Gauché. Hystérie et somnambulisme. Extrait de la revue « L’Encéphale », (Paris), première année, 1881, pp. 120-124.
Nous n’avons trouvé aucune indication concernant cet auteur, ni biographique, ni bibliographique.
Nous avons choisi cet article parce qu’il est très représentatif du regard porté précisément lors de ces deux années charnière que furent la création de l’Encéphale (1880-1881), sur les rapports de l’hystérie,t du somnambulisme et de l’hypnotisme, quelques années seulement après la publications sous l’égide de Charcot, de l’Iconographie de la Salpêtrière.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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Hystérie avec somnambulisme
Par M. le Dr Gauché
Ancien interne des Hôpitaux.
Anna S., culottière, entre à l’hôpital de Lourcine dans le service de M. Le professeur Ball, le 28 avril 1879, se plaignant d’attaques de nerfs presque quotidiennes ; les accidents hystériques nombreux et variés dont elle est atteinte nous ont paru mériter d’attirer l’attention et nous ont engagé à publier son observation.
Antécédents de la malade. — Les antécédents héréditaires d’Anna S. ne présentent pas un très grand intérêt : son père, qui est un peu violent, et sa mère jouissent d’une bonne santé, ainsi que les autres membres de sa famille : nous devons cependant faire remarquer qu’elle fait partie d’une progéniture nombreuse et que, sans compter un jeune frère mort en bas âge, elle a encore trois sœurs et quatre frères qui sont d’ailleurs saints de corps et l’esprit.
Née en Hollande, elle y resta jusqu’à 10 ans et eu à 7 ans la variole. A 11 ans, elle fut atteinte d’un eczéma qui guérit, mais qui devait récidiver plus tard, ainsi que nous nous verrons bientôt. À 15 ans, elle fut réglée pour la première fois, mais chez les règles furent toujours assez irrégulières.
Depuis l’âge de 12 ans, elle paraît avoir été sujette, sans cause appréciable, à des attaques d’hystérie légères et avortées, qu’elle appelle ses « faiblesses ». Elle semble avoir également eu à cette époque des accès de somnambulisme diurne et nocturne ; mais elle ne peut nous donner, sur cette période de vie, que les renseignements vagues et incomplets.
À 17 ans, élu une seconde éruption eczémateuse pour laquelle elle se fit admettre à l’hôpital Saint-Antoine. C’est là que la vue d’attaques d’hystéro-épilepsie, dont une de ses campagnes était atteinte, développa le germe de l’hystérie convulsive, jusque-là demeuré chez elle à l’état latent. Elle ne tarda pas à éprouver les atteintes du même mal, mais ses attaques d’abord fréquentes et se renouvelant trois ou quatre fois chaque jour devaient devenir plus rare et se modifier quelque peu, après sa sortie de l’hôpital.
Etat actuel. — Ce sont cependant ces attaques qui amené à Anna S. à l’hôpital de Lourcine et pendant deux mois et demi nous pûmes les voir survenir presque chaque jour. Ce n’est pas sur elle [p. 121] cependant que nous insisterons le plus, car elles ne s’écartaient en rien du type banal des attaques d’hystérie ; mais nous accorderons une attention toute particulière aux accès de somnambulisme qui leur succédaient, ou qui survenaient dans leur intervalle.
La physionomie de la malade n’offre rien qui attire l’attention ; elle est régulièrement conformée ; son crâne est brachycéphale et sa mensuration nous a donné les résultats numériques que voici :
Circonférence horizontale prise au niveau de I’inion 0,37
Circonférence verticale antéro-postérieure (de l’inion à la racine du nez) 0 34 .
Circonférence transversale d’un conduit auditif à l’autre 0,35
La sensibilité cutanée est un peu diminuée à gauche : de ce côté, les impressions de contact, de, température, et les impressions douloureuses qui résultent de la piqûre, du pincement de la peau, sont moins vivement perçues que du côté droit. Les piqûres saignent également moins à droite qu’à gauche. Les sens spéciaux cependant ont conservé leur acuité normale.
A part quelques douleurs névralgiques passagères et peu accusées, la malade ne se plaint d’aucune douleur quelque peu intense et durable, mais la région ovarienne gauche est sensible et la pression exercée sur cette région peut, selon son énergie, mettre fin à une attaque convulsive ou la déterminer.
Pendant tout le temps que Anna S. a été soumise à notre observation, nous n’avons pu constater chez elle aucun trouble fixe et localisé de la motilité et elle n’a présenté ni paralysie, ni contracture, ni trouble de la stabilité musculaire, mais nous avons assisté à de nombreuses attaques qui survenaient presque chaque jour soit spontanément, soit sous l’influence de la plus légère émotion ou d’une’ excitation quelconque : une légère pression sur la région ovarienne douloureuse ; la surprise causée par un bruit inopiné, la fermeture brusque d’une fenêtre, suffisaient quelquefois à les provoquer. L’attaque est généralement annoncée par une douleur de la région ovarienne gauche.
Cette aura se transforme aussitôt en une sensation de boule qui remonte à l’épigastre, qui se météorise, puis qui, cheminant rapidement derrière le sternum, atteint la gorge où elle détermine un sentiment de strangulation. La malade tombe alors sans pousser de cri, comparable au cri épileptique, elle s’agite, se débat, perd souvent connaissance, sa bouche quelquefois se remplit d’écume ; et l’attaque après avoir parcouru les phases habituelles, se termine par une émission d’urine claire et abondante.
Ces attaques sont tantôt courtes et isolées, tantôt longues et constituées par des séries d’attaques que séparent tantôt un intervalle lucide, tantôt une courte période de sommeil hypnotique : dans ce cas leur durée peut dépasser deux ou trois heures. [p. 122]
Accès de somnambulisme. — Anna S. est une hystérique somnambule. Chez elle l’hypnose se présente sous diverses formes que nous allons étudier et survient soit spontanément, dans l’intervalle des attaques soit immédiatement après elles, soit sous l’influence des procédés nombreux que l’on sait aujourd’hui mettre en œuvre, pour amener ce que l’on appelait autrefois le sommeil magnétique.
Nous avons employé plusieurs-de ces procédés, .et parmi eux ce sont la compression légère des globes oculaires et la fixation d’une surface brillante, telle que celle d’un miroir, qui nous ont le mieux réussi.
Ces accès de somnambulisme présentent deux périodes distinctes : pendant la première, Anna S. est en léthargie : immobile, insensible aux excitations extérieures même lorsqu’elles sont douloureuses, elle semble dormir d’un profond sommeil, mais bientôt, soit spontanément, soit sous l’influence d’une excitation, on voit apparaître les phénomènes qui caractérisent le rêve somnambulique provoqué : hallucinations, conceptions délirantes, actions automatiques spontanées ou suggérées, dont la malade n’a aucune conscience, et ne gardera à son réveil aucun souvenir, ainsi que les phénomènes d’une nature toute spéciale tels que l’obéissance automatique et la contracture due à l’augmentation de l’irritabilité, réflexe des masses musculaires.
Un des accès d’hypnose spontanée les plus complets que nous ayons pu observer chez notre malade eut lieu le 23 mai, à 4 heures et demie du soir. Sans aucune cause physique ou morale appréciable, elle s’endort. Tout à coup, deux minutes après l’invasion du sommeil, elle semble se réveiller, en proie à des, hallucinations terrifiantes, elle porte vivement les mains en avant, comme pour conjurer un danger et s’écrie : Au secours, n’approchez pas ! Puis elle se lève, s’habille lentement et méthodiquement, sans oublier de fixer à ses vêtements avec une épingle qu’elle tire d’un des rideaux de son lit ; elle traverse la salle, les ·yeux fermés, les mains étendues devant elle, et en contournant une cheminée qui faisait obstacle à sa marche, elle se rend au jardin, y chante différents airs d’opéra et rentre se coucher, mais à quelques pas de son lit elle tombe brusquement à la renverse. Nous la réveillons en lui comprimant fortement les globes oculaires et nous apprenons alors de sa bouche qu’elle a rêvé à « un-homme noir ».
Le lendemain 26 mai, la malade est prise d’un second accès de somnambulisme spontané et tombe d’abord en léthargie. Bientôt elle se lève et veut courir au jardin où elle voit la sainte Vierge sur un arbre ; la pression exercée sur les globes oculaires double, puis triple cette apparition. Nous lui ordonnons de s’arrêter, elle s’arrête ; d’écarter les bras ; elle écarte les bras, et obéit avec docilité automatique à tous les ordres que nous lui donnons. L’accès de somnambulisme est alors interrompu par une attaque convulsive, mais il se reproduit aussitôt que celle-ci est terminée. Notre jeune fille se [p. 123] recouche et se met à chanter plusieurs, airs, tantôt en français, tantôt en langue hollandaise
Nous· venons d’assister à de véritables rêves somnambuliques spontanés avec hallucinations, idées délirantes, actions automatiques, et nous avons été témoins d’un phénomène fréquent chez les somnambules et surtout chez les sujets hypnotiques : nous voulons parler de l’obéissance automatique. Quelquefois les hallucinations et· les conceptions qu’elles déterminent prennent une tournure tantôt effrayante et tantôt religieuse : dans le premier cas, la malade donne les marques de la frayeur la plus vive ; dans le second, son attitude, ses gestes, l’expression de sa physionomie traduisent le ravissement auquel elle est en proie, et nous avons sous les yeux le tableau classique de l’extase somnambulique.
Ces hallucinations sont le plus souvent de nature visuelle : la malade est terrifiée par un animal monstrueux ou ravie par la vue de la Vierge ou, des saints ; dans un de ces accès cependant, nous avons pu constater l’existence d’hallucinations de l’ouïe : elle voyait la mer et entendait les marins chanter un air des Cloches de Corneville qu’elle répétait après eux.
Lorsque le rêve est terminé, Anna S. est calme et répond avec justesse aux questions qui lui sont posées ; elle peut alors apprécier les caractères organoleptiques des substances qui lui sont prescrites. Elle reconnait ainsi le vinaigre, l’eau de Cologne et d’autres corps sapides et odorants ; elle lit l’écriture avec facilité. — C’est alors que l’on peut constater chez elle l’hyperexcitabilité réflexe des muscles et la contracture qui en est la conséquence, et dont la véritable catalepsie diffère par plusieurs caractères importants. Les membres gardent pendant quelque temps les positions que leur sont communiquées.
Un des phénomènes le plus intéressant que l’on puisse observer chez elle est celui de la suggestion : lui affirme-t-on qu’un serpent est devant ses yeux ; elle le voit et se met à trembler ; nous avons répété sur elle ces curieuses expériences en les variant de plusieurs manières, et nous nous souvenons qu’un soir notre collègue, M. Chambard, lui mit entre les bras ·un objet quelconque, en lui suggérant qu’elle tenait un chat ; nous la vîmes aussitôt caresser l’animal prétendu, l’appeler des noms les plus tendres, et se comporter avec l’objet inerte qu’elle tenait absolument comme elle devait le faire souvent avec le chat de la salle.
Les accès de somnambulisme se terminent chez Anna S. spontanément ou sous l’influence d’une nouvelle attaque convulsive, à moins qu’on n’y mette fin par les moyens usités en pareil cas. En revenant à elle, la malade perd tout souvenir de ce qu’elle a dit, fait entendre ou senti pendant l’accès qui vient d’avoir lieu : l’amnésie est complète. Le pouls qui était devenu plus lent et plus faible pendant l’hypnose, ainsi que nous avons pu le constater, non seulement par l’exploration [p. 124] directe, mais encore au moyen du sphygmographe, reprend des caractères normaux.
Cette observation, bien qu’incomplète à plusieurs points de vue, nous semble dignes d’être rapportés à un moment où le somnambulisme, triomphant des préventions dont il a été jusqu’ici l’objet, est sur le point de prendre dans la physiologie et la pathologie la place qui lui est due. Elle nous montre une hystérique prédisposée à des accès de somnambulisme dépendant de la maladie générale dont elle est atteinte, se caractérisant par un ensemble de symptômes qui ne sauraient être niés plus longtemps et qui peuvent être en partie expliquer aujourd’hui par les lois de la physiologie.
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