H. Goudard. Une enquête utile. Extrait du « Bulletinde la Société d’Études psychiques de Marseille », (Marseille), n°1, 1903, pp. 15-18.
H. Goudard. Contributeur régulier du Bulletinde la Société d’Études psychiques de Marseille, qui paru dès l’année 1903.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – L’ image a été rajoutée par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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Une enquête utile.
Sous le nom de stigmates, dans le domaine de la psycho-physiologie, on désigne généralement des empreintes apparentes à la surface du corps et qui sont interprétées comme des résultats d’une influence produite par l’esprit sur le corps.
Jadis on constata assez fréquemment, chez certaines personnes, par la concentration de la pensée sur la scène de la Passion du Christ, des ecchymoses ou plaies saignantes, pendant des crises d’extase, sur les parties du corps correspondantes aux blessures du Crucifié. L’hagiographie chrétienne abonde en faits de ce genre et il s’en faut que tous soient apocryphes.
Beaucoup d’entre vous se souviennent encore des polémiques que suscita, il y a vingt-cinq ou trente ans, le cas de Louise Lateau, de Bois d’Heine (Belgique), à une époque ou l’accord n’était pas encore fait sur la réalité de cet ordre de phénomènes en dehors de la supercherie. « Supercherie ou miracle, » s’écriait Virchow. On sait à l’heure actuelle qu’il n’y avait ni miracle ni supercherie. L’an dernier encore, le professeur Raymond, de la Salpêtrière, exhibait un cas du même genre devant l’Institut Psychologique international de Paris, en l’illustrant d’instructives explications.
Les termes pseudo-savants de dermographisme, autographisme, dermo-neurose toxi-vaso-motrice, visent couramment, chez les médecins, une catégorie de faits assez communs, consistent dans l’apparition, en relief rouge, sur la peau de certaines personnes dites névropathes, arthritiques, etc., de chiffres, signes ou caractères traces avec l’ongle ou une pointe mousse, ct que nous avons rencontrés fréquemment chez des [p. 16] sujets hypnotisés. Les auteurs de ces dénominations, plutôt bizarres, admettent la nécessité, pour la production du phénomène, d’une part, d’un système nerveux spécialement susceptible, d’autre part, d’un toxique agissant sur les vaso-moteurs. La critique de cette opinion n’intéresserait pas la masse de nos lecteurs ; nous nous bornerons donc a enregistrer les faits.
Parmi les stigmates ou phénomènes d’ordre similaire, une place spéciale doit être faite aux effets supposés des impressions maternelles sur le fœtus, en d’autres termes, aux influences des émotions de la mère sur le corps de l’enfant qu’elle porte, se traduisant fréquemment par des malformations, des tares diverses, surtout ces taches si connues de la peau, désignées sous les noms de nævi, taches de de vin, envies, fraises, etc… Nous ne voulons pas nous porter garant de la légitimité incontestable de cette étiologie des nævi : mais tout le monde sait combien cette croyance est répandue dans le public et à quel point certaines histoires, ou le vrai et la légende se coudoient souvent, semblent lui donner créance. Il existe bien sur le sujet, déjà, une littérature, mais pauvrement documentée : nous pourrions citer un petit livre de M. Raoul de Frarières, sur les influences maternelles, qui occupa la presse en son temps ; nous n’y avons pas trouvé de bien sérieux éléments d’information. Nous connaissons certains faits curieux. Nous lisons, dans un livre du Dr Féré (sensation et mouvement), « que le Dr Swiftt, dans le New¬Yorck medical journal (6 oct. 1886), rapporte l’observation d’une femme enceinte et presque à terme, qui, ayant été fortement émue de voir qu’un de ses enfants avait le pouce écrasé, aurait bientôt donné naissance à un autre enfant dont l’ongle du même doigt était noir ; « trois semaines après l’accouchement les deux ongles des pouces des deux enfants tombaient à vingt-quatre heures de distance ».
L’année dernière, nous avons observé une jeune femme née avec une soudure incomplète des deux [p. 17] coudes, qui attribuait sa demi-infirmité à cette circonstance que sa mère, lors de sa gestation, avait été brusquement saisie par les deux coudes ct violemment serrée, ce qui l’impressionna beaucoup.
Plus récemment nous avons vu un homme cultivé, sorti d’une de nos grandes écoles, qui fut opéré, dans son enfance, par une célébrité chirurgicale parisienne, d’un pouce double ; de chaque côté, simulant une pince de crustacé, et attribué à ce fait que, durant la grossesse, sa mère avait ru la main fortement pincée par un homard.
Nous pouvons ajouter à ces faits la relation d’un accouchement que nous fîmes, il y a quelques années, dans un département voisin. La jeune parturiente accoucha d’un fœtus anencéphale, c’est-à-dire dépourvu de crâne, par conséquent non viable. L’opération fut longue et pénible, mais sans grand dommage ultérieur pour la mère. L’interprétation du fait est celle-ci : cette femme conservait le souvenir vivace de l’accouchement pénible et anormal d’une de ses sœurs, remontant à une quinzaine d’années. Par surcroît, dans les premiers temps de sa grossesse, elle fut vivement frappée à la vue d’une gargouille, d’aspect informe, et en conçut un vif sentiment d’appréhension relativement à l’enfant qu’elle portait. Elle nous avait fait part de ses craintes, à plusieurs reprises, et nous n’étions pas parvenu à la rassurer. On nous a montré cette gargouille et nous n’avons pu échapper à l’impression d’une étrange similitude d’aspect entre le fœtus et la gargouille. Depuis, nous avons assisté cette femme à deux reprises : une première fois l’accouchement, gémellaire, fut régulier, mais suivi de la mort des petits jumeaux ; la seconde fois tout se passa bien, tant pour la mère que pour l’enfant qui s’est régulièrement développé. Voilà notre part contributive à l’histoire de la question.
C’est une question, on le voit, intéressante au plus haut point ; les railleries de quelques-uns ne jugent pas la cause ; elle mérite une étude approfondie. [p. 18]
C’est pourquoi nous avons pensé qu’il y aurait lieu de procéder à une enquête sérieuse sur les faits recueillis ou à recueillir, et que la Société d’Études Psychiques avait qualité pour se charger de cette enquête. Nous proposons donc que par la voie du Bulletin et, au besoin, par la voie des quotidiens, le public soit avisé qu’une enquête scientifique est ouverte par les soins de la Société d’Études Psychiques de Marseille qui délèguera une commission à cet effet. Les renseignements communiqués par correspondance ou directement par les mères de famille ou autres personnes en possession de documents intéressants sur la question, seraient examinés par cette commission qui ferait toutes démarches nécessaires à l’authentification des documents recueillis et publierait un rapport d’ensemble.
Cette enquête présente un intérêt assez évident pour que notre Société puisse compter sur l’appui des quotidiens à l’effet de faciliter notre tâche. Nous pensons qu’une pareille consultation donnerait des résultats définitifs et sur l’importance desquels nous ne croyons pas nécessaire d’insister plus longuement.
Communication faite à la Société par M. le Dr H. GOUDARD.
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