François Boissier de Sauvages. Anhelationes spasmodicæ. Extrait de la « Nosologie méthodique, ou distribution des maladies en classes, en genres et en espèces… », (Paris), tome quatrième, 1772, pp. 163-273.
Le cochemar se trouve Dans la Classe cinquième, ordre Premier de la classification.
François Boissier de Sauvages de Lacroix (1706-1767). Médecin et botaniste. Il reste comme le fondateur de la nosologie, qui est elle-même la base de la classification des maladies mentales. Parmi les 2400 maladies qu’il ordonne en classes, dores, genres et espèces, apparaissent les maladies psychiatriques dans la huitième classe. La Nosologie Méthodique a été notamment utilisé par Philippe Pinel dans sa Nosographie philosophique.
Quelques publications :
— Dissertations sur les medicamens qui affectent certaines parties du corps humain plutôt que d’autres ; et quelle seront la cause de cet effet, Bordeaux, 1751.
— Nosologia methodica sistens morborum classes, genera et species, juxta Sydenhami mentem et Botanicorum ordinem, Amsterdam, Frères De Tournes, 1763, 5 volume.
— Nosologie méthodique dans laquelle les maladies sont rangées par classes, suivant le système de Sydenham, & l’ordre des botanistes. Paris, Hérissant le fils, 1771, 10 volumes.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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ORDRE PREMIER
ANHELATIONES SPASMODICÆ.
En François, Souffles convulsifs, Passiones spiritualium partiumGordon ; Expirationis vitia, Ettmuller. Lésions de l’expiration ; Essouflemens convulsifs.
Ce sont des maladies, ou plutôt des symptomes légers, passagers, mais réitérés, dont la plus grande partie consiste dans des expirations sonores & spasmodiques ; car le hoquet fait fait du bruit pendant l’inspiration. Ces maladies tiennent des spasmodiques & des essouflemens ; & la plupart, comme la toux, le bâillement, le ronflement, l’éternument accompagnent les autres [p. 264] maladies, & par conséquent n’en sont point des symptomes essentiels.
Duret, dans les Annotations sur Hollier, de asthmate & de tussi, a donné une théorie de cette classe vraiment mécanique & fondée sur la doctrine d’Hippocrate, laquelle, quoique simple, l’emporte fur l’Etiologie des Modernes.
I. EPHIALTES ; Cochemar.
Ce mot est Grec, & composé de deux autres epi& allomai, je faute dessus, parce que ceux qui sont attaqués de cette maladie s’imaginent qu’un animal leur saute sur la poitrine pour les étouffer.
Thémisonl’appellepnigalion, à cause de la suffocation dont elle est accompagnée, & pnigamon; Cælius Aurelianus, épibole, je presse dessus , parce que les malades s’imaginent avoir sur eux un poids qui les étouffe. Dioscoride,pnigmon upo ephialton ; Plline, ludibria Fauni, parce que les Romains l’attribuoient aux Faunes. Les Modernes croient qu’elle est causée par certains esprits malfaisans qui errent la nuit ; les Anciens l’attribuoient à des Démons lafcifs [p. 265] qu’ils appelloient incubes & succubes, d’où vient qu’on donne les mêmes noms à cette maladie. Les François l’appellent incube ; les Lyonnois, chauchevieille ; Galien & d’autres, épilepsie nocturne, asthme nocturne, &c,
C’est un genre de maladie périodique qui attaque les personnes qui dorment, & dont le principal symptome est une dyspnée pendant laquelle on s’imagine avoir sur la poitrine un corps qui étouffe.
Cette maladie attaque principalement ceux oui dorment sur le dos ; elle se manifeste par une respiration plaintive, gémissante & inquiète, & le malade n’est pas plutôt éveillé, que son songe & sa maladie disparoissent.
L’âme veille, dit Hippocrate, pendant que nous dormons, & s’acquitte de toutes les fonctions corporelles, comme cela paroît dans l’éphialte ; car, comme l’âme, avertie en dormant de l’acrimonie de la semence qui est dans les vésicules, joint à cette sensation les idées accessoires qui l’accompagnent ordinairement & emploie les moyens nécessaires pour satisfaire sa passion, de même, lorsqu’il se trouve dans les [p. 266] organes de la respiration quelque obstacle qui la gêne, séduite par son imagination, elle joint à cette sensation l’idée d’un démon malfaisant, d’un chat ou d’un chien qui l’étouffe en se mettant sur la poitrine, ou d’une vieille sorcière qui l’étrangle, & cette idée l’effraie si fort, qu’il s’agite, sue, crie autant que le sommeil dans lequel il est plongé peut le lui permettre ; mais il n’est pas plutôt éveillé qu’il reconnaît son erreur, & tous ces accidens s’évanouissent.
Dans le cas dont parle Hippocrate, le songe est déterminé par l’obstacle qui gêne le mouvement de la poitrine ; mais il est certain que la suffocation est quelquefois causée par le songe qui a précédé. Je me souviens qu’étant jeune j’ai songé plusieurs fois qu’un chat montoit sur mon lit, mais je ne me sentois suffoqué que lorsque je m’imaginais qu’il s’étoit jeté de mes pieds sur ma poitrine ; par où l’on voit que c’était le songe qui causoit ma suffocation, & que celle-ci n’influoit en rien sur mon songe, comme on le croit pour l’ordinaire ; & il suit de cette observation, qu’encore qu’il n’y ait aucun vice [p. 267] dans la poitrine, l’imagination seule peut causer une dyspnée considérable accompagnée de fièvre , de sueur & d’angoisses beaucoup plus violentes, que si la cause qui affecte notre imagination agissoit réellement sur nous.
- Ephialte pléthorique ; Ephialtes plethorica, Craanen, P.
Il est causé par une pléthore émue, par la chaleur du lit, la pesanteur des couvertures, lors surtout qu’il règne un vent du midi , & il attaque ceux qui dorment sur le dos, surtout si la pléthore augmente par la bonne chere, & par la suppression des flux de sang auxquels on est sujet. Dans ces circonstances, le sang venant à se porter au cerveau, occasionne des songes qui sont accompagnés dans les uns de terreurs paniques, dans d’autres d’un écoulement de semence, dans d’autres du cochemar, surtout si les poumons se trouvent déjà affoiblis, & que le sang ait peine à circuler.
On peut le prévenir par la saignée, la s obriété, en s’abstenant de souper, & en dormant sur le côté, la tête un peu élevée.
- Ephialtes stomachique; Ephialtes [p. 268] stomachica, Rivière, appelé par quelques-unsEpilepsie nocturne. P.
Cette espèce est causée par le ventricule, qui se trouvant rempli d’alimens qui n’ont pas eu le temps de se digérer, pèse sur le diaphragme, aussi bien que par l’engorgement du cerveau, occasionné par un chyle épais & abondant qui épaissit le sang. Ceux qui s’éveillent dans l’accès, ont la langue sale, des rapports, des nausées & des pesanteurs de tête. Les personnes crapuleuses qui se couchent aussitôt après avoir mangé, y font fort sujettes, lors surtout qu’elles dorment sur le dos, la tête de niveau avec le corps. Les enfans y font plus sujets que les adultes, & ceux qui mangent beaucoup, plus que les autres. A l’égard des songes, ils varient suivant les mœurs des malades. Ceux que les servantes entretiennent de contes de lutins, de lémures, de faunes, & d’autres contes de vieilles, s’imaginent en être maltraités en dormant ; ceux qui craignent les chiens, les chats & autres animaux malfaisans pendant le jour, s’imaginent en être attaqués pendant la nuit.
La cure exige l’émétique, les cathartiques, [p. 269] la sobriété, l’abstinence du souper, du vin, des viandes noires , des liqueurs spiritueuses. Au cas que la digestion languisse, on emploira les stomachiques amers, le quinquina, le rhapontic, l’aloès.
Cette espèce provient de l’ivresse, de la bonne chere, & surtout des débauches nocturnes, d’où vient qu’elle est plus fréquente que les autres. Les songes & les sièges des symptomes varient selon le caractère des malades. Les libertins rêvent aux femmes, les gens de guerre , comme le soldat dont parle Tymée, qu’un ennemi les égorge ; un de mes amis s’imaginoit qu’il montoit un escalier, & qu’il était pressé entre deux murailles. L’accès est passager, & ne demande qu’une cure prophylactique.
- Ephialte causé par un hydrocéphale; Ephialtes ex hydrocephalo, Lotichii , obs. lib, 4. observ. 3. Bonet, Sepulchret, tom. I.pag. 180. observ, I. Lower. de corde,cap. I. C. P.
Un jeune homme mélancolique, sujet aux vertiges & qui avoit la vue basse, mourut après avoir eu plusieurs terreurs nocturnes, &, diverses attaques de [p.270] cochemar. On l’ouvrit, & on lui trouva le cerveau parsemé de veines noirâtres, couvert de sanie, & le sinus gauche rempli de mucosité. Le malade penchoit toujours la tête du côté gauche. Bonet rapporte deux autres observations d’ephialtiques dont les sinus du cerveau étoient remplis d’eau, & c’est ce qui a donné lieu à l’opinion que l’éphialte a son siège dans le quatrième sinus du cerveau, & que cette sérosité s’écoulant lorsqu’on a la tête basse, occasionne cette maladie. Je suis persuadé que cette cause est extrêmement rare, rien n’étant plus ordinaire que de trouver de la sérosité dans les sinus du cerveau, lorsqu’on tarde à ouvrir le cadavre, & plus on tarde, plus cette sérosité est abondante. On parle d’un Académicien d’Oxford qui étoit affligé d’une hydrepisie de poitrine & du cochemar, & dans ce cas il est plus aisé d’avoir les signes de cette espèce. Les hydragogues, les setons, les diurétiques, font les remèdes qui lui conviennent. Lower se trompe lorsqu’il croit que les éphialtiques ont toujours un hydrocéphale.
- Ephialtes vermineux;Ephialtes verminosa, Ettmnller, de incubo, P. [p. 171]
Cette espèce a son siège dans le ventricule même, & l’enfant dont l’estomac est rempli de vers peut aisément songer qu’il a dans l’épigastre quelque chose qui l’épouvante. La frayeur que cause une pareille imagination, excite un vrai éphialte, & l’on voit tous les jours des gens à qui une frayeur subite cause une suffocation.
L’indication curative est manifefie.
- Ephialtes tertianaria, Forestus, lib,. 10. Obs. .51. P.
La frayeur & certain symptome extraordinaire qui tenoit de l’incube & de l’épilepsie, revenoit tous les soirs, & durcit depuis neuf heures jusqu’à onze. Une jeune fille de neuf ans avoit tous les trois jours une espèce d’accès de fièvre ; son ventre & sa poitrine se resserroient, elle respiroit avec peine, elle avoit les yeux ouverts & toujours tournés du même côté, elle saisissoit tout ce qu’elle trouvoit sous sa main pour respirer plus aisément, elle répondoit aux questions qu’on lui faisoit, & elle paroissoit être dans son bon sens, elle ne pouvoir dormir, elle soupiroit sans cesse, son ventre s’enfloit, elle avoit une grande oppression de poitrine, [p. 272] elle respiroit avec peine, elle prenoit souvent son haleine, elle étoit oppressée, & elle ne pouvoir parler.
- Ephialte hypocondriaque; Ephialtes hypocondriaca, Ettmuller, de aëris inspiratione. Voyez Schenckius, Incube des personnes éveillées ; Incubus vigilantium, Rhodius, centur, I. observ, 64.P. L.
On prétend que l’éphialte est familier aux hypocondriaques & aux mélancoliques, & je mets ce nombre un certain Prêtre qui s’imaginait fermement qu’une vieille femme de sa connoissance alloit le trouver toutes les nuits, & le pressoit dans ses bras jusqu’à l’étouffer. Vous trouverez dans Forestus, Lib. 10. une histoire approchante & fort curieuse. Les émétiques sont très-contraires à cette espèce ; lors surtout qu’elle est compliquée de vapeurs, de flatuosités & de la sécheresse des intestins. Ces flatuosités peuvent comprimer le diaphragme ; & si le cerveau est disposé au délire, si le sujet est craintif & d’un esprit foible, lui causer un délire, qui commence la nuit, & dure plusieurs jours. Les remèdes qui conviennent à cette espèce, [p. 273] sont les anti-épileptiques, surtout la graine de pivoine, le cinabre & la semence d’anis.
Cette espèce ne présente pas toujours des idées fâcheuses. Raimond Fortisdit avoir traité une jeune fille qui s’imaginoit en dormant avoir un commerce charnel avec son amant, & qui se réveilloit avec un sentiment de pesanteur dans la poitrine, sans voix, sans respiration, le visage couvert de sueur, & une grande pesanteur de tête. Craanenrapporte un cas tout semblable, & on peut en voir d’autres dans Heurnius, Forestus, &c.
Un nommé Silimachus rapporte que quantité de personnes moururent autrefois à Rome de cette passion, qui s’était répandue comme une contagion. Cælius Aurelianus rapporte la même chose de l’incube, qu’il met au nombre des maladies chroniques ; mais cette espèce n’est point assez constatée.
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