Un an après avoir crée la Société Française d’Histoire de la Psychiatrie et de la Psychanalyse, j’ai décidé de créer une revue qui serait en même temps l’organe de celle-ci, et en même temps une publication indépendante dans son ton et dans le choix des sujets traités. C’est avec François Bing, Thierry Gineste et Pierre Morel que nous entamions cette aventure. Nous profitâmes de l’assemblée générale de la S.H.P.P. du dernier trimestre 1984, pour proposer ce numéro 0, réservé aux membres et non mis dans le commerce. Les laboratoires Théraplix nous en offrirent la fabrication. Nous proposons ici une mise en ligne de ce numéro introuvable.
FRÉNÉSIE n°0 – HIVER 1984 – HORS COMMERCE. 1 volume 21/27, 37 p.
Présentation de la Société d’Histoire de la
Psychiatrie et de la psychanalyse
par Jacques POSTEL, président.
Un an, déjà un an. Notre Société fête son premier anniversaire avec plus d’une centaine de membres, historiens, infirmiers, magistrats, psychanalystes, psychiatres, psychologues, sociologues, etc … venus d’horizons culturels et de milieux professionnels divers, tous animés par le même intérêt, celui d’une meilleure connaissance de la genèse de la psychiatrie, de la psychanalyse et des sciences humaines qui leur sont associées. Cet intérêt dépasse d’ailleurs très largement les limites de notre hexagone, puisque nos adhérents arrivent main- tenant de plusieurs pays européens et même américains. C’est dire que la création de notre Société correspondait à un besoin que ressentaient de nom- breux chercheurs, de se retrouver, de confronter leurs travaux et de participer à des échanges multiples dans ce domaine de l’histoire.
Mais nous ne devons pas seulement être le lieu de ces confrontations. Il faut que nous soyons aussi les promoteurs de nouvelles recherches et que nous puissions aider les chercheurs, en particulier les plus jeunes, en leur fournissant informations, documentations, iconographie et, peut-être un jour, moyens financiers. C’est pourquoi, à côté de nos activités scientifiques sous forme de divers séminaires de recherche interdisciplinaires animés par certains d’entre nous, de publications multiples patronnées par la Société et de rencontres et colloques annuels comme celui qui vient de se tenir à Bonneval, nous avons deux objectifs capables de satisfaire une ambition plus vaste, à vocation internationale: un Centre de recherche et de documentation, et le Musée de la psychiatrie.
Ce dernier n’existait pas encore dans notre pays, même si plusieurs projets en avaient déjà été conçus depuis plus d’un siècle. Il devrait être représentatif des grands noms et des plus célèbres institutions qui furent à l’origine de la psychia- trie, et se situer dans un cadre à la fois prestigieux et historique. Celui de la Salpêtrière où exercèrent Pinel, Esquirol et leurs élèves, méritait d’être le premier retenu. Ce musée aura pour objectif de retracer l’histoire de nos spécialités, de faire connaître au public ce que furent les folies et leurs traitements à travers les siècles, et de les présenter selon les différentes approches théoriques et pratiques qui les exprimaient. Ce parcours sera balisé par une iconographie abondante choisie parmi les gravures anciennes spécialisées, et parmi les photographies les plus significatives. Il y aura aussi des instruments, des machines, des systèmes divers de contention qui furent utilisés aux différentes époques. Et nous exposerons les plans les plus divers de constructions, de projets et de réalisations d’hôpitaux psychiatriques, pour montrer comment l’histoire de la folie se raconte aussi à travers l’architecture de ces bâtiments. Enfin, nous sommes assurés de la donation de riches fonds de documents et de manuscrits provenant de collections et d’organismes privés, appartenant en particulier à des descendants de pionniers de la psychiatrie française et étrangère. Nous bénéficierons également de dons d’objets anciens propres à illustrer la vie quotidienne dans les asiles d’autrefois.
Quant au Centre de documentation et de recherche, baptisé «Institut Henri Ellenberger» parce que grand historien de la psychiatrie et de la psychanalyse est, par l’intermédiaire de son fils, à l’origine de ce projet, il sera étroitement lié au fonctionnement du musée puisque celui-ci sera le lieu de regroupement de l’ensemble de la documentation. Il aura pour but de réunir plusieurs unités de recherche: d’abord un fichier bibliographique informatisé, avec les entrées alphabétiques par auteurs, sujets, dates etc … puis un fichier iconographique, lui aussi informatisé, regroupant des données thématiques et les lieux où l’on peut consulter les différents originaux, avec de préférence leur cote d’origine. Il comprendra également une bibliothèque regroupant les principaux ouvrages d’histoire de la psychiatrie, de la psychanalyse et des sciences humaines et naturelles qui leur sont connexes. On y trouvera encore une iconothèque regroupant les reproductions de documents. Enfin, il faudra y prévoir un micro- filmage systématique des livres anciens exclus du prêt et, dans un second temps, du reste du fond, pour mettre à la disposition des chercheurs des reproductions fiables et peu coûteuses.
Seraient ainsi créés à la fois un instrument pédagogique destiné au grand public afin de contribuer à démythifier l’image de la folie, et un instrument de travail ouvert à des chercheurs de toutes disciplines et de tous pays. La France aurait donc là l’occasion de combler une lacune mondiale, puisque ce type d’organisme n’a d’équivalent nulle part ailleurs. Et on peut espérer que très bientôt, le cadre prestigieux de la Salpêtrière abritera un seul ensemble.
Voilà le programme que cette première année de fonctionnement de notre Société a pu préciser et qui devrait maintenant pouvoir se réaliser. Il ne faudrait pas y voir cependant le seul souci d’évoquer et de conserver des choses d’un passé à jamais révolu. Sans doute a-t-on souvent déclaré que l’histoire porte en elle une finalité conservatrice, que l’esprit de l’historien serait conservateur. Il est vrai que le goût pour l’histoire suppose une certaine affinité avec le passé et le souhait de revoir ces personnages, ces événements, leurs acteurs disparus revivre parmi nous, se conserver indéfiniment dans nos esprits et dans nos musées. La tentation est alors grande de privilégier une époque, une institution, un mode de fonctionnement ancien et de les proposer en modèle idéal. Leurs agents deviennent alors des héros exemplaires qu’il faudrait toujours imiter, à défaut de les voir immortels. L’historien conditionné par son admiration risque alors de favoriser avec exagération ce moment de l’histoire et d’entourer, sa description d’un halo légendaire qui gomme les réalités gênantes et transforme sa recherche en majestueuse hagiographie. Son travail ne sert plus qu’à alimenter une démonstration, à construire des justifications.
Et pourtant, à l’opposé de cette puissance conservatrice, l’histoire a des potentialités révolutionnaires peut-être moins apparentes mais beaucoup plus fortes. Ce dynamisme brisant et novateur est à l’œuvre dans les prémisses de beaucoup de découvertes, surtout en sciences humaines c’est presque toujours une réflexion historique critique qui ouvre une perspective nouvelle, qui inaugure un changement radical dans l’appréhension de l’homme et de la société. Sans reprendre l’exemple trop usé du marxisme, il faut reconnaître que les grands siècles révolutionnaires ont été généralement dominés par l’influence de l’histoire. Et c’est par un retour sur le passé et les jugements critiques qu’il entraîne, que l’on peut le plus sûrement modifier le présent, le sortir de ses préjugés et de seS stéréotypies conceptuelles, et l’ouvrir sur des domaines jusque là ignorés, des pratiques nouvelles, des visions inédites.
C’est pourquoi notre activité d’historien ne sauralt se cantonner dans cette évocation du passé. Le musée n’est pas seulement un lieu où l’on collectionne- rait des choses mortes dont la rareté ferait le prix, le centre de documentation un endroit où les collectionneurs viendraient s’assurer de l’authenticité de leurs objets les plus précieux. Ils doivent être des lieux de travail et de découvertes, animés par une réflexion à la fois critique, et incisive, autour de la question somme toute la plus fondamentale pour l’homme, celle de la folie.
Éditorial
par François BING et Michel COLLÉE
Une société scientifique se doit, pour assurer le prolongement de ses travaux et recherches, de se doter d’un organe d’information et de coordination. C’est un des éléments qui aujourd’hui nous détermine à la création de «frénésie». Mais notre revue à d’autres ambitions que celles d’un tel bulletin. Elle se promet d’être une revue à part entière, dans l’esprit qui jusqu’ici a animé notre démarche, et prévalu dans nos orientations.
Notre volonté n’est pas de faire à tout prix une revue différente des autres, mais de nous placer, autant que faire se peut, en marge des approches déjà existantes dans nos disciplines. Nous voulons éviter, sinon fuir, la «langue de bois», et pour ce faire nous préférencierons la démarche épistémologique. Ce qui nous permet d’espérer qu’au delà des querelles stériles d’écoles, toutes les tendances pourront s’exprimer.
Nous voulons une revue dans laquelle l’histoire, la psychiatrie, la psychanalyse soient interrogées, par les disciplines annexes et connexes, comme la mythologie, la linguistique ou la philosophie, mais aussi la physique, la biologie ou la politique. Que les champs qui sont les nôtres, croisent les champs d’autres recherches pour tenter de rendre intelligible bien des glissements sémantiques restés obscurs.
Chaque numéro développera un thème différent sur l’orientation duquel on trouvera des articles originaux, la réimpression de textes princeps ou rares, et un certain nombre d’inédits. On y trouvera aussi régulièrement des notes de lecture, des notices biographiques et bibliographiques, une rubrique iconographique, une observation de psychiatrie animale, et des résumés de thèses et de mémoires.
Notre souci de rigueur n’est pas en contradiction avec le souhait que nous formulons de voir s’exprimer tous ceux dont les préoccupations peuvent s’articuler à nos projets, et à qui nous demandons dès à présent leurs suggestions pour les prochains numéros.
Quelques remarques historiques à propos d’un texte peu connu de Freud
par Pierre GODEFROY
Parmi les Internes de Charcot ce fut Brouardel (1) qui fit sur Freud la plus forte impression. Pierre Marie avait proposé à Freud de rédiger en collaboration avec lui une étude clinique de l’hystérie mais se rétracta peu après. Le seul fruit des études cliniques de Freud fut son intéressante étude sur les paralysies hystériques, travail qu’il publia quelques années plus tard» (2).
Ce fruit, auquel Ernest Jones fait allusion, muri pendant sept ans, gardera quelques traces de son origine hybride, marquée par des tentations que l’hystérie de Charcot exerça sur son auteur, jeune neurologue, féru d’anatomo-pathologie dans la tradition allemande de Helmholtz et Brücke.
Quelques semaines après son arrivée à Paris (3), le 13 octobre 1885, il écrit à Martha, sa fiancée, «Charcot qui est l’un des plus grands médecins et dont la raison confine au génie est simplement en train de démolir mes conceptions et mes desseins … mais il m’épuise … mon esprit est saturé comme après une soirée de théâtre. La graine produira-t-elle son fruit? Je l’ignore» (4).
Cette question, à laquelle son biographe nous a offert une réponse quelque peu univoque, se pose à Freud loin de Vienne et de ses médecins à la «sereine superficialité», (5) de ses maîtres vénérés et de sa «bien aimée» (6) pour laquelle il «savait bien» qu’il devait renoncer «à consacrer totalement (sa) vie à la neurolo- gie» … «Cette science (qui se) dressait entre nous» (6), dans l’ambiance curieuse de la Salpêtrière que le tableau célèbre (7) d’une leçon de Charcot permet entre autres témoignages d’imaginer.
On devine les émotions que les soirées chez les Charcot (et leurs illustres invités (8)) provoquèrent chez Freud qui, lors de la première invitation avait absorbé «un peu de cocaïne … pour se délier la langue» (9), rêvant d’être «embrassé sur le front» par le maître (10).
On connaît les «succès » qu’il remporte (11), les entrevues avec Charcot, l’autorisation de traduire ses œuvres déjà éditées mais aussi celle de ses travaux inédits (12) et enfin peu avant de quitter Paris (13) Freud relate: «j’eus un passionnant échange d’opinions … avec le Professeur Charcot sur les points de vue issus de ses investigations, ceci me conduisit à préparer un article, à paraître dans les Archives de Neurologie et intitulé: une comparaison entre les symptomatologies hystériques et organiques » (14-15).
De retour à Vienne, Freud se sent mal accueilli en particulier par Meynert et, à l’occasion de sa communication sur l’hystérie masculine le 15 octobre 1886, par la Gesellschaft der Aerzte; cette distorsion sensible des faits (16) évoque «l’image idéalisée » (17), «le souvenir vivant et exaltant » (18) de Charcot, image sur laquelle s’étaye la distance et la critique que Freud adoptera vis-à-vis de ses anciens maîtres et de leurs doctrines.
L’autre appui pour cette mutation et vers lequel dans ces circonstances il se tourne c’est le «toujours fidèle Breuer » (19) auquel «il devait d’avoir pénétré dans le domaine de l’hystérie » (20):
«Entre 1885 et 1890 et davantage encore entre 1890 et 1895 Freud tente de ressusciter chez Breuer l’intérêt que lui avaient inspiré les problèmes de l’hysté- rie ou tout au moins de l’encourager à faire connaître au public la découverte dont il était redevable à sa patiente Anna 0″ (21).
C’est Breuer qui conseillera à Fliess, de passage à Vienne, en 1887, d’assister à des «conférences de Freud sur l’anatomie et le mode de fonctionnement du système nerveux » (22), conférence dont un des sujets fut probablement la comparaison entre symptomatologies hystériques et organiques (23).
En mai 1888 Freud, limitant son sujet par rapport au projet initial, écrit à Fliess «la 1re rédaction de& paralysies hystériques est achevée mais j’ignore quand la seconde le sera » (24) puis trois mois plus tard «j’ai à peu près terminé mon travail sur les paralysies … et j’en suis assez satisfait » (25).
Dans sa préface à la traduction de l’ouvrage de Bernheim sur la suggestion, datée d’août 1888, il fait à nouveau référence à ce travail comme devant «paraître sous peu» (26), Enfin le 30 ami 1893 Freud écrit à Fliess (qu’il tutoie depuis près d’un an) (27) «le livre (28) que je t’envoie aujourd’hui n’est pas très intéressant. Les paralysies hystériques, plus courtes et plus intéressantes paraîtront au début de juin»,
Aux propos d’Ernest Jones «nous ignorons la raison qui lui fit repousser jusqu’en 1893 la publication de ce travail» (29) et de Freud «des causes accidentelles et personnelles m’ont empêché d’obéir à son inspiration» (30), la note de l’éditeur dans la S,E. apporte certains éclaircissements: «les 3 premiers chapitres de cet article sont entièrement neurologiques et ont sans doute été écrits en 1888, si ce n’est en 1886, Mais le 4e chapitre doit être daté de 1893 puisqu’il y est fait mention de la communication préliminaire de Breuer et Freud parue au début de cette année .., il ne semble pas impossible qu’au moment où il achevait la 1re esquisse de son article il commençait déjà à avoir quelques timides notions d’une explication des faits contenus dans celle-ci qui <<intégrait (involved) ces
idées nouvelles, et il put pour cette raison avoir à retarder sa publication afin d’approfondir la question» (31),
Rédigé en français dans le style qui nous est familier, imprégné par la rigueur dialectique de son auteur, l’article paraît dans les Archives de Neurologie en juillet, quelques jours avant le mort de Charcot le 16 août 1893; d’emblée est posée la question (comme le fera plus tard Babinski) de la faculté qu’on attribue à l’hystérie de «simuler les affections nerveuses organiques les plus diverses»,
Pour situer ce texte parmi les publications de Freud parues en 1893 citons de manière non exhaustive: - un cas de guérison par hypnose, sous titré: remarques concernant la genèse des symptômes hystériques du fait d’une contre volonté (décembre 1892 et janvier 1893, Zeitschrift für Hypnotismus), article considéré comme le premier écrit psychologique de Freud (32) - sur le mécanisme psychique des phénomènes hystériques – communication préliminaire rédigée en commun avec Joseph Breuer (janvier 1893 – Neurolo- gisches centralblatt) texte de référence pour cette période, considéré par Janet comme «le travail le plus important qui soit venu confirmer nos anciennes études» (33), marqué toutefois par une difficulté de collaboration entre les deux auteurs, annonce de leur divergence future (34), – un bref article «sur un mystérieux symptôme, l’hypertonie des extrêmités inférieures, que l’on observe dans la moitié des cas d’énurésie nocturne» (35), – la monographie sur les diplégies centrales des enfants, à laquelle il a déjà été fait allusion, et le compte-rendu qu’il en fit pour la Revue de Neurologie (dont Pierre Marie était rédacteur en chef),
– un court article à propos d’une affection héréditaire du système nerveux observé chez 2 frères (Neurologisches Centralblatt, août 1893).
La notice nécrologique consacrée à Charcot dans laquelle Freud lui attribue la découverte «qui lui confère la gloire éternelle, d’avoir le premier, élucidé la question de l’hystérie» (36) tout en critiquant «l’approche purement nosographi- que» (37) pour évoquer «la base psychologique plus compréhensive» dans la théorie de l’hypnotisme de Berheim avec la suggestion en son «point central» (38).
Plus largement, «l’étude comparative des paralysies motrices, organiques et hystériques», au-delà d’une comparaison, se situe à l’intersection, devenue possible, de deux plans, neurologique et psychologique jusqu’alors intriqués dans les intérêts et les recherches de Freud, indice parmi d’autres de l’importance épistémologique de cette année 1893; à l’ouvrage sur l’aphasie (1891), aboutissement majeur de son’ œuvre de neurologue, est empruntée la critique des théories localisatrices au profit d’une conception physiopathologique inspirée des travaux de H. Jackson; futuriste dans ce domaine, toutefois, «si Freud maintient dans son interprétation physiopathologique les acquits de l’analyse de Jackson c’est à travers une conception des choses très différentes: non seule- ment son schéma e.xplicatif reste associationniste mais c’est même un modèle hyperconnexionniste qu’il présente» (39). Dans le plan des recherches psycho- logiques, annonçant les études sur l’hystérie, «la lésion» hystérique est présentée comme «l’abolition de l’accessibilité associative de la conception du bras» et son remède dérivé de la «théorie de l’abréaction», la catharsis (40).
Si Freud, à cette époque, utilise, en effet, de multiples thérapeutiques (41) et s’il n’a pas encore renoncé à l’hypnose (42), il se tourne de plus en plus vers le traitement cathartique (43). A cette époque de la «recherche freudienne nous avons vu se constituer l’originalité d’une perspective qui reste encore fondamentalement inscrite dans la postérité de Charcot, au coude à coude avec Janet. .. en axant la démarche de Freud sur le symptôme et donc sur la catharsis,» .., l’oriente «dans une direction où il va rencontrer le premier objet qui lui soit vraiment propre: le refoulement» (44),
En ce milieu de l’année 1893, Freud a 37 ans, de son union avec Martha Bernays, célébrée peu après son retour de Paris, sont nés 5 enfants aux prénoms évocateurs (45), Il «passe sa vie soit dans son bureau de consultation, soit, en haut, dans la nursery» (46) au 19, Bergstrasse, préoccupé par l’étiologie sexuelle des névroses et la théorie d’une séduction traumatisante (47), poursuivant la rédaction des études sur l’hystérie, Dans le mouvement qui le détache des figures paternelles: «Brücke, Meynert, Breuer et Charcot» (48) mais dont il sut «hériter», Freud se tourne davantage vers Fliess inaugurant «l’étrange maladie (qu’il) traversera de 1894 à 1900 ainsi que son autoanalyse» (49).
Notes
(1) Paul Camille Hippolyte Brouardel (1836-1907) – Professeur de médecine légale et plus tard Doyen de la faculté de médecine de Paris n’était pas, comme l’indique E. Jones par erreur l’interne de Charcot. (Freud obtint « l’autorisation d’assister (à ses cours à la morgue»). Note pp. 208 et 209 – Correspondance 1873-1939 (NRF-Gallimard 1967).
(2) Ernest Jones – La vie et l’œuvre de Sigmund Freud (PUF, 1976) 1- p. 232.
(3) Séjour dont « il attend si peu .. sauf un certain profit subjectif et scientifique» – Sigmund Freud – Correspondance p. 184.
(4) Ibid – p. 197 (5) Ernest Jones. (T.I.) p. 231 (6) & Ernest Jones (T.V.) p. 233.
(5) Ernest Jones. (T.I.) p. 231.
(6) Ernest Jones (T.V.) p. 233.
(7) Oeuvres de Brouillet (1888) dont Freud possédait une lithographie (sa fille aînée « encore toute petite» à la façon dont son père « regardait cette gravure» percevait qu’elle évoquait en lui des souvenirs heureux ou importants et qu’elle était chère à son cœur» – E. Jones p. 232).
(8) Brouardel, Léon Daudet, Knapp, Gilles de la Tourette, Lépine, Ranvier, Richet, Toffano, etc … – Sigmund Freud – Correspondance – pp. 208, 215, 219, 221.
(9) Sigmund Freud – Correspondance – p. 206.
(10) Ibid – p. 206, cf p. 209 à propos de Mlle Jeanne Charcot « j’aurais pu succomber à une forte tentation, car rien n’est plus dangereux qu’une jeune fille qui a les traits d’un homme qu’on admire».
(11) Ernest Jones (T.I.) p. 233.
(12) Ernest Jones (T.I.) p. 231.
(13) Freud quitte Paris le 28 février 1886.
(14) Sigmund Freud : rapport sur mes études à Paris et à Berlin – 1886 publication originale en anglais Standard édition – (1.) p. 12.
(15) (cf) Ernest Jones (T.I.) «l’année où mourut Charcot, Freud, dans une note ajoutée à sa traduction, lui attribue le mérite d’avoir inspiré ce travail. .. Dans son autobiographie Freud donne des faits une version quelque peu différente … il existe des preuves, datant de cette époque, de ce que la 2e version, moins modeste, est plus proche de la vérité …» – pp. 257 et 258.
(16) Voir à ce sujet Ernest Jones … – pp. 253, 254, 258 et Henri F. Ellenberger – A la découverte de l’inconscient (SIMEP – 1974) – p. 368.
(17) Ibid – p. 367.
(18) Sigmund Freud – Correspondance – p. 225.
(19) Ernest Jones (T.I.) – p. 246.
(20) Ernest Jones (T.I.) – p. 276.
(21) Ernest Jones (T.I.) – p. 276.
(22) Ernest Jones (T.I.) – p. 321.
(23) Sigmund Freud – Naissance de la psychanalyse (PUF. 1979) – p. 69 – (… »j’en avais même parlé dans mes conférences» …) .
(24) Ibid (lettre datée du 28 mai 1888) – p. 52.
(25) Ibid (lettre datée du 29 août 1888) – p. 54.
(26) Sigmund Freud (note de l’éditeur) – standard edition – p. 158.
(27) Naissance de la psychanalyse – p. 57 – note (1) .
(28) Diplégies centrales (note de l’éditeur) – standard édition – p. 158.
(29) Ernest Jones (T.I.) – p. 257.
(30) Archives de neurologie – Paris 1893 – XXVI, 2 – p. 30 (31) Sigmund Freud (note de l’éditeur) – standard édition – p. 158 et 159
(32) Cf. Conrad Stein – Études freudiennes – Denoël – avril 1979 n° 15/16 – pp. 103-119.
(33) Pierre Janet – État mental des hystériques – 2· éd. Paris, Alcan 1911 p.420.
(34) «…Le fossé qui existe entre nous se creuse de plus en plus …» Lettre à Minna Bernays du 13 juillet 1891 Sigmund Freud – Correspondance . «II m’a joliment fallu pour cela me battre avec mon collaborateur» – Lettre à Fliess du 18 décembre 1892 -Naissance de la psychanalyse – p. 58 » …fin de sa collaboration avec Breuer .. printemps 1894» – Ernest Jones (T.I.) – p. 388.
(35) Ernest Jones (T.I.) – «il est bien loin encore d’en soupçonner le caractère psychologique : p. 239.
(36) Ernest Jones (T.I.) – p. 242 .
(37) Sigmund Freud – «Charcot » 1893 – notice nécrologique – standard édition (III) – p. 22.
(38) Ibid-p.22 et 23.
(39) Paul Bercherie – Génèse des concepts freudiens (Navarin 1983) – p. 260.
(40) Cf. ouvrage de Jacob Bernays « Zwei abhandlungen über die Aristotelische théorie des Drama » (1880) ou est traité le problème du rôle cathartique de la tragédie.
(41) Ernest Jones’ – «à quelle date fut découverte la méthode des associations libres? C’est ce que nous ne saurions préciser – Tout ce que nous pouvons en dire, c’est qu’elle évolua peu à peu entre 1892 et 1896, s’épurant et se débarrassant toujours davantage de ses adjuvants: l’hypnose, la suggestion, la pression, les questions qui l’avaient accompagnée à ses débuts » – p. 267 ..
(42) Ernest Jones – « abondon .. hypnotisme en 1896 » (T.I.) – p. 314 – Ernest Jones – (cf.) technique de concentration (main sur le front) – (T.I.) – p. 314.
(43) Ernest Jones – « il reprend vers le milieu de 1889 la méthode cathartique·’ – (T.I.) – p. 314.
(44) Paul Bercherie – p, 258.
(45) Mathilde (Breuer), Jean Martin (Charcot). Olivier (Cromwell) Ernst (Brücke).
(46) Ernest Jones (T.I.) – p. 361.
(47) Naissance de la psychanalyse – p, 67.
(48) Ellenberger – p, 374 (49) Ellenberger – p, 373.
QUELQUES CONSIDÉRATIONS POUR UNE ÉTUDE
COMPARATIVE DES PARALYSIES MOTRICES
ORGANIQUES ET HYSTÉRIQUES.
par de Dr SIGM. FREUD, de Vienne (Autriche).
Archives de neurologie, (Paris), Bureau du Progrès médical,
tome XXVI, 1893, pp.29-43.
M. Charcot, dont j’ai été l’élève en 1885 et 1886, a bien voulu, à cette époque, me confier le soin de faire une étude comparative des paralysies motrices organiques et hystériques, basée sur les observations de la Salpêtrière, qui pourrait servir à saisir quelques caractères généraux de la névrose et conduire, à une conception sur la nature de cette dernière. Des causes accidentelles et personnelles m’ont empêché pendant longtemps d’obéir à son inspiration; aussi je ne veux apporter maintenant que quelques résultats de mes recherches, laissant à coté les détails nécessaires pour une démonstration complète de mes opinions.
I. – Il faudra commencer par
quelques remarques sur les paralysies motrices organiques,
d’ailleurs généralement admises. La clinique nerveuse reconnaît deux sortes de paralysies motrices, la paralysie périphéro-spinale (ou bulbaire) el la paralysie cérébrale. Cette distinction est parfaitement en accord avec les données de l’anatomie du système nerveux qui nous montrent qu’il n’y a que deux segments sur le parcours des fibres motrices conductrices, le premier qui va de la périphérie jusqu’aux cellules des cornes antérieures dans la moelle, et le second qui va de là jusqu’à l’écorce cérébrale. La nouvelle histologie du système nerveux, fondée sur les travaux de Golgi (a), Ramon y Cajal (b), Kölliker(c), etc » traduit ce fait par les mots: « le trajet des fibres Je conduction motrices est constitué par deux neuron (unités nerveuses cellulo-fibrillaires), qui se rencontrent pour entrer en relation au niveau des cellules dites motrices des cornes antérieures. » La différence essentielle de ces deux sortes de paralysies, en clinique, est la suivante : La paralysie périphéro-spinale est paralysie détaillé, la paralysie cérébrale est une paralysie en masse. Le type de la première est la paralysie faciale dans la maladie de Bell, la paralysie dans la poliomyélite aiguë de l’enfance, etc. Or, dans ces affections, chaque muscle, on pourrait dire chaque fibre musculaire, peut être paralysée individuellement et isolément. Cela ne dépend que du siège et de l’étendue de la lésion nerveuse, et il n’y a pas de règle fixe pour que l’un des éléments périphériques échappe à la paralysie, tandis que l’autre en souffre d’une manière constante.
La paralysie cérébrale, au contraire, est toujours une affection qui attaque une grande partie de la périphérie, une extrémité, un segment de celle-ci, un appareil moteur compliqué. Jamais elle n’affecte un muscle individuellement, par exemple le biceps du bras, le tibia isolément ; etc., et s’il y a des exceptions apparentes à cette règle (le ptosis cortical, par exemple), on voit bien qu’il s’agit de muscles qui, à eux seuls, remplissent une fonction de laquelle ils sont l’instrument unique.D
Dans les paralysies cérébrales des extrémités, on peut remarquer que les segments périphériques souffrent toujours plus que les segments rapprochés du centre ; la main, par exemple, est plus paralysée que l’épaule. Il n’y a pas, que je sache, une paralysie cérébrale isolée de l’épaule, la main conservant sa mobilité, tandis que le contraire est la règle dans les paralysies qui ne sont pas complètes.
Dans une étude critique sur l’aphasie, publiée en 1891, Zur Auffassung der Aphasien, 1891 (d), j’ai tâché de montrer
que la cause de cette différence importante entre la paralysie périphéro-spinale et la paralysie cérébrale doit être, cherchée dans la structure du système nerveux. Chaque élément de la périphérie correspond à un élément dans l’axe gris, qui est, comme le dit M. Charcot, son aboutissement nerveux; la périphérie est pour ainsi dire projetée sur la substance grise de la moelle, point par point, élément pour élément. J’ai, proposé de dénommer la paralysie détaillée périphéro-spinale, paralysie de projection. Mais il n’en est pas de même pour les relations entre les éléments de là moelle et ceux de l’écorce. Le nombre des fibres conductrices ne suffirait plus pour donner une seconde projection de la périphérie sur l’écorce. Il faut supposer que les fibres qui vont de la moelle à l’écorce ne représentent plus chacune un seul élément périphérique, mais plutôt un groupe de ceux-ci et que même, d’autre part, un élément périphérique peut correspondre à plusieurs fibres conductrices spino-corticale. C’est qu’il y a un changement d’arrangement qui a eu lieu au point de connexion entre les deux segments du système moteur.
Alors, je dis la reproduction de la périphérie dans l’écorce n’est plus une reproduction fidèle point par point, n’est plus une projection véritable; c’est une relation par des fibres, pour ainsi dire représentatives et je propose, pour la paralysie cérébrale, e nom de paralysie de représentation.
Naturellement, quand la paralysie de projection est totale et d’une grande étendue, élie est aussi une paralysie en masse, et son grand caractère distinctif est effacé. D’autre part, la paralysie corticale, qui se distingue parmi les paralysies cérébrales par sa lpus grande aptitude à la dissociation, présente cependant toujours le caractère d’une paralysie par représentation.
Les autres différences entre les paralysies dc projection et de représentation sont bien connues; je cite parmi elles l’intégrité de la nutrition et de la réaction électrique qui se rattache à la dernière. Bien que très importants dans la clinique, ces signes n’ont pas la portée théorique qu’li faut attribuer au premier caractère différentiel que nous avons relevé, à savoir: paralysie détaillée ou en masse.
On a assez souvent attribué à l’hystérie la faculté de simuler les affections nerveuses organiques les plus diverses. Il s’agit de savoir si d’une façon plus précise elle simule les caractères des deux sortes de paralysies organiques, s’il y a des paralysies hystériques de projection et des paralysies hystériques de représentation, comme dans la symptomatologie organique. Ici, un premier fait important se détache: l’hystérie ne simule jamais les paralysies périphéro-spinales ou de projection; les paralysies hystériques partagent seulement les caractères des paralysies organique de Représentation. C’est là un fait bien intéressant, puisque la paralysie de Bell, la paralysie radiale, etc. sont parmi les affections les plus communes du système nerveux,
Il est hon de faire observer ici, de manière à éviter toute confusion, que je ne traite que de la paralysie hystérique flasque. et non de la contracture hystérique, Il me parait impossible de soumettre la paralysie et la contracture hystérique aux mêmes règles. Cc n’est que des paralysies hystériques flasques qu’on peut soutenir qu’elles n’affectent jamais un seul muscle. excepté le cas ou ce muscle est l’instrument unique d’une fonction, qu’elles sont toujours des paralysies en masse, et qu’elles correspondent sous ce rapport à la paralysie dc représentation, ou cérébrale organique, En outre, en ce qui concerne la nutrition des parties paralysies et leurs réactions électriques, la paralysie hystérique présente les mêmes caractères que la paralysie cérébrale organique,
Si la paralysie hystérique se rattache ainsi à la paralysie cérébrale et particulièrement il la paralysie corticale, qui présente une plus grande facilité de dissociation. Elle ne manque pas de s’en distinguer par des caractères importants, D’abord elle n’est pas soumise à cette règle, constante dans les paralysies cérébrale organique à savoir que le segments périphérique est toujours plus affecté que le segment central. Dans l’hystérie, l’épaule ou la cuisse peuvent êre plus paralysées que la main ou le pied. Les mouvements peuvent venir dans les doigts tandis que le segment central est encore absolument inerte. On n’a pas la moindre difficulté de produire artificiellement une paralysie isolée de la cuisse, de la jambe, etc., et on peut assez souvent retrouver, en clinique, ces paralysies isolées, en contradiction avec les règles de la paralysie organique cérébrale.
Sous ce rapport important, la paralysie hystérique est pour ainsi dire intermédiaire entre la paralysie de projection et la paralysie de représentation organique. Si elle ne possède pas tous les caractères de dissociation et d’isolement propres à la première, elle n’est pas, tant s’en faut, sujette aux strictes lois qui régissent la dernière, la paralysie cérébrale. Ces restrictions faites, on peut soutenir que la paralysie hystérique est aussi une paralysie de représentation, mais d’une représentation spéciale dont la caractéristique reste à trouver (1).
II. – Pour avancer dans cette direction je me propose d’étudier les autres traits distinctifs entre la paralysie hystérique et la paralysie corticale, type le plus parfait de la paralysie cérébrale organique. Le premier de ces caractères distinctifs, nous l’avons déjà mentionné, c’est que la paralysie hystérique, peut être beaucoup plus dissociée, systématisée que la paralysie cérébrale. Les symptômes de la paralysie organique se retrouvent comme morcelés dans l’hystérie. De l’hémiplégie commune organique (paralysie des membres supérieur
et inférieur et du facial inférieur) l’hystérie ne reproduit que la paralysie des membres et dissocie même assez souvent, et avec la plus grande facilité, la paralysie du bras de celle de la jambe sous forme de monoplégies. Du syndrome Je l’aphasie organique, elle reproduit l’aphasie motrice à l’étal d’isolement, et ce qui est chose inouïe dans l’aphasie organique, elle peut créer une aphasie totale (motrice et sensitive) pour telle langue, sans attaquer le moins du monde la faculté de comprendre et d’articuler telle autre, comme je l’ai observé dans quelques cas inédits. Ce même pouvoir de dissociation se manifeste dans les paralysies isolées d’un segment de membre, ou encore dans l’abolition complète d’une fonction (abasie, astasie) avec intégrité d’une autre fonction exécutée par les mêmes organes. Cette dissociation est d’autant plus frappante, quand la fonction respectée est la plus complexe. Dans la symptomatologie organique, quand il a affaiblissement inégal de plusieurs fonctions, c’est toujours la même fonction, la plus complexe, celle d’une acquisition postérieure qui est la plus atteinte en conséquence de la paralysie.
La paralysie hystérique présente de plus un autre caractère qui est comme la signature de la nérose et qui vient s’ajouter au premier. En effet, comme je l’ai entendu dire à M, Charcot. l’hystérie est une maladie à manifestations excessives. ayant une tendance à produire ses symptômes avec la plus grande intensité possible, C’est un caractère qui ne se montre pas seulement dans les paralysies, mais aussi dans les contractures et les anesthésies. Ou sait jusqu’à quel degré de distorsion peuvent aller les contractures hystériques, qui sont presque sans égales dans la symptomatologie organique, On sait aussi combien sont fréquentes dans l’hystérie les anesthésies absolues, profonde, dont les lésions organiques ne peuvent reproduire qu’une faible esquisse. Il en est de même pour les paralysies. Elles sont souvent on ne peut plus absolues; l’aphasique ne profère pas un mot, tandis que J’aphasique organique garde presque toujours quelques syllabes : le « oui » et « non », un juron, etc. ; le bras paralysé est absolument inerte, etc. Ce caractère est trop bien connu pour y persister longuement. Au contraire, on sait que, dans la paralysie organique, la paralysie est toujours plus fréquente que la paralysie absolue.
La paralysie hystérique est donc d’une limitation exacte et d’une intensité excessive; elle possède ces deux qualités à la fois et c’est en cela qu’elle contraste le plus avec la paralysie cérébrale organique, dans laquelle, d’une manière constante, ces deux caractères ne s’associent pas. Il existe aussi des monoplégies dans la symptomatologie organique, mais celles-ci sont presque toujours des monoplégies à potiori et non exactement délimitées. Si le bras se trouve paralysé en conséquence d’une lésion corticale organique, il y a presque toujours aussi atteinte concomitante moindre du facial et Je la jambe, et si cette complication ne se voit plus à un moment donné, elle a cependant bien existé au commencement de l’affection. La monoplégie corticale est, à vrai dire, toujours une hémiplégie dont telle ou telle partie est plus ou moins effacée, mais toujours reconnaissable. Pour aller plus loin, supposons que la paralysie n’ait affecté aucune autre partie que le bras, que ce soit une monoplégie corticale pure; alors on voit que la paralysie est J’une intensité modérée. Aussitôt que cette monoplégie augmentera en intensité, qu’elle deviendra une paralysie absolue, elle perdra son caractère de monoplégie pure et s’accompagnera de troubles moteurs dans la jambe ou la face. Elle ne peul pas devenir absolue et restée délimitée à la fois.
C’est ce que la paralysie hystérique peut, au contraire, fort bien réaliser, comme la clinique le montre chaque jour. Elle affecte par exemple le bras d’une façon exclusive, on n’en trouve pas trace dans la jambe ou la face, De plus, au niveau du bras, elle est aussi forte qu’une paralysie peut l’être, et c’est là une différence frappante avec la paralysie organique, différence qui prête grandement à penser,
Naturellement, il y a des cas de paralysie hystérique dans lesquels l’intensité n’est pas excessive et où la dissociation n’offre rien de remarquable. Ceux-ci, on les reconnait au moyen d’autres caractères; mais ce sont des cas qui ne portent pas l’empreinte typique de la névrose et qui, ne pouvant en rien nous renseigner sur sa nature ne présentent point d’intérêt au point de vue qui nous occupe ici.
Ajoutons quelques remarques d’une importance secondaire, qui même dépassent un peu les limites de notre sujet.
Je constaterai d’abord que les paralysies hystériques s’accompagnent beaucoup plus souvent de troubles de la sensibilité que les paralysies organiques. En général, ceux-ci sont plus profonds et plus fréquents dans la névrose que dans la symptomatologie organique. Rien de plus commun que l’anesthésie ou l’analgésie hystérique. Qu’on se rappelle par contre avec quelle ténacité la sensibilité persiste en cas de lésion nerveuse.
Si l’on sectionne un nerf périphérique, l’anesthésie sera moindre en étendue et intensité qu’on ne s’y attend. Si une lésion inflammatoire attaque les nerfs spinaux ou les centres de la moelle, on trouvera toujours que la motilité souffre en premier lieu et que la sensibilité est épargnée ou seulement affaiblie, car il persiste toujours quelque part des éléments nerveux qui ne sont pas complètement détruits. En cas de lésion cérébrale, on connait la fréquence et la durée de l’hémiplégie motrice, tandis que l’hémianesthésie concomitante est indistincte, fugace et ne se trouve pas dans tous les cas. Il n’y a que quelques localisations tout à fait spéciales qui puissent produire une affection de la sensibilité intense et durable (carrefour sensitif), et même ce fait n’est pas exempt de doutes.
Celte manière d’être de la sensibilité, différente dans les lésions organiques et dans l’hystérie, n’est guère explicable aujourd’hui. Il semble qu’il y ait là un problème dont la solution nous renseignerait peut-être sur la nature intime des choses.
Un autre point qui me parait digne d’être relevé, c’est qu’il y a quelques formes de paralysie cérébrale qui ne se trouvent pas réalisées dans l’hystérie, pas plus que les paralysies périphéro-spinales de projection. II faut citer en premier lieu la paralysie du facial inférieur, la manifestation la plus fréquente d’une affection organique du cerveau et, si je me permets de passer dans les paralysies sensorielles pour un moment, l’hémianopsie latérale homonyme. Je sais que c’est presque une gageure que de vouloir affirmer que tel ou tel symptôme ne se trouve pas dans l’hystérie, quand les recherches de M. Charcot et de ses élèves y découvrent, on pourrait dire journellement, des symptômes nouveaux qu’un n’avait point soupçonnés jusque-là, mais il me faut prendre les choses comme elles sont actuellement, La paralysie faciale hystérique est fortement contestée par M. Charcot et même, si on croit ceux qui en sont partisans, c’est un phénomène d’une grande rareté. L’hémianopsie n’a pas encore été vue dans l’hystérie et, je pense, qu’elle ne le sera jamais.
Maintenant, d’où vient-il que les paralysies hystériques, tout en simulant de près les paralysies corticales, s’en écartent par des traits distinctifs que j’ai tâché d’énumérer, et quel est le caractère général de la représentation spéciale auquel il faut les rattacher la réponse à cette question contiendrait une bonne et importante partie de la théorie de la névrose,
III. – II n’y a pas le moindre doute sur les conditions qui dominent la symptomatologie de la paralysie cérébrale. Ce sont les faits de l’anatomie, la construction du système nerveux, la distribution de ses vaisseaux et la relation entre ces deux séries de faits et les circonstances de la lésion, Nous avons dit que le nombre moindre des fibres qui vont de la moelle au cortex en comparaison avec le nombre des fibres qui vont de la périphérie à la moelle, est la base de la différence entre la paralysie de projection et celle de représentation, De même, chaque détail clinique de la paralysie de représentation peut trouver son explication dans un détail de la structure cérébrale et vice versa nous pouvons déduire la construction du cerveau des caractères cliniques des paralysies. Nous croyons à un parallélisme parfait entre ces deux séries,
Ainsi s’il n’y a pas une grande facilité de dissociation pour la paralysie cérébrale commune, c’est parce que les fibres de conduction motrices sont trop rapprochées sur une longue partie de leur trajet intracérébral pour être lésées isolément. Si la paralysie corticale montre plus de tendance aux monoplégies, c’est parce que le diamètre du faisceau conducteur brachial, crural, etc., va en croissant jusqu’à l’écorce. Si de toutes les paralysies corticales celle de la main est la plus complète, cela vient, croyons-nous, du fait que la relation croisée entre l’hémisphère et la périphérie est plus exclusive pour la main que pour toute autre partie du corps. Si le segment périphérique d’une extrémité souffre plus de la paralysie que le segment central, nous supposons que les fibres représentatives du segment périphérique sont beaucoup plus nombreuses que celles du segment central, de sorte que l’influence corticale devient plus importante pour le premier qu’elle n’est pour le dernier. Si les lésions un peu étendues de l’écorce ne réussissent pas à produire des monoplégies pures, nous en concluons que les centres moteurs sur l’écorce ne sont pas nettement séparés les uns des autres par des territoires neutres, ou qu’il y a des actions à distance (Feruwirkungcn) qui annuleraient l’effet d’une séparation exacte des centres.
De même s’il y a dans l’aphasie organique, toujours un mélange de troubles de diverses fonctions, ça s’explique par le fait que des branches de la même artère nourrissent tous les centres du langage, ou si l’on accepte l’opinion énoncée dans mon étude critique sur l’aphasie, parce qu’il ne s’agit pas de centres séparés, mais d’un territoire continu d’association. En tout cas, il existe toujours une raison tirée de l’anatomie.
Les associations remarquables
dans la clinique des paralysies corticales : aphasie motrice
et hémiplégie droite, alexie et
hémianopsie droite s’expliquent par le voisinage des centres lésés. L’hémianopsie même, symptôme bien curieux et étranger à l’esprit non scientifique, ne se comprend que par l’entrecroisement des fibres du nerf optique dans le chiasma; elle en est l’expression clinique, comme tous les détails des paralysies cérébrales sont l’expression clinique d’un fait anatomique.
Comme il ne peut y avoir qu’une seule anatomie cérébrale qui soit la vraie et comme elle trouve son expression dans les caractères cliniques des paralysies cérébrales, il est évidemment impossible que cette anatomie puisse expliquer les traits distinctifs de la paralysie hystérique. Pour cette raison, il n’est pas permis de tirer au sujet de l’anatomie cérébrale des conclusions basées sur la symptomatologie de ces paralysies,
Assurément il faut s’adresser à la nature de la lésion pour obtenir cette explication difficile, Dans les paralysies organiques, la nature de la lésion joue un rôle secondaire, ce sont plutôt l’étendue et la localisation de la lésion, qui dans les conditions données de structure du système nerveux produisent les caractères de la paralysie organique, que nous avons relevés, Quelle pourrait être la nature de la lésion dans la paralysie hystérique, qui à elle seule domine la situation, indépendamment de la localisation, de l’étendue de la lésion et de J’anatomie du système nerveux
M. Charcot nous enseigne assez souvent que c’est une lésion corticale mais purement dynamique ou fonctionnelle.
C’est une thèse dont on comprend bien le rôle négatif. Cela équivaut à affirmer qu’on ne trouvera pas de changement de tissus appréciable à l’autopsie ; mais à un point de vue plus positif, son interprétation est loin d’être à l’abri de l’équivoque. Qu’est-ce donc qu’une lésion dynamique? Je suis bien sûr que beaucoup de ceux qui lisent les œuvres de M. Charcot, croient que la lésion dynamique est bien une lésion, mais une lésion dont on ne retrouve pas la trace dans le cadavre, comme un œdème, une anémie, une hypérémie active. Mais ce sont là, bien qu’elles ne persistent pas nécessairement après la mort, des lésions organiques vraies bien qu’elles soient légères et fugaces.
Il est nécessaire que les paralysies produites par les lésions de cet ordre, partagent en tout les caractères de la paralysie organique. L’œdème, l’anémie ne pourraient, plutôt que l’hémorragie et le ramollissement, produire la dissociation et l’intensité des paralysies hystériques. La seule différence serait que la paralysie par l’œdème, par la constriction vasculaire etc., doit être moins durable que la paralysie par destruction du tissus nerveux. Toutes les autres conditions leur sont communes et l’anatomie du système nerveux déterminera les propriétés de la paralysie aussi bien dans le cas J’anémie fugace que dans le cas d’anémie permanente et définitive.
Je ne crois pas que ces remarques soient tout il fait gratuites. Si on lit « qu’il doit y avoir une lésion hystérique » dans tel ou tel centre, le même dont la lésion organique produirait le syndrome organique correspondant, si l’on se souvient qu’on s’est habitué à localiser la lésion hystérique dynamique de même manière que la lésion organique, on est porté à croire que sous l’expression « lésion dynamique » se cache l’idée d’une lésion comme l’œdème, l’anémie, qui, en réalité, sont des affections organiques passagères. J’affirme par contre que la lésion des paralysies hystériques doit être tout à fait indépendante de l’anatomie du système nerveux, puisque l’hystérie se comporte dans ses paralysies et autres manifestations comme si l’anatomie n’existait pas, ou comme si elle n’en avait nulle connaissance.
Un bon nombre des caractères des paralysies hystériques justifient en vérité cette affirmation. L’hystérie est ignorante de la distribution des nerfs et c’est pour cette raison qu’elle ne simule pas les paralysies périphéro-spinales ou de projection ; elle ne connait pas le chiasma des nerfs optiques et conséquemment elle ne produit pas l’hémianopsie. Elle prend les organes dans le sens vulgaire, populaire du nom qu’ils portent: la jambe est la jambe jusqu’à l’insertion de la hanche, le bras est l’extrémité supérieure comme elle se dessine sous les vêtements. Il n’y a pas de raison pour joindre à la paralysie du bras là paralysie de la face. L’hystérique qui ne sait pas parler n’a pas de motif pour oublier l’intelligence du langage, puisque aphasie motrice et surdité verbale n’ont aucune parenté dans la notion populaire, etc. Je ne peux que m’associer pleinement
sur ce point aux vues que M. Janet a avancées dans les derniers numéros des Archives de Neurologi ; les paralysies hystériques en donnent la preuve aussi bien que les anesthésies et les symptômes psychiques.
IV. – Je tâcherai enfin de développer comment pourrait être la lésion qui est la cause des paralysies hystériques. Je ne dis pas que je montrerai comment elle en fait; il s’agit seulement d’indiquer la ligne de pensée qui peut conduire à une conception qui ne contredit pas aux propriétés de la paralysie hystérique, en tant qu’elle diffère de la paralysie organique cérébrale.
Je prendrai le mot « lésion fonctionnelle ou dynamique dans son sens propre: « altération de fonction ou de dynamisme »; altération d’une propriété fonctionnelle. Une telle altération serait par exemple une diminution de l’excitabilité ou d’une qualité physiologique qui dans l’état normal reste constante ou varie dans des limites déterminées.
Mais dira-t-on, l’altération fonctionnelle n’est pas autre chose, elle n’est qu’un autre coté de l’altération organique. Supposons que le tissu nerveux soit dans un état d’anémie passagère, son excitabilité sera diminuée par cette circonstance, il n’est pas possible d’éviter d’envisager les lésions organiques par ce moyen.
J’essaierai de montrer qu’il peut y avoir altération fonctionnelle sans lésion organique concomitante, sans lésion grossière palpable du moins, même au moyen de l’analyse la plus délicate. En d’autres termes, je donnerai un exemple approprié d’une altération de fonction primitive; je ne demande pour cela que la permission de passer sur le terrain de la psychologie, qu’on ne saurait éviter quand on traite de l’hystérie.
Je dis avec M. Janet, que c’est la conception banale, populaire des organes et du corps en général, qui est en jeu dans les paralysies hystériques comme dans les anesthésies, etc. Cette conception n’est pas fondée sur une connaissance approfondie de l’anatomie nerveuse mais sur nos perceptions tactiles et surtout visuelles. Si elle détermine les caractères de la paralysie hystérique, celle-là doit bien se montrer ignorante et indépendante de toute notion de l’anatomie du système nerveux. La lésion de la paralysie hystérique sera donc une altération de la conception, de l’idée de bras, par exemple. Mais de quelle sorte est cette altération pour produire la paralysie ?
Considérée psychologiquement la paralysie du bras consiste dans le fait que la conception du bras ne peut pas entrer en association avec les autres idées qui constituent le moi dont le corps de l’individu forme une partie importante. La lésion serait donc l’abolition de l’accessibilité associative de la conception du bras. Le bras se comporte comme s’il n’existait pas pour le jeu des associations. Assurément si les conditions matérielles, qui correspondent à la conception du bras, se trouvent profondément altérées, cette conception sera perdue aussi, mais j’ai à montrer qu’elle peut être inaccessible sans q’elle soit détruite et sans que son substratum matériel (le tissu nerveux de la région correspondante de l’écorce) soit endommagé.
Je commencerai par des exemples tirés de la vie sociale. On raconte l’histoire comique d’un sujet loyal qui ne voulut plus laver sa main, parce que son souverain l’avait touché. La relation de cette main avec l’idée du roi semble si importante à la vie psychique de l’individu, qu’il se refuse à faire entrer cette main en d’autres relations. Nous obéissons à la même impulsion si nous cassons le verre dans lequel nous avons bu à la santé de jeunes mariés; les anciennes tribus sauvages brûlant le cheval, les armes et même les femmes du chef mort, avec son cadavre, obéissaient à cette idée que nul ne devait plus les toucher après lui. Le motif de toutes ces actions est bien clair. La valeur affective que nous attribuons à la première association d’un objet répugne à le faire entrer en association nouvelle avec un autre objet et par suite rend l’idée de cet objet inaccessible à l’association.
Ce n’est pas une simple comparaison, c’est presque la chose identique, si nous passons dans le domaine de la psychologie des conceptions. Si la conception du bras se trouve engagée dans une association d’une grande valeur affective, elle sera inaccessible au jeu libre des autres associations. Le bras sera paralysé en proportion de la persistance de cette valeur affective ou de sa diminution par des moyens psychiques appropriés. C’est la solution du problème que nous avons posé, car dans tous les cas de paralysie hystérique on trouve que l’organe paralysé ou fonction abolie est engagé dans une association subconsciente qui est munie d’une grande valeur affective et l’on peut montrer que le bras devient libre aussitôt que celte valeur affective est effacée. Alors la conception du bras existe dans le substratum matériel, mais elle n’est pas accessible aux associations et impulsions conscientes parce que toute son affinité associative, pour ainsi dire, est saturée dans une association subconsciente avec le souvenir de l’événement, du trauma, qui a produit cette paralysie.
C’est M. Charcot qui nous a enseigné le premier qu’il faut s’adresser à la psychologie pour l’explication de la névrose hystérique. Nous avons suivi son exemple, Breuer et moi, dans un mémoire préliminaire (Uber den psychischen Mechanismus hysterischer Phänomen, Neurolog. Centralblatt, n° 1 und 2, 1S93). Nous démontrons dans ce mémoire que les symptômes permanent de l’hystérie dite non traumatique s’expliquent (à part les stigmates) par le même mécanisme que Charcot a reconnu dans les paralysies traumatiques. Mais nous donnons aussi la raison pour laquelle ces symptômes persistent et peuvent être guéris par un procédé spécial de psychothérapie hypnotique. Chaque événement, chaque impression psychique est munie d’une certaine valeur affective (Affectbettrag), dont le moi se délivre ou par la voie de réaction motrice ou par un travail psychique associatif. Si l’individu ne peut ou ne veut s’acquitter du surcroit, le souvenir de cette impression acquiert l’importance d’un trauma et devient la cause de symptômes permanents d’hystérie. L’impossibilité de l’élimination s’impose quand l’impression reste dans le subconscient. Nous avons appelé cette théorie: Das A breairen der Reizzuwüchse.
En résumé, je pense qu’il est bien en accord avec notre vue générale sur l’hystérie, telle que nous l’ayons pu former d’après J’enseignement de M. Charcot, que la lésion dans les paralysies hystériques ne consiste pas en autre chose que dans l’inaccessibilité de la conception de l’organe ou de la fonction pour les associations du moi conscient, que cette altération purement fonctionnelle (avec intégrité de la conception même) est causée par la fixation de cette conception dans une association subconsciente du trauma et que cette conception ne devient pas libre et accessible tant que la valeur affective du trauma psychique n’a pas été éliminée par la réaction motrice adéquate ou par le travail psychique conscient. Mais même si ce mécanisme n’a pas lieu, s’il faut pour la paralysie hystérique toujours une idée autosuggestive directe comme dans les cas traumatiques de M. Charcot, nous avons réussi à montrer de quelle nature la lésion ou plutôt l’altération dans la paralysie hystérique devrait être, pour expliquer ses différences avec la paralysie organique cérébrale.
(1) – Chemin faisant, je ferai remarquer que ce caractère important de la paralysie hystérique de la jambe que M. Charcot a relevé d’après Todd, à savoir que l’hystérique traine la jambe comme une masse morte au leu d’exécuter la circumduction avec la hanche que fait l’hémiplégique ordinaire, s’explique facilement par la propriété de la névrose que j’ai mentionné. Pour l’hémiplégie organique, la partie centrale lie l’extrémité est toujours un peu indemne. Le malade peut remuer la hanche et il en fait usage pour ce mouvement de circumduction, qui fait avancer la jambe. Dans l’hystérie, la partie centrale (la hanche) ne jouit pas de ce privilège, la paralysie y est aussi complète que dans la partie périphérique et en conséquence, la jambe doit être trainée en masse.
L’automatisme mental et les
acquisitions modernes de la neurophysiologie et de l’électrophysiologie cérébrale.
Le testament scientifique de De Clérambault.
Par le Dr Ph, SCOURAS , Professeur agrégé à la faculté de médecine d’Athènes, Extraits de « L’Encéphale » – Athènes – n° 2/3, Août 1950
Dans une note rédigée à notre adresse et destinée à compléter la documentation de notre ouvrage sur l’Automatisme Mental (Athènes 1935) le Maître de l’Infirmerie Spéciale revient, pour la dernière fois, sur une question fondamentale de sa doctrine: celle de l’écho de la pensée.
Nous ne pourrions, croyons-nous, rendre meilleur hommage à sa mémoire, que de publier ce texte, à l’occasion du Congrès de Psychiatrie de Paris, Il nous a paru nécessaire, en outre, d’essayer, comme De Clérambault le souhaitait dans ses conclusions, de confronter ses thèses avec les dernières acquisitions de la Neurophysiologie,
Sans prétendre défendre dans son intégrité la théorie du Maître, ce travail veut montrer, combien l’œuvre de De Clérambault est encore riche en perspectives et en inspirations fécondes,
Comme on le verra, De Clérambault y décrit les caractères de l’Echo, en précise la genèse et aboutit à ce qu’il appelle « le délire autoconstructif » avec son mode de « propagation automatique ».
Certains rapprochements, aux lois générales du fonctionnement du S. N., y sont expressément notés, préjugeant ainsi les acquisitions récentes de la Neurophysiologie et de l’Electrophysiologie cérébrale, Dans ces « rapprochements physiologiques », nous avons l’expression ultime de la pensée du Maître, le point culminant et définitif de son évolution: « Ma pensée a progressé, écrit-il, dans la même lettre. Vous trouverez, dans la note ci- jointe, la conception du Délire auto -constructif, pour moi, actuellement, dernier terme de l’Automatisme Mental ». (1).
Voici maintenant la copie fidèle de ce document précieux, qui doit occuper une place d’honneur dans l’œuvre posthume du Maître (2).
« L’écho est une sorte d’audition avec sentiment d’extériorité au moins psychique et avec ou sans psychomotricité, des mots pensés ou sur le point d’être pensés (écho de la lecture, écho de l’autoscopie normale etc.).
Dans l’écho anticipé des perceptions ‘il n’y a pas seulement sonorisation, mais verbalisation autonome préalable. Dans les additions à l’écho » (plaisanteries, défis, commentaires, ordres), se manifeste un travail idéatoire de plus en plus constructif. Quelquefois l’écho n’a pas lieu, mais des répliques où des commentaires suivent immédiatement la pensée. Autrement dit en partant de l’écho se développe une idéation verbalisée, dépourvue d’annexion au moi et plus ou moins sonorisée.
La formule la plus simple de l’écho « il marche, il sort » semble contenir déjà une légère modification de la pensée personnelle du sujet qui doit être « je marche, je sors »; ce point n’est toutefois pas certain, car dans la rêverie assez souvent chacun dit de soi: « »l marche, il sort, il a bon air » comme s’il jugeait une tierce personne.
Nous ne prétendons pas que toute psychose hallucinatoire commence par des phénomènes athématiques, par l’écho en particulier ; fréquemment la première voix entendue émet une phrase pourvue de sens : sarcasme, menace ou prédiction. Nous invitons seulement à partir de l’écho pour étudier la gradation, en complexité, de la pensée hallucinatoire.
Les voix ne se limitent pas à de simples commentaires: elles pensent par elles-mêmes et jettent dans la conscience du sujet des formules toutes faites sur thèmes imprévus. Il y a des voix évocatrices qui rappellent des faits oubliés, des voix informatrices, des voix prophétiques, des voix fabulatrices qui, feuilleton par feuilleton, pourrait-on dire, présentent au sujet un roman de plus en plus riche et précis. Il y a des voix explicatrices; celles-ci, il est vrai, viennent au devant de la curiosité du sujet; mais les précisions qu’elles apportent sont imprévues.
Le malade réfléchit et imagine fort peu, surtout s’il n’est pas stimulé par une ardeur paranoïaque. Les données majeures du roman sont l’œuvre des voix, le malade nous le dira lui-même. Ce sont ses voix qui lui ont appris le nom du groupement qui l’observe, le but poursuivi, les moyens dont on dispose les liens entre son affaire et la vie politique, en un mot tout ce qui à première vue semble résulter d’un travail interprétatif ou au moins imaginatif. Les néologismes mêmes sont, presque constamment, l’œuvre des voix: le sujet ne fait que les »répéter; souvent il en ignore le sens: si nous le prions de l’expliquer il nous réplique « demandez leur ».
Les néologismes dûs aux voix sont généralement expressifs dénotant un sens artistique et linguistique d’une qualité supérieure à celle du sujet (comme il arrive pour quelques exercices verbaux des maniaques et des glossolales).
Par contre les conceptions énoncées par les voix sont d’une qualité inférieure à celle de l’esprit du sujet: puériles, outrancières, dénuées de vraisemblance. Le sujet dit de ses tourmenteurs « ils sont fous; ils veulent me rendre fou; ils voudraient me faire croire des sottises ». Bref til repousse leurs suggestions; mais peu à peu il s’y habitue, en doute seulement, puis n’en doute plus. Cette adhésion au roman hallucinatoire est l’œuvre surtout de l’affaiblissement intellectuel.
Le roman construit par les voix peut être appelé un Délire Auto-Constructif. Le lot d’idées et de sentiments qui le constitue réalise (métaphoriquement bien entendu) une Personnalité Seconde, par opposition avec la Personnalité Prime, celle du sujet. Entre les deux ont lieu des perpétuels échanges. Les idées de la première sont reprises et travesties par la seconde; toute irritation du sujet se transforme en voix injurieuses par un mécanisme de retournement d’amplification, et de péjoration qui est un des traits fonciers de ‘A. M. dès son début. Par contre les émotions heureuses, généralement, ne sont pas stimulantes pour les voix: elles les suspendent. Ainsi l’idée de persécution progresse, favorisée par des causes mécaniques.
La Personnalité Seconde est, au point de vue de la progression vers la démence, en avance sur la Personnalité Prime. Lorsqu’un délirant exprime devant nous une conception tellement absurde qu’elle contraste avec son degré de conservation intellectuelle, nous pouvons être à peu près sûrs que cette idée lui a été fournie par les voix. Ce qui est aujourd’hui la pensée de ses hallucineurs sera la sienne dans quelques années.
La tendance à l’absurdité se manifeste, dès le début de l’A. M., dans les jeux verbaux et les non-sens: résultat naturel, semble-t-il, du procédé de dérivation qui les engendre.
Le Délire Auto-Constructif, produit lui-même de tout un réseau grandissant de dérivation, ne peut pas ne pas contenir une prédominance d’absurdité.
A la période de démence les deux personnalités ont adopté le même thématisme. Leurs niveaux se sont rapprochés.
La personnalité première, envahie par les formules thématiques et athématiques plus ou moins stéréotypées, s’est rétrécie. A cette période tous les éléments délicats du syndrome S ont disparu. Par contre les phénomènes négatifs et diffus, (aproséxie, perplexité, vide intellectuel, inhibition), qui au début ne survenaient qu’épisodiquement, deviennent la règle; ces phénomènes déficitaires du début sont en continuité directe avec la démence terminale qu’ils présageaient.
Ainsi d’un bout à l’autre du décours de la psychose nous observons une activité constructive qui, limitée d’abord à de simples tours de phrases fragments de phrase et courtes phrases, devient graduellement créatrice de conceptions systématiques (voir fig. 2 fac-similé).
Parmi les thèmes qu’exploite le Délire Auto-Constructif figurent fréquemment des blocs affectifs anciens, par exemple le souvenir d’une ancienne liaison. Ce serait un tort de considérer cette résurgence comme dûe au travail spontané des reliquats de la vie passionnelle, De telles résurgences se produisent dans les ivresses: et là il apparaît nettement que les incitations morbides dûes au toxique reconstituent des frayages anciens; il en est de même dans les psychoses hallucinatoires chroniques, pour des incitations de nature inconnue. L’Affectif intervient ainsi dans la construction du délire mais parce qu’il est réveillé et manœuvré »par l’Organique.
Il est à remarquer que les ivresses pathologiques et les psychoses alcooliques subaiguës utilisent surtout des données d’actualité, tandis que les données très anciennes, (comme par une variante de la loi de Ribot pour la mémoire et de la loi de Pilez pour le rêve) sont l’objet ordinaire des résurgences dans les psychoses hallucinatoires chroniques. De telles résurgences sont des écmnésies partielles, et l’écmnésie, qui est une sorte de centrotype de l’amnésie, doit dépendre comme elle de causes mécaniques.
Au Congrès de Blois (1927) nous proposions comme objets prochains d’observation et d’analyse:
1) La constructivité automatique.
2) La dérivation, en tant que processus générateur des phénomènes »parasitaires et de l’idéation autonome.
3) Les attractions entre influx morbide et agrégats préexistants.
4) La tendance descendante générale des phénomènes parasitaires.
5) Le rattachement de ces faits aux lois de la chronaxie ».
Ces dernières propositions pour « observation et analyse » retiendront ICI toute notre attention :
Ce que De Clérambault désigne par « constructivité automatique » peut être considéré comme l’expression imagée d’un fait neurophysiologique exact: L’architecture polysynaptique des Centres Nerveux et leurs réseaux neuroniques.
Il s’en suit qu’une salve de pulsions nerveuses peut donner des effets activés ou inhibés, en raison du « cheminement complexe des pulsations dans les chaînes neuroniques centrales » (Chauchard).
L’aiguillage sélectif basé sur la différenciation des propriétés chronaxiques des neurones, en assure le fonctionnement. Celui-ci représente la somme des oscillations entre états opposés: la dynamogénie et l’inhibition,
La dynamogénie, écrit Chauchard, aboutissant à la dépolarisation avec fonctionnement autorythmique, synchronisation élective et frayage par isochronisme et inversement l’inhibition aboutissant au freinage des influx et à l’isolement des neurones».
Frayages et freinages suivent donc le conditionnement chronaxique des neurones intéressés et trouvent leur explication dans « cette conception extrapolée des synapses interneuroniques » (Prof. Bonnardel).
A côté de ces faits s’inscrivent les expériences classiques de Dusser de Barenne et de Mc Culloch sur l’interaction de la facilitation (frayage) et de l’extinction (inhibition). Elles ont le mérite d’unifier les phénomènes d’excitabilité de tout le S. N. et de fournir d’après Fulton « une base commune pour la discussion des problèmes de l’excitation et de l’inhibition dans le S. N. considéré dans sa totalité ».
Il en résulte que la coordination et l’intégration des activités du S. N. C. sont réalisées par un double mécanisme d’excitation et d’inhibition réciproques. Certains facteurs biochimiques influencent la marche des chronaxies centrales, et par conséquent celle de l’excitation et de l’inhibition: modification du pH., Acécholine, ions K +, anoxie, Hypercapnie, etc.
Ainsi le R. O. C. est ascendant dans les états « d’hypertonus » maniaque, la vagotonie augmente l’autoscopie normale, l’ivresse toxique reconstitue quelques frayages anciens (liaisons éteintes), les processus psychosiques opèrent une sélection péjorative des affects, etc.,… Faits que De Clérambault avait bien entrevus dès ses premiers travaux. Mais ce n’est pas chose facile que d’ajuster les postulats de la doctrine aux données de la Neurophysiologie. Nous essaierons, pourtant, de risquer ici, quelques points de vue personnels.
En ce qui concerne l’écho de la pensée, ou pour concevoir ce phénomène comme le résultat soit d’une égalisation de chronaxies des centres entraînant « uue diffusion anormale des réponses » (Chauchard), soit d’une bifurcation d’un même courant à partir de l’impulsion-mère.
Celle-ci intéresserait les neurones sous-corticaux, en faveur d’une différenciation chronaxique d’origine diencéphalique. Lapique, Bourguignon, et Chauchard considèrent, en effet, les régions de la base comme les centres des dispositifs nerveux nécessaires à la régularisation de subordination.
Un mécanisme chronaxique voisin pourrait être évoqué également pour expliquer les arrêts, vides et barrages, si fréquents dans la schizophrénie et les états de dissociation psychique. On pourrait les attribuer à une « surpolarisation » des neurones tenant d’après Chauchard une place importante dans la genèse de l’inhibition. Partant du centre basilaire, l’inhibition submergerait alors l’activité neuronique dans une vague d’Hétérochronisme transitoire. Une analogie expérimentale de ces faits serait fournie par les modifications de potentiel enregistrées dans les ganglions sympathiques et la moelle (Eccles, Forbes, Mathews), les neurones intercalaires n’étant pas accessibles à l’expérimentation,
Ainsi la cause de ce que notre Maître appelait Dérivation (« le délire autoconstructif, écrit-il, étant le produit de tout un réseau grandissant de dérivation »), source principale d’énergie nerveuse et instigatrice de sa mise en action automatique, pourrait bien être dûe aux troubles de la chronaxie.
Dès le début de ses recherches sur l’Automatisme, De Clérambault en avait aperçu la signification avec une précision d’observation toute personnelle: « Les changements de la formule. chronaxique, écrivait -il, les dystonies, les syntonies artificielles cadrent, pour le mieux, avec les débordements d’influx, frayages, forçages. Ils nous fournissent des métaphores précisant celles empruntées à l’idée du courant et ces métaphores, qui se superposent si exactement aux faits psychiques, pourraient bien être l’exact énoncé des faits psychiques».
Le mécanisme de la dérivation, concluaitil, semble bien consister en des troubles de la chronaxie.
A la lumière de la Neurophysiologie moderne, ces « métaphores » pourraient bien devenir des réalités qu’il nous resterait à mesurer et à inscrire sur des graphiques.
La « constructivité automatique » pourrait trouver aussi d’autres points d’appui comme par exemple dans l’Electroencéphalographie.
Adrian a montré que la fréquence ou plutôt le rythme des ondes d’influx, dans les fibres nerveuses, s’accroît avec l’intensité de l’excitant. La persistance d’une sensation, après la fin de l’excitation, si nette pour la vision, explique l’automatisation sensorielle qui est le fait d’une augmentation de fréquence à l’obscuration.
Le sondage éléctroencéphaloraphique des voies de transmission du cortex, met en évidence les variations du nombre de groupement et de fréquence des signaux transmis. On peut ainsi se rendre compte des conditions du travail cortical sous-tendant l’activité psychique. La réponse corticale à l’excitation de la rétine par la lumière est particulièrement instructive à ce sujet. En effet, si on éclaire rythmiquement la rétine, la durée et l’intensité de l’éclairement étant constantes, on observe sur l’E. E. G. une réaction stable et rythmée. Mais si on suspend l’éclairement, le cortex continue, pour quelque temps, à répondre par des oscillations du potentiel électrique, conservant la succession rythmée et la fréquence des stimulations visuelles antérieures. Il s’est donc produit « une automatisation du comportement cortical » (Rijlant), qui se traduit par une persistance des réponses rythmées semblables à celles que produit la stimulation périphérique.
Le processus automatique, générateur « des phénomènes parasitaires et de l’idéation autonome » pourrait ainsi trouver une base d’explication dans l’activité bioélectrique du cortex anormalement prolongée.
C’est dans le même ordre d’idées que nous pourrions interpréter les postulats les plus importants de la doctrine, postulats taillés en aphorismes lapidaires, devenus justement célèbres: « L’extension graduelle des réseaux de dérivation ». « La diffusion irradiée de l’influx nerveux expliquant les troubles verbaux de l’automatisme ». « Le courant tourne dans les anneaux intriqués passant, par forçage, de l’un à l’autre ». « Tout influx morbide se diffuse, surtout en descendant ». « Les courants factices partent des points nodaux qui consistent en des épines neurologiques ». Etc.
Ces postulats considérés, par certains, comme notions sans fondements (voir la critique encore toute récente du Dr H. Ey) pourraient à la lumière de l’Electrophysiologie, devenir des vérités scientifiques: foyers d’autorythmicité, synchronisation neuronique, facilitation et blocage, propagation d’ondes etc… Ce ne seraient plus de simples analogies de surface, mais des faits, pouvant éclairer d’un jour physique nouveau, l’agencement des structures délirantes de base. On sait, d’autre part, que par les procédés modernes de localisation de l’activité bioélectrique corticale: points d’origine des ondes a, dans le cortex occipital, activité théta au pourtour des tumeurs, anomalies focalisées chez les épileptiques etc …, on parvient aisément à indiquer, avec précision, le siège des foyers, même latents, émergeant d’une irritation locale. Donc, si aujourd’hui cela est possible pour l’épilepsie (dysrythmie cérébrale du prof. Delay) pourquoi ne pas conserver l’espoir d’un même résultat pour «l’épine neurologique» substratum de l’automatisme, lorsque plus tard, nos moyens techniques nous permettront, peut – être un dépistage plus subtil de l’activité bioélectrique du cerveau malade (3).
Développant sa conception biologique des délires, le Dr Guiraud est amené, dans son rapport, à critiquer les théories pathogéniques précédentes et, par conséquent, celle de De Clérambault. Il estime que le malade pourrait bien aller de l’hallucination au délire, à condition qu’un excitant produise, sur les voies et la zone auditives corticales, des esthésies continuelles et intenses.
Mais cette pathogénie, écrit-il, est rare, et il faudrait apporter, à son appui, « des observations probantes » que la littérature « n’en fournit guère ». Quelques pages avant, le Dr Guiraud fait remarquer que l’explication anatomopathologique « est la partie la moins travaillée dans l’œuvre de De Clérambault ».
Bien que le Dr Guiraud reconnaisse lui même, que « langage neurophysiologique et langage psychologique » ne diffèrent pas essentiellement; que la Neurophysiologie moderne « atténue largement l’opposition entre l’organique et le psychogène »; que nous sommes obligés, actuellement, « d’envisager la face Neurophysiologique des psychoses », sous peine de retour au dualisme, et que de ce fait la preuve peut être apportée par des données anatomiques aussi bien que neurophysiologiques, je me permettrai, toutefois, de faire observer que la littérature n’est pas si pauvre en faits expérimentaux et anatomiques,
De Clérambault en faisait grand cas et les citait avec ferveur: expériences de De Jong et Baruk, travaux de De Morsier et Morel, sur l’origine mécanique de l’Echo de la Pensée, etc.,
D’autre part, nous ne croyons pas que l’organicisme du Maître consistait simplement à « un acte de foi ».
L’exemple de la P. G. ne semble pas plaider en faveur d’une telle affirmation, Jusqu’à présent, personne n’a démontré le substratum anatomique du syndrome S, du petit automatisme nucléaire, mais ce que l’anatomie n’a pas fait, la neurophysiologie est, peut -être, en train de l’accomplir.
Le Dr Guiraud en parle très explicitement dans son. rapport: « j’ai signalé, il y a déjà longtemps, que la non reconnaissance, par le moi, de certains états psychiques peut s’exprimer, en langage neurophysiologique, par un défaut d’accord chronaxique entre deux appareils neuroniques ».
Bien entendu reste ensuite à expliquer l’essentiel, c’est à dire le pourquoi et le comment dé cette dystonie interneuronale. De Clérambault n’aurait, certainement pas, soutenu autre chose.
Rapportons, maintenant, quelques documents en faveur de l’A. M., puisés justement dans la littérature. Nous en soulignons ici la portée doctrinale.
Certains auteurs (Foerster, Pfeifer) ont pu obtenir des phénomènes automatiques auditifs, par excitation électrique de l’aire de projection corticale de l’organe de Corti. Frazier et Browe ont noté dans 59 cas de tumeurs vérifiées du lobe temporal, des phénomènes auditifs et dans quelques cas, un écho net de la pensée. Egalement, par excitation électrique de l’aire 22, on a réussi à susciter, chez le patient, des voix et des mots (Fœrster).
Hoff et Silbermann, par réfrigération au chlorure d’éthyle de la première circonvolution temporale droite, ont provoqué des voix entendues et l’écho de la pensée. Mêmes phénomènes ont été signalés chez des malades atteints de crises uncinées et d’auras épileptiques, Chez un malade de Morel, avec ramollissement étendu de la 3ème circonvolution temporale gauche, le début de l’affection a été marqué par des voix dans l’oreille. Par ailleurs, on connaît les rapports étroits entre les hallucinations et les troubles aphasiques: la désorganisation du langage faisant suite aux hallucinations verbales (hallucinations paraphasiques, dans la maladie de Pick, surdité verbale hallucinatoire dans la P. G. (Strohmayer).
Le rôle des afférences proprioceptives est bien compréhensible dans la production des hallucinations verbales, depuis que l’on a compris la valeur des mouvements articulatoires dans l’audition (Morel). L’immobilisation des lèvres, de la langue et du larynx suppriment les phénomènes automatiques, au fond, plus moteurs qu’auditifs.
Par ses expériences de «vocalisation» Penfield a obtenu de curieuses manifestations hallucinatoires, en excitant certains points de la corticalité premotrice,
De tels faits nous offrent donc d’intéressants aperçus sur la mécanique cérébrale en nous dévoilant l’importance des zones organisées du langage, dans l’élaboration des phénomènes dits automatiques: mécanismes verbaux montés, afférences proprioceptives etc.
De Clérambault avait certainement raison lorsqu’il soutenait que c’est au niveau des zones les plus organisées du cortex, que les phénomènes complexes de l’automatisme prennent naissance, déclenchés par des stimulus élémentaires. « L’organisation automatique », disait-il, « est un résultat naturel de la constitution cérébrale même. La complexité résulte d’organisations préétablies ». On comprend maintenant, pourquoi le délire est un produit autoconstructif dérivant d’ »organisations préétablies ».
Voici d’ailleurs comment, à notre avis, De Clérambault en concevait la structuration: Ce qui prédomine au début de l’A. M, est une pensée mécanique et parasitaire, se traduisant par des processus verbaux: écho, anidéismes divers, pensées sonores, pensées devancées, mots explosifs, non-sens, néologismes, et par des processus idéo – verbaux: intrusions, commentaires, dévidage muet des souvenirs, intuitions, télépathies, prémonitions plus ou moins accompagnés de blocages et d’arrêts. Les psychoses toxiques et organiques nous offrent, comme on l’a vu, de tels « anidéismes » neutres se superposant sur ceux des psychoses vésaniques et endogènes.
Mais l’automatisme, processus ample et extensif, peut, dans ses variantes, progresser à la faveur d’une désappropriation des ruminations mentales subconscientes, qui tiennent l’arrière plan de la pensée. Ces ruminations, s’imposant d’une manière obsédante et incœrcible, critiquent, commentent et jugent le comportement du sujet. Tant que cette rumination avance et progresse, elle « se sensorialise », se chargeant de contenu sensoriel auditif. Le malade entend ses pensées…
Sur ces ruminations mentales incœrcibles et obsédantes, ceux qui reprochent à l’A. M. son caractère « atomistique et parcellaire », n’en soufflent pas mot. Ils ne retiennent que les anidéismes mécaniques de la période de début. Et pourtant, c’est à ces manifestations subconscientes qui se déroulent dans les infrastructures cérébrales, au-dessous du plan de la synthèse, que l’Automatisme doit sa vigoureuse originalité. C’est en rattachant la cause organique aux couches profondes de la personnalité qu’il parvient à dégager du vrai délire le côté « romancé » de la psychose (4). Ce dernier tient, sur le fond sombre et incolore de l’automatisme, là place d’une superstructure monstrueuse et anarchique, issue des profondeurs de la personnalité malade.
Le délire qui en découle est autoconstructif, en ce sens qu’il est élaboré par le processus automatique des zones organisées, depuis la désappropriation de la pensée au moi (écho) jusqu’à son thématisme terminal. Ce dernier, mécaniquement soutenu par le processus automatique basal, s’achemine vers la démence par une sorte d’effondrement progressif de sa charpente néoformée.
Ainsi, du commencement jusqu’à la fin de la psychose, nous assistons à une progression insensible du processus automatique initial, mûrissement graduel de ses mécanismes d’action qui s’enfoncent de plus en plus dans la personnalité. Cette dernière se laisse enfin « manœuvrer par l’organique ».
Il nous est, malheureusement, impossible de nous étendre ici davantage sur ce point capital de la question, à savoir la psychopathologie du délire autoconstructif. On pourrait lui envisager plusieurs aspects: aspect phénoménologique, structural, génétique, gestaltiste et même Jacksonien. Regrettons qu’un rapport sur le « délire autoconstructif », vu sous plusieurs angles et sous ses multiples aspects, ne soit pas présenté par un des élèves du Maître, au congrès de Psychiatrie de Paris. La psychopathologie du délire en aurait tiré quelques aperçus nouveaux.
Et maintenant, avant de finir, revenons à notre point de départ. Nous ne croyons pas à l’incompatibilité du langage physiologique et psychologique. Nous ne sommes plus à l’époque où Pierre Janet, dans un mouvement de critique acerbe, s’élevait contre cette « déplorable confusion de langage ». Il y a longtemps, écrit le Dr Guiraud, que sur ce point l’accord tend à s’établir. La Neurophysiologie et l’Eléctrophysiologie cérébrale, à qui les maîtres les plus qualifiés de l’heure actuelle n’hésitent pas à faire appel, sont peut -être destinées, dans un avenir proche, à étendre leur application tant à la psychophysiologie qu’à la médecine mentale. De Clérambault eut l’immense mérite d’en avoir aperçu, le premier, la signification doctrinale comme en témoigne son testament scientifique, rédigé quelques jours avant sa mort.
Ce travail nous a été dicté, non seulement par le désir de rendre un humble hommage de fidélité à sa mémoire, mais encore, par la lourde obligation que nous impose l’honneur d’avoir été, par la force des choses, le dernier, peut -être, à qui le Maître confia ses pensées. Nous nous estimerions très heureux, si nous avons réussi d’en tirer, sans les trahir, de dignes déductions.
(1)La lettre, qui accompagnait la note sur l’écho de la pensée, porte la date du 13 Novembre 1934, Parvenue quelques jours avant la triste nouvelle de sa mort, nous l’avons toujours considérée, pour cette raison, comme une sorte de testament scientifique du Maitre, Nous la reproduisons en fac-similé (fig, 1),
(2) Dans les deux volumes, où le Dr Frétet a pieusement réuni tous les écrits de De Clérambault, le dernier, en date, est une intervention à la Société Médico-Psychologique de Paris, Octobre 1934. La conception de l’Echo de la pensée a été développée, surtout dans son article fondamental de la Pratique Médicale Française, Juin 1926 (second article), ainsi que dans son rapport au Congrès de Blois. Depuis ces travaux. on peut trouver les jalons de l’évolution de sa doctrine et plus spécialement en ce qui concerne l’écho de la pensée, dans les interventions et les travaux suivants : Discussion du rapport du Dr M. Keyrac au congrès de Blois.
Du rôle de l’affectivité dans les psychoses hallucinatoires chroniques. Annales Méd. Psycho Mai 1927.
Sur le mécanisme automatique foncier de certains délires interprétatifs. Congrès de Rabat 1933.
Le délire autoconstructif. Soc. Méd. Psycho 20 Octobre 1934.
Cette intervention caractéristique de la progression de sa pensée est la dernière en date. Pour le Dr H. Ey (Etudes psychiatriques p. 78, 79) c’est le testament solennel» du Maitre et cla clé de voûte de son système>. Pour nous, ce n’est encore qu’une esquisse qu’il précisera et systématisera dans le texte que nous publions et que sa mort rendra définitif.
(3) Pour le moment, l’Electrophysiologie n’est encore qu’à ses débuts .• Elle n’offre, nous dit le prof. Delay, que le reflet d’une activité bioélectrique primaire, qui n’est pas différente chez l’homme et le coléoptère •.
(4) Rappelons ici que les phénomènes automatiques correspondent aux Wahn-Ideen de la classification de Jaspers et le thématisme délirant de la maturité aux Wahnhafte ldeen.
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
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