J. Grasset. Les faits du spiritisme et nos connaissances sur l’Au-delà. Partie 1. Extrait de la revue « Æsculape », (Paris), 1911, mars, pp. 49-53.

J. Grasset. Les faits du spiritisme et nos connaissances sur l’Au-delà. Partie 1. Extrait de la revue « Æsculape », (Paris), 1911, mars, pp. 49-53.

 

Jean-Joseph Grasset (1849-1918). Médecin neurologue. Il est à l’origine de l’école vitaliste de Montpellier. Professeur agrégé en 1875, il est nommé professeur de thérapeutique en 1881 et, en 1886, professeur de clinique médicale. A partir de 1898, il est membre associé de l’Académie de médecine et en 1899, il a présidé le Congrès de médecine.
Quelques publications :
— Maladies du système nerveux. Leçons faites à la Faculté de Médecine de Montpellier. A Montpellier et Paris-C. Coulet et V.-A. Delahaye, 1878-1879. 2 vol.
— Des localisations dans les maladies cérébrales (3e édition). Montpellier : C. Coulet.
— Étiologie infectieuse de l’hystérie ; leçons cliniques . Montpellier, typ. et lithogr. C. Boehm. 1894.
— Diagnostic des maladies de la moelle : siège des lésions. Paris : J.-B. Baillière et fils, 1899.
— Les maladies de l’orientation et de l’équilibre. Paris : F. Alcan, 1901.
— Les limites de la biologie, Paris, Félix Alvan, 1902. Dans la bibliothèque de philosophie contemporaine.
— Le Spiritisme devant la Science. Nouvelle édition, revue, corrigée et précédée d’une préface par Pierre Janet. Montpellier et Paris-Coulet & fils et Masson & Cie, 1904. 1 vol.
— Les Centres nerveux, physiopathologie clinique. Paris : J.-B. Baillière et fils, 1905.
— Le Psychisme inférieur. Etude de physiopathologie clinique des centres psychiques. Paris, Chevalier et Rivière, 1906. 1 vol.
— L’occultisme hier et aujourd’hui, le merveilleux préscientifique. Montpellier, Coulet et fils. 1907. 1 vol.
— Les faits du spiritisme et nos connaissances sur l’Au-delà. Partie 2. Extrait de la revue « Æsculape », (Paris), 1911, pp. 82-86. [en ligne sur notre site]
— La biologie humaine. Paris, Flammarion, 1917.

Les [] renvoient à la pagination originale de l’article. – Les images sont celles de l’article original. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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LES FAITS DU SPIRITISME
ET NOS CONNAISSANCES DE L’AU-DELA
par le Professeur GRASSET (de Montpellier)

AVEC la question de nos origines, le mystérieux problème de l’au-delà et de la survivance s’est imposé, s’impose et s’imposera toujours à l’attention angoissée de l’homme. Plus nous fouillons scientifiquement et complètement notre vie actuelle, plus nous restons couvaincus que cette vie individuelle n’est qu’une étape de la vie totale et universelle et nous nous demandons anxieusement cc qu’était notre vie avant la naissance et ce qu’elle sera après la mort.

Naturellement, la question se pose il tous, quelle que soit l’opinion philosophique et religieuse de chacun. L’évolutionniste comme le partisan de la création individuelle, le spiritualiste comme le matérialiste, tous se posent, avec la même anxiété, l’éternelle question : D’où venons-nous ? Où allons-nous ?

Si la question s’est toujours posée dans les mêmes termes, les méthodes pour la résoudre ont nécessairement varié suivant les époques, et on retrouve dans l’histoire évolutive de ces méthodes les trois phases de la loi d’Auguste Comte : la phase théologique, la phase métaphysique et la phase scientifique. Les trois méthodes de recherche ont été employées avec des succès très divers.

Toutes les religions et toutes les philosophies donnent, au problème, une solution plus ou moins positive, précise et consolante. Avec la méthode scientifique les choses sont beaucoup moins avancées.

Depuis cent ans, on a vu la science positive faire de tels progrès dans toutes les directions qu’on est arrivé a admettre qu’elle n’a point de limites, qu’elle est susceptible de solutionner tous les problèmes et alors, de tous côtés, on lui a posé la question :

Qu’étions-nous avant la naissance? Que serons-nous après la mort ?

Pour la première question, on se rappelle les espérances qu’on fait naître les théories évolutionnistes dès leur apparition. Il semblait que le problème de nos origines était résolu et résolu scientifiquement.

Il n’appartient pas au programme de cet article de démontrer que ces espérances ont été déçues et que la démonstration scientifique de nos origines n’est pas faite, Je me contenterai de citer cette phrase de Rémy de Gourmont : « Parmi les problèmes qui se rattachent à l’idée d’évolution, problèmes dont elle semblait avoir au moins résolu le principe, celui de l’origine de l’homme, qui nous intéresse particulièrement, est le plus compromis. Sa solution est tout aussi éloignée de nous qu’avant les travaux biologiques de Darwin et philosophiques d’Herbert Spencer. »

Pour la seconde question (nos connaissances sur l’au-delà]. on a sommé aussi itérativement la science de nous donner une solution, socs peine d’être. déclarée en faillite el on a pensé d’abord qu’elle donnait une solution négative : les progrès de la dissection aidée du microscope et les perfectionnements de la balance ne permettant pas de démontrer l’existence de l’âme, principe de vie et immortelle, des spiritualistes, on en a conclu que cette âme n’existait pas et que, par conséquent, il n’y a pas de survivance de l’âme humaine. [p. 49, colonne 2]

On a bientôt vu que ce raisonnement simpliste n’a rien de scientifique et que la science n’apporte aucune solution, ni dans un sens ni dans l’autre, au problème de l’au-delà et de la survivance.

On ne s’est pas tenu pour battu : nous assistons, depuis un demi-siècle, à un nouvel essai, bien curieux et bien intéressant, de solution du problème de l’au-delà par la science positive : c’est cet essai, dont on parle beaucoup, que je voudrais exposer et discuter dans le présent article.

C’est sur les faits dits du spiritisme qu’est basée cette tentative, d’appuyer sur une base scientifique expérimentale, nos connaissances sur la survivance de l’âme humaine.

Depuis longtemps, on attribuait aux esprits (âmes survivantes des morts) les phénomènes connus sous le nom de maisons hantées. Mais les observations n’étaient pas plus scientifiques que les expériences faites avec le baquet de Mesmer.

En 1847, au moment ou Braid « desoccultait » le magnétisme animal et le faisait entrer dans la science sous le nom d’hypnotisme, les misses Fox, habitant une « maison hantée » de New-York, se mettaient à causer avec les « esprits », d’abord en frappant dans les mains, puis en faisant le cercle autour de tables (1850), dans lesquelles l’esprit résidait et que l’esprit faisait mouvoir et parler par ces mouvements mêmes avec un alphabet convenu. Ces phénomènes (1) ne furent d’abord qu’un amusement de salon ; mais plus tard, ils ont été scientifiquement étudiés, ils sont devenus objets de recherches et d’observation scientifiques. [p. 49, colonne 3]

Dès lors. comment ne pas céder au désir de voir dans ces faits une démonstration scientifique de la survivance de l’âme humaine, le début d’une étude scientifique du problème de l’au-delà.

Puisque les esprits font tourner et parler les tables, puisque nous pouvons communiquer avec eux, évoquer un parent ou un ami mort, un grand homme disparu… c’est que ces esprits existent, quelque part, ailleurs que dans notre monde visible ; donc, l’immortalité de l’âme est démontrée scientifiquement ; la base scientifique du spiritualisme est trouvée. Nous pouvons même ainsi, non-seulement prouver la réalité de l’au-delà, mais avoir des détails, des renseignements sur cette autre vie, en interrogeant les esprits que nous évoquons…

On comprend comment, progressivement et logiquement, s’est établie cette notion que, dorénavant, la question de l’au-delà est devenue une question scientifique, est désoccultée et ne doit plus être résolue que par les méthodes el les recherches scientifiques : cette question n’est plus le monopole des métaphysiques et des religions ; la science remplace les métaphysiques et les religions ou, pour les esprits qui veulent garder leurs doctrines philosophiques et religieuses, la science démontre positivement la légitimité des seules solutions spiritualistes pour le problème de la survivance humaine.

« Depuis cinquante ans, dit Léon Denis, une communication intime et fréquente s’est établie entre le monde des hommes et celui des esprits. Les voiles de la mort se sont entr’ouverts… Les âmes ont parlé … (dans l’expérimentation), il n’est pas de succès possible, pas de résultat assuré sans l’assistance et la protection d’en haut… Les modes de correspondance qui relient les hommes vivant sur la terre s’étendent peu à peu aux habitants du monde invisible … Le spiritisme n’est pas seulement la démonstration, par les faits, de la survivance ; c’est aussi la voie par où les inspirations du monde supérieur descendent sur l’humanité. A ce litre, il est plus qu’une science ; c’est l’enseignement du ciel à la terre. »

Allan Kardec avait déjà écrit l’évangile « selon l’enseignement donné par les esprits supérieurs à l’aide de divers médiums ». Il y a quelques années à peine (1902), Gabriel Delanne intitule son livre Preuves absolues de nos communications avec le monde des esprits, c’est-à-dire, ajoute-t-il dans le texte « avec les âmes des personnes qui ont vécu sur la terre » ; el il démontre dans son livre « que la médiumnité véritable est bien due à l’action des intelligences désincarnées ».

Ces auteurs n’ont pas manqué de tirer les conclusions naturelles des prémices ainsi posées.

Léon Denis intitule son livre : Traité de spiritualisme expérimental, et dit : « Le spiritisme .. a tourné les pensées vers l’au-delà : il a réveillé dans les consciences brumeuses et endormies de notre temps, le sentiment de l’immortalité ; il a rendu plus vivante, plus réelle, plus tangible, la croyance à la survivance des disparus. Là où il n’y avait que des espérances et des croyances, il a apporté des certitudes… Toute croyance doit être appuyée sur des faits. C’est aux manifestations des [p. 50, colonne 1] âmes affranchies de la chair, et non à des textes obscurs et vieillis, qu’il faut demander Je secret des lois qui régissent la vie future et l’ascension des êtres …

De même, Delanne : le spiritisme est « la démonstration expérimentale de l’existence de l’âme et de son immortalité… Le positivisme étroit de notre époque, en refusant de s’occuper de ce qui ne tombe pas sous les sens, croyait avoir relégué l’âme des spiritualistes dans le royaume des chimères et voici que ses adeptes sont contraints d’en constater la réalité ». Les expériences des médiums sont « la base sur laquelle s’appuiera la démonstration de la survivance ».

On est arrivé ainsi à confondre presque, comme synonymes, les deux mots « spiritisme » et « spiritualisme » ; le Dr Encausse (Papus) intitule son livre : L’occultisme et le spiritualisme. « Un spiritualiste, dit Marcel Mangin, n’a évidemment pas de peine à devenir spirit , et Gaston Méry a même prononcé le mot de « catholicisme expérimental ».

La conclusion de Myers est bien importante : « Je prétends, dit-il, qu’il existe une méthode d’arriver à la connaissance des choses divines avec la même certitude, la même assurance calme auxquelles nous devons le progrès dans la connaissance des choses terrestres. L’autorité des religions el des églises sera ainsi remplacée par celle de l’observation et de l’expérience… Notre siècle de science se pénètre de plus en plus de celte vérité que les relations entre le monde matériel et le monde spirituel ne peuvent pas être d’un caractère uniquement moral et émotionnel… Et, en ce qui touche spécialement cette affirmation centrale, la vie de l’âme se manifestant après la mort corporelle, il est clair qu’elle peut de moins en moins se faire prévaloir de la tradition seule et doit de plus en plus chercher sa confirmation dans l’expérience et l’étude modernes …. Si les résultats des recherches psychiques avaient été purement négatifs, les données (je ne dis pas l’émotion) du christianisme n’auraient-elles pas reçu un coup irréparable ? D’après mon opinion personnelle, nos recherches nous ont donné des résultats tout différents, largement positifs… L’affirmation centrale du christianisme reçoit ainsi une confirmation éclatante… L’affirmation vague et imparfaite de la révélation et de la résurrection est, de nos jours, confirmée par de nouvelles découvertes et de nouvelles révélations… Les révélations contenues dans les messages ayant leur source dans les esprits désincarnés… montrent d’une façon directe ce que la philosophie n’a pu que soupçonner : l’existence d’un monde spirituel et l’influence qu’il exerce sur nous. »

On comprend le mot de Bourdeau : « L’originalité de Myers, c’est d’avoir rajeuni le vieil animisme, en prétendant l’appuyer sur un appareil scientifique. »

Ernest Bozzano montre que « le seul fait de l’existence des phénomènes métapsychiques, considérés en rapport avec la loi de l’évolution et sans tenir compte de l’hypothèse spirite, suffit à démontrer la survie de l’esprit après la mort du corps ».

Si César Lombroso a pu, dit Luce a ombra (1905), nous avouer personnellement, il y a quelques jours, dans le local de notre réduction, qu’il croyait désormais à la survivance d’une partie au moins de la personnalité humaine, nous le devons à la ténacité admirable d’Ercole Chiaïa, qui sut mettre à profit la conscience honnête du sa vanant et l’entrainer, pour ainsi dire, devant l’évidence des faits ».

« Le matérialisme a vécu », conclut Dupouy : de même, pour .Mgr Elie Méric, grâce à toutes les recherches expérimentales, « le matérialisme est vaincu… C’est une grande consolation de voir aujourd’hui les sciences expérimentales, les sciences naturelles, estimées à l’excès par les esprits de notre temps, confirmer à leur tour les pressentiments de la conscience et l’enseignement de la [p. 50, colonne 2] philosophie. C’est une grande joie pour l’esprit de voir enfin la métaphysique, Ia philosophie et les sciences se réunir pour condamner le matérialisme et affirmer l’existence de l’âme et son immortalité ».

Portrait de d’EUSAPIA PALADINO pris par le professeur Bottazzi directeur de l’institut physiologique de l’Université de Naples
qui l’a longuement étudiée et en a proclamé les facultés supernormales (1)

En dehors du catholicisme, le rabbin Dante Lattes pense que le « spiritisme, qui est devenu une science expérimentale, sévère, étendue, est sur le point de nous dévoiler les mystères de l’au-delà, en transformant en conviction sûre ce qui n’est actuellement que de la foi… Ses phénomènes et son hypothèse aident le sentiment religieux et moral et apportent un grand avantage et beaucoup de lumière aux faits de notre histoire, aux pratiques et aux croyances de notre foi ».

De même, le vénérable archidiacre Colley dit que « pour plusieurs millions de chrétiens qui ne sont pas satisfaits de leur religion, le spiritisme se présente vraiment comme un envoyé de Dieu pour sauver les hommes de ce matérialisme sadducéen qui ne voit rien au-delà du tombeau. Le spiritisme est une cure pour le manque de foi, surtout parce qu’il fournit une preuve scientifique de la continuation de la vie au-delà de la tombe ».

Voilà donc une thèse parfaitement établie et admise par uni série d’esprits distingués, appartenant à des écoles philosophiques et religieuses très diverses ; ils se trouvent réunis par l’unité de cette conviction les faits du spiritisme sont établis scientifiquement ; il prouve l’existence d’esprit avec lesquels nous entrons en communication, donc l’âme survit après la mort de l’homme ; nos connaissances sur l’au-delà sont précisées et désormais étayées sur la science positive. Dans cette [p. 50, colonne 3] doctrine, le croyant et le spiritualiste trouvent une heureuse confirmation de leur foi et de leur doctrine ; l’incroyant et le matérialiste trouvent une doctrine, différente de la leur, mais à laquelle ils peuvent se rallier parce qu’elles donnent à la notion de survivance le caractère, non d’un dogme religieux ou métaphysique, mais d’un fait scientifique que l’on doit non croire, mais admettre.

Eusapia PALADINO en transe.

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Je crois malheureusement que celle thèse n’est nullement fondée et qu’elle doit être remplacée par une thèse absolument opposée : dans les faits dits du spiritisme, une partie est réellement et scientifiquement démontrée ; mais ces faits ne nécessitent en rien l’admission d’esprits désincarné et par conséquent ne prouvent nullement la survivance et ne nous donnent aucune notion nouvelle sur l’au-delà. Or, c’est là le groupe de faits sur lesquels il faudrait baser tonie la doctrine adverse, puisque, seuls, ils sont scientifiquement établis. Quant aux autre faits invoqués par les spirites, je ne crois pas que leur existence scientifique ait encore été réellement établie : on ne peut donc pas édifier sur eux une doctrine aussi grave que celle de la survivance. De plus, ces faits, non démontrés encore, entreraient-ils un jour dans la science positive, je ne crois pas qu’ils nécessitent encore la théorie spirite et par conséquent qu’ils justifient l’admission scientifique de la survivance.

D’un mot, les faits dits du spiritisme, alors même qu’ils seraient tous démontrés comme scientifiquement existants, n’ajouteraient rien à nos connaissances sur l’au-delà. Voilà la conclusion que je voudrais développer.

Pour entreprendre cette tâche difficile je n’ai qu’un titre : je suis personnellement convaincu, d’un côté, de la survivance de l’âme humaine et de l’existence d’un au-delà et, de l’autre côté, de l’existence avérée d’un certain nombre de faits du spiritisme et de la possibilité pour certains autres d’entrer un jour dans le domaine de la science positive et démontrée. C’est donc avec joie que je verrais ces deux convictions s’étayer, se démontrer, se corroborer mutuellement ; je serais heureux de trouver dans les faits démontrés du spiritisme des arguments apologétiques en faveur de mes convictions philosophiques et religieuses. Je ne suis sceptique sur aucun des deux termes du problème, je suis ennemi à priori de ceux qui veulent traiter ces questions par le dédain ou la moquerie. Je suis, semble-t-il dans un état d’âme qui donnera quelque poids et quelque valeur à l’opinion négative, contraire à mes désirs, dont je vais essayer de démontrer la justesse.

II

Un premier argument, d’une valeur médiocre (je le reconnais), contre la thèse spirite peut être tiré de la diversité des conclusions auxquelles, en définitive, arrivent ses adeptes, quand ils veulent formuler la doctrine à laquelle ils aboutissent : une doctrine uniquement basée sur la science positive et sur la seule constatation de faits scientifiques doit être la même pour tous les expérimentateurs, au même moment de l’histoire de la science.

Or, comme je l’ai dit ailleurs, « les uns voient dans l’occultisme la démonstration expérimentale du catholicisme (Gaston Méry), la preuve sans laquelle la religion chrétienne serait bien mal en point (Myers) ; d’autres y voient la transformation en science de la foi judaïque (Dante Lattes), tandis que certains y voient au contraire un grand danger pour la foi (Godfrey Raupert] et d’autres, une religion pour ceux qui ne sont pas contents de la leur (Colley). Lapponi y voit l’œuvre à peu près constante du démon, Rolfi distingue les cas du démon et ceux des anges. Pour Drumont, c’est l’existence du surnaturel démontrée par la science et, pour Mgr Elie Méric, la preuve de l’agilité et [p. 51, colonne 1] de l’intelligence pénétrante des esprits. Myers en déduit une conception bouddhiste du Cosmos et Courier salue l’avènement du spiritisme dans nos belles cathédrales à la place du catholicisme vieilli ».

Je dis que, quoique réel, l’argument est médiocre parce que la divergence et la contradiction n’aparaissent entre les conclusions des auteurs que quand elles dépassent le fait de la survivance et veulent formuler une doctrine philosophique ou religieuse complète. Limitées à l’affirmation de la vie au-delà, ces diverses conclusions gardent une assez grande unité pour qu’il soit nécessaire de les réfuter d’une manière plus précise.

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La question se pose donc ainsi : les faits du spiritisme accroissent-ils nos connaissances sur l’au-delà en nous démontrant la survivance de l’âme humaine (ou esprit) ?

Je vais limiter d’abord la discussion aux faits dont l’existence est scientifiquement démontrée ; je les groupera: sous les sept chefs suivants: magnétisme animal et hypnotisme (suggestion), tables tournantes, pendule explorateur, baguette divinatoire, cumberlandisme avec contact, cristallomancie, médiums et transes.

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*     *

Je rappelle d’abord en quoi consistent les faits de chacun de ces groupes.

A la fin du XVIIIe siècle, qui se targuait de tant d’incrédulité, l’année même où Voltaire y venait mourir (1778), Mesmer y faisait son entrée et commençait à magnétiser les gens réunis autour de son baquet. Là se passent des scènes étranges de convulsions, d’assoupissement, de pleurs, de hoquets, de rires. Tous sont soumis à celui qui magnétise, au maitre, qui vêtu d’un habit de soie lilas ou de toute autre couleur agréable promène sa baguette avec une autorité souveraine.

Le marquis de Puysegur (1784) voit un homme qu’il avait magnétisé s’endormir paisiblement et continuer, dans son sommeil provoqué, à parler, à s’occuper très haut de ses affaires. Il magnétise un arbre et, par l’intermédiaire de cet arbre, agit sur un très grand nombre de sujets. Pour éveiller Je sujet, il lui touche les yeux ou l’envoie embrasser l’arbre qui l’a endormi tout à l’heure et qui maintenant le désenchante.

L’abbé de Faria endort sans passes ni gestes, en disant « dormez » d’un ton impératif.

Tous ces phénomènes restent occultes et mystérieux jusqu’au milieu du XIXe siècle puisque le 1er octobre 1840, après une série de rapports et sur la proposition de Double, l’Académie de médecine décide qu’elle ne répondra plus aux communications concernant le magnétisme animal, de même que l’Académie des sciences regarde comme non avenues les communications relatives à la quadrature du cercle et au mouvement perpétuel.

Encore en juin 1842, l’Association britannique refuse d’entendre les premières communications de James Braid, qui heureusement ne se décourage pas, fonde l’hypnotisme et établit scientifiquement les faits de l’hypnose et de la suggestion, bien étudiés ensuite par Bernheim et par Charcot et dont l’existence ne peut pas être révoquée en doute.

L’existence des tables tournantes est tout aussi scientifiquement et positivement démontrée.

Les tables tournent réellement dans certains cas, alors qu’autour de la table il n’y a, les mains appuyées dessus, que des gens d’absolue bonne [p. 51, colonne 2] foi, c’est-à-dire des personnes ne poussant pas volontairement et ne sentant pas qu’elles poussent. Le temps n’est plus où l’on pouvait dire que c’était toujours là une illusion ou une fumisterie.

La table peut ainsi tourner, se déplacer, frapper des coups avec un de ses pieds qui se soulève et retombe et par suite répondre, en langage spirite, aux questions posées.

Le pendule explorateur est « un instrument qui sert à la divination depuis un temps immémorial ». On tient avec deux doigts un fil flexible auquel est suspendu un corps lourd comme une bague ou un bouton ; on peut attacher le fil au pouce et faire pendre le bouton dans un verre.

Sans mouvements volontaires et conscients du sujet qui lient le fil, le bouton se meut et va frapper le verre : il frappe ainsi un certain nombre de coups, indique l’heure, une date, l’âge d’un témoin ou répond à une question dans le même langage que la table.

La baguette divinatoire est une baguette de coudrier en forme de fourche qui sert à découvrir les sources, les trésors dissimulés et même les traces de criminels.

Un cauchemar. Dessin du fameux visionnaire William Blake, qui reproduisait dans ses gravures si originales et d’une haute valeur artistique, les visions qui hantaient son cerveau.

« Le devin prend dans ses deux mains les deux branches de la fourche et s’avance sur le terrain qu’il doit explorer, en ayant soin de ne pas bouger volontairement les bras. Si, sur un point du parcours, la baguette oscille, s’incline jusqu’à tordre les poignets du devin qui ne peut résister, c’est lit qu’il faut fouiller, pour trouver les sources et les trésors ». (Pierre Janet.)

« Avant la défense de M. Je cardinal Le Camus, dit Le Brun, l’usage en était très commun dans le Dauphiné, Beaucoup de gens de la campagne, hommes, garçons et filles, vivaient du petit revenu de leur baguette… On consultait la baguette sur le passé, le présent et l’avenir. Elle se baissait pour répondre oui, et elle s’élevait pour la négative. »

On connaît l’exercice, très répandu en Angleterre sous le nom de Willing game, et en France sous le nom de lecture des pensées ou Cumberlandisme (du nom de celui qui l’a introduit il y a quelques années).

On cache un objet à l’insu du sujet qui a les yeux bandés. Une personne, qui sait où est l’objet, entre en communication avec le sujet, en lui touchant la main ou la tempe. Cette personne directrice pense fortement à l’endroit où est l’objet ; le sujet y va directement et découvre l’objet. Ceci peut être varié à l’infini : on pense un acte à accomplir, un numéro à trouver… [p. 51, colonne 3]

On réussit très bien, sans le concours d’aucun professionnel, sans prestidigitateur, entre gens, tous d’absolue bonne foi.

C’est dans une carafe posée sur une coupe d’or, et placée dans le sombre enfoncement d’une tonnelle, où quelques rochers factices figuraient une grotte, qu’au dire d’Alexandre Dumas Joseph Balsamo, le futur Cagliostro, fait voir à l’archiduchesse Marie-Antoinette, la future reine de France, l’avenir terrible qui l’attend et à la vue duquel la Dauphine, à genoux, essaye vainement de se relever, chancelle un instant, retombe, pousse un cri terrible et s’évanouit.

C’est d’une coupe d’argent que Joseph, le ministre de Pharaon, se servait pour augurer et interpréter les songes.

Au XVIe siècle, il y eut une sorte de petit cristal qui fit le tour de l’Europe entre les mains d’un Anglais, John Dec. Les personnages qui apparaissaient dans cette pierre magique, causaient et renseignaient les individus.

Saint-Simon raconte les révélations faites en 1706 au duc d’Orléans, le futur Régent, par un individu qui prétendait « faire voir dans un verre rempli d’eau tout ce qu’on voudrait savoir ».

On connait bien aujourd’hui les conditions scientifiques dans lesquelles il faut se placer pour réaliser et bien observer ce phénomène, qu’on appelle cristallomancie.

Vous prenez, dit Pierre Janet, une boule de verre, et vous la disposez dans un endroit qui ne soit ni complètement obscur ni tout à fait lumineux ; on se place en plein jour, on entoure le cristal d’écrans, de paravents ou d’étoffe noire ; puis on installe le sujet commodément et on le prie de regarder fixement. On ne voit d’abord que des choses insignifiantes ; puis cela se précise. On voit apparaître des dessins, des figures d’abord très simples, des étoiles, des lignes, des lettres, des chiffres, Au bout de quelques instants, on aperçoit des figures colorées, des personnages, des animaux, des arbres, des fleurs. On regarde avec émotion, on se complaît dans ce petit spectacle. On peut arriver à voir des scènes entières, dans lesquelles les personnages se meuvent et parlent. L’image peut devenir très fixe, sera retrouvée telle quelle, quand on est revenu il la boule après s’en être éloigné; elle peut être grossie par la loupe. Certains peuvent même sortir cette image de la boule, l’objectiver sur un papier et la dessiner.

Une jeune femme, dit Gaston Méry, prit un verre d’eau, appela à son aide l’esprit Aracra, et dépeignit les personnes absentes sur lesquelles on l’interrogeait. Elle les fit même voir à certains témoins de la scène.

C’est un phénomène de ce genre que Guy de Maupassant décrit dans le Horla, quand, regardant dans une glace, il ne s’y voit pas, et a toute une hallucination prolongée.

Tout le monde ne réussit pas ces diverses expériences avec le même succès : on appelle médiums les sujets qui les réussissent le mieux, qui font très vite tourner une table, mouvoir un pendule ou une baguette, qui dirigent très bien dans le Cumberlandisme, sont facilement hypnotisés ou voient rapidement dans une boule de cristal.

Avec les médiums parfaits, on peut faire des expériences bien plus complètes. Quand on leur pose des questions, ils répondent avec un pied de table ou avec une planchette munie d’un crayon, ils écrivent directement au crayon. dessinent ou parlent. Certains gesticulent, se meuvent, jouent des scènes entières et complètes. On a cité des médiums musiciens (pianiste, harpiste … ). Le médium, en transe, peul changer de personnalité, et alors [p. 52, colonne 1] réaliser de véritables histoires des romans complets.

On connaît le roman martien et le roman royal d’Hélène Smith, qui se transportait dans la planète Mars ou se transformait en Marie-Antoinette, et vivait la vie de ces nouveaux personnages.

Les évocations d’esprit sont courantes dans ces expériences.

Quand il parle avec une table, le médium évoque l’âme d’un grand homme ou d’un parent mort, à son gré on suivant le conseil d’un assistant. La plupart des médium, ont des esprits familiers qui viennent plus habituellement les diriger. Pour Mlle Couesdon, c’était l’ange Gabriel ; chez mistress Piper, c’est le docteur Phinuit, décédé, qui vient habiter son corps, se substituer à sa propre personnalité, se sert de ses organes, s’exprime par sa bouche ; il y a aussi des esprits amis, que le Dr Phinuit consulte avant de parler par la bouche de Mrs Piper. Simultanément, un esprit peut parler par la bouche du médium et un autre, écrire par sa main ; on a même vu les deux mains de Mrs Piper en transe écrire simultanément, inspirées chacune par un esprit différent, pendant que Phinuit se servait de la voix du même médium. Plus tard, Georges Robinson se substitua à Phinuit comme esprit familier.

De même, Hélène Smith est d’abord dirigée dans ses transes par l’esprit familier de Victor Hugo. Puis, pendant une période de transition d’environ un an, la protection de Victor Hugo devient impuissante à défendre le médium contre les invasions d’un intrus nommé Léopold, qui aurait eu avec Hélène de mystérieuses relations dans une existence antérieure. La bataille entre Victor Hugo et Léopold est curieuse, et se termine par la défaite définitive de Victor Hugo, qui disparait et cède la place à Léopold.

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Voilà tout un ensemble de faits dent l’existence est scientifiquement établie. Sont-ils de nature à nous éclairer sur l’au-delà, à étendre et à préciser nos connaissances sur la survivance ?

Oui, répondent ceux qui adoptent la théorie spirite. Dans le sous-titre de ses Recherches sur la médiumnité, Gabriel Delanne promet des « preuves absolues de nos communications avec le monde des esprits » et, dans son livre, il s’efforce de démontrer « que la médiumnité véritable est bien due à l’action des intelligences désincarnées ». [p. 52, colonne 2]

Je crois, pour ma part, qu’il n’en est rien et que les faits indiqués plus haut peuvent être acceptés comme scientifiquement établis sans qu’on ait besoin d’avoir recours à l’évocation des esprits ou des âmes désincarnées. Ils sont tous explicables par les notions, aujourd’hui bien établies, sur le psychisme inférieur (2), c’est-à-dire l‘activité psychique inconsciente et involontaire.

Déjà, en 1833, Chevreul, étudiant de très près le mécanisme du pendule explorateur, concluait que le mouvement était produit par une action 111usc:ulrtirc involontaire; et, en 1846, Gerdy disait : « Il faut s’habituer à comprendre qu’il peut y avoir sensation sans perception de la sensation. » Voilà le germe du psychisme involontaire et inconscient (subconscient pour beaucoup) dont les beaux travaux de Pierre Janet ont définitivement fixé l’histoire.

Dans le cerveau, au-dessous des neurones (centre O) qui président à la pensée supérieure. au psychisme conscient et involontaire, sont des neurones en très grand nombre qui président à la pensée inférieure, au psychisme involontaire et inconscient (ou subconscient, dans te sens de « au-dessous du seuil de la conscience ») : neurones qui forment le polygone psychique.

Quand lady Macbeth erre, un flambeau à la main, dans une crise de somnambulisme, elle pense et agit avec ses centres psychiques inférieurs ou polygonaux. Quand Archimède parcourt les rues de la ville, tout nu, en criant « Eurek », il marche avec son psychisme inférieur et pense à son problème résolu avec son psychisme supérieur.

Dans la vie normale, l’homme éveillé pense et agit avec tout l’ensemble de ses centres psychiques, Mais, dans une série de circonstances (sommeil, état de distraction…) les deux ordres de centres se dissocient ; l’activité polygonale (ou inférieure) et l’activité (supérieure) du centre O se manifestent différemment : dans le sommeil, O dort et le polygone rêve ; chez Xavier de Maistre distrait, le polygone le conduit chez Mme de Hautcastel, alors que O avait décidé d’aller à la cour.

Celle notion, très classique aujourd’hui, des deux activités psychiques, distinctes et dissociables dans certains cas, explique bien et désocculte tous les faits cités plus haut, ou du moins les fait rentrer dans un grand groupe d’autres phénomènes scientifiquement connus et par conséquent leur enlève toute valeur démonstrative sur l’au-delà.

Quand un sujet est hypnotisé, il est en état de désagrégation suspolygonale ; l’action de son centre O est plus ou moins complètement annihilée et son polygone obéit plus ou moins aveuglément aux centres psychiques réunis de l’hypnotiseur C’est la définition de l’état de suggestibilité.

Quanti une table tourne, c’est que les assistants la poussent, mais par des mouvements involontaires et inconscients, c’est-à-dire sans fraude voulue. Et quand la table frappe des coups et parle, c’est la pensée d’un des assistants qui s’exprime ainsi par les pieds de la table, à l’insu et sans le consentement voulu dudit assistant.

De même, quand le pendule explorateur oscille et quand la baguette divinatoire tourne, ces mouvements n’ont rien de surnaturel ni d’extraordinaire ; ils sont le résultat de contractions musculaires dans les doigts de l’opérateur, contractions musculaires inconscientes et involontaires, commandées et dirigées par le polygone à l’insu du centre O. Et si (comme le croient certains) il y a réellement des sourciers qui ne font tourner leur baguette qu’au voisinage des sources, c’est qu’ils ont dans leurs centres psychiques [p. 52, colonne 3] inférieurs des notions inconscientes qui leur font reconnaître en effet la présence de la source.

Dans le Cumberlandisme, le liseur de pensée est réellement guidé par les mouvements involontaires et inconscients de son guide (qui, lui, connaît la cachette vers laquelle il faut aller).

Dans le cristal, le polygone désagrégé du sujet s’absorbe et s’autosuggère un spectacle qui constitue une véritable hallucination polygonale.

Toute la vie du médium eu transe est une vie de polygone désagrégé de son centre O. Il réalise dans ses centres psychiques inférieurs, une personnalité nouvelle et joue ainsi un rôle nouveau. Ce personnage est distinct du personnage ordinaire et normal en ce qu’il est inconscient ; il est distinct du même personnage simulé en ce qu’il est involontaire.

Ainsi quand on évoque l’esprit d’un archevêque ou d’un général, le médium se transforme polygonalement en archevêque ou en général et vit ce nouveau personnage, non comme un acteur qui a appris et joue un rôle, mais inconsciemment et involontairement.

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Est-il besoin d’insister pour montrer que dans tous ces faits, scientifiquement étudiés et positivement établis, il n’y a intervention d’aucun esprit désincarné, d’aucune âme arrachée à la vie supra-terrestre, il n’y a par suite aucune preuve de l’existence d’un au-delà quelconque.

Quand on évoque l’esprit de Victor Hugo on de Chateaubriand, c’est le médium qui réalise les personnages avec ses propres forces psychiques et, sous la signature de ces grands hommes, il fait des vers de mirliton on de la prose à la façon de M. Jourdain,

Lapponi, qui admet cependant une origine surnaturelle à ces phénomènes, remarque combien est étrange « la facilité avec laquelle les esprits savent adapter leurs goûts à ceux des gens qui les cultivent. On dirait que, comme l’antique Pythonisse prenait parti pour le roi Philippe en rendant ses oracles, les esprits d’aujourd’hui partagent les opinions de ceux qui les consultent : pieux avec les personnes pieuses, aimant avec ceux qui aiment les leurs, politiciens avec les politiciens, hommes d’affaires avec les commerçants, savants avec les érudits, vulgaires et grossiers avec le vulgaire. »

En somme, cela prouve que les révélations de ces prétendus esprits ne dépassent nullement l’intelligence et les forces psychiques des assistants et par suite ne révèlent rien sur l’au-delà.

De même, le professeur Charles Richet à qui on ne peut certes pas reprocher une hostilité de parti pris pour toutes ces questions, Charles Richet montre « l’étrange caractère des personnalités » réalisées par les esprits évoqués dans ces expériences. Ainsi Aristote revient pour parler en français ou en anglais et donner des conseils aussi profonds que ceux-ci : « persévérez, avec de la patience. vous réussirez » ou : « demain, vous aurez de meilleurs résultats ». « Si par l’écriture automatique cette personnalité donne des signes de sa soi-disant existence, elle écrit avec l’écriture du médium et fait les mêmes fautes d’orthographe que le médium même… S’il s’agit de personnalités moins illustres qu’Aristote, elles ont oublié certains [p. 53, colonne 1]  faits caractéristiques, étant incapables, par exemple, de donner leur prénom et le nom de la ville où elles ont vécu. Phinuit, le contrôle de Mme Piper, était un soi-disant français de Metz, qui parlait en anglais et avait oublié le français, à force de soigner les nombreux anglais habitant à Metz. On pourrait, sans peine, ajoute Richet, trouver quantité de pareilles inepties ».

Hélène Smith, le célèbre médium si bien étudié par le professeur Flournoy, incarne d’abord le médium de Cagliostro : Lorenza Feliciani, jusqu’au jour où on lui démontre que Lorenza Feliciani n’a jamais existé que dans l’imagination d’Alexandre Dumas. Alors elle évoque et incarne Marie-Antoinette ; mais quoiqu’elle personnifie ce personnage avec beaucoup d’intelligence, elle prend un accent plutôt anglais qu’autrichien, elle fait des autographes qui ne ressemblent en rien à ceux de Marie-Antoinette, elle cause la veille de sa mort avec la princesse de Lamballe massacrée trois mois avant, elle fume avec Philippe-Égalité jusqu’à ce qu’on lui ait fait remarquer l’invraisemblance de cette habitude qu’elle n’a pu contracter que dans l’autre monde ; elle emploie les mots dérailler (au figuré), mètre on centimètre et ne s’étonne que tardivement si on prononce devant elle les mots tramway ou photographie.

Les médiums qui, comme Hélène Smith et Mme Smead, ont fait descendre leurs esprits de la planète Mars ne nous ont pas apporté sur cd astre des révélations plus sensationnelles que n’en a porté à Victorien Sardou l’esprit qui signait son message « Bernard Palissy sur Jupiter » ou à Flammarion celui qui signait Galilée.

Donc, comme dit Flournoy, les «  soi-disant communications spirites… sont un pur produit de l’imagination subconsciente du médium, travaillant sur des souvenirs ou des préoccupations latentes ».

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Les données, classiques aujourd’hui, sur le psychisme inférieur et la mémoire polygonale inconsciente, permettent même d’interpréter certains [p. 53, colonne 2] faits, qualifiés antérieurement de télépathie, divination ou prophétie.

Ainsi Maury voit en rêve, plusieurs jours de suite, un certain monsieur à cravate blanche, à chapeau à larges bords, d’une physionomie particulière et ayant dans la tournure quelque chose d’un « anglo-américain ». Ce monsieur lui est absolument inconnu. Mais plus tard il le rencontre, tel qu’il l’a vu en rêve, dans un quartier où il était allé souvent avant son rêve et où il l’avait certainement vu, inconsciemment et sans s’en rendre compte. Voilà qui donne au rêve l’apparence d’une divination ou d’une prémonition, alors qu’en réalité il s’agit uniquement d’une résurrection des impressions inconsciemment reçues et emmagasinées.

Brockelbank perd un couteau de poche, le cherche vainement, n’y pense plus. Six mois après, il en rêve, voit la poche d’un vieux pantalon abandonné où est son couteau. Il s’éveille, y va, le trouve. — Divination! Non. Souvenir polygorinl réapparaissant dans le sommeil.

La chose devient bien plus jolie, mais pas plus mystérieuse, quand le polygone agrémente sa ressouvenance d’un peu de roman.

Une fillette perd un petit couteau auquel elle tenait beaucoup et ne le trouve plus. Une nuit, elle rêve qu’un frère qu’elle avait perdu et beaucoup aimé lui apparait et la conduit par la main à l’endroit précis où était le couteau. Elle s’éveille, y va et le trouve. — On prévoit combien il sera difficile d’empêcher cette enfant de croire à une révélation d’outre-tombe. Et cependant c’est un simple fait de réminiscence polygonale.

Une jeune fille, raconte encore Myers, voit dans un cristal l’annonce de la mort d’une de ses amies, fait totalement étranger à son moi conscient. En se reportant au Times, elle trouve, dans une feuille dont elle s’était servie pour protéger sa face contre la chaleur de la cheminée, l’annonce de la mort d’une personne portant le même nom que son amie ; de sorte que, ajoute Myers, les mots ont pénétré dans le champ de sa vision, sans atteindre son esprit éveillé. — En effet, grâce au cristal, la jeune fille avait retrouvé dans son polygone inconscient un souvenir qui y avait été réellement déposé à son insu, sans aucune télépathie.

On voit bien, par ces exemples, de quelles précautions il faut s’entourer, avec quel soin il faut faire l’enquête avant de déclarer supranaturelle une expérience, avant de conclure à l’existence et à l’Intervention d’un esprit réincarné.

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Pour qu’un esprit fit réellement, dans une expérience, la preuve de sa présence et de son identité, il faudrait qu’il fournit des renseignements absolument nouveaux, inconnus du médium et des assistants.

Le fait ne s’est jamais positivement produit, même quand des savants ont organisé, de leur vivant, des expériences de contrôle qui devaient être réalisées après leur mort, comme ont fait le docteur Hodgson, Myers ou plus récemment William James.

Ernest Bozzano, qui a fait, dans les Annales des Sciences psychiques, une série de très intéressants articles pour démontrer « l’identification spirite », parvient uniquement à démontrer que « l’hypothèse spirite a acquis graduellement le droit à la considération scientifique ».

Ceci est certain et je l’accepte. C’est bien sans parti pris et scientifiquement que je considère et discute l’hypothèse spirite et que je la déclare non scientifiquement démontrée dans l’état actuel de nos connaissances.

Comme le dit Morselli, « l’identification des [p. 53, colonne 3]esprits n’est admise, même par les spirites, que comme une supposition invérifiable ; jusqu’ici, toujours et partout, elle a fui à l’évidence

Les partisans de l’hypothèse spirite reconnaissent, avec Alexandre Aksakoff que « la preuve incontestable de l’identité d’un esprit, sous quelque forme qu’il se manifeste, est impossible ».

Or, ceci serait nécessaire pour que l’existence des esprits fût scientifiquement démontrée et qu’on put, de cette démonstration, tirer quelque conclusion sur l’au-delà. On ne peut en effet pas dire, avec le même Aksakoff : « Nous devons nous contenter d’une preuve relative, qui consiste à en devoir admettre la possibilité ».

Non certes, nous ne pouvons pas nous contenter de cela au point de vue où nous nous somme placés. Pour sortir définitivement de l’occultisme, pour entrer dans la science et avoir force de fait scientifique, l’hypothèse spirite doit faire sa preuve.

Or, cette preuve n’est pas encore faite.

Dès lors, Bozzano ne me rangera pas parmi les critiques à « idées préconçues misonéistes », qui classent tous les partisans du spiritisme parmi « les mystiques el les déséquilibrés » et qui déclarent l’hypothèse spirite « absurde et insoutenable ». Non certes. Je déclare simplement que l’hypothèse spirite n’est pas démontrée ; qu’elle n’est pas encore démontrée si l’on veut ; et ceci suffit pour que tous les faits étudiés ci-dessus ne puissent en rien étendre, étayer ou modifier nos connaissances sur l’au-delà.

C’est ce que reconnait d’ailleurs Ernest Bozzano lui-même quand il dit, comme conclusion de son ouvrage : « On est forcé de reconnaitre qu’au point de vue scientifique et philosophique, la matière psychique recueillie jusqu’ici ne peut suffire à résoudre définitivement le grandiose problème d’outre-tombe, de sorte qu’il conviendra d’attendre que cette matière s’accumule longtemps encore avant d’entreprendre avec la certitude du succès, l’érection du temple si souhaité où Science et Foi se tendront fraternellement la main. »

(A suivre)

« La fin du présent article paraitra dans le prochain numéro d’Æsculape. M. le professeur Grasset y étudiera «  des faits plus extraordinaires pour lesquels l’hypothèse spirite peut reparaitre avec plus de vraisemblance parce qu’ils sont plus difficiles à expliquer par les hypothèses scientifiques ordinaires. Tels sont : la suggestion mentale, la télépathie, la télesthésie el les prémonitions, les déplacement d’objets à distance, la clairvoyance et les apparitions de fantômes. »

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