Henri Delacroix. PARAMNÉSIE. Extrait de l’ouvrage « Traité de psychologie de Georges Dumas », (Paris), 1924, Tome II, Chapite II, Les souvenirs (H. Delacroix), VIII, pp. 103-105.
Henri Delacroix 1873-1937). Philosophe et psychologue. Il est l’élève de Henri Bergson au Lycée Henri IV à Paris. Agrège de philosophie il soutient une thèse de doctorat intitulée Essai sur le mysticisme spéculatif en Allemagne au XIVe siècle en 1900. Il enseigne au lycée de Pau (1899-1901) puis est maître de conférences à l’université de Montpellier (1901-1902), de Caen. Il est nommé ensuite à la faculté des Lettres de Paris à partir de 1919, comme maître de conférences puis à une chaire professorale. Il est élu doyen de la Sorbonne en 1928.
Quelques publications retenues parmi les nombreux articles publiés :
— Sur la structure logique du rêve. Article paru dans la « Revue de Métaphysique et de Morale », (Paris, douzième année, 1904, pp. 921-934. [en ligne sur notre site]
— Études d’histoire et de psychologie du mysticisme, Paris, Félix Alcan, coll. « Bibliothèque de philosophie contemporaine », 1908
— La religion et la foi. Paris, Félix Alcan, 1922. 1 vol. in-8°, XII p., 462 p., 1 fnch.
— Le rêve et la rêverie, Extrait du « Traité de psychologie de Georges Dumas », (Paris), tome II, 1924, pp. 211-226.
— Le temps et les souvenirs. Le rêve et la rêverie, in DUMAS, Traité de psychologie, t. V, Alcan, Paris, 1936,
— Le langage et la pensée. Paris, Félix Alcan, 1924. 1 vol. in-8°, 602 p., 1 fnch. Bibliographie. Dans la « Bibliothèque de Philosophie Contemporaine ». – Nouvelle édition, revue, remaniée et augmentée. Deuxième édition, revue et complètée. Paris, Félix Alcan, 1930.
— Au seuil du langage. Journal de psychologie normale et pathologique, 1933..
— L’enfant et le langage. Paris, Félix Alcan, 1934. 1 vol. 12/18.8, 4 ffnch., 118 p., 1 fnch. Dans la « Bibliothèque de Philosophie Contemporaine ». Broché. E.O. 02/08/98
— Le Temps et les Souvenirs. Le rêve et la rêverie. Extrait du Nouveau Traité de Psychologie de Georges Dumas. T. V. Paris, Félix Alcan, 1936. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., pp. 305-404. 5/3/97
— Les grands mystiques chrétiens. Nouvelle édition. Paris, Presses Universitaires de France, 1938. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., XIX p., 470 p., 1 fnch.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
PARAMNÉSIE
[p. 103]
Le curieux sentiment du « déjà vu » ou plutôt du « déjà vécu » n’est pas reconnaissance d’un état présent par sentiment du familier, de l’habituel ; ni reconnaissance par assimilation et différenciation ; c’est le sentiment de l’unique, qui est pourtant répété, identiquement, totalement répété. Beaucoup de gens éprouvent ce curieux sentiment de revivre entièrement un passé lointain qu’on ne peut retrouver.
« J’ai la sensation, dit un sujet cité par CHASLIN, d’avoir déjà vécu la situation présente, déjà entendu les paroles qui viennent d’être prononcées ; je sais quelles paroles vont être dites ; et quand elles sont dites, j’ai l’impression que ce sont bien celles-là que j’attendais. »
L’analyse des nombreuses observations de paramnésie permet de distinguer trois éléments essentiels :
1° Un sentiment de « déjà vécu » ; nullement l’impression de ressemblance ; mais la répétition identique d’un état antérieur, situé dans un passé indéterminé mais lointain. Wigan a créé une heureuse expression : sentiment de préexistence. [p. 104]
2° Sentiment de prévision de ce qui va suivre. Comment ne le saurait-on pas, puisqu’on va l’avoir su ? Il y a des cas où ce sentiment est l’élément essentiel. C’est, pourrait-on dire, l’élément promnésique de la paramnésie.
3° Sentiment de rêve et d’étrangeté : état intense, profond, instantané ; inquiétude, quelquefois angoisse.
On a naturellement supposé qu’il s’agit d’une reconnaissance véritable, mais qui n’aboutit pas à découvrir le souvenir semblable à l’événement présent, et qui peut être un rêve, une imagination. Mais Kraepelin fait justement remarquer que la reconnaissance n’a pas ici le caractère incomplet et dubitatif de la reconnaissance partielle : le sentiment du déjà vu est le sentiment du recommencement intégral du passé ; de plus, l’illusion fond brusquement sur le sujet et instantanément le quitte. Rien de semblable à la confusion lente à s’établir et à se dissiper, du présent avec un passé semblable.
Ceci n’est pas un Magritte.
On a cherché aussi l’explication du fait dans un trouble de la perception. La perception actuelle se dédoublerait, par suite, par exemple, d’une courte distraction, de sorte qu’elle nous apparaîtrait en même temps comme une perception et comme un souvenir. Mais les distractions de ce genre, faciles à observer, ne procurent pas une telle illusion ; c’est moins la reconnaissance d’un objet, d’une scène qui est frappante, que celle des impressions ; et pourquoi rejeter le souvenir dans le passé en général et dans le passé lointain ?
D’autre part, suffit-il de dire que l’impression évoque des émotions anciennes ? explique-t-on ainsi suffisamment l’identité de toute la scène, du décor ?
Il n’est pas exact non plus de dire qu’il s’agit d’un simple sentiment d’incomplétude et que l’essentiel du déjà vu est beaucoup plus la négation du présent que l’affirmation du passé. Mais il est vrai que ce sentiment doit être rapproché d’autres qui se rencontrent chez les mêmes sujets ; par exemple le sentiment du « jamais vu » ou de la « stupeur d’être », étonnement d’exister, de se trouver là ; par exemple le caractère nouveau que prennent parfois les mots familiers. [p. 105]
On peut être tenté de rattacher tous ces sentiments à la « dépersonnalisation ».
Peut-être en effet s’est-on trop hâté d’expliquer le sentiment en question comme une fausse reconnaissance ; les sujets qui l’éprouvent font de l’interprétation et de la théorie lorsqu’ils le traitent comme tel ; la fausse reconnaissance ainsi entendue est une impossibilité psychologique ; reconnaître suppose toujours que l’on distingue en même temps qu’on assimile ; cette répétition identique est une fable. Le sentiment du déjà vu, comme celui de la stupeur d’être, de l’étonnement d’être soi, ou de se trouver là, s’explique comme un état de rêve, mais il a ceci de spécial que la conscience du temps y est altérée ; ici le temps d’ordinaire opaque devient comme transparent; une singulière facilité, une continuité extraordinaire dans le cours de la durée donne l’impression que le temps s’ouvre et que nous pénétrons l’avenir immédiat ; peut-être reconnaissons-nous parce que nous sentons que nous prévoyons ; comment pourrais-je prévoir si je n’avais vécu déjà ? et nous sentons que nous prévoyons parce que l’instant a ce caractère de fatalité, d’éternité, de prédétermination qui est dû à, ce que nous rêvons sur le. temps; c’est ainsi que la paramnésie se trouve simuler un trouble de la mémoire.
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