Georges Surbled. Le diable et les médiums. Partie 2. Extrait de la revue « La Science catholique », treizième année, 3e année de la Deuxième série – 1898-1899., n°2, 15 janvier 1899, pp. 113-123.

Georges Surbled. Le diable et les médiums. Partie 2. Extrait de la revue « La Science catholique »,  treizième année, 3e année de la Deuxième série – 1898-1899., n°2, 15 janvier 1899, pp. 113-123.

Georges Surbled (1855-1913). Médecin polygraphe défenseur du spiritualisme traditionnel, il participe à des nombreuses revue, en particulier dans La Revue du Monde Invisible fondée et dirigée par Elie Méric, qui parut de 1998 à 1908, soit 10 volumes et La Science catholique, revue des questions sacrées et profanes… dirigée par J.-B. Jauget et dirigée par l’abbé Biguet de 1886 à 1910.
Quelques unes de ses publication :
— Le Rêve. Étude de psycho-physiologie. Partie 1. Extrait de le revue « La Science catholique », (Paris), 9e année, n°6, 15 mai 1895, pp..481-491.
— Le mystère de la télépathie. Article parut dans la « Revue du monde invisible », (Paris), première année, 1898-1899, pp. 14-24. [en ligne sur notre site]
— Le diable et les médiums. Partie 1. Extrait de la revue « La Science catholique »,  treizième année, 3e année de la Deuxième série – 1898-1899., n°1, 15 décembre 1898, pp. 61-71. [en ligne sur notre site]
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Le diable et les médiums. Partie 2.  Extrait de la revue « La Science catholique »,  treizième année, 3e année de la Deuxième série – 1898-1899., n°2, 15 janvier 1899, pp. 113-123. [en ligne sur notre site]
— La stigmatisée de Kergaër. Article parut dans la revue « Le Monde invisible », (Paris), 1899, pp.104-107. [en ligne sur notre site]
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Obsession et possession.] Article paru dans la « Revue des sciences ecclésiastique- Revue des questions sacrées et profanes… Fondée par l’abbé J.-B. Jaugey, continuée sous la direction de M. L’abbé Duflot », (Arras et Paris, Sueur-Charruey, imprimeur-libraire-éditeur), n° 15, décembre 1897, pp. 46-58. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 113]

LE DIABLE ET LES MEDIUMS

IV

La question des tables tournantes qui a tant passionné autrefois l’opinion va nous donner la clef du mystère. Nous n’ignorons pas qu’elle est encore très controversée, les uns croyante un simple phénomène physiologique, les autres tenant pour une intervention surnaturelle, pour l’action spéciale des esprits. Mais la vérité doit être entre ces deux sentiments extrêmes : comme nous l’écrivions naguère, « ce qui est probable, c’est que les deux explications en présence rendent compte respectivement de certains cas, c’est que les tenants du surnaturel ont parfois raison sans que leurs adversaires aient absolument tort. Le plus souvent la prestidigitation et le charlatanisme arrivent, avec les seules ressources de la nature, à faire tourner ou parler les tables, mais quelquefois l’action diabolique préside à l’opération et lui donne un caractère nettement surnaturel, magique et malfaisant » (1). L’important est donc de connaître les phénomènes physiques ou physiologiques qui interviennent d’ordinaire et suffisent à expliquer la généralité des cas.

Le matériel d’expérience se trouve partout, la mise en scène est des plus simples et les opérateurs sont vous ou moi. On choisit une table légère, ronde, montée autant que possible sur un seul pied, et on se met à plusieurs autour d’elle, graves, silencieux, attentifs, les mains posées sur le rebord, les doigts se touchant. La chaîne ainsi faite, on attend.

Au bout d’un temps variable, quelques minutes le plus souvent, la table oscille sur sa base et s’anime : elle se déplace, tourne et frappe en tombant. On l’interroge ou plus exactement on interroge les esprits dont elle est supposée l’organe : La table répond aux questions par oui ou non ou plutôt le nombre de ses coups marque les différentes lettres de l’alphabet pour constituer les mots de la réponse. Les procédés d’interrogation [p. 114] sont d’ailleurs variés : on use souvent d’abréviations où de signes conventionnels. ‘

A défaut de table, une corbeille, un chapeau, un coffret, un meuble léger quelconque peut devenir le centre de la chaîne humaine et prendre un mouvement de rotation plus ou moins rapide. La nature de l’objet qu’on actionne n’est donc pas déterminée, mais l’état psychique des assistants est loin d’être indifférent. La croyance aux esprits ne serait pas inutile au succès des opérations ; plusieurs la jugent nécessaire. On a remarqué dès longtemps que la présence dans la chaîne d’une seule personne réfractaire, incrédule, suffit à rompre le charme, à empêcher le mouvement de la table. Par contre, l’assistance d’un médium est des plus favorables, peut-être indispensable, et l’on a vu plus d’une fois le chapeau, la table tourner entre les seules mains du médium.

La science n’a pas la réputation d’être crédule ni surtout d’avoir peur des esprits : il y a longtemps qu’elle a porté ses curieuses et indiscrètes investigations du côté de ces phénomènes prétendus merveilleux et qu’elle a patiemment cherché à y faire la lumière. Un des premiers, l’illustre Chevreul s’est voué à la tâche et a apporté dès 1853 une explication naturelle qui n’est pas sans valeur, tout en étant très incomplète (2). D’après lui, les mouvements de la table sont dus non pas à l’esprit frappeur, mais aux assistants mêmes, acteurs et dupes : ils se produisent par une action musculaire involontaire et inconsciente, par une série d’impulsions imperceptibles qu’impriment à la table, et à leur insu, ceux qui la touchent, en conséquence de la direction même et de la force de leur attention, de la vivacité de la pensée et de l’intensité du désir qui les accaparent et les dominent.

Ces trépidations musculaires, quoique invisibles et à peine sensibles, sont très probables : on les a montrées dans les recherches avec le pendule explorateur, avec la baguette divinatoire, et on les retrouve indubitablement dans les expériences récentes de cumberlandisme (3). Sont-elles suffisantes pour amener la rotation d’une table ? On a quelques raisons de le croire, en présence des nombreux témoignages qui l’affirment. « J’ai fait tourner des tables, déclare un auteur, avec des femmes décolletées, ce qui facilitait l’observation. Quand s’animait la table, on voyait très bien les contractions musculaires inconscientes se dessiner sur les bras de l’une d’elles, la plus nerveuse. Elle faisait les réponses sans en avoir [p. 115] conscience, comme il apparaissait à son étonnement. Les autres soulignaient les mouvements de la table avec une inconscience non moindre. Suivant l’attention et l’intelligence des sujets, la table répond des stupidités ou d’une manière fort habile. » (Dr Regnault).

Il est incontestable que le succès de l’opération dépend essentiellement de la crédulité des personnes et de l’application soutenue de leur volonté. Les réponses de la table ne sont pas d’ordinaire imprévues, déconcertantes au regard de ceux qui l’interrogent : elles offrent une concordance remarquable, constante avec les idées qui occupent les personnes présentes et qui ont dicté les demandes. Au contraire, si l’attention est faible ou distraite, si la confiance manque, l’esprit frappeur est désorienté et impuissant, les coups ne traduisent que des absurdités et ne répondent plus à aucun sens, l’expérience est manquée.

Ces différences caractéristiques, on en conviendra, sont incompréhensibles dans l’hypothèse du spiritisme ; elles s’expliquent d’elles-mêmes, si l’on admet que les assistants, à la fois dupes et complices, font tous les frais de l’expérience. Avec une forte contention d’esprit, doublée d’une foi aveugle, on agit efficacement sur la table et on en conduit les mouvements, tandis qu’une faible attention est impuissante à obtenir le moindre résultat.

Mais le médium n’opère pas seulement par ses muscles, il agit d’abord et surtout par ses nerfs et son cerveau ; la force psychique ou vitale qu’il déploie pour produire ses merveilleux effets est considérable, et il faut en tenir compte. C’est ce que n’avait pas fait Chevreul. S’ théorie, dont on ne saurait trop louer l’idée première et l’ingéniosité, n’est acceptable qu’à la condition d’être mise au point et complétée : la tâche n’est pas des plus aisées, mais elle a été courageusement abordée et heureusement remplie par un savant contemporain, professeur à l’école nationale des beaux-arts, M. A. Chevillard.

V

La solution-rationnelle du problème spirite est si exactement présentée par M. Chevillard que nous ne pouvons mieux faire que de lui céder la parole :

« Plusieurs personnes s’assoient autour d’une table et y appliquent les paumes des mains étendues. Après un temps ordinairement court, on entend des craquements dans le bois. Un silence a lieu. Des battements réguliers très nets, comme des coups de doigts, comme des gouttes sonores, se font ensuite entendre. Selon les adeptes, ce sont les esprits présents qui donnent leur nombre. On dispose un alphabet ordinairement [p. 116] circulaire ; une personne interroge à haute voix en suivant l’alphabet avec un crayon ; à chaque tour d’alphabet, on entend un battement sur la table. Quelqu’un écrit à ce moment la lettre qui se trouvé sous le crayon, et la réunion de ces lettres forme des phrases, indiquant la réponse de l’esprit dit frappeur, qui signe ensuite son nom de la même manière.

« Un mot est souvent deviné par ses premières lettres : une personne l’achève de vive voix, et l’on entend un coup battu ou plusieurs, pour indiquer que le mol est bien ou mal trouvé. Dans ce dernier cas, on recommence, et ainsi de suite.

« La personne qui prétend amener ces battements s’appelle le médium, parce qu’elle se dit intermédiaire entre l’esprit consulté, qui censément les frappe, et la personne qui évoque. On comprend bien que la question n’est pas d’examiner ce que la table dit. Ce genre de contrôle n’amènerait rien de définitif ; la question à résoudre est d’examiner comment elle le dit, car c’est- là qu’on doit trouver le critérium de la révélation, ce critérium invariable, quoique la réponse tabulaire change sans cesse.

« Beaucoup de médecins préfèrent nier ce phénomène remarquable plutôt que de le contrôler, car il faudrait ensuite l’expliquer. D’autres admettent l’ineptie d’une interprétation par un muscle dit craqueur. Williams Crookes, de la Société royale de Londres, a soumis à des vérifications scrupuleuses plusieurs phénomènes curieux, dits spirites, publiés pour la première fois en 1870 dans le Quaterly Journal of Science ; mais c’est celui-ci que je préfère étudier d’abord, parce qu’il représente les faits dont il s’agit à l’état naissant, pour ainsi dire.

« Qu’on appelle force psychique avec M. Crookes, agent ou fluide nerveux, force neurique avec d’autres, l’agent ou le moteur dont le médium dispose, ce n’est pas dans la dénomination de cet agent, c’est dans l’explication de son mode d’action le plus élémentaire qu’on trouvera le secret de la théorie générale des faits dits spirites ; de même que c’est dans la théorie du mode d’action le plus simple des agents électriques qu’on trouve le point de départ des lois de ces faits, sans que la cause première en soit réellement plus connue, ou même sans qu’il y ait nécessité de la connaître. Je vais donner l’explication très naturelle, selon moi ; du phénomène actuel, que j’appelle névrostatique quant à la cause physiologique, typlologique quant à la forme visible du résultat.

« CRAQUEMENTS DU BOIS ; BATTEMENTS, OU GOUTTES NERVEUSES ; INTERPRÉTATION DU PUBLIC — Les craquements dans le bois proviennent évidemment des inégales dilatations des fibres, résultant de la chaleur, des mains imposées. Ces craquements n’ont plus lieu quand on recommence [p. 117] menée l’expérience, parce que les diverses parties de la table se sont mises en équilibre définitif de température. J’ai souvent vérifié ce fait.

« Quant aux battements tabulaires, ou coups dits typtologiques, ils sont d’une nature bien différente, puisqu’ils sont à la volonté du médium, comme on va le voir, et ils se reproduisent au fur et à mesure des expériences, après une première attente, et quelquefois ils cessent, parce que le médium est épuisé ou paralysé par la raillerie d’un assistant. Il le dit, et on verra qu’il a raison. Je vais montrer cependant que ces battements, paraissant comme produits par des doigts invisibles, sont frappés par le médium qui pense et amène chaque lettre successivement pour former le mot qu’il veut, et qu’il bat lui-même les coups d’approbation ou de désapprobation, quand on achève de vive voix un mot commencé.

« Les personnes qui entendent frapper ces lettres en attribuent la venue à l’action des esprits qu’elles croient dans la salle, et le tour se trouve exécuté, tour d’autant plus curieux que tout le monde, sans exception, y est trompé, mais non pas dans la même mesure ; car les assistants ne savent pas que le médium est obligé de penser séparément d’abord un mot, puis chaque lettre pour faire le mot ; tandis que celui-ci connaît bien cette obligation, qu’il cache pour se grandir, — mais sans se douter le moins du monde de la raison physiologique qui l’y contraint. »

« PROBABILITÉ QUE LE SOI-DISANT MÉDIUM BAT LES COUPS LUI-MÊME ; EXPÉRIENCE PERSONNELLE.— J’ai remarqué d’abord que le soi-disant médium ne quittait pas l’alphabet des yeux ; que, lorsqu’il était intelligent, les réponses l’étaient aussi (chez M. P…, le médium était Mme D…, sa bonne, puissante médium d’une stupidité remarquable, les réponses n’étaient jamais que oui, un coup, non, deux coups et des nombres) ; que, si le médium était instruit ou spirituel, les réponses avaient le même caractère : que toujours un médium intelligent faisait venir des réponses consolantes pour le consultant affligé, ou flatteuses pour son amour-propre, ou ambiguës en cas de prévision difficile.

« La théorie médianimique, enseignant que le médium dégage un fluide par lequel l’esprit s’animalise pour frapper, est obligée d’admettre, selon les cas, tantôt que le fluide d’un médium stupide stupidifie l’esprit le plus intelligent, tantôt le principe inverse ; ou bien que tel esprit a progressé depuis la mort du corps ; en général, qu’un esprit évoqué ne peut parler que par l’intermédiaire d’un médium de même calibre intellectuel que lui ; qu’on n’est jamais sûr de l’identité d’un esprit, parce qu’un autre esprit peut prendre sa place et son nom, etc.

« Tout cela me donnant une bien pauvre idée du monde des esprits, je pensai que le mot de Buffon : le style, c’est l’homme, pris ici à la lettre, [p. 118] était sans doute la clef de ce mystère, c’est-à-dire que le médium était tout simplement l’auteur perpétuel des réponses. J’en suis devenu presque convaincu lorsque, seul, chez moi, posant les mains sur une petite tablé en bois non verni, el tendant fortement ma pensée vers une idée grave, absorbante, je suis arrivé, après trois semaines d’essais très pénibles, à produire des battements paraissant comme articulés. Ils avaient quelque chose de plein, de limpide, qui les distinguait parfaitement des craquements antérieurs que j’appellerai rugueux, et dont j’ai dit la cause. D’ailleurs ils étaient volontaires ! Ces battements, ou gouttes nerveuses, portaient parfaitement le caractère, soit de ma satisfaction par leur rapidité, soit de l’hésitation quand je doutais ou m’inquiétais, soit de la régularité quand j’avais une conviction tranquille.

« Suivant l’alphabet d’une main, lorsque mon autre main reposait sur la table, je n’obtenais que des lettres sans aucun sens, parce que ma volonté n’était pas, bien entendu, de me donner un mot a priori, c’està-dire de me duper moi-même. Mais j’affirme que tout battement désiré, isolément et non comme lettre, arrivait seul et très nettement. Deux battements désirés successivement arrivaient de même ; trois de même. Et je ferai remarquer que je répétai cette expérience, qui me fatiguait beaucoup, devant » plusieurs personnes qui la constatèrent avec moi, sans qu’elles pussent la reproduire elles-mêmes. Je n’hésite pas à dire que ce fait singulier m’a inquiété jusqu’au moment où j’ai pu me démontrer que je me répondais à moi-même sans m’en douter. »

« COMMENT JE RECONNAIS L’INTÉGRATION DU MOUVEMENT VIBRATOIRE EN CHOC MÉCANIQUE DE L’AGENT NERVEUX. — Ce qui m’a mis enfin tout à fait sur la route de la vérité, c’est d’avoir observé dans les expériences tabulaires faites chez M. P…, où la table était grande, en bois blanc, sec et non verni, comme un frôlement titillatif très net sous ma main, comme une espèce d’aura fraîche et caressante, sentie également par tous les assistants quelques secondes avant les battements typtologiques ; et surtout d’avoir aperçu que cette impression, ou vibration générale, cessait chaque fois et en même temps qu’un battement avait lieu. La première fois que je sentis cette impression, je m’en inquiétai tout haut, et les habitués du cercle me répondirent : « C’est le souffle qui annonce la présence de l’esprit. »

« Chez Mme F…, j’ai eu l’occasion de faire remarquer que la chaise du médium C… avait ce mouvement vibratoire avec une intensité considérable, et qu’il n’existait pas dans les autres chaises. Le Dr F…, adonné à la foi spirite, n’en a rien conclu. A chaque battement tabulaire, je remarquais, debout derrière le médium, que les vibrations de sa chaise [p. 119] s’anéantissaient pendant le même instant. Assis à la table, je faisais de nouveau la même remarque sur la disparition instantanée des vibrations tabulaires et sur leur retour.

« L’observation des vibrations générales s’éteignant à chaque coup battu, et renaissant ensuite, fut pour moi un trait de lumière ; je suis le premier qui ait signalé cette observation importante. J’ai compris qu’il y avait actuellement transformation ou contraction, ou mieux encore ‘ intégration du mouvement vibratoire général en choc mécanique, chaque coup battu, et cela, par le seul fait de la satisfaction spontanée du médium. Je conçois la vibration comme une différentielle de l’action nerveuse ou de l’électricité animale, existant a priori dans tous les phénomènes réels dits spirites…

« La table est véritablement magnétisée par l’émission du médium (de l’opérateur) ; et le mot magnétisé n’a d’autre sens que de faire entendre qu’elle est couverte, ou imprégnée de fluide nerveux vibrant, c’est-à-dire vital, du médium, après l’équilibre préalable de la température.

« La table est alors comme un harmonica qui attend le coup de marteau de la pensée de celui qui l’a imprégnée. Le médium désire un coup au moment qu’il va fixer, en regardant attentivement le crayon courir sur l’alphabet, et ce désir, en arrivant subitement au maximum à l’instant venu, et s’éteignant aussitôt, engendre un choc cérébral, comme une détente qui se répercute immédiatement par les trajets nerveux sur la surface tabulaire vibrante.

Hope: Will Thomas With An Unidentified Spir

« Le coup résonne en intégrant sur un point les vibrations de la table par un fort éclat, ou étincelle obscure appelée vulgairement battement, dont le bruit est la conséquence de cette condensation ou contraction instantanée, faite dans l’air ambiant. L’agent de cette transmission nerveuse ou électrique animale entre le cerveau et la table n’est assurément pas plus intelligent en soi que l’agent de la transmission électrique entre deux stations télégraphiques (4). »

M. Chevillard n’a pas borné là ses intéressantes expériences, il les a étendues à tous les éléments du phénomène, et montré que les assistants prennent également part à l’action combinée du médium et de la table tournante. Chacun émet une certaine quantité de fluide, qui, séparément, serait incapable de faire vibrer sensiblement un objet qu’on touche, mais qui alors se multiplie par le nombre et vient efficacement à l’aide du médium, toutes les fois qu’on est crédule, ému, empoigné, ce qui est la règle dans les séances spirites. Au contraire, — comme l’observation l’a [p. 120] toujours démontré —la présence d’une ou deux personnes énergiques et obstinément incrédules suffit pour tout compromettre en arrêtant l’émission du médium et en paralysant son action.

C’est ainsi que M. Chevillard réussit dans une réunion, par une simple opposition intérieure, à paralyser les battements d’un médium, alors que toute l’assistance était en plein accord avec lui : « J’ai ainsi profité, dit-il, de ma force névrostatique pour arrêter, renonciation commencée du nom de Dieu, dans un cercle crédule, au moment d’une prédiction importante. On sait qu’à l’instar des médiums américains, les médiums français ont adopté une batterie aux champs, comme signe typtologique du nom divin. On ne peut imaginer les commentaires spirites qui furent amenés par cette interruption subite dont moi seul je savais la raison. »

La concordance ne produit pas d’effets moins curieux que l’opposition : nous en avons pour preuve l’exemple suivant fourni par le même auteur : « Mme F…, âgée de soixante ans, mère d’un de mes amis qui suivait avec moi ces expériences, me pria de la conduire au cercle de Mlle H…, ancienne institutrice. Cette dame avait perdu son fils cadet, de dix-huit ans, nommé Jean-Baptiste et y pensait souvent. Nous arrivons au cercle, Mme F…, son fils aîné F… et moi nous prenons place autour de la table, en tout douze personnes imposant les mains, y compris la médium H… Les esprits se comptent, et le premier qui prend la parole s’exprime ainsi, au moyen de l’alphabet : « Ma mère, je voyage dans le pays des anges où je suis très heureux en pensant à toi. Ne te tourmente pas pour les jours qui te restent à vivre, etc. » Je voyais la figure de Mme F… prendre une expression d’animation extraordinaire. Quelle ne fut pas sa stupéfaction, lorsqu’à la fin du discours, l’esprit signa Jean-Baptiste.

« La médium H… fort intelligente, avait vérifié l’émotion prévue de Mmeo F… perdant beaucoup d’électricité ; la charge de la table se manifestait en vibrations plus intenses qu’à l’ordinaire. Mme F… se trouvait médium concordant avec Mlle H… par son immense désir d’avoir une communication de son fils ; et je le vérifiais très bien, sentant des vibrations dans la chaise de Mme F…, sachant qu’elles existaient dans la chaise de Mlle H… et qu’il n’y en avait pas dans celle des autres assistants.

« Les vibrations tabulaires dues aux médiums concordants coexistent sans se nuire, de la même façon que coexistent les ondes de l’eau produites par les jets de plusieurs pierres.

« Mlle H… a donc d’abord électrisé la table, et Mme F…l’électrisant sans s’en douter, attendant la signature et y pensant vivement, l’a dictée lettre à lettre, à son insu, d’où résulte, croira-t-on, que si Mme F…n’avait pas su lire, la signature n’aurait pu venir. Cela n’est pas certain. Si les [p. 121 battements avaient lieu, sous la main de Mme F…, c’est parce qu’elle était médium concordante et savait lire. Mais si elle n’avait pas su lire, et que la signature fût venue de même, ce que j’ai vu arriver, il faudrait admettre que Mlle H… excellent médium névropathe, l’aurait lue dans la pensée de Mme F… Dans ce cas, les battements auraient eu lieu sous les doigts de Mlle H… »

Telle est l’ingénieuse théorie de M. Chevillard sur les médiumnités concordantes. Elle est discutable, et nous ne nous en portons pas garant. Mais on ne peut méconnaître qu’elle fournit une interprétation facile des réponses que donnent les médiums soit en particulier soit dans les séances publiques. On sait qu’ils sont d’ordinaire très prudents et que jamais ils ne promettent de répondre à toutes les questions qu’on leur pose ; mais, si l’on est médium concordant, on vient inconsciemment à leur aide et on peut se tromper soi-même en donnant les renseignements qui intéressent. Le médium de profession est parfois sincère, plus souvent inconscient ; mais, qu’il le soit ou non, il peut, dans certaines conditions, lire à son insu la pensée d’autrui.

VI

Les travaux qui précèdent n’ont pas élucidé tous les graves problèmes que soulève la question des médiums, mais ils ont avantageusement déblayé le terrain et préparé leur solution. Il est acquis que les moyens dont disposent les médiums sont purement humains dans la généralité des cas. Ce qui fait tourner les tables, ce qui les fait parler, c’est le médium lui-même plus ou moins conscient, avec la complicité involontaire des assistants. On ne saurait méconnaître pourtant que certains faits sont extraordinaires et déconcertants : c’est l’exception, qui confirme la règle. Il est certain que les tables font par occasion des communications étranges qui stupéfient les assistants et dépassent de beaucoup la science de tous. Le diable ne saurait être étranger à de telles machinations : il est la cause de tout ce qui dépasse ici les forces de la nature.

La médiumnité dépend donc d’un état cérébro-neurique encore mal étudié, mais indubitable, qui n’a rien de surnaturel,— où l’esprit du mal peut toutefois faire sa part. Dire que la pratique des tables tournantes est mauvaise en soi parce qu’elle nécessite l’ingérence des mauvais esprits, c’est dépasser les bornes de l’expérience et aller contre l’évidence ; mais il ne serait pas plus juste de croire que cette pratique est inoffensive et permise, car elle a comporté, en plus d’une rencontre, l’intervention de Satan, et elle la permet toujours.

Il y a des gens qui admettent complètement et sans réserve tous les [p. 122] faits extraordinaires que l’on met au compte des esprits ; il en est d’autres qui les nient entièrement, d’avance et sans examen, considérant la médiumnité comme une erreur et le spiritisme comme une amusante mystification. L’occultisme ne mérite

Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité !

Nous estimons qu’il est prudent et raisonnable de se tenir à égale distance des extrêmes, et nous croyons que l’examen sérieux et impartial des phénomènes étranges que révèle la pratique des médiums ne permet ni une foi aveugle ni un scepticisme complet.

Il est incontestable que, tout en ayant généralement recours aux forces de la nature, les médiums spéculent sur la bêtise humaine : ils mettent en œuvre la suggestion et usent largement de la supercherie. Tous leurs tours contiennent une part de fraude. L’obscurité qui préside à la plupart des séances n’est certes pas inutile à couvrir leur jeu. Mais, comme on l’a dit justement, le médium n’est pas toujours conscient de son rôle ; et tel phénomène, qu’il provoque naturellement, est aussi merveilleux à ses yeux qu’aux nôtres. Ce qui est sûr, c’est que l’ignorance est le grand facteur du succès et que les assistants sont à la fois dupes et complices.

Mais si le spiritisme est d’ordinaire naturel et facile à expliquer, il ne l’est pas toujours. Il présente des faits avérés, incontestables, qui dépassent certainement le domaine des forces naturelles et annoncent un pouvoir supérieur ; et si ces faits ne paraissent pas toujours démonstratifs, n’entraînent pas de suite la conviction, c’est qu’ils sont assez rares, et surtout enveloppés, obscurcis et dénaturés par beaucoup d’autres que le charlatanisme et l’ignorance accumulent autour d’eux.. Les médiums les plus sûrs, les plus renommés, se distinguent par le nombre et la force des absurdités qu’ils énoncent ; mais il est vrai que certaines de leurs révélations sont surprenantes, inexplicables, que la double vue est plus d’une fois leur lot et que plusieurs de leurs tours prodigieux sont d’ordre surnaturel. Ils obéissent alors, exceptionnellement, à une inspiration étrangère, consciente ou non, mais restent d’ordinaire abandonnés à, leurs propres ressources ; toutefois, ayant été par hasard favorisés d’un secours supra-sensible, ils prennent leur rôle au sérieux et y entrent si bien (par auto-suggestion) qu’ils ne doutent plus d’eux-mêmes, se considèrent comme des inspirés et des voyants, et forgent mille mensonges, mille contradictions pour soutenir quand même leur personnage et grandir leur réputation.

En face de tels opérateurs, la méfiance s’impose ; et, comme la lévitation des tables et les autres tours savants du spiritisme n’ont rien de [p. 123] transcendant et n’ont pas plus d’utilité pratique que les diseuses conversations avec les esprits d’outre-tombe, le recours aux médiums n’a pas la moindre raison d’être, la moindre justification. Ajoutons qu’il est même imprudent et dangereux, car il peut toujours servir occasionnellement au diable, l’agent redoutable du mensonge et de la mystification, l’ennemi-né du genre humain. .

Dr SURBLED.

NOTES

(l) Dr S. La Vie psycho-sensible, p. 250-281.

(2) Journal des Savants. 1853-1854.

(3) Expériences de lecture de pensées par le seul contact des mains. M. Stuart Cumberland est l’initiateur le plus fameux de ces recherches, et leur a donné son nom.

(4) A. Chevillard, Eludes expérimentales sur le fluide nerveux, et solution rationnelle du problème spirite, Paris 1882, p. 27 et suiv.

 

 

 

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