrôle d’une analyse objective. Nous ne donnons, avec Ptersderff (3), à toute interprétation dite « philologique », qu’une valeur de symptôme.

Mais, le plus souvent, à l’égard de ses écrits, surtout quand ils sont anciens, l’attitude de la malade se décompose ainsi :

a) Conviction absolue de leur valeur. Cette conviction semble fondée sur l’état de sthénie qui accompagne les inspirations et qui entraine chez le sujet la conviction qu’elles doivent, même incomprises de lui, exprimer des vérités d’ordre supérieur. A cette conviction semble être attachée l’idée que les inspirations [p. 516] sont spécialement destinées à celui à qui est adressée la lettre. « Celui-là doit comprendre ». Il est possible que le fait de plaider sa cause auprès d’un auditeur (c’est toujours l’objet de ses écrits), déclanche l’état sthénique nécessaire.

b) Perplexité, quant à elle, sur le sens contenu dans ces écrits. C’est alors qu’elle prétend que ses inspirations lui sont entièrement étrangères et qu’elle en est à leur égard au même point que l’interrogateur. Si radicale que soit parfois cette perplexité, elle laisse intacte la première conviction.

c) Une profession, justificative et peut-être jusqu’à un certain point déterminante, de non-conformisme. « Je fais évoluer la langue. Il faut secouer toutes ces vieilles formes. »

Cette attitude de la malade à l’égard de ses écrits est identique à la structure de tout le délire.

a) Sthénie passionnelle fondant dans la certitude les sentiments délirants de haine, d’amour et d’orgueil. Elle est corrélative des états d’influence, d’interprétation, etc…

b) Formulation minima du délire, tant revendicateur qu’éroto-maniaque ou réformateur.

c) Fonds paranoïaque de surestimation de soi-même et de fausseté du jugement.

Cette structure caractéristique du délire nous est ainsi révélée de façon exemplaire.

Voyons si l’analyse des textes eux-mêmes nous éclairera sur le mécanisme intime des phénomènes « d’Inspiration ».

Notre analyse porte sur un ensemble de textes environ dix fois plus étendus que ceux que nous citons.

Pour conduire cette analyse sans idées préconçues, nous suivrons la division des fonctions du langage que Head a donnée à partir de données purement cliniques (4) (étude des apltasiques jeunes) (5). Cette conception s’accorde d’ailleurs remarquablement avec ce que les psychologues et les philologues obtiennent par leurs techniques propres (6).

Elle se fonde sur l’intégration organique de quatre fonctions auxquelles correspondent quatre ordres de troubles effectivement dissociés par la clinique : [p. 517] —troubles verbaux ou formels du mot parlé ou écrit ; — troubles nominaux ou du sens des mots employés, c’est-à-dire de la nomenclature ; —troubles grammatiques ou de la construction syntaxique ; —troubles sémantiques ou de l’organisation générale du sens de la phrase.

I. TROUBLES VERBAUX

Altération de la forme du mot, révélatrice d’une altération du schéma moteur graphique —ou bien de l’image auditive ou visuelle.

Au premier abord, ils sont réduits au minimum. Pourtant, on rencontre des élisions syllabiques (61), portant souvent, point remarquable, sur la première syllabe (26) (32) (51), assez fréquemment l’oubli d’une particule, préposition le plus souvent : « pour », « de », ou « du »(9), etc. S’agit-il de ces courts barrages, ou inhibitions du cours de la pensée qui font partie des phénomènes subtils négatifs de la schizophrénie ? Le fait est d’autant plus difficile à affirmer que la malade en donne des interprétations délirantes. Elle a supprimé cet « et », ou ce «  de », parce qu’il aurait fait échouer sa démarche. Dans des écrits, elle y fait allusion (62).

Certaines formules verbales sont par contre certainement données par les phénomènes élémentaires imposés positifs, pseudo-hallucinatoires (63) ; la malade souvent spécule sur ces phénomènes .

Le caractère imposé de certains phénomènes apparait nettement en ceci que leur image est si purement auditive que la malade lui donne plusieurs transcriptions différentes : la mais l’as (34), l’âme est lasse (37), qui s’écrit encore « la mélasse » dans un poème que nous n’avons pas cité. De même « le merle à fouine » (55), « la mère la fouine » (67). Les dénégations de la malade, fondées sur la différence du sens, ne peuvent annuler le fait, mais viennent au contraire renforcer sa valeur.

On peut dès lors se demander si n’ont pas une même origine certaines stéréotypies qui reviennent avec insistance dans une même lettre ou dans plusieurs : dans la lettre I, le « d’État » (5) ; dans la lettre II, le « d’essai » (16) (19) (49) (65) qui s’accroche régulièrement à des mots terminés en on, sur le modèle de «  ballon d’essai », dans plusieurs lettres, le «  si doré frisson » (42) (60). On peut se le demander encore pour toute une série de stéréotypies qui viennent dans le texte avec un cachet d’absurdité particulièrement pauvre, qui, dirons-nous, «  sentent » la rumination [p. 518] mentale et le délire. C’est là une discrimination d’ordre esthétique qui ne peut cependant manquer de frapper chacun.

Les néologismes pourtant semblent pour la plupart d’une origine différente. Certains, seulement, comme «  Iondrer, londoyer, (31), s’apparentent aux types néologiques que nous fournit l’hallucination. Ils sont tares. Pour la plupart, nous devrons les ranger dans ‘les troubles nominaux.

II. — TROUBLES NOMINAUX

Les transformations du sens des mots paraissent voisines des processus d’altération étudiés par les philologues et les linguistes dans l’évolution de la langue commune. Elles se font comme ceux-ci par contiguïté de l’idée exprimée et aussi par contiguïté sonore ou plus exactement parenté musicale des mots ; la fausse étymologie du type populaire résume ces deux mécanismes : aussi la malade emploie «  mièvre » dans le sens qu’a « mesquin ». Elle a fait une famille avec les mots mairie et marier, d’où elle tire : marri et le néologisme mairir.

Le sens est encore transformé selon le mécanisme normal de l’extension et de l’abstraction, tels les jarrets [(39) (44) (46), etc., fréquemment évoqués, mot auquel la malade donne son sens propre, et « par extension » celui de lutte, marche, force active.

Des mécanismes de dérivation réguliers produisent les néologismes érudir (27) (41), enigmer, craie [(22) (47) ], formé comme roseraie, et très fréquemment employé dans le sens d’affaire qui produit de l’or, vendredettes (37), qui désigne ce qui se rapporte à un cours qu’elle suivait le vendredi, etc.

D’autres mots sont d’origine patoisante, locale ou familiale, voir (28), et encore les Respans pour les Rameaux (54), le mot «  nèche » pour dire méchante, et les mots « tougne », d’où dérivent tougnate (23) (25), tougnasse, qui sont des injures désignant toujours sa principale ennemie, Mlle G…

Enfin noter l’usage de mots truculents : les emmitouflés (52), les encoquinés, etc…

II. — TROUBLES GR.AMMA TIQUES

On peut remarquer après examen que la construction syntaxique est presque toujours respectée. L’analyse logique formelle est toujours possible à cette condition d’admettre la substitution de toute une phrase à la place d’un substantif. Tel l’exemple suivant (56) : Mais si vous voulez faire le merle à fouine et le / tant l’aire est belle qu’il la faut majorer de faits /. c’est que vous êtes as de la fête et qu’il nous faut tous pleurer. » Les deux [p. 519] signes / / isolent la phrase jouant la fonction de substantif. Cette construction est très fréquente (15) (24) (25) (29) (33) (73). Parfois, il s’agit d’adjectifs ou de formules adjectives employée substantivement (4) (8) (17) (21), ou simplement d’un verbe à ]a 3e personne : « le mena », « le pela », « le mène rire ».

Cette forme donne d’abord l’illusion d’une rupture de la pensée ; nous voyons qu’elle en est tout le contraire puisque la construction reprend, après que la phrase, en quelque sorte entre parenthèses, s’est achevée.

En des passages beaucoup plus rares, le lien syntaxique est détruit et les termes forment une suite verbale organisée par l’association assonantielle du type maniaque (60) (73), ou, par une liaison discontinue du sens, fondée sur le dernier mot d’un groupe repris comme premier du suivant, procédé parent de certains jeux enfantins : tel (20): ou encore cette formule : « vitesse aux succès fous de douleur, mais ventre à terre et sans honneur » (lettre non citée). La fatigue conditionne en partie ces formes qui sont plus fréquentes à la fin des lettres.

III. — TROUBLES SÉMANTIQUES

Ils sont caractérisés par l’incohérence qui parait d’abord totale.

Il s’agit en réalité d’une pseudo-incohérence.

Certains passages plus pénétrables nous permettent de reconnaître les traits caractéristiques d’une pensée où prédomine l’affectivité.

C’est d’abord essentiellement l’ambivalence. « J’ai subi, dit-elle, le joug de la défense (2) » pour signifier exactement le « joug de l’oppression » par exemple. Plus nettement encore : « Vous êtes atterrés parce que je vous hais au point que je vous voudrais tous sauvés » (79). Voir encore (80).

De la condensation. de l’agglutination des images, voici des exemples. Dans une lettre non publiée : « Je vous serais fort avant-coureur, écrit-elle à son député, de me libérer de cet enfer. » Ce qui veut dire que, pour exprimer sa reconnaissance, elle le fera bénéficier de ces lumières spéciales qui t’ont d’elle un avant-coureur de l’évolution. De même ailleurs : « Je vous serais fort honnête de vouloir bien procéder à un emprisonnement correct dans l’enseignement primaire. »

Le déplacement, la projection des images sont non, moins avérés après qu’on a interrogé la malade. Qu’elle interprète (plus ou moins secondairement, ceci importe peu), un passage incohérent comme exprimant une calomnie qu’on a dû répandre sur elle. Il se trouve que le discours lui attribue à elle-même la phrase [p. 520] incriminée. L’inverse se produit non moins constamment. La notion de la participation semble effacer ici celle de l’Individu. Et cette tendance de sa pensée pourrait relever de l’expérience délirante du sentiment d’influence, si l’usage du procédé que nous signalons, n’était nettement ironique et ne révélait par là son dynamisme affectif.

En témoigne encore la profusion des noms propres dans ses écrits (plusieurs à la suite, joints par le signe =, pour désigner le même individu, par exemple), des surnoms, la diversité et la fantaisie de ses propres signatures.

Notons que la malade se qualifie elle-même fréquemment au masculin (7).

Dans une composition que nous lui avons demandée sur un sujet technique qu’elle était censé connaître, la relation se marquait bien entre le défaut de direction et d’efficacité de la pensée et cette structure affective. Ce travail, à peu près suffisant dans son contenu général, montrait deux ou trois fois une dérivation du discours, tout à fait hors de propos, et toujours sous la forme de l’ironie, de l’allusion, de l’antiphrase. Ces formes, où la pensée affective trouve normalement à s’exprimer dans les cadres logiques, étaient ici liées à la manifestation d’un déficit intellectuel qui ne s’était pas révélé dans les tests, où elle était passive.

Néanmoins, tout dans ces textes ne semble pas ressortir à la formulation verbale dégradée de tendances affectives. Une activité de jeu s’y montre, dont il ne faut méconnaitre ni la part d’intention, ni la part d’automatisme. Les expériences faites par certains écrivains sur un mode d’écriture qu’ils ont appelé surréaliste, et dont ils ont décrit très scientifiquement (7) la méthode, montrent à quel degré d’autonomie remarquable peuvent atteindre les automatismes graphiques en dehors de toute hypnose (8).

Or, dans ces productions, certains cadres peuvent être fixés d’avance, tel un rythme d’ensemble, une forme sentencieuse (9), sans que diminue pour cela le caractère violemment disparate des images qui viennent s’y couler.

Un mécanisme analogue semble jouer dans les écrits de notre malade, pour lesquels la lecture à haute voix révèle Je rôle essentiel du rythme. Il a souvent, par lui-même, une puissance expressive considérable. [p. 521]

L’hexamètre rencontré à chaque ligne (66) est peu significatif et est plutôt un signe d’automatisme. Le rythme peut être donné par une tournure sentencieuse, qui prend parfois la valeur d’une véritable stéréotypie ; tel le schéma donné par le proverbe : « A vaincre sans péril on triomphe sans gloire, vingt fois sous-jacent à quelque formule apparemment incohérente (31). Un grand nombre de tournures propres à certains auteurs classiques, à La Fontaine très souvent, soutiennent son texte. La plus typique de celles-ci est la phrase délirante qui précède le renvoi (53) et qui est calquée sur le célèbre dystique d’Hégésippe Moreau:

« S’il est un nom bien doux fait pour la poésie,
Ah ! dites, n’est-ce pas celui de la Voulzie ? »

En faveur de tels mécanismes de jeux, il nous est impossible de ne pas noter la remarquable valeur poétique à laquelle, malgré quelques défauts, atteignent certains passages. Par exemple, les deux passages suivants :

Dans la lettre (1), que nous n’avons pu donner que partiellement, suivent presque immédiatement notre texte les passages suivants ;

« On voit que le feu de l’art qu’on a dans les herbes de la St-Gloire met de l’Afrique aux lèvres de la belle emblasée. »

et s’adressant toujours à son père :

« Crois : qu’à ton âge tu devrais être au retour de l’homme fort qui, sans civilisation, se fait le plus cran de l’aviron et te reposer sans tapinois dans Je plus clair des métiers de l’homme qui se voit tailler la perle qu’il a faite et se fait un repos de son amant de foin. »

Voir encore (39) (40) (50) (64) (67).

Au terme de notre analyse, nous constatons qu’il est impossible d’isoler dans la conscience morbide le phénomène élémentaire, psycho-sensoriel ou purement psychique, qui serait le noyau pathologique, auquel réagirait la personnalité demeurée normale. Le trouble mental n’est jamais isolé. Ici, ·nous voyons le mécanisme essentiel reposer sur une double base :

— un déficit intellectuel, qui, si subtil soit-il, se traduit dans les productions intellectuelles, la conduite, et fonde certainement la croyance délirante ;

— un état de sthénie passionnelle qui, diversement polarisée en sentiments d’orgueil, de haine ou de désir, prend sa racine unique dans une tendance égocentrique. [p. 522]

Cet état émotionnel chronique est susceptible de variations, selon plusieurs périodes. Périodes longues, qui révèlent une corrélation clinique avec la fréquence des phénomènes élémentaires d’action extérieure. Périodes courtes, qui sont déterminées par l’expression écrite des-thèmes délirants.

Dans ces états d’exaltation, les formulations conceptuelles, que ce soit celles du délire ou des textes écrits, n’ont pas plus d’importance que les paroles interchangeables d’une chanson à couplets. Loin qu’elles motivent la mélodie, c’est celle-ci qui les soutient ; et légitime à l’occasion leur non-sens.

Cet état de sthénie est nécessaire pour que les phénomènes dits élémentaires eussent-ils la consistance psycho-sensorielle, entraînent l’assentiment délirant, que la conscience normale leur refuse.

De même, dans les écrits, la formule rythmique seule est donnée, que doivent remplir les contenus idéiques qui se présenteront. Dans l’état donné de niveau intellectuel et de culture de la malade, les conjonctions heureuses d’images pourront se produire épisodiquement pour un résultat hautement expressif. Mais le plus souvent, ce qui viendra, ce seront les scories de la conscience, mots, syllabes, sonorités obsédantes, « rengaines », assonances, « automatismes » divers, tout ce qu’une pensée en état d’activité, c’est-à-dire qui identifie le réel, repousse et annule par un jugement de valeur.

Tout ce qui, de cette origine, se prend ainsi dans le texte, se reconnait à un trait qui en signe le caractère pathologique : la stéréotypie. Ce trait est manifeste parfois. On ne peut ailleurs que le pressentir. Sa présence nous suffit.

Rien n’est en somme moins inspiré, au sens spirituel, que cet écrit ressenti comme inspiré. C’est quand la pensée est courte et pauvre, que le phénomène automatique la supplée. Il est senti comme extérieur parce que suppléant à un déficit de la pensée. Il est jugé comme valable, parce qu’appelé par une émotion sthénique,

Il nous semble que cette conclusion, qui touche aux problèmes les plus essentiels que nous pose le fonctionnement pathologique de la pensée, valait l’analyse phénoménologique minutieuse, que seuls des écrits pouvaient nous permettre.

Notes

(1) L’observation qui sert de hase à ce travail a été présentée à la Soc. Médico-psychologique, séance du 12 novembre 1931, sous le titre de : Troubles du langage écrit chez une paranoïaque présentant des éléments délirants du type paranoïde (schizographie).

(2) PFERSDORFF. — La schizophasie, les catégories du Iangage. Travaux de la clinique psych. de Strasbourg, 19Z7. Guilhem Teulié. La schizophasie, Ann. Médic-psych. Février-mars 1931.

(3) PFERSDORFF. — Contribution à l’étude des catégories du langage. L’Interprétation « philologique », 1929.

(4) HEAD. — Aphasia and kindred disorsders of spech. Cambridge,University Press,  1926.

(5) Le rapprochement avec ces malades dits organiques n’a rien de si osé qu’il n’ait déjà été fait par plusieurs auteurs. Voir la communication de Claude, Bourgeois et Masquin à la Soc. Méd.-psych., du 21 mai 1931,

(6) Voir DELACROIX. — Le langage et la pensée, Alcan.

(7) André BRETON. — Manifeste du surréalisme, 1924.

(8) Voir A. BRETON et P. ELUARD. — L’immaculée Conception, 1930.

(9) 152 proverbes mis au goût du jour, Eluard et Benjamin Peret. Robert DesNos. —Corps et biens. Nrf.

 

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