Henri Claude et Henri Ey. Évolution des idées sur l’hallucination. Position actuelle du problème. Extrait de la revue « L’Encéphale – Journal de neurologie et de psychiatrie », (Paris), XXVIIe année, n°5, mai 1932, pp. 361-377.
Charles Jules Henri Claude (1869-1945). Médecin neurologue et psychiatre. Après avoir été initié à la médecine par Charles Bouchard il de vint l’assistant de Fulgence Raymond à la Salpêtrière et occupa la chaire de clinique des maladies mentales de 1922 à 1939 à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Il œuvra au développement des théories psychanalytique en France, malgré de sérieuses réserves, et créa la premier Laboratoire de psychothérapie et psychanalyse à la Faculté de Médecine de Paris. Il laissera son nom à plusieurs syndromes en neurologie.
Quelques publication parmi plusieurs dizaines :
— Les états anxieux. Paris, Maloine, 1938. 1 vol. in-8°, 431 p.
— Sur un cas d’obsession génitale avec angoisse et tendance à l’exhibitionnisme chez la femme. Article paru dans la revue « L’Encéphale, journal de neurologie et de psychiatrie », (Paris), seizième année, 1921, pp. 456-462.
— A propos d’une bouffée délirante à contenu symbolique, essai d’explication biologique et psychologique d’un délire. Paris, Masson et Cie, 1923.
— (avec Adrien Borel et Gilbert Robin). Considérations sur la constitution schizoïde et la constitution paranoïaque. Genèse des idées délirantes. 1923. [en ligne sur notre site]
— (avec Raymond de Saussure). De l’organisation inconsciente des souvenirs. 1924. [en ligne sur notre site]
— La méthode psychanalytique. Par Henri Claude. Le Disque vert. 1924. [en ligne sur notre site]
— Considération critique sur la psychanalyse. Extrait du « Paris médical », (Paris), n°51, partie médicale, n°24 du 14 juin 1924, pp. 541-542. [en ligne sur notre site]
— (avec Adrien Borel, Gilbert Robin). Démence précoce, schizomanie et schizophrénie. 1924. [en ligne sur notre site]
— Le délire d’interprétation à base affective de Kretschmer et ses rapports avec le syndrome d’action extérieure. Extrait de l’Encéphale, 1928. Paris, 1928. 1 vol. in-8°, pp. 411-414.
— (avec Jean Cantacuzène). Note sur un essai de prophylaxie des délires spirites. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), XVe série, 94e année, tome deuxième, 1936, pp. 111-116. [en ligne sur notre site]
— (avec Henri Ey). Évolution des idées sur l’hallucination. Position actuelle du problème. Extrait de la revue « L’Encéphale – Journal de neurologie et de psychiatrie », (Paris), XXVIIe année, n°5, mai 1932, pp. 361-377. [en ligne sur notre site]
— Psychiatrie médico-légale. Paris, G. Doin et Cie, 1932. 1 vol. in-8°, 299 p. – Deuxième édition entièrement révisée. Paris, G. Doin et Cie, 1944. 1 vol. in-8°, 333 p.
— Thérapeutiques biologiques des affections mentales. Paris, Masson et Cie, 1940. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., 336 p.
Henri Marie Jean Louis Ey (1900-1977). Psychiatre et neurologue, fur médecin-chef de l’hôpital psychiatrique de Bonneval (Eure-et-Loir). Élève d’Henri Claude et collaborateur d’Eugène Minkiwski, il devient avec ce dernier co-fondateur de l’Évolution psychiatrique. Esprit éclectique et érudit il orgnise les Colloques de Bonneval où il réuni autour des thèmes de la folie, des psychiatres, des médecins, des philosophes… Il théorisera les idées de John Hughlings Jakson en les appliquant à la psychiatre et plus particulièrement à la schizophrénie. Quelques publications :
— Hallucinations et Délire, Alcan 1934. réédité, éd. L’Harmattan, 2000.
— Des idées de Jackson à un modèle organo-dynamique en psychiatrie, Doin 1938, Privat 1975, L’Harmattan 2000,
— Le Problème de la psychogenèse des névroses et des psychoses (avec L. Bonnafé, S. Follin, J. LacanJ. Rouart), Desclée de Brouwer, 1950. Réédition 1977 et 2004 (Tchou)
— Études psychiatriques : Desclée de Brouwer t. I, 1948, 296 pages ; t. II, 1950, 550 p. ; t. III, 1954.
— Traité de psychiatrie de l’Encyclopédie Médico-chirurgicale (avec 142 collaborateurs), 3 tomes, 1955.
— Manuel de psychiatrie (avec Bernard et Brisset), Masson 1960, 7e réédition, éd. Elsevier Masson, 2010,
— (avec Abel Brion) Psychiatrie animale Paris, 1964, 606 p.
— L’Inconscient 1 vol. Desclée de Brouwer 1966, 2004 (Tchou).
— Traité des hallucinations, Masson 1973, 2 tomes, 2004 (Tchou).
— Schizophrénie: études cliniques et psychopathologiques, éd. Empêcheurs Penser en Rond, 1996.
— Psychophysiologie du sommeil et psychiatrie. Masson 1974.
— Défense et illustration de la psychiatrie, Masson 1977.
— Naissance de la médecine, un volume, Masson, 1981.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – La note de bas de page a été renvoyée en fin de texte. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
[p 361]
ÉVOLUTION DES IDÉES SUR L’HALLUCINATION
POSITION ACTUELLE DU PROBLÈME
PAR
Henri CLAUDE et Henri EY
On ne saurait considérer la réalité comme une donnée simple et immédiate dont nos yeux ou nos oreilles recevraient passivement l’image. L’enfant se trouve devant les choses comme le débutant devant une coupe d’histologie. Nous ne pouvons regarder l’objectivité comme inhérente à la donnée sensible puisque constamment nos impatiences, nos préventions, notre précipitation l’altèrent ou que notre pensée en s’en détournant l’annihile. Depuis les illusions d’optique jusqu’aux transformations que lui font subir nos passions, l’attention, les croyances, les suggestions, tous ces facteurs de variation nous montrent cette réalité comme assez élastique. Ce n’est qu’au prix d’un contrôle permanent de notre « intelligence » que nous maintenons cette réalité dans des conditions de fixité relative et que nous la séparons de notre activité proprement imaginative.
Nous allons voir que dans sa seule définition possible d’être une perception sans objet, l’hallucination est caractérisée par le fait qu’un objet irréel est perçu et cru réel.
C’est d’ailleurs la définition même d’Esquirol : « Un homme (1) qui a la conviction intime d’une sensation actuellement perçue alors que nul objet extérieur propre à exciter cette sensation n’est à portée de ses sens est dans un état d’hallucination. C’est un visionnaire ». [p. 362]
Nous nous proposons d’examiner comment cette définition — la seule (2) qui vise vraiment le phénomène hallucinatoire — a pu varier jusqu’à perdre sa signification première et comment elle a pu donner lieu à des théories si diverses de l’hallucination. Nous ne visons pas à faire ici un historique complet des travaux sur l’hallucination, nous désirons simplement dégager la ligne générale des conceptions formulées depuis Esquirol pour en « faire le point ». C’est, à notre sens, l’introduction indispensable à toute étude des phénomènes hallucinatoires. D’excellents travaux ont été largement utilisés à l’occasion de cette étude, particulièrement la thèse de M. Petit, celle de M. Mourgue, celle de Lelong. Un récent et considérable article de C. Schneider (1931) nous a permis de faire état des conceptions allemandes actuelles.
I. PASSAGE DE LA NOTION D’OBJECTIVITÉ A CELLE
« D’OBJECTIVITÉ PSYCHIQUE. » EXTENSION DE LA NOTION D’HALLUCINATION.
Esquirol, qui distingue avec netteté l’hallucination de l’illusion se trouve être le promoteur de toutes les études sur les hallucinations. Il dit : « Dans les hallucinations, tout se passe dans le cerveau, les visionnaires, les extatiques sont des hallucinés, ce sont des rêveurs tout éveillés. L’activité du cerveau est si énergique que le visionnaire, l’halluciné donne un corps et de l’actualité aux images, aux idées que la mémoire reproduit sans l’intervention des sens. » On peut dire, comme le souligne Mourgue, que le développement des théories sur l’hallucination constituent une simple « paraphrase » de l’opinion d’Esquirol. Voilà pourquoi nous y insistons.
« Les hallucinations, dit-il, (p. 195) ne sont ni de fausses sensations, ni des illusions des sens, ni des perceptions erronées, ni des erreurs de la sensibilité organique comme cela a lieu dans l’hypochondrie. Ces dernières supposent la présence des objets extérieurs ou la lésion des extrémités. Tandis que dans l’hallucination, non seulement il n’y a pas d’objet extérieur agissant actuellement sur les sens, mais quelquefois les sens ne fonctionnent plus. »
L’hallucination apparaît donc à Esquirol comme une perception à laquelle l’halluciné donne un corps, une « sensorialité » indépendante de toute donnée sensorielle et de tout délire. Le double caractère de [p. 363] sensorialité et d’objectivité spatiale que prennent les représentations voilà ce qu’il y a d’essentiel dans l’hallucination.
En 1842, Baillarger insiste sur les trois conditions de l’hallucination qui lui paraissent essentielles : exercice involontaire de la mémoire et de l’imagination, suspension des impressions externes et excitation interne des appareils sensoriels. Delasiauve fait parfaitement observer (1862) à ce sujet que le caractère essentiel de l’hallucination est bien pour Baillarger « l’excitation interne qui confère à la représentation un caractère sensoriel ». Cependant Baillarger en insistant sur le caractère involontaire des phénomènes hallucinatoires nous paraît avoir transformé profondément la notion d’hallucination. Pour lui, en. effet, ce qui caractérise l’hallucination c’est le fait qu’elle se présente comme un fait étranger à la personnalité. La preuve en est que c’est le seul élément commun que l’on trouve et qu’il décrit entre ces deux grandes classes d’hallucinations : l’hallucination psycho-sensorielle et l’hallucination psychique. Les deux phénomènes sont des hallucinations puisqu’ils témoignent d’un automatisme qui apparaît étranger, mais ils sont différents en ce sens que l’un a le caractère d’objectivité spatiale (hallucination psychosensorielle) et l’autre représente un phénomène incoercible, imposé, mais sans objectivité dans l’espace.
A vrai dire, déjà en 1834, Leuret avait posé l’hallucination comme un « fractionnement de l’esprit, véritable dualisme chez un même individu ». Car pour lui l’hallucination est un phénomène primitif et simple, de telle sorte « que le principe du délire n’est pas dans la croyance, mais dans l’hallucination elle-même ». Moreau de Tours (1845) insistait également sur le mécanisme de l’hallucination qui n’est pas seulement transformation de la pensée en sensation : « Il n’y a pas, dit-il, seulement transformation, il y a aliénation de la pensée. » Falret, en 1854, est encore plus net : Il dit que l’hallucination ne consiste pas dans l’extériorité de l’image car cela existe pour l’imagination normale, il insiste sur la production toute passive de l’hallucination.
Séglas, dans ses études classiques (3), a étendu la notion d’hallucination [p. 364] à certaines impulsions motrices verbales. Là aussi il s’agit bien d’un phénomène hallucinatoire à la condition d’entendre par là un phénomène qui échappe à la volonté, à la personnalité du sujet. D’autres « hallucinations motrices » d’ailleurs sont classiquement décrites, telles que celles de l’observation de Krishaber citée par Rogues de Fursac, où un « malade sentait ses jambes mues par un ressort étranger à sa volonté ».
D’autre part, la notion d’hallucination a été étendue aux autres sens internes (4) où évidemment il ne peut s’agir que d’une objectivité spatiale relative (hallucinations cénesthésiques, hallucinations génitales). Ce qui caractérise, dès lors, de telles hallucinations, ce n’est plus la projection de la représentation dans l’ambiance, c’est la projection du point de départ de la sensation hors du moi.
Dès lors, il ne restait qu’un pas à franchir pour décrire comme hallucinatoires tous les phénomènes qui sont caractérisés par la croyance en une action extérieure. Il a été franchi par la définition hallucinatoire de symptômes comme l’écho de la pensée, le mentisme (5), les hallucinations du souvenir et (comme nous le verrons plus bas), plus ou moins implicitement, les phénomènes décrits comme des pseudo-hallucinations que bien des auteurs considèrent précisément comme l’hallucination par excellence (de Clérambault, Dupouy).
On voit le glissement progressif qu’a subi l’idée d’hallucination partie de la perception sans objet ou autrement dit de l’objectivation de la représentation, elle aboutit dans la psychiatrie actuelle à l’idée de phénomène xénopathique. Ce n’est plus seulement une perception sans objet, l’hallucination finit par ne plus être du tout une perception. On saisit la différence et la contradiction qui séparent ces deux notions si l’on veut bien convenir que le phénomène xénopathique ne représente plus une hallucination sans sensation provocatrice mais qu’elle peut être une erreur de jugement, une simple sensation réelle mais non plus intégrée au moi, opposée à lui. Il y a eu passage de la définition par l’objectivité sans fondement [p. 365] sensoriel à la définition par « l’objectivité psychique ». Cette objectivité psychique comme nous allons le voir, on a essayé de la fonder sur des sensations anormales et « organiques »
II. PASSAGE DE LA NOTION : PERCEPTION SANS OBJET A LA NOTION :
PERCEPTION D’ORIGINE MÉCANIQUE
La discussion de 1855 à la Société Médico-Psychologique, qui est restée célèbre dans les annales de la Psychiatrie française se déroula tout entière autour de cette question : n’y-a-t-il qu’une différence de degré entre la représentation d’une part et la perception et l’hallucination d’autre part ? D’un côté, Buchez, Maury, Brierre de Boismont, soutenaient comme Leuret (6) (1846) et comme devaient le faire plus tard Delasiauve, Falret et Griesinger que l’hallucination n’était qu’une représentation forte. Baillarger, Garnier, de Castelnau, au contraire, voyaient entre la simple représentation, pour si vive qu’elle soit et l’hallucination, une différence de nature. Pour ces derniers, par conséquent, l’hallucination se présentait toujours comme un phénomène pathologique.
La grande question du moment (7) qui a inspiré le travail de Lelut est, en effet, de savoir si l’hallucination est en soi un phénomène pathologique. Les partisans de la simple différence de degré, par la progression même qu’ils admettaient, se représentaient l’hallucination comme une représentation très vive qui pouvait se rencontrer indépendamment de toute « aberration mentale ».
Toute l’évolution des théories neurologiques que nous allons maintenant envisager, a consisté à paraphraser Esquirol et Lelut (qui tous deux tenaient à cette idée que l’hallucination peut naître dans un cerveau sain) et tous ceux qui considéraient l’hallucination comme une image très vive. C’est dire que le postulat de toutes ces théories neurologiques sera le même : l’hallucination est un phénomène indépendant de tout trouble intellectuel, il naît dans un cerveau, par ailleurs sain.
Se représenter l’image comme un résidu de la perception, la considérer comme sommeillant dans les plis du cerveau, imaginer un processus d’excitation cérébrale qui la libère et lui restitue son caractère [p. 366]d’objectivité, tel est le schéma général de la doctrine qui est devenue classique. Elle considère l’objectivité de l’image comme une propriété inhérente à sa structure même ; cette image serait suffisante pour, dès qu’elle se présente à la conscience, imposer un jugement de réalité.
La première question qui s’est posée était de savoir si « le siège »des hallucinations n’était pas l’organe sensoriel. Hibbert (1825), en Allemagne, s’est fait le champion de cette théorie. Esquirol ne l’admettait pas : « Le siège de l’hallucination n’étant pas dans les extrémités de l’organe sensitif, il doit être dans le centre de la sensibilité. En effet, on ne peut concevoir l’existence de ce symptôme qu’en supposant le cerveau mis en action par une cause quelconque… » Cette « cause quelconque », on a cru la trouver dans l’excitation mécanique. Dès 1852, Leubuscher (cité par Schneider) expliquait l’hallucination par une conception neurologique centrale. Et dès lors on s’est figuré que, repoussée dans le centre psycho-sensoriel, l’excitation sensorielle pouvait mieux rendre compte de la croyance qu’elle entraînerait.
Posé, en effet, comme il l’était en 1855, le problème de l’hallucination présentait une difficulté essentielle. Comment concevoir le déclanchement intime de l’image et comment surtout concevoir un déclanchement tellement fort et sélectif qu’il entraînerait l’adhésion du sujet à l’objectivité parfaite de cette image ?
Parchappe voyait bien que la représentation devait avoir un caractère particulier pour aboutir à l’objectivité. Il croyait que ce caractère devait tenir à la nature même de l’image. Dès 1856 (8) soutenant au fond l’opinion d’Esquirol (l’activité du cerveau est si énergique, etc…), il faisait jouer un rôle aux modifications de l’écorce cérébrale dans l’explication de cette modalité spéciale de l’image qui aboutit à l’hallucination.
En 1866, Kahlbaum fournit une théorie neurologique complète de l’hallucination. Elle est peu connue en France : il distinguait des hallucinations stables (intéressant un seul sens et toujours les mêmes) ; des hallucinations éréthistiques (n’apparaissant que dans certains états paroxystiques) ; des hallucinations fonctionnelles (apparaissant par un effort d’attention du malade) ; enfin des hallucinations [p. 367] à contenu variable appartenant à plusieurs sens. Ces diverses hallucinations sont expliquées par la physiologie nerveuse des sensations de Neumann. Il y a concentration pathologique de l’influx nerveux sur certains territoires perceptifs cérébraux. Il explique même par des troubles du courant nerveux les illusions et les pareidolies.
Ritti, en 1874, invoque une activité spontanée du thalamus. Cette même année, il y a une grande discussion à l’Académie de Berlin sur ce sujet de la nature des hallucinations ; elle ne conclut pas.
A ce moment, Ferrier localise le centre cortical de la vision et de l’ouïe (1876). Les travaux de Münk (1877) et Nothnagel (1879) confirment ces vues sur les centres psycho-sensoriels. C’est alors que Tamburini (9) tente l’application de ces travaux physiologiques au problème de l’hallucination : « Tous ces faits qui établissent d’une façon positive l’existence de centres sensoriaux dans l’écorce cérébrale vont nous expliquer la genèse des hallucinations. De même qu’un centre moteur produit des mouvements désordonnés et intenses (mouvements épileptiques), de même l’excitation d’un centre sensoriel doit produire des sensations pathologiques ». Sa théorie « admet comme cause fondamentale un état d’excitation des centres sensoriels corticaux ». C’est « l’épilepsie des centres sensoriels » de Soury.
Dès lors, après la confirmation (d’ailleurs partielle) que Séglas apporte à cette théorie, après les modifications que Tanzi y introduisit (complications plus grandes des mécanismes neurologiques fondamentaux), cette théorie de l’hallucination s’installa en maîtresse et jouit aujourd’hui d’un crédit considérable.
Si on veut bien remarquer, en effet, que l’hallucination dans le même temps se dégradait depuis la notion d’une réalité faussement perçue jusqu’à celle de phénomènes de conscience considérés comme des « corps étrangers » par le moi, on comprend que ces deux courants se soient rejoints pour présenter actuellement la vraie hallucination comme un fait de conscience étranger au moi et auquel la théorie mécanique garantit au maximum cette non intégration à la personnalité !
La thèse de Petit, sur laquelle nous reviendrons, est destinée précisément à opérer cette soudure. Il est bien remarquable que dans son excellente étude, cet auteur parle de l’hallucination proprement dite et des auto-représentations aperceptives comme de phénomènes voisins qui « constitueraient deux aspects un peu différents de cet [p. 368] automatisme élémentaire » que la théorie neurologique de Tanzi ne contredirait pas, (p. 151).
La théorie mécanique a pris ces temps derniers de nouvelles formes dont on trouvera l’expression dans la thèse de Lelong (1928). La « subduction mentale » de Mignard, la « pensée organique » de Hesnard, la théorie de Guiraud sur les « cénesthopathies dystoniques » (10), les polyphrénies de Revault d’Allonnes représentent des tentatives pour fonder les processus hallucinatoires sur des excitations ou des dislocations mécaniques cérébrales et à ce titre rentrent dans la ligne des conceptions que nous étudions. Leur caractère essentiel est de chercher à rendre compte par des désordres cérébraux effectifs des phénomènes qui, sous le nom d’hallucinations, représentent les formes extrêmes des symptômes xénopathiques (écho de la pensée, étrangeté de la pensée).
Le livre récent de Targowla et Dublineau, marque les derniers progrès dans ce sens en se représentant l’intuition comme une sorte d’automatisme mental, le même, à notre sens qui, dans les théories neurologiques de l’hallucination, rend compte des phénomènes xénopathiques et hallucinatoires.
La théorie de M. de Clérambault (11) représente le terme ultime et le plus complet de l’évolution qui nous occupe. Pour lui, les hallucinations, les idées délirantes, le processus même de la pensée des hallucinés expriment d’une façon adéquate les troubles neurologiques primordiaux. Le cerveau est malade et la forme histologique de son trouble commande exactement toutes les inflexions de la pensée, des jugements et des perceptions hallucinatoires. Le cerveau moud de la pensée ou plus exactement de l’erreur. Il se constitue ainsi au sein de la personnalité saine une personnalité morbide qui s’enrichit sans cesse par la dérivation qui tend à descendre les degrés de la hiérarchie fonctionnelle des centres et par sa face psychologique [p. 369] entraîne des rabâchages grossiers et stériles, peut-être comparables à ceux des obsédés (Lelong). L’idée de persécution n’est pas constante et en tous cas secondaire.
Nous voyons donc, comme le dit Lelong, que la « xénopathie »agit sur un esprit normal par ailleurs, de telle façon, dit-on, « qu’il faudrait être fou pour ne pas y croire » !C’est bien comme nous l’avons indiqué le point d’où on était parti et Mourgue avait bien raison de dire que toute cette théorie mécanique de l’hallucination est une paraphrase d’Esquirol. En France elle représente l’opinion traditionnelle. Nous saisissons également ses postulats et ses corollaires : l’hallucination est un phénomène d’origine mécanique isolé dans l’activité de l’esprit. Il s’impose immédiatement comme étranger au malade. Ce qui définit l’hallucination est avant tout l’automatisme et la xénopathie. Il y a une progression régulière du phénomène d’objectivité psychique à celui d’objectivité sensorio-spatiale (12).
III. LA NÉGATION ET L’AFFIRMATION DE L’HALLUClNATlON
A vrai dire, il y a eu contre cette conception, en France (13) et surtout en Allemagne, des réactions violentes. Elles se sont développées en deux sens : certains ont voulu maintenir à l’hallucination son caractère essentiel sensorio-spatial et ont appelé pseudo-hallucination les phénomènes qui ne l’ont pas ; d’autres ont voulu montrer que l’hallucination considérée comme perception sans objet ne pouvait se concevoir que par l’intégration du phénomène dans un « ensemble » psychique qui le conditionne.
Avant d’examiner ces deux courants d’idées, notons les travaux critiques delà théorie mécanique des hallucinations. Signalons l’effort pour intégrer l’hallucination au délire tenté par Falret, Magnan, Chaslin, Séglas, Blondel, Masselon ; en Allemagne, par Specht (1914), Kronfeld, Krueger (14) (1919) ; en Belgique, par Francotte (1898) ; en Suisse, par Flournoy (1920), etc.
Des critiques spéciales ont été faites des théories des hallucinations par Specht et Schröder (depuis 1915) et Kronfeld (1922).
Specht, ayant bien mis en évidence que la pièce maîtresse de [p. 370] toutes les argumentations en faveur de l’origine mécanique des hallucinations est la loi de J. Müller sur l’excitation spécifique des nerfs, s’attaque à ce point de vue avec une rare vigueur. Il dénonce le caractère facile de l’explication neurologique en ce qu’elle se borne à n’envisager qu’une hypothèse gratuite. Il nie que l’image, pour si fortement excitée qu’elle soit par un processus cérébral, puisse prendre les caractères de la perception. Il incrimine la tendance à placer dans le cerveau la puissance mystérieuse (geheimnissvolle Kraft) de créer la réalité ou l’erreur, de « moudre de la pensée » comme on le dira plus tard. Enfin et surtout on ne doit pas confondre impression sensorielle (énergie spécifique des nerfs) et perception.
Schrôder (15) s’est appliqué à fournir une critique serrée des cas de phénomènes hallucinatoires au cours des affections cérébrales. Il se refuse à voir l’hallucination naître comme un phénomène simple et de toutes pièces, comme une Minerve casquée, des parties malades du cerveau. Il dit que si des facteurs organiques interviennent certainement, c’est sous la forme de phénomènes délirants ou d’états crépusculaires.
L’hallucination, considérée dans un sens primitif — et nous le verrons, dans son seul sens possible — comme une perception sensorielle liée à la croyance en une fausse réalité, (16) a subi une importante limitation le jour où Baillarger en sépara les hallucinations psychiques. Dès lors, tout un mouvement d’idées, dont nous avons longuement parlé plus haut, a limité de plus en plus le nombre des hallucinations psycho-sensorielles vraies. On les a opposées aux pseudo-hallucinations.
LES PSEUDO-HALLUCINATIONS. — Les auteurs qui, conformément à la définition primitive de l’hallucination, ne considèrent comme vraiment hallucinatoires que les phénomènes psycho-sensoriels à objectivité spatiale, leur ont opposé les phénomènes qui ne présentaient pas ce caractère (pseudo-hallucinations).
Baillarger lui-même, en distinguant les hallucinations psychiques des hallucinations psycho-sensorielles, en même temps qu’il étendait la notion d’hallucination, marquait ainsi les différences entre les deux groupes de phénomènes. C’est à partir de ses « hallucinations [p. 371] psychiques » que se sont développées les théories et les classifications des pseudo-hallucinations (17).
Hagen (1868) décrit sous ce terme des états pathologiques proches du rêve et de la rêverie durant lesquels les malades se croient dans telle ou telle situation fictive (monologues, conversations). Aussi, ces pseudo-hallucinations de Hagen ne constituent-elles pas une variété bien particulière et bien distincte de l’hallucination classiquement définie. Avec Kahlbaum, il semble que l’on trouve une définition plus précise de la pseudo-hallucination : il décrit en effet, sous forme d’hallucinations aperceptives des phénomènes représentatifs involontaires, sans caractère sensoriel vrai, auxquels cependant le sujet attribue un caractère d’objectivité particulier (18). Kandinsky (19) décrit sous le nom de pseudo-hallucinations des phénomènes qui correspondent à ce que Baillarger avait décrit pour les hallucinations de l’ouïe comme des hallucinations psychiques, seulement il étend ces pseudo-hallucinations aux autres sens. Il refuse de les appeler hallucinations parce qu’elles manquent du caractère qu’il estime essentiel à l’hallucination, à savoir la réalité objective. Les phénomènes qu’il décrit sont des perceptions subjectives très vives, de grande intensité, mais qui ne sont pas absolument objectives.
Séglas se place au même point de vue pour tracer entre les hallucinations et les pseudo-hallucinations une limite. Envisageant le groupe des hallucinations psychiques (1900-1914), il y distingue des pseudo-hallucinations, type Kandinsky, des pseudo-hallucinations verbales et enfin des hallucinations verbales kinesthésiques. Le critère qu’il utilise c’est l’extériorité et il prétend la trouver dans les groupes de faits (hallucinations verbales kinesthésiques), où le malade objective « spatialement » dans la bouche, le larynx, les impulsions motrices « hallucinatoires ».
Enfin, Petit, dans son travail sur « Une variété de pseudo-hallucinations : les auto-représentations aperceptives » range sous ce nom les pseudo-hallucinations de Kandinsky, les pseudo-hallucinations verbales de Séglas et les hallucinations aperceptives de Kahlbaum (hallucinations abstraites) et « les considère comme des phénomènes automatiques sans aucun attribut sensoriel, n’ayant d’autre caractère [p. 372] que de paraître au malade étrangers à son moi », dit Séglas (1914).
Claude, à plusieurs reprises, a montré combien étaient nombreuses les pseudo-hallucinations sans caractère de sensorialité et se présentant surtout comme des illusions et des interprétations.
En effet, à côté des pseudo-hallucinations qui sont considérées comme des représentations pâles, sans caractère sensoriel, on a placé tout le groupe des pseudo-hallucinations qui s’opposent aux vraies hallucinations par le fait qu’elles supposent un objet, une sensation qui est seulement complétée ou déformée. C’est la théorie même de Bergson en matière d’hallucination et de rêve. C’est dans ce sens que Masselon, Blondel, Quercy (jusqu’à ses dernières années) ont insisté sur le caractère délirant pseudo-sensoriel de certains phénomènes dits pseudo-hallucinations parce qu’ils supposent un objet.
Il faut bien voir que cette évolution des idées est superposable à celle que nous avons signalée plus haut. Dans la masse des phénomènes, à première vue hallucinatoires, on a montré que beaucoup, que la plupart, que tous ne l’étaient pas car ils n’avaient pas de caractère sensorio-spatial, tandis qu’on essayait d’autre part de dire que l’essentiel de l’hallucination était son caractère xénopathique. Si bien qu’à l’heure actuelle les « pseudo-hallucinations » (issues de celles de Baillarger) sont devenues les vraies hallucinations pour M. Dupouy, grâce (pourrait-on dire) au travail de G. Petit qui a tenté de réduire les deux classes de phénomènes à un même plan, celui de l’automatisme et de l’« étrangeté ». Mais pour les « négateurs » de l’hallucination également (par un processus inverse) il est évident aussi que les vraies hallucinations et les fausses ne sont guère différentes, car elles ont toutes en commun de ne pas être des perceptions sans objet. En fin de compte, au terme de ce mouvement (tel qu’il est passé à peu près dans l’état actuel « de la clinique »), il règne une grande confusion dans les définitions et les études de l’hallucination qui continue à être appelée — sous peine d’ailleurs d’apparaître immédiatement non hallucinatoire — une perception sans objet, alors que pour les uns (cf. Lelong) ce n’est plus le vrai caractère hallucinatoire, tandis que pour les autres (Blondel), il leur manque ou le caractère de sensorialité, ou la caractère d’être sans objet.
C’est en réaction contre ce double courant, au fond également négateur de l’hallucination que Jaspers, Quercy et récemment K. Schneider ont protesté. [p. 372]
Jaspers (20) a essayé de montrer que l’image hallucinatoire n’est pas une simple représentation, qu’elle a des caractères sensoriels de « corporéité », de « vividité », de projection spatiale.
Quercy, dans ses importantes études sur l’hallucination, plaide l’existence de caractères sensoriels, l’esthésie de l’hallucination qu’il, y a lieu de ne pas confondre avec une simple image, une rêverie ou une erreur. Il essaie de montrer qu’il y a dans toute perception, même à l’état normal, un « complément »qu’elle appelle ipso facto, de telle façon qu’une perception hallucinatoire entraîne fatalement la croyance dans son objectivité. La vivacité du phénomène hallucinatoire est telle, dit-il, qu’elle ne peut se comparer ni à une simple image, ni à une pure croyance imaginaire, elle s’impose, en particulier dans les intoxications par la mescaline, comme une fausse réalité.
Enfin, dans un intéressant et volumineux article, K. Schneider (21) se soucie de donner aux troubles psycho-sensoriels des caractères « phénoménologiques » qui leur garantissent une autonomie absolue vis-à-vis de la perception normale d’un côté et de l’image de l’autre côté.
Il semble bien en effet, que dans la mesure où l’on cherche une explication de la réalité et de la sensorialité de l’hallucination, on se trouve amené à la chercher ailleurs que dans la vivacité de l’image qui, plus elle sera vive, apparaîtra toujours plus étrange et plus irréelle malgré sa « présence ».
Cette exigence a depuis longtemps été satisfaite dans l’histoire des idées en matière d’hallucinations par les conceptions qui se représentent l’hallucination comme conditionnée par un état psychique d’ensemble.
L’HALLUCINATION, CONSÉQUENCE D’UN ÉTAT PSYCHIQUE GLOBAL. — Nous avons vu qu’il y avait nécessairement solidarité entre ces théories : image et perception ne diffèrent que de degré : l’hallucination est d’origine mécanique ; l’hallucination s’observe en état de lucidité.
Depuis Moreau de Tours (22) qui a écrit un ouvrage — à notre [p. 373] sens capital — sur l’activité hallucinatoire, on a mis l’accent sur les états de déficit, les états hyponoïdes de la conscience.
Moreau de Tours signalait dès 1845 que l’hallucination était liée « à un état particulier de l’organe intellectuel ». Il qualifie cet état hallucinatoire, d’état de demi-sommeil, d’état crépusculaire. Il n’existe pas d’hallucinations isolées mais un état hallucinatoire, c’est un phénomène psychologique très complexe (p. 351). L’état hallucinatoire comprend l’intelligence tout entière (p. 382-383). Joffroy (23) fait également cette réflexion que « jamais, le cerveau étant normalement constitué, la lésion ne donnera lieu à une hallucination ». La notion de désagrégation introduite par Gilbert Ballet (24) paraît répondre à ce besoin (mais en « réalisant » l’hallucination en termes neurologiques comme l’expression d’une vraie dislocation matérielle de la personnalité, il fait de nouveau de l’hallucination un phénomène primitif et non plus un trouble du jugement). Bleuler, dans son livre sur la schizophrénie (1911), critique la théorie mécanique des hallucinations et les considère comme le produit de troubles complexes. Dans un article de 1922 (25) il fait jouer aux « états hallucinatoires » un rôle primordial.
Bouyer (26), dans un article où il analyse les conditions de la perception sans objet, a très bien mis en évidence cet état hallucinatoire qui intéresse l’activité mentale dans son ensemble.
Schröder établit une étroite solidarité entre les hallucinations et les autres troubles que présentent les aliénés et dont elles dépendent.
Goldstein estime également incompréhensible la perception sans objet chez le sujet lucide. Il faut lui enlever ou le caractère perceptif ou le caractère d’être sans objet.
L’un de nous (Claude) (27) a également insisté sur le caractère global du trouble dont l’hallucination est la conséquence et sur l’importance possible des états oniroïdes dans la genèse des psychoses hallucinatoires.
C’est dans ce sens que K. Schneider considère l’hallucination. Pour lui, après une très minutieuse analyse de la perception (de la distinction entre la « présence » et la « réalité ») des phénomènes [p. 375] intuitifs sensibles et des phénomènes inintuitifs de la perception, il considère qu’il y a de tels troubles importants dans le phénomène hallucinatoire lui-même qu’il dépend certainement de gros troubles de la pensée.
Un article récent de M. Janet dans la Revue philosophique (1932), considère également l’hallucination comme l’expression d’une impuissance psychique générale.
Le travail de Mourgue (A. M. P., octobre 1931) présente l’hallucination comme l’aboutissant d’une énorme perturbation biologique et insiste sur les troubles graves de la dépersonnalisation qui se trouveraient à la base des états hallucinatoires.
Les expériences faites à l’aide de toxiques hallucinogènes (mescaline) rejoignent les données cliniques fournies par les onirismes toxi-infectieux. Elles révèlent — comme le souligne Mourgue — un trouble notable de la conscience qui entraîne de grosses altérations de la réalité (28).
Il faudrait aussi signaler ici toutes les théories de l’hallucination qui la représentent comme conditionnée par de gros bouleversements affectifs (les états d’anxiété, les obsessions, etc.) ou une pensée délirante. A ce propos, le travail de Ceillier sur les influencés (29) est bien si intéressant dans la ligne générale de ce que Claude enseigne depuis longtemps : que le sentiment d’une action extérieure est primitif par rapport à « l’hallucination » qui se présente alors presque toujours sous l’aspect pseudo-hallucinatoire.
LA DÉFINITION DE L’HALLUCINATION ET LES AUTRES ALTÉRATIONS DE LA RÉALITÉ. — Esquirol a défini les hallucinations par le fait qu’elles sont des perceptions sans objet s’accompagnant d’un jugement de réalité, de la croyance et de la conviction qu’il y a un objet réel.
Nous avons vu que la définition initiale de l’hallucination soulignait son caractère d’objectivité c’est-à-dire au fond qu’il n’y hallucination que lorsque le sujet croit à la réalité d’un objet. Dans la suite [on a fait dériver cette définition vers celle-ci : [p. 376] il y a hallucination quand le sujet éprouve un phénomène qui l’oblige à le placer en dehors de lui ; à l’objectiver (xénopathie).
Nous avons vu comment cette évolution de la notion se superposait à l’interprétation mécaniste du phénomène. Le terme de ces deux courants d’idées aboutit à ce que l’on appelle la doctrine de l’automatisme mental (de Clérambault) qui représente ainsi le stade ultime de cette longue évolution.
Cependant, et c’est un fait sur lequel nous attirons l’attention, malgré tout et toujours lorsqu’on parle de pseudo-hallucinations on a toujours en vue un phénomène qui n’est ni sensoriel ni spatialisé. Pour définir cliniquement l’hallucination, c’est à ces caractères qu’on se réfère. C’est qu’à notre sens ce qui est toujours et plus ou moins explicitement visé par la notion, c’est ce qu’Esquirol avait bien vu : la croyance perceptive en une réalité dont le sujet n’éprouve aucune sollicitation extérieure. Si l’on veut ce serait une perception sans sensation. A ce point de vue, les images hallucinatoires du rêve, nous paraissent offrir ce maximum de caractère hallucinatoire. Là, en effet, nous éprouvons les objets comme présents et réels alors qu’ils n’existent pas du tout.
Nous appellerons donc hallucination tout phénomène perceptif entraînant la croyance des sujets en la réalité d’un objet qui ne parvient pas à la conscience par voie d’excitation sensorielle et par là nous reviendrons à la saine définition primitive (30).
Quant aux pseudo-hallucinations, nous appellerons ainsi ces troubles de la réalité qui — ou bien ne sont pas perceptifs, — ou bien partent d’un objet.
D’un côté, en effet, nous aurons les phénomènes de rêverie, d’imageries plus ou moins « forcées » que Kandinsky, Hagen ont décrits. Et il faudra ajouter à cette catégorie les phénomènes d’hallucinose (hallucinations conscientes), c’est-à-dire tous les phantasmes qui se présentent à la conscience comme présents mais non réels.
D’un autre côté, nous aurons toutes les perceptions fausses à point de départ objectif. Il s’agit là des illusions et des interprétations.
Nous verrons que l’ensemble des hallucinations psychiques doit être remembré en profit de ces diverses catégories de troubles psychosensoriels.
L’étude de l’évolution des idées nous a permis de ressaisir à travers toutes les théories et les conceptions ce qu’il y a d’essentiel [p. 377] dans la notion et par là de pouvoir limiter le groupe des hallucinations en l’opposant aux pseudo-hallucinations.
Nous voyons également que la doctrine traditionnelle (surtout en France) pèse sur toutes nos conceptions à ce sujet, et plus encore fausse les examens cliniques. C’est la critique — et non pas seulement négative — de ces conceptions que nous estimons désirable pour restituer à l’hallucination son sens étroit et plein.
Ceci amène par conséquent à se demander quels sont les caractères de la perception hallucinatoire et—s’il n’est pas exact de prétendre qu’elle implique la croyance en une fausse réalité — jusqu’à quel point un phénomène sensoriel du type de l’hallucinose peut s’imposer comme réel. Une fois ces points établis on devra étudier d’abord les conditions de l’hallucination vraie et ensuite toutes les variétés des pseudo-hallucinations qui trop souvent à l’heure actuelle, sont jugées vraiment hallucinatoires Nous avons consacré à cette question un second travail, suite et développement de celui-ci. Dans cet article, actuellement sous presse (Henri Claude et Henri Ey, Hallucinose et Hallucinations, L’Encéphale, 1932) nous examinons les conditions du passage de l’hallucinose (hallucination consciente) à l’hallucination et, à ce propos, les théories neurologiques des phénomènes psycho -sensoriels.
Notes
(1) Mémoire sur les hallucinations (1817). In « Maladies mentales » (1838) p. 159.
(2) On a fait souvent à cette définition de la perception sans objet le reproche d’être métaphysique. Veut-on dire oui ou non d’un halluciné qu’il perçoit quelque chose qui n’existe pas ? N’est-ce pas ce fait qui nous importe et qui définit l’hallucination ?
(3) L’importante contribution de SÉGLAS au problème des hallucinations se trouve dans les travaux suivants :
— Les hallucinations psycho-motrices verbales. Progrès Médical, 1888.
— L’hallucination dans ses rapports avec la fonction du langage. Progrès Médical, 1888. [sur notre site Internet]
— Discussion au Congrès international. Médecine mentale, 1889.
— Dédoublement de la personnalité et hallucinations verbales psycho-motrices. Soc. Médico-Psycho., 1889.
— Les troubles du langage chez les aliénés, 1892.
— Les hallucinations et le dédoublement de la personnalité dans la folie systématique. Les persécutés possédés et la variété psycho-motrice du délire des persécutions systématiques. Annales médico-psychol., 1894. [sur notre site Internet]
— Leçons cliniques, 1895.
— Art. Hallucinations in : Traité de G. Ballet, 1903.
— Sur les phénomènes dits hallucinations psychiques. Compte rendu Congrès international de Psychologie, 1900.
— Évolution des hallucinations (avec BARAT.) Journal de Psychologie, 1913.
— Hallucinations psychiques et pseudo-hallucinations verbales. Journal de Psychologie, 1914.
(4) L’un de nous, (CLAUDE), dans son article de 1924, (Journal médical français), a déjà fait les plus grandes réserves sur l’extension de la notion d’hallucination à des phénomènes cénesthésiques ou psycho-moteurs.
(5) Le mentisme, HEUYER ET LAMACHE. L’Encéphale, avril-mai 1929. [sur notre site Internet]
(6) Le Démon de Socrate, 1 volume, 1846.
(7) BRTERRE DE BOISMONT écrivait en 1845 : « Mais si nous protestons de toutes nos forces contre l’accusation de folie adressée à ces « intelligences d’élite », nous reconnaissons que les hallucinations compliquées de perte de la raison ont existé chez un certain nombre de personnages historiques. »
(8) PARCHAPPE. Du siège commun de l’intelligence, de la volonté et de la sensibilité chez l’homme. Paris, Masson, 1856. C’est au fond, la thèse de Jaspers pour qui il y a un abîme entre image et perception, et qui admet que l’esthésie, la vivacité de l’image hallucinatoire impose le jugement de réalité.
(9) TAMBURINI. La théorie des hallucinations. Revue scientifique. Janvier 1881. [en ligne sur notre site]
(10) GUIRAUD dans son intéressant article sur les délires chroniques, a insisté sur les données primitives et « non intégrées » des impressions cénesthopathiques personnelles, mais dans la 2e édition de son livre, (en collaboration avec DIDE), il sépare les phénomènes hallucinatoires des phénomènes xénopathiques.
(11) DE CLÉRAMBAULT et PORC’HER. Automatisme mental et scission du moi. Soc. de M éd. Mentale, avril 1920.
DE CLÉRAMBAULT. Les psychoses hallucinatoires chroniques. Soc. Méd. Mentale, décembre 1923.
— Les psychoses hallucinatoires chroniques. Soc. Méd. Mentale, janvier 1924.
— Psychoses à base d’automatisme, mais 1925.
— Psychoses à base d’automatisme, (2e partie). Prat. méd. tr., juin 1926.
— Discussion à la Société Médico-Psychol., avril 1927 et au Congrès de Blois, 1927.
— Syndrome mécanique et conception mécaniste des psychoses hallucinatoires. Ann. Méd. Psychol., 1927.
(12) On saisit ici l’ambiguité et presque le jeu de mots qu’il y a entre les deux sens d’objectivité. Ce mot exprime deux choses différentes : d’une part xénopathie, de l’autre réalité.
(13) Rappelons les importants articles de Ceillier (1927). [en ligne sur notre site]
(14) Cité dans un article d’HALBERSTADT sur les idées sur l’hallucination en Allemagne (Paris Médical1922).
(15) SCHRODER. Archiv. fur Psych., (1925.)
(16) On emploie souvent (Schröder, van Bogaert) le terme de « jugement de réalité. » Kronfeld emploie celui « d’impression d’existence ». Nous pensons, comme Janet y a insisté que dans la perception vraie ou ses substituts, la croyance à ses degrés divers.
(17) Une étude bien intéressante et très complète de la notion de pseudo-hallucination se trouve dans la thèse de G. PETIT, qu’il faudrait ici citer à toutes les lignes.
(18) Nous citons d’après G. PETIT.
(19) KANDINSKY. Archiv. f. Psych., 1880 et Centralblat. f. Neur und Psych., 1884.
(20) (1) Contre lui JAENSCH a soutenu la progression par degré et par conséquent l’identité de nature, entre l’image et la perception. On connaît ses travaux sur l’éidétisme.
HIRT, GOLDSTEIN, S. FISCHER lui ont adressé des reproches analogues. BUMKE lui a fait remarquer également que dans certaines condition anormales (fatigue, obscurité), le sujet normal confond image et perception, etc.
(21) K. SCHNEIDER. Ztft. j. d. ges. Neurol. u. Psych.
(22) MOREAU DE TOURS. Du haschich, 1845.
(23) JOFFROY. Arch. de Neurologie, 1896.
(24) G. BALLET. Psychose hallucinatoire chronique et désagrégation de la personnalité. L’Encéphale, 10 juin 1913.
(25) BLEULER. Origine et nature des hallucinations. L’Encéphale, 1922. [en ligne sur notre site]
(26) BOUYER. L’Encéphale, 1927.
(27) CLAUDE. L’Encéphale, 1930.
(28) Les théories de l’origine organique de l’hallucination ne sauraient être monopolisées par la théorie de l’automatisme mental qui se figure l’hallucination comme une donnée primitive et immédiate d’un trouble cérébral survenant au sein d’une activité mentale, par ailleurs absolument intègre.
(29) MOURGUE cite un passage de LEURET (1834) sur la « dépersonnalisation » qui montre admirablement que dans les premières phases de la grande discussion sur l’hallucination, dont nous cherchons à reproduire ici les traits essentiels, les idées étaient à peu près analogues à celles qui ont été défendues au Congrès de Blois, (1927).
(30) Celle qui a jailli des faits avant toutes les théories des hallucinations.
LAISSER UN COMMENTAIRE