L’article que nous reprenons ici dans son intégralité a été écrit par J. Morin et s’intitule, L’hystérie et les superstitions religieuses. Il a été édité d’abord dans la revue « Pages libres », à Paris, par L’émancipatrice (Imprimerie communiste), en 1901, dans les numéros des 8 et 15 juin. Il fut édité en tiré-à-part : Paris, L’émancipatrice, 1902, 1 vol. in-8°, 24 p. C’est celui-ci qui fut notre support. On ne sait rien de l’auteur.
J. MORIN
L’HYSTÉRIE
ET
LES SUPERSTITIONS
RELIGIEUSES
Paris,
L’émancipatrice (Imprimerie communiste),
1909
L’Hystérie et les Superstitions Religieuses
La médecine, avant d’être enseignée dans les écoles, fut pendant longtemps, dans l’antiquité, cultivée dans les temples, ne formant d’abord, comme en Grèce et en Egypte, avec la religion qu’un système unique. Quelques connaissances médicales étaient alors transmises, par tradition, avec l’appareil mystérieux des initiations. Les prêtres prêchaient et guérissaient tout à la fois : ils réussissaient ainsi à accréditer le culte de leurs dieux en annonçant des cures merveilleuses opérées en leur nom ; ils gagnaient en même temps la confiance des malades, car ils paraissaient tenir de la divinité les moyens de guérir les maux qui affligent le genre humain. Mais la médecine cessa d’être une science Occulte et sacerdotale, lorsque des hommes d’un caractère plus noble et d’une raison plus ferme se mirent à lui appliquer la méthode d’observation scientifique. qui permit peu à peu de pénétrer les causes des maladies et de leur opposer un traitement efficace. Les prêtres cherchèrent plus tard. par tous les moyens, à reconquérir auprès des malades le prestige qu’ils perdaient au fur et à mesure que la science reculait les limites de ses conquêtes. En France, par exemple, ils parvinrent, pendant le Moyen-Age, à faire interdire le mariage à ceux qui pratiquaient la médecine, pour les engager à entrer dans l’état ecclésiastique qui offrait, d’autre part, l’espoir de riches bénéfices. Ils intriguaient, en outre, auprès des papes et des conciles pour faire excommunier les malades qui se faisaient soigner par les médecins juifs ; ceux-ci avaient alors dans toute l’Europe une grande réputation et constituaient pour eux des rivaux très redoutables (1).
Divers états pathologiques, qui paraissent échapper aux lois ordinaires de l’équilibre vital, justifiaient d’ailleurs, dans une certaine mesure, l’immixtion des prêtres dans le domaine de la médecine. L’esprit humain, par un vice inhérent à sa nature, a coutume, en effet, de faire intervenir l’action de puissances invisibles dans les phénomènes qu’il ne comprend pas et sur lesquels il ne peut agir. D’après leur apparence et surtout selon les intérêts religieux, on les attribuait tantôt au principe du Bien dans l’humanité, tantôt au génie du Mal, le démon. L’interprétation surnaturelle qu’on en donnait n’était pas non plus sans amener parfois, dans leur forme, chez les malades impressionnables et crédules, des modifications en rapport avec les croyances adoptées, qu’elles semblaient confirmer.
C’est ainsi qu’une affection nerveuse, l’hystérie, dont l’étude rationnelle est relativement de date récente, a pu remplir autrefois, à cause de ses accidents bizarres, un rôle considérable au point de vue religieux. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir les ouvrages d’histoire, de philosophie ou de théologie du temps passé et les documents figurés laissés par les artistes (2). La science moderne la retrouve avec un ensemble de caractères et de signes que le hasard seul n’a pu réunir et qui prouvent souvent une scrupuleuse observation de la nature, dans un grand nombre de phénomènes qui ont été et sont encore, pour beaucoup, l’objet de superstitions religieuses.
L’attaque d’ hystérie, ses formes religieuses.
Les hystériques, qui n’appartiennent pas exclusivement au sexe féminin, comme on l’a dit, sont surtout sujets à des attaques convulsives qui les surprennent très souvent à l’improviste, sous l’influence d’émotions morales vives.
Au début de l’attaque, le cou se gonfle, le visage se congestionne, la respiration s’arrête : la suffocation devient menaçante. Le malade sent sa vue s’obscurcir, la tête lui tourne et il tombe sans connaissance. La figure est grimaçante. Le corps raide, presque toujours courbé en arc de cercle, ne repose, quand il est sur le sol, que par la tête et les pieds, tandis que le ventre est proéminent. La respiration, jusque-là suspendue, reprend peu à peu, pénible d’abord, puis régulière et bruyante. Presque aussitôt le patient commence à se débattre violemment. Ses mouvements exigent souvent une souplesse, une agilité, une force musculaire bien faites pour étonner le spectateur (3).
Mais il ne tarde pas à se calmer. Sa physionomie, ses gestes, son attitude indiquent qu’il assiste à des scènes dans lesquelles il semble jouer un rôle principal : il est en proie à une hallucination. Les tableaux paraissent se succéder devant ses yeux avec une rapidité surprenante. Un instant il reste immobile ou gesticule et prononce quelques paroles ; puis une nouvelle attitude indique une nouvelle vision ; et ainsi la terreur, l’extase, l’effroi, la joie se peignent tour à tour sur son visage. Bientôt après survient un délire de paroles presque sans gestes. On peut alors entrer en conversation avec le malade qui ne répond le plus souvent que par monosyllabes et seulement aux questions se rapportant à ce qui occupe son esprit.
Ainsi se passe la grande crise d’hystérie, quand elle est régulière et complète.
Ces attaques qui jettent tout à coup le désordre le plus profond dans le mouvement, la sensibilité et l’intelligence, durent en moyenne une demi-heure et disparaissent sans laisser aucune trace. Avant qu’on connut leur signification véritable, le spectacle qu’elles offrent impressionnait fortement l’imagination populaire et ne se comprenait que par une intervention surnaturelle.
En Grèce et chez les Romains, on honorait les hystériques, parce qu’on les craignait. Les auteurs anciens les représentent secouées par la divinité de convulsions violentes qui glaçaient
les assistants de frayeur religieuse» (4). Ces malades, prêtresses de Jupiter, d’Apollon ou d’Esculape, rendaient les oracles dans les temples.
Plus tard, au contraire, sous l’influence du christianisme, on attribua leurs crises à l’action des démons que l’on supposait s’agiter ainsi dans le corps des personnes qu’ils possédaient. L’Eglise expliquait ainsi à son profit un phénomène qui paraissait avoir beaucoup servi à établir 1ancien polythéisme. Les récits que les témoins oculaires et certainement véridiques ont laissé des faits et des gestes des possédés, les scènes de possession et d’exorcisme, reproduites dans les œuvres d’art et léguées en assez grand nombre par l’imagerie populaire et religieuse donnent une juste idée de l’émotion qui s’emparait alors des esprits à la vue de ces attaques et ne laissent aucun doute sur leur nature.
Mais l’attaque d’hystérie présente des variétés nombreuses.
Dans certains cas, en effet, elle se réduit presque à ‘une attitude d’extase. La période convulsive est passée inaperçue : le malade, complètement absorbé dans l’objet de sa contemplation, prend une pose en rapport avec les idées et les images dont il subit l’empire. Son délire est tranquille. Parfois il semble si bien éveillé qu’on pourrait passer à côté de lui sans se douter des troubles qu’il présente.
Telle est en particulier l’attaque d’extase religieuse que l’on trouve toujours sous la dépendance de visions célestes de toute nature. Cette forme de l’attaque est surtout fréquente chez les mystiques qui s’adonnent aux « travaux» de la vie contemplative ; l’influence de certaines pratiques religieuses sur les phénomènes de l’extase est manifeste.
Quelquefois, comme dans l’attaque de crucifiement, l’exaspération du sentiment religieux se, reconnaît de la façon la plus nette à l’attitude de l’extatique. Après quelques mouvements convulsifs, le malade étend les bras en croix, raidit le tronc et les membres et reste immobile, les yeux au ciel. En même temps, dans son imagination exaltée, apparaît l’image de Jésus-Christ cloué sur la croix ; – « J’étais si bien là-haut ! » s’écriait, à son réveil, une névrosée de ce genre, soignée à l’hospice de la Salpêtrière (5).
Il y a, d’autre part, des attaques dans lesquelles se montre un délire très violent, en rapport avec d’affreux cauchemars et accompagné de visions terribles que le malade indique par ses cris ; par ses grimaces effrayantes et ses contorsions extravagantes qui sont
parfois de véritables prodiges de gymnastique. Très fréquente autrefois, elle reconnaît souvent pour cause provocatrice là crainte qu’inspirent le démon et les tortures de l’enfer. C’est l’attaque démoniaque qu’on appelle encore ainsi aujourd’hui, parce que, comme le dit M. Paul .Richer, « tous les phénomènes les plus étranges s’y multiplient comme à plaisir ».
C’est surtout sous cette dernière forme, reproduite avec une vérité saisissante par les artistes de l’époque, en particulier par Rubens et Jordaens, que, pendant le Moyen-Age et la Renaissance, se montrèrent les épidémies d’hystérie que l’on considéra comme des possessions démoniaques. Il faut signaler, avec ces attaques caractéristiques, l’épidémie connue sous le nom de possession des Nonnains qui envahit presque tous les couvents d Allemagne de 1550 à 1560 ; en France, la possession des Ursulines d’Aix (1608-1611) ; celle des Ursulines de Loudun (1632-1639), dont la supérieure, sœur Jeanne des Anges, nous a laissé la description dans un manuscrit qui’ a été retrouvé et publié (6) ; en 1652, celle des filles de sainte Elisabeth à Louviers, parmi tant d’autres que la superstition et le fanatisme religieux contribuaient à faire éclore et à développer.
Mais l’hystérie régna aussi, à l’état épidémique, avec attaques d’extase et convulsions, comme dans le Dauphiné et le Vivarais, en 1688, sur les protestants persécutés. Les malheureux qui en étaient victimes se prétendaient prophètes au nom de Dieu, d’Elie et du Saint-Esprit. La contagion qui atteignit, au XVIIIe siècle, à Paris, et jusque dans la province, les Jansénistes appelants, connus sous le nom de Convulsionnaires de Saint-Médard, était de même nature et présenta les mêmes caractères ; les mesures de rigueur qu’on employa à leur égard, au milieu de la querelle entre les Jansénistes et les Jésuites, lui donnèrent une violence extrême.
Les récentes épidémies de possessions démoniaques qui sévirent sur la population pauvre et ignorante de Morzine, petite commune de la Haute-Savoie, en 1860, et sur celle de Versignis, village du Frioul, isolé dans la montagne, de 1878 à 1880, ont montré d’une façon aussi claire que possible comment, dans un milieu illettré, uperstitieux et émotif, l’hystérie vulgaire peut devenir épidémique et revêtir ces formes terribles. A Morzine, les attaques d’hystérie convulsive survenues chez deux jeunes filles furent le point de départ de l’épidémie. Le bruit de possession diabolique s’était répandu dans les villages voisins et on venait en foule voir ces malades. Le mal fit alors des progrès que contribuèrent à rendre plus rapides les exorcismes publics commandés par l’autorité ecclésiastique. Il en fut de même à Versignis. Deux médecin envoyés par le gouvernement italien pour étudier les faits, MM. Chiap et Fernando Franzolini, constatèrent qu’en plus des attaques, les prétendues possédées présentaient des signes non douteux d’hystérie. Il fallut faire cesser les exorcismes et transporter les plus gravement atteintes à l’hôpital d’Udine où on les isola.
Divers exercices religieux peuvent d’ailleurs servir à provoquer les attaques qui se communiquent ensuite comme par contagion de voisinage. Les pratiques de l’ascétisme pénitent, les jeûnes, les mortifications qui fatiguent le corps en exaltant l’esprit, furent parfois la cause des premières attaques nerveuses dans les épidémies démoniaques du Moyen âge et de la Renaissance. Mais certains fanatiques, qui recherchent les sensations religieuses violentes, emploient aussi à dessein les procédés les plus bizarres en apparence pour produire des phénomènes de ce genre. Les musulmans, réunis en aussi grand nombre que possible dans un lieu de prières, oscillent en avant et en arrière la tête et le tronc, en accélérant progressivement le mouvement et en répétant d’interminables litanies. Les Jumpers ou prêtres sauteurs, issus du méthodisme, font des sauts rapides, croyant recevoir une impulsion divine et ne s’arrêtent que pour tomber en attaque, l’état hystérique venant fréquemment avec la fatigue extrême. (7). De même les Derviches tourneurs, se mettent à tourner rapidement sur eux-mêmes, jusqu’à ce qu’ils soient pris de vertige, en proie à une crise d’hystérie. La folie, dans des scènes indescriptibles, pro-duites par ces manœuvres, gagne de proche en proche ceux qui sont restés debout et qui se débattent à leur tour, se mettent en extase ou vocifèrent jusqu’à ce qu’ils tombent anéantis à côtédes autres déjà plongés dans une ivresse stupide.
Les hallucinations.
Les hallucinations auxquelles donnent lieu, dans leurs formes diverses, les attaques d’hystérie, sont l’image assez fidèle des idées et des croyances qui ont impressionné l’esprit des malades· ou exalté leur imagination. Chez les individus prédisposés à l’hystérie, les procédés de suggestion employés dans le brahmanisme ou indiqués dans plusieurs ouvrages mystiques, ceux de sainte Thérèse (8) ou de Mme Guyon (9) par exemple, sont même capables de les produire pour ainsi dire de toutes pièces. Ignace de Loyola, entre autres, a imaginé pour cet usage une méthode d’oraison extrêmement puissante qui maintient l’attention de l’esprit au moyen d’ « exercices spirituels » variés : il recommande d’attacher les regards à un objet pieux, comme le crucifix ou l’image de la Vierge, en appliquant à l’objet considéré, pour prévenir les écarts de l’imagination, les cinq sens diversement surexcités (10). Quelquefois l’effort doit être énergique et persistant ; mais quand le terrain peut être préparé de longue date, la vision recherchée finit par se réaliser dans une extase.
On peut la plupart du temps deviner les hallucinations des hystériques aux paroles qu’ils laissent échapper, ainsi qu’à leur attitude, à leurs gestes, à leur physionomie qui les reproduisent souvent avec une expression digne de l’artiste dramatique le plus consommé. D’ailleurs ces malades en gardent à leur réveil un souvenir très précis et les tiennent généralement pour réelles, parce qu’ils sont très crédules et, ainsi que le dit Pierre Janet, « croient comme les enfants tout ce qui frappe leur esprit » (11).
La littérature religieuse rapporte comme d essence surnaturelle un grand nombre d’hallucinations de nature hystérique.
Sainte Thérèse, par exemple, raconte qu’elle apercevait souvent, au plus haut degré de son état extatique, des anges et des séraphins et qu’elle fut favorisée plusieurs fois de visions célestes qui la laissaient tout embrasée d’amour de Dieu. Jésus-Christ lui apparaissait fréquemment « dans toute sa sainte humanité, tel, dit-elle, qu’on le peint ressuscité avec une beauté et une majesté ineffables ». Ses visions, comme cela arrive d’ordinaire chez les hystériques, laissaient dans son esprit une trace profonde et pour ainsi dire ineffaçable. Un jour. son divin Maître lui était apparu avec un
visage très sévère : « Son image, dit-elle, se grava si profondément dans mon esprit, qu’après plus de vingt-six ans je le vois encore devant les yeux (12).
Au milieu de ses transports hystériques, sainte Catherine de Sienne croyait de même recevoir la visite « du Sauveur» que, dans son langage mystique, elle appelait son divin époux.
Tout le monde connaît dans le détailles les extases amoureuses de la Bienheureuse Marguerite-Marie A, sur lesquelles est fondé, dans la religion catholique, le culte du Sacré-Cœur. Jésus lui apparaissait tantôt sous la figure du crucifié, tantôt portant sa croix, dans des circonstances qu’elle semble avoir trouvées particulièrement agréables. Il lui avait dit au jour de son noviciat : « C’est aujourd’hui le jour de nos fiançailles ». Quand elle prononça ses vœux : « Jusqu’ici, lui dit-il, je n’ai été que ton fiancé, à partir de ce jour, je veux être ton époux », il lui promit de ne plus jamais la quitter, de la traiter comme son épouse et il commença à le faire « d’une manière, dit-elle, que je me sens impuissante à exprimer, et dont je dirai seulement qu’il me parlait et me traitait comme une épouse du Thabor « . Un jour « N.-S. lui apparut attaché à la croix et rayonnant d’amour. Comme elle le contemplait ravie, il attira la sainte contre sa poitrine adorable et toute défaillante de bonheur céleste, il lui fit mettre ses lèvres sur les plaies de Son cœur ». On avait redouté un instant dans l’entourage de la sainte quelque illusion du malin esprit ; mais heureusement le R. P. Jésuite de la Colombière, à qui elle raconta ce qui lui était arrivé, ne douta pas qu’elle ne fût « l’objet des miséricordes de Dieu », dès qu’elle lui eut dit quelque chose « des plus spéciales caresses et unions d’amour qu’elle recevait du bien-aimé de son âme» (13).
Il fallait en effet que l’Eglise fût très circonspecte au sujet de ces apparitions, car Madeleine de Cordoue, que l’on avait d’abord considérée comme sainte, avait reçu comme les autres la visite du Christ. Or, ce n’était pas le vrai Christ; c’était Balban, un ange déchu, qui avait abuse d’elle sous la figure du Christ ; elle fut en conséquence condamnée à être brûlée sur la place de Cordoue. Jeanne D’Arc qui croyait voir et entendre l’ange Gabriel, saint Michel, sainte Marguerite, sainte Catherine, fut aussi condamnée comme sorcière par un tribunal ecclésiastique « pour avoir, dit l’acte d’accusation, appelé Satan à son aide, afin d’empêcher les Anglais de pénétrer en France. »
Mais le plus souvent, dans le délire religieux, le diable « qui peut selon une croyance partagée par Ambroise Paré, se former tout subit en ce qui lui plaît », se présente aux yeux de ces malades sous la forme d’un chien, d’un chat, d’un bouc (14) ou d’un de ces nombreux animaux fantastiques que l’on trouve, dans les tableaux religieux, sous les pieds des chérubins et des archanges. Ainsi Madeleine Bavent, la possédée des filles de Sainte-Elisabeth, à Louviers, dont parle longuement Michelet dans Son Histoire de
France (15), était importunée par un diable qui la suivait partout, « sous la forme d’un chat ou d’un petit cerf-volant noir ». Sainte Thérèse vit quelquefois « une espèce de monstre semblable à un crapaud d’une grandeur plus qu’ordinaire et beaucoup plus rapide dans sa Course» (16)· De même, sœur Jeanne des Anges « voyait
des bêtes épouvantables ayant la forme et la grandeur du lion, des dragons jetant le feu par la gueule, des monstres affreux avec de longues griffes et des yeux étincelants» (17). Dans l’épidémie des Nonnains, en Allemagne, les religieuses prétendaient que le diable s’introduisait sous leurs robes « en guise de chien ou de hat, pour y faire des tours honteux et sales. »
A l’époque du Moyen-Age, sous l’influence d’absurdes croyances unanimement acceptées, on voyait des malheureux, victimes de leurs hallucinations, convaincus qu’ils avaient vendu leur âme et signé un pacte avec du sang et qu’ils avaient reçu du diable de l’argent ou quelque pouvoir mystérieux. Les uns parlaient comme si leurs lèvres et leur langue eussent été mises en action par une force étrangère ; il leur semblait débiter des idées qui ne leur appartenaient aucunement. Certains, comme dans une épidémie en Hongrie, se sentaient serrés de près et sucés par des vampires, ou, perdant le sentiment de leur personnalité, se croyaient changés en bêtes, en loups, en chiens. D’autres s’imaginaient qu’ils s’étaient rendus au sabbat, pour célébrer les fêtes de Satan, « montés sur un bouc, sur une poule noire, sur les épaules d’un homme velu » ou « à cheval sur un nuage ». Un grand nombre venaient ainsi raconter de prétendues scènes auxquelles ils avaient assisté, et dénoncer à la justice des personnes qu’ils assuraient y avoir vues, et que, sur leur déclaration, les magistrats envoyaient presque toujours au supplice. Beaucoup, dans leur folie, soutenaient jusque sur le bûcher ce qu’ils avaient affirmé. Sans aucun doute, leurs récits et leurs confessions contribuèrent beaucoup, à cette époque, à faire accepter les innombrables histoires de sorcellerie et de possession démoniaque, que l’on trouve presque toujours compliquées d’intrigues amoureuses de démons, transformés en incubes et en succubes, et qui ont tant frappé l’esprit de nos pères.
Il faut rapporter aux mêmes erreurs des sens les sabbats nocturnes que le diable venait faire à Mme Guyon et au curé d’Ars Vianney, la conférence que Luther prétend avoir eue avec le diable au sujet de la messe ainsi que mille autres faits bien connus de l’histoire religieuse. _
Les hallucinations et le délire des hystériques n’ont plus l’importance ni le danger qu’ils avaient autrefois. Néanmoins, aujourd’hui qu’ils portent plutôt sur les passions du cœur, ils peuvent encore être la cause de déplorables erreurs judiciaires. Le malheureux lieutenant de la Roncière, plus tard reconnu innocent et réhabilité, fut ainsi, sur le témoignage d’une hystérique, condamné en 1834, pour une tentative de viol imaginaire, à dix ans de réclusion qu’il accomplit en entier.
Les résurrections miraculeuses.
Mais quelle qu’en soit la forme, l’attaque d’hystérie n’est pas dangereuse. Le plus souvent, dès qu’elle est terminée le malade ne tarde pas à ouvrir les yeux. Un peu étourdi seulement, il se frotte les paupières et regarde avec étonnement autour de lui ; il peut reprendre ses occupations immédiatement ou après un léger repos. Quelquefois cependant l’attaque est suivie d’un temps de sommeil qui peut se prolonger de quelques heures à plusieurs mois, et constituer ainsi, quand les phénomènes de la période convulsive et le délire n’ont pas été remarqués, l’attaque de sommeil hystérique. Il arrive même dans certains cas que les fonctions de la vie sont réduites au minimum : le pouls et la respiration sont imperceptibles, les membres sont froids, contracturés. Le malade quj n’est qu’en léthargie alors passer pour mort, car il est parfois difficile de distinguer la mort apparente de la mort réelle.
C’est une attaque de ce genre qui fut cause de la célèbre erreur de l’anatomiste André Vésale « lequel avait été mandé, rapporte Ambroise Paré, pour ouvrir une femme de maison qu’on estimait être morte par une suffocation de matrice (18). Le deuxième coup de rasoir qu’il lui donna, commença ladite femme à se mouvoir et démontrer par autres signes qu’elle vivait encore, dont tous les assistants furent grandement étonnés. Je laisse à penser, ajoute-t-il, comme ce bon seigneur faisant cet œuvre fut en perplexité et comme on cria tolle après lui, tellement que tout ce qu’il put faire fut de s’absenter du pays; car ceux qui le devaient excuser, c’était ceux qui lui couraient sus; et tôt après mourut de déplaisir. »
C’est à ces morts apparentes, dont on connait un très grand nombre, qu’il faut attribuer les résurrections miraculeuses que l’histoire nous a rapportées. Apollonius de Thyane qui vivait au siècle premier de l’ère chrétienne, et dont les païens mirent les miracles en parallèle avec ceux de Jésus-Christ, passe pour avoir compris qu’elles n’avaient rien de surnaturel. « Ce personnage qui affectait d’être doué d’un pouvoir divin, se trouva, dit-on, rencontrer par hasard le convoi d’une jeune personne qu’on menait en terre. Il fit arrêter le convoi, fit découvrir la prétendue morte et s’apercevant en touchant le corps que ce n’était qu’une léthargie, il en opéra la résurrection au grand étonnement des assistants» (19).
Les « marques ».
Les hystériques sont complètement insensibles pendant leurs attaques. Aveuglés par les suggestions de la folie religieuse, les Fakirs de l’Inde se frappent alors mutuellement de coups de sabre. Marie-Alacoque, dans son délire, se labourait le corps avec un couteau et écrivait sur sa poitrine le nom sanglant de son divin époux. Les Jansénistes, dans le but de démontrer leurs accointances avec le ciel, frappaient de coups terribles, sur le ventre, les Convulsionnaires de Saint-Médard, avec de grosses buches, des barres de fer, des marteaux, d’énormes pierres ; ces procédés étaient, d’ailleurs, capables d’amener, chez ces malades, un soulagement réel à cause de l’existence, en différents points de leurs corps, de zones dont la pression suffit à calmer les crises les plus violentes. Mais, d’ordinaire, les hystériques présentent aussi, à l’état de veille, alors même qu’ils n’ont jamais eu d’attaques – car elles peuvent manquer – des troubles profonds de la sensibilité qui reconnais- sent, comme· les autres phénomènes, une origine mentale. On trouve, en effet, sur leur corps, à côté de régions où une pression légère cause une très vive douleur ou provoque une crise d’hystérie, des zones anesthésiques, comme on dit, c’est-à-dire insensibles au contact, à la douleur, au froid et à la chaleur. Le malade ne saurait dire, par exemple, quand il a les yeux bandés, si l’objet qu’on lui applique en ces endroits est chaud ou froid et, comme on l’avait remarqué depuis fort longtemps, on peut y enfoncer une épingle sans qu’il en ressente aucune douleur. Souvent ce n’est qu’une petite région de la peau qui est insensible à la piqûre, d’autres fois un membre, un côté du corps, beaucoup plus rarement le corps tout entier.
On peut s’en apercevoir, dans certains cas, aux excentricités que font les hystériques. Sœur Jeanne des Anges rapporte que, « dans les grandes froideurs d’hiver, elle passait une partie des nuits, toute déshabillée, dans les neiges ou les cuves d’eau glacée » ; elle « s’était souvent mise, raconte-t-elle, sur les épines jusqu’à en être toute déchirée, d’autres fois se roulant sur des orties et y passant les nuits entières » (20).
Tel est encore l’exemple de ce malade de la Salpêtrière qui se promenait en chemise, par les jours les plus froids de l’hiver, dans les cours de l’hospice : sur toute la surface du corps, il était insensible au froid comme à la douleur (21).
Mais comme le malade, habituellement, n’est aucunement gêné dans ses travaux, on ignore presque toujours la particularité qu’il présente. Ce phénomène, que l’on trouve communément à l’examen chez les hystériques, figure en bonne place parmi les marques de la possession diabolique reconnues par l’Eglise depuis sa fondation. Tertulien, un de ses docteurs les plus célèbres, dit que le « corrupteur du genre humain a coutume de marquer les siens pour les reconnaître, voulant se rendre semblable à Dieu qui marque intérieurement ses serviteurs d’une marque adhérente à l’âme».
Au Moyen-Age, les régions insensibles de la peau furent considérées « comme les preuves les plus asseurées de sorcellerie, comme immuables et qu’on ne peut soupçonner de fausseté ». Les savants démonographes de l’époque s’ingéniaient à prouver que « nul n’était marqué des marques qu’on trouve ordinairement chez les sorciers sans son consentement », et expliquaient que le « diable se servait d’un fer chaud et d’un certain onguent pour imprimer sa marque sur ses suppôts » et que « si ces moyens ne produisaient pas d’eschare ni cicatrice, c’est que Satan est si suffisant operateur qu’il a le moyen d’appliquer le feu près du corps sans produire aucune eschare » (1).
Lorsqu’une personne était accusée de sorcellerie, on cherchait d’abord, par tous les moyens possibles, à lui faire avouer ses rap- ports avec Satan, que rendait déjà fort probables, aux yeux des magistrats, l’attaque d’hystérie, sous sa forme démoniaque. On procédait ensuite, avec un stylet, à la recherche de la marque des sorciers. Alors, malheur à celui qui s’était laissé enfoncer le stylet dans la peau sans crier ! Il était condamné à être brûlé, parce qu’on appliquait de cette manière et avec rigueur la parole du livre saint, le Lévitique : « Celui qui est possédé de l’esprit de la divination doit être mis à mort ».
Le malheureux Gauffridi, qui mourut sur le bûcher, accusé d’avoir ensorcelé les Ursulines du couvent d’Aix, fut ainsi trouvé « marqué en plusieurs endroits où l’on fourrait une esguille fort avant dans la chair, sans que ce misérable y eût, dit-on, aucun sentiment, encore que dans l’une des dites marques en est fait entrer plus de trois doigts d’esguille. Sur quoi le bruit se répandit parmi tout le peuple qu’il était sorcier et qu’il ne pouvait être autre puisqu’il était marqué » (23).
On avait déjà observé aussi que l’on ne trouvait pas seulement sur la peau des régions insensibles ; de sorte qu’on ne craignait pas, pour les découvrir, d’explorer toutes les parties accessibles du corps, sachant par expérience que« Satan, dans le but d’éluder la justice et de tromper ses officiers, imprime souvent ses marques ou en des parties si sales qu’on a horreur de les y aller chercher, ou bien, comme il est extrême et dénaturé, dans le lieu le plus noble et le plus précieux qui soit en toute la personne et où il semble impossible de les imprimer, comme les yeux et la bouche» (24).
Les médecins recherchent encore aujourd’hui ces « marques » qui, accompagnées d’autres signes, servent à reconnaître la maladie hystérique, mais ce n’est plus que pour pouvoir donner aux malades les soins appropriés.
Accidents hystériques par suggestion.
L’hystérie peut donner lieu à des phénomènes bien plus surprenants qui ont surement le plus contribué autrefois à lui faire supposer un caractère surnaturel, parce qu’ils paraissaient justifier pleinement l’intervention d’une puissance invisible. Aujourd’hui encore, les prêtres croient pouvoir s’en servir pour jeter de vains défits à la science. Celle-ci n’a ‘pourtant pas la prétention de tout expliquer immédiatement. Evoluant sans cesse, elle donne son interprétation rationnelle au fur et à mesure dc ses découvertes mais « finit en somme, comme l’a dit Charcot par avoir le dernier mot en toutes choses ! »
Dans le cerveau malade de l’hystérique, un simple fait, une idée même, peuvent en effet prendre des proportions énormes et avoir des conséquences extraordinaires qui reportent très loin les limites de l’influence du moral sur le physique. Que l’on suppose, pour prendre un exemple, dit le docteur Souques, un individu prédisposé à l’hystérie : il est victime d’un léger choc sur l’épaule ; presque instinctivement l’idée lui vient que son bras pourrait être paralysé ; il continue cependant à s’en servir, mais cette idée, au lieu de s effacer, va grossir, importuner son esprit nuit et jour et enfin, par l’intermédiaire d’actes intellectuels assez complexes et encore obscurs, frapper dans son cerveau la région qui commande aux mouvements du bras ; de telle sorte qu’après avoir plus ou moins longuement médité sa paralysie, cet individu a vraiment un bras paralysé. C’est à peu près l’exemple rapporté par Charcot d’un homme qui fut frappé de paralysie du bras au sortir de l’enterrement de son neveu à qui une machine avait coupé le bras. C’est ainsi que, sous l’influence d’une émotion, qu’il n’est pas toujours aussi facile de retrouver ni d’interpréter, et la plupart du temps provoquée par une hallucination au cours d’une attaque, l’hystérie peut produire, par suggestion, un grand nombre d’accidents de toute nature ; les émotions religieuses réussissent souvent, en outre, a les déterminer et a leur donner une forme particulière.
Le cas de la fausse grossesse de sœur Jeanne des Anges, supérieure des Ursulines de Loudun, est un exemple assez curieux de ces phénomènes. Persécutée depuis longtemps dans ses rêves par sept démons qui ne lui laissaient presque aucun repos, à la suite d’une attaque où un démon qui avait fini par triompher de ses résistances, lui « persuada vivement qu’elle était grosse d’enfant », elle présenta « tous les signes qu’on peut avoir de la grossesse ». Le scandale fut tel que l’on crut devoir informer de cet événement le cardinal de Richelieu. C’est alors que, en butte aux railleries des habitants de Loudun qui se montraient fort incrédules vis-à-vis de cette possession, elle tenta de se donner la mort, tenant d’une main un grand couteau et de l’autre un vase rempli d’eau bénite pour baptiser l’enfant. Mais dès le début de l’opération, elle eut une crise violente à la suite de laquelle tous les signes de la grossesse disparurent comme par enchantement (23). On a déjà observé un certain nombre de ces fausses grossesses hystériques, comme celle de la reine Draga, de Serbie, dont tous les journaux se sont occupés dernièrement.
L’hystérie peut surtout imiter à s’y méprendre – et il serait téméraire, de la part d’un médecin, dans l’état actuel de la science, de prétendre ne jamais devoir s’y tromper – presque toutes les maladies qui arrivent au genre humain, toutes les espèces de névralgies, de contractures et de paralysies et, en général, toutes les maladies nerveuses. C’est ainsi qu’elle reproduit aussi parfaitement que possible les gestes désordonnés de la danse de Saint-Guy vulgaire. Au Moyen-Age, il y eut à diverses reprises, sous cette forme, surtout dans les contrées avoisinant le Rhin, des épidémies d’hystérie, accompagnées d’attaques convulsives et d’hallucinations.
On les considéra encore comme des possessions démoniaques. Les gens atteints de cette maladie se rendaient en pèlerinage aux chapelles de Saint-Guy, de Saint-Witt, de Saint-Willibrod auxquels le préjugé attribuait le pouvoir de les délivrer, dansant des heures entières jusqu’à ce que, épuisés, ils tombassent à terre et répandant l’épouvante Sur leur passage. (26)
L’hystérie simule même, sous l’empire de la suggestion, des maladies accompagnées de fièvre, comme la péritonite, l’appendicite, la méningite ainsi que les maladies de l’estomac, du poumon, du larynx avec tous les symptômes qui les accompagnent d’ordinaire, même les hémorrhagies. Elle fait des aveugles, des sourds et des muets. Il n’y a pas jusqu’à certains troubles organiques que l’on n’ait vu apparaître chez des hystériques, précédant, accompagnant ou suivant de très près les attaques. Tels sont, par exemple; certains cas d’affections de la peau, d’éruptions, d’œdème, d’ulcérations et même de gangrène. Une plaie de nature hystérique a pu même prendre complètement l’apparence d’un cancer dans quelques cas dont la guérison a paru extraordinaire. On a vu encore, chez les hystériques, sous l’influence d’émotions vives, survenir des hémorrhagies dans les régions les plus diverses du corps, tantôt sous la forme d’ecchymoses – comme celles observées chez des possédées du Moyen-Age, qui parfois, après leurs crises, portaient sur le corps la trace des coups du diable – tantôt sous forme de sueurs de sang, de larmes de sang ou de plaies rappelant par leur localisation celle de Jésus crucifié. Les stigmates de la Passion, qui furent pendant longtemps considérées comme d’origine miraculeuse, se montrèrent ainsi plusieurs fois en rapport avec des attaques d’extase et de crucifiement dont la forme n’a pas pour peu contribué à leur localisation. On les vit apparaître pour la première fois sur saint François d’Assise, dans une de ses attaques d’extase, où il « vit descendre des hauteurs du ciel un séraphin aux six ailes.de feu éblouissantes de clarté. L’ange vola d’un vol rapide tout près de lui et demeura suspendu dans les airs, et alors apparut entre ses ailes l’image de Jésus crucifié. A cette vue, l’âme de François fut saisie d’une stupeur indicible. La joie et la douleur le remplissaient tour à tour : la joie, parce qu’il avait en face de lui le Dieu de son cœur, le Dieu d’amour sous la forme d’un séraphin ; la douleur parce que c’était Jésus souffrant, avec les mains et les pieds attachés à la croix et le cœur percé de la lance… La vision disparut, mais elle laissa dans son cœur une ardeur merveilleuse et dans sa chaire une trace non moins merveilleuse de l’empreinte divine. Tout aussitôt, en effet, apparurent sur ses membres les cinq plaies qu’il venait d’adorer dans l’apparition » (27).
De même, sainte Catherine de Sienne éprouvait si bien, dans son enthousiasme extatique, les douleurs de Jésus-Christ, son époux et son modèle, qu’elle finit par porter aussi aux mains et aux pieds les stigmates de la crucifixion.
Louise Latteau, la stigmatisée belge, sur laquelle le docteur Bourneville a fait une étude du plus haut intérêt, présenta le même phénomène, En dehors des crises convulsives, elle avait surtout des attaques d’extase et de crucifiement pendant lesquelles elle portait sur son corps l’empreinte sanglante de la couronne d’épines, la trace des clous aux pieds et aux mains et aussi la plaie béante du côté où il existait une plaie vive laissant sourdre de larges gouttes de sérosité transparente à peine teintée de sang (28).
Depuis quatre ans, M. Pierre Janet observe à l’hospice de la Salpêtrière une hystérique de ce genre. A ses pieds et à ses mains pour éviter la supercherie, on a adapté des appareils laissant voir les stigmates à travers un morceau de verre. On a pu voir, sous l’influence des mêmes émotions que les précédentes, s’écouler du sang à diverses reprises.
On a pu d’ailleurs reproduire sur des hystériques, par suggestion, sous le sommeil hypnotique, des phénomènes en tout semblables à ceux-ci ; car 1’hypnotisme met entre les mains des expérimentateurs un état physiologique dans lequel les impressions sur le cerveau sont reçues avec une force extraordinaire et donne pour ainsi dire la mesure de la puissance de l’imagination sur le corps dans le domaine de l’hystérie. .
Les guérisons miraculeuses.
Chez les hystériques, l’influence du moral sur le physique est même assez efficace pour amener, à la suite d’émotions vives, par suggestion, – souvent c’est après une attaque – la disparition d’un grand nombre d’accidents que l’ignorance de leur nature véritable, il n’y a pas bien longtemps encore, faisait considérer comme incurables. Il suffit, en effet, pour obtenir leur guérison, d’impressionner l’imagination des malades ; car, en matière d’hystérie, comme le dit Charcot, c’est «la foi qui guérit» (29). Un vaste champ s’est ainsi trouvé de tout temps ouvert aux prêtres, aux prophètes, aux magiciens et aux sorciers pour y opérer des prodiges.
Autrefois, l’influence de la suggestion s’exerçait surtout sur les démoniaques, au milieu de leurs convulsions, par le moyen des exorcismes qui semblaient, lorsqu’ils réussissaient, avoir une puissance surnaturelle. Saint Mathurin, saint Ignace, saint Martin, saint Philippe de Néri et beaucoup d’autres parvenaient ainsi à délivrer de prétendus possédés du démon.
Au XIIIe siècle, dans la basilique de Saint-Denis, il se produisit de nombreuses guérisons sur divers accidents de nature hystérique, dont Littré à donné l’interprétation dans la Philosophie positive (30). Il s’agissait surtout de contractures hystériques. On avait même réussi quelquefois à opérer des cures véritablement merveilleuses. Les miracles accomplis sur la tombe du diacre janséniste Pâris au XVIIIe siècle eurent un retentissement considérable, malgré l’opposition des Jésuites, qui y voyaient l’œuvre du démon.
Le cas de la demoiselle Coirin, rapporté par Carré de Montgeron, est un des plus remarquables. Atteinte d’une tumeur du sein que plusieurs chirurgiens croyaient être un cancer, elle refusa l’opération qu’on lui proposait et guérit en l’espace d’un mois par la vertu du bienheureux François de Pâris, à l’aide d’une chemise qui avait touché son tombeau et d’un peu de terre prise dans le cimetière Saint-Médard (31).
Mais aujourd’hui, c’est à Lourdes que la suggestion est mise en œuvre, avec tout un appareil religieux impressionnant. On peut
presque affirmer, quand la maladie n’est pas guérie après l’ablution dans la piscine, la dernière prière plus fervente, et les mille entrainements du culte extérieur, qu’elle n’est pas justiciable du traitement par la suggestion. Elle devient alors aussi difficile à guérir par ce procédé, qu’il est difficile de faire repousser un bras amputé.
Il y a longtemps d’ailleurs que les prêtres avaient eu l’idée de construire à grands frais des sanctuaires, pour permettre à la suggestion de s’exercer avec plus d’empire sur les esprits.
Un des mieux connus dans l’antiquité, est l’Asclepieion d’Athènes, calqué sur ceux de l’ancienne Egypte). Les malades y arrivaient à pied de tous les points de la Grèce, chargés de présents, pour se rendre la divinité favorable, le corps rompu par les fatigues du voyage, mais l’esprit déjà fortement suggestionné.
Au fond du sanctuaire se trouvait la statue d’Asclepieion, le
Dieu guérisseur. Des prêtres-médecins étaient chargés de constater et d’aider les guérisons : c’était déjà le bureau médical que ne manquent pas de s’adjoindre les sanctuaires d’aujourd’hui dès qu’ils ont une certaine importance (34).
Les malades, dès leur arrivée, venaient se plonger daris la fontaine purificatrice du temple d’Esculape, sous les portiques duquel ils étaient ensuite admis à passer la nuit. Leur esprit s’y exaltait par contagion de voisinage et le miracle se produisait, quand la maladie le permettait.
La thérapeutique profane ne dispose pas de moyens aussi puissants. Pourtant les médecins réussissent aujourd’hui qu’ils ont saisi le mécanisme du miracle, à opérer par la suggestion, soit à l’état de veille, soit sous le sommeil hypnotique, des guérisons aussi surprenantes que les thaumaturges religieux sur tous les accidents de l’hystérie: paralysies, contractures, ulcères, etc.; et bien des personnes qui les constatent sont encore souvent tentées d’y voir l’effet d’une intervention diabolique ou divine.
Evidemment, pour les esprits sensés, quelques soient les moyens employés, c’est la même opération cérébrale qui produit des effets identiques.
________________________
Ainsi l’hystérie, sous des formes variées qui semblèrent pendant longtemps n’avoir aucun rapport entre elles, présente quelques caractères, aujourd’hui bien déterminés, au moyen desquels on peut par exemple la reconnaître avec certitude, dans les documents historiques, chez la prêtresse antique, chez le possédé qu’au Moyen-Age on soumettait aux exorcismes, chez le sorcier qu’on poursuivait comme un criminel, comme chez le mystique abîmé dans l’objet de sa contemplation, et chez les malades qui trouvent
la guérison dans les sanctuaires en vogue. Les uns et les autres qui firent autrefois l’objet de superstitions publiques, rentrent aujourd’hui pour tous les esprits éclairés, dans le même chapitre de la pathologie nerveuse. ‘
Il n’y a peut-être pas grand mal en somme à ce que l’Eglise ait proposé à la vénération de ses fidèles, des saints dont les mérites ne sont pas tels qu’on l’avait supposé tout d’abord. Certes, on ne s’étonne pas qu’un saint se soit roulé sur des épines, s’il était assez peu sensible pour supporter leur piqure. Les visions célestes perdent aussi de leur prix quand on sait qu’elles n’ont existé que dans l’esprit de névropathes. Ainsi bien des. phénomènes qui furent considérés comme d’essence miraculeuse et qui semblent avoir décidé la béatification d’un grand nombre de personnages de la Vie des Saints, sont regardés aujourd’hui, le miracle ayant son déterminisme, comme de simples accidents hystériques.
Aucune religion, d’ailleurs, n’avait pu raisonnablement revendiquer comme lui appartenant en propre les phénomènes hystériques alors qu’ils faisaient partie du domaine du merveilleux. S’il n’y avait dans l’homme un fonds de superstition encore insondable, on comprendrait difficilement qu’ils aient pu troubler pendant si longtemps les esprits, puisque toutes les sectes religieuses pouvaient s’en servir pour prouver l’excellence de leur doctrine. Il est même dit dans la Bible, en vingt endroits, que les imposteurs peuvent faire des miracles et que si un homme, après en avoir fait un, fût-il authentique, annonce un autre Dieu gue le Dieu des Juifs, il faut le lapider ; et lorsque Jésus délivrait des possédés, les Pharisiens disaient: « Il chasse les démons par la puissance de Belzébuth! »
Mais ces opinions erronées eurent des conséquences autrement regrettables.
D’abord les formes religieuses de l’hystérie, jadis si fréquentes, attestent le rôle important des émotions religieuses comme agents provocateurs de cette affection. De plus, au Moyen-Age, sous l’influence de l’exaltation religieuse, les bûchers s’allumèrent partout pour brûler, avec les hérétiques et les apostats, comme coupables de sorcellerie, des malheureux qui, comme le dit le docteur Bourneville, « relevaient de la science et des médecins, et non de la justice, des magistrats et des bourreaux ».
Les victimes se comptent par milliers. Au commencement du XVIe siècle, en Lombardie, dans une épidémie de possession démoniaque, qui dura plusieurs années, les frères de Saint-Dominique firent périr jusqu’à mille malades par an, dans le seul district de Côme. Dans une épidémie en Lorraine, en 1580, Nicolas Remy fit brûler plus de neuf cents sorcières ou sorciers. Le farouche Bodin, dont le livre, De la Démonomanie des Sorciers, servit longtemps de manuel dans les procès de sorcellerie, déclarait en avoir fait conduire plus de mille au supplice. De Lancre en fit condamner des milliers dans les pays basques. Boguet, qui fut chargé de faire le procès de démoniaques dans le Jura, à Saint- Claude, s’acquitta avec tant de zèle de sa mission, qu’il put se vanter d’en avoir fait conduire au bûcher plus de six cents dans sa tournée. L’Inquisition allait jusqu’à déterrer pour les brûler, les cadavres de ceux qui étaient soupçonnés d’avoir entretenu pendant leur vie des rapports avec le diable.
Est-il besoin de dire que les règles ordinaires de la justice n’étaient même pas suivies dans ce genre de procès ? Une bulle du pape Innocent VIII défendait que l’accusé pût avoir un avocat. Boguet déclarait que l’accusation d’un seul devait être admise pour que le crime si horrible de sorcellerie ne restât pas impuni (35). Aussi la haine y trouvait souvent le moyen de s’exercer, comme pour Urbain Grandier, curé de Loudun, qui n’était rien moins qu’hystérique et fut condamné sur l’accusation de sœur Jeanne des Anges, et la maréchale d’Ancre, qui mourut victime d’une haine politique
Ces faits ne font guère honneur aux médecins de l’époque qui subissaient eux-mêmes l’influence des superstitions et contribuaient
à les propager. Quand on leur demandait leur avis, ils s’extasiaient sur l’étrangeté des phénomènes qu’ils avaient sous les yèux et finissaient toujours par conclure que la science du diable était seule capable d’opérer de pareils prodiges (36). Il était, d’ailleurs, dangereux de tenir un autre langage devant tant de moines qui n’étaie occupés qu’à combattre les démons. En 1453, Edeline, docteur en Sorbonne, ancien prieur d’une communauté religieuse, avait· dit « qu’il y avait de la cruauté à faire périr tant de gens que les illusions du sommeil ou des sens entretenaient dans une funeste erreur de jugement » ; il fut condamné à finir ses jours dans un cachot. De même Jean Wier, pour avoir soutenu courageusement que la plupart des sorciers n’étaient que de pauvres malades, fut traité d’imposteur et de calomniateur. Bodin l’accusa « de vouloir accroître le règne de Satan » et déclarait que, « pour avoir écrit de semblables blasphèmes, de si détestables impiétés, de telles abominations dont la mémoire fait dresser le poil en la tête, il devait subir la peine des sorciers, c’est-à-dire être brûlé vif ». (37).
Enfin, comme la raison finit toujours par avoir raison, un édit de Colbert, en 1674, fit défense aux tribunaux d’admettre désormais l’accusation de sorcellerie et mit un terme aux « belles grillades de sorciers» dont parlait le ministre Perrault, malgré les protestations du clergé et d’un grand nombre de laïques qui réclamaient, sans méchanceté, le droit de se défendre contre les ruses du démon.
C’est avec une profonde tristesse que L’on trouve aujourd’hui dans l’histoire de la médecine de pareils faits ! Il faut pourtant les rappeler puisque le présent est toujours en quelque mesure, solidaire des erreurs du passé et pour montrer que les rêves bizarres, les croyances souvent absurdes qui prétendent expliquer l’inconnu scientifique et, en se systématisant. forment les religions, ne sont pas toujours sans danger.
(1) Cf. Cabanis, Réfonne de la Mé~ecine, 1807.
(2) Charcot ct Paul Richer ont rassemblé un grand nombre de ces documents figurés, d’un vif intérèt aujourd’hui relativement li. l’histoire de l’hystérie, dans un ouvrage intitulé : Les Démoniaques dans fart: C’est li. cet ouvrage que sont empruntées les figures reproduites dans cette brochure, avec autorisation de M. Paul Richer.
(3) Paul Richer. Études cliniques sur la grande hystérie ou hystél·o-épilepsie. Seconde édition, 1885. .
(4) Cf. Virgile. L. VI. – La Sybille de Cumes.
(5) Iconographie photographique de la Salpêtrière, par Bourneville et Regnard.
(6) Sœur Jeanne ‘des Anges, supérieure des Ursulines à Loudun, Autobiographie d’une hystérique possédée, d’après le manuscrit inédit de la Bibliothèque de Tours. Annotée et publiée par MM, les Drs Legué et Gilles de la Tourette,
(7) Murisier. Les Maladies du sentiment religieux
(8) Vie de sainte Thérèse, écrite par elle-même. Paris, 1884.
(9) Mme Guyon. Les Tourments spirituels.
(10) Ignace de Loyola. Exercitia spiritualia.
(11) Pierre Janet, Névroses et idées fixes.
(12) Vie de sainte Thérèse, op, cit,
(13) Histoire de la Bienheureuse Marguerite·Marie Alacoque, par M. l’abbé Ém. Bougaud.
(14) Le Sabbat des Sorciers, par MM. Bourneville et E. Teinturier. (Bibliothèque diabolique.)
(15) Michelet. Histoire de France, tome XIII.
(16) Vie de sainte Thérèse, écrite par elle-même, op. cit.
(17) Sœur Jeanne des Anges, op. cit.
(18) On désignait autrefois sous le nom de suffocation de matrice, les quelques phénomènes hystériques qui n’étaient pas expliqués par une intervention surnaturelle, et qui n’avaient alors, aux yeux des médecins, aucun rapport avec les autres.
(19) Briquet. Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie, 1859.
(20) Sœur Jeanne des Anges. op. cit.
(21) Gilles de la Tourette. Traité de l’hystérie.
(22) Des marques des sorciers et de la réelle possession que le diable prend sur le corps des hommes …… dédié à la reine régente de France, par Jacques Fontaine, conseiller et médecin ordinaire du Roy et premier professeur en son Université de Bourbon, en la ville d’Aix, 1611.
(23) Id.
(24) Id.
(25) Sœur Jeanne des Anges. op. cit.
(26) « Cette procession dansante, dont P. Breughel nous a laissé des dessins si pleins de caractère et de vérité, existe encore de nos jours. Elle a lieu, comme autrefois, à Epternach le mardi de la Pentecôte, en ‘honneur de saint Willibrod ». Les Démoniaques dans l’Art. .
(27) Vie de Saint-François d’Assise, éditée par Plon ct Oc, 1885.
(28) Bourneville. Louise Latteau ou la stigmatisée belge, 1875.
(29) Charcot. La foi qui guérit. Collection Bourneville.
(30) Littré. Un fragment de médecine rétrospective. La Philosophie positive, 1866, t. V.
(31) (1) Carré de Montgeron. – La vérité des miracles opérés par M. de Pâris et autres appelants, ‘747. Septième démonstration.
(32) « A notre point de vue spécial, disent Charcot et Paul Richer, nous ne saurions rien concevoir de l’lus conforme à la réalité que cette figure de démoniaque créée par André dei Sarte. Nous reconnaissons à des signes non douteux. que le peintre a puisé dans la nature même les éléments de sa composition; il a peint une possédée telle qu’il l’a eue vraisemblablement sous les yeux dans une de ces scènes qui n’étaient point très rares à cette époque … Il semble que le moment choisi par le peintre soit celui qui inaugure l’attaque et précède les grandes convulsions ». Les Démoniaques dans l’Art.
(33) (1). Cf. L’Asclepieion d’Athènes, d’après de récentes découvertes, par Paul Girard. Paris lBS!.
(34) Charcot, La Foi qui guérit, op. cit.
(35) Boguct. Discours des Sorciers, 1603.
(36) Calmeil. La Folie. .
(37) Bodin. De la Démonomanie des Sorciers. Appendice pour la réfutation de Jean Wier.
folie humaine !
This inotmraoifn is off the hizool!