Étude d’un groupe d’adeptes d’une secte religieuse. Par Jean Delay, Pierre Pichot, J.-F. Buisson et R. Sadoun. 1965.

DELAY JeanJean Delay, Pierre Pichot, J.-F. Buisson et R. Sadoun. Étude d’un groupe d’adeptes d’une secte religieuse. Article paru dans la revue « L’Encéphale. Journal des maladies mentales et nerveuses », (Paris), 54, 1965, pp. 138-154.

Jean Delay (1907-1987). Psychiatre, neurologue et écrivain, qui s’est beaucoup intéressé au diable et en particulier à la possession démoniaque, sujet sur lequel il publia plusieurs contributions, soit seul, soit en compagnie de collègues. Nous renvoyons pour sa biographie auprès des nombreux travaux qui lui sont consacrées. Nous avons retenu quelques publications.
— Les dissolutions de la mémoire. Préface du Pr Pierre Janet. Paris, Presses Universitaires de France, 1942. 1 vol. in-8°. Dans la « Bibliothèque de Philosophie Contemporaine ».
— (Avec Robert Volmat  & Marcel Raclot). Pensée magique et joie mystique. Article paru dans la revue « L’Encéphale. Journal des maladies mentales et nerveuses », (Paris), 43, 1954, pp. 481-499.
— (Avec Pierre Denier, Thérèse Lemperrièee et C. Leroy). Démonopathie familiale à induction réciproque. Annales médico-psychologiques, 1954, y 2, pp. 402-405.
— (Avec Robert Volmat  & Marcel Raclot.)Pensée magique et joie mystique. Article paru dans la revue « L’Encéphale. Journal des maladies mentales et nerveuses », (Paris), 43, 1954, pp. 481-499. En ligne sur notre site.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les deux notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 138]

ÉTUDE D’UN GROUPE D’ADEPTES
D’UNE SECTE RELIGIEUSE

par

J. DELAY, P. PICHOT, J,-F. BUISSON et R. SADOUN (1)

I

ETUDE CLINIQUE ET PSYCHOLOGIQUE

« … tu es terre et je suis pour toi
l’Air, l’Eau et la Lumière.
Ouvre les yeux et lis le Signe de mon
nom et dis-moi si je ne suis, pour toi,
TR, TO. LUX ou Lumière. »
Georges Roux, Mission Divine. p. 230.

La présence dans notre service d’un membre de la Secte des Témoins du Christ nous a donné l’occasion d’étudier les caractéristiques psychologiques d’un certain nombre d’adeptes de cette Église Chrétienne Universelle qui prétend que Georges Roux, I’employé des postes de Montfavet, est le Christ Revenu sur la terre.

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Gravurre de 1863. LES HAUGIENS, SECTE RELIGIEUSE DE LA NORVEGE. D’APRES LE TABLEAU DE M. TIDEMAND,

I. OBSERVATION CLINlQUE

Le 10 avril 1954 est entrée à la Clinique des Maladies Mentales Mme B…, 59 ans, venant de la Prison de la Roquette où elle avait été incarcérée peu de temps auparavant sous l’inculpation de défaut de soins à enfant de moins de 15 ans, [p. 139] d’omission de porter secours à personne en péril. Une expertise médico-légale ayant conclu qu’elle était en état de démence au moment des faits qui lui étaient reprochés, elle a été internée d’office avec le diagnostic de « délire mystique à thème scientiste ».

Histoire de la malade

Mme B… est née à Paris. D’une famille modeste, elle reçoit une instruction primaire, obtient son certificat d’études à 15 ans puis fait un apprentissage de modiste qui lui permet, à partir de l’âge de 20 ans, de travailler à son compte au domicile de ses parents. À 24 ans, elle se marie et va habiter Bordeaux où son mari tient un bar. Celui-ci, buveur et brutal, ne l’aurait pas rendue heureuse pendant les dix années qu’a duré leur union. Aucun enfant ne naît de ce mariage et en 1930 Mme B… reste veuve à 35 ans.

Au bout de quelques années, en 1936, la malade prend à sa charge une enfant en bas âge, Michèle, qu’elle élève comme sa propre fille bien que ses parents soient en vie et ne semblent pas s’être tout à fait de bon gré séparés d’elle. En 1943, Mme B… recueille une enfant abandonnée, Chantal, âgée de quelques jours, qu’elle élèvera également comme sa propre fille.

En 1947, Mme B… quitte Bordeaux et va habiter Chaville. Elle emmène avec elle Chantal mais laisse Michèle à ses parents qui se sont vraisemblablement opposés à son départ. Cette dernière ne la rejoint que deux ans plus tard et semble-t-il, à l’insu de sa mère. En 1951, la malade vient à Paris où elle prend un commerce de bonneterie qu’elle abandonne en 1953 pour devenir concierge. Elle le restera jusqu’au moment du drame, vivant seule avec ses deux « filles ». Michèle est aujourd’hui âgée de 18 ans, Chantal, qui était une enfant retardée, avait 11 ans lorsqu’est survenu le décès qui a entraîné l’inculpation puis l’internement de Mme B.

C’est en 1951 que Mme B… est devenue Témoin du Christ. À cette époque, elle souffrait d’une hypertension artérielle qui provoquait chez elle un certain nombre de troubles qui la préoccupaient beaucoup : céphalées, vertiges, déficits passagers. Une de ses clientes lui ayant fait part du pouvoir qu’elle avait de guérir par imposition des mains en sa qualité de [p. 140] Disciple du Christ de Montfavet, elle consent à se laisser « traiter » et se soumet à un certain nombre de séances. Elle se sent rapidement mieux, prend connaissance du « Message » de Georges Roux et suit dès lors fidèlement les prescriptions hygiéno-diététiques de la Secte. Le repos, l’alimentation végétarienne ont un heureux effet sur sa maladie hypertensive. Les manifestations fonctionnelles s’atténuent, la maxima baisse de façon durable et Mme B… devient une adepte fervente de Georges Roux, un Témoin du Christ. Elle adopte avec enthousiasme la doctrine du Maître qu’elle contribue à propager dans la mesure de ses moyens et devient elle-même guérisseuse : elle a soulagé une sciatique, un eczéma.

Le 2 mars 1954, Chantal commence une rougeole. L’éruption est d’aspect banal et l’état général est bon. Bien entendu, Mme B… n’appelle pas de médecin. L’évolution semble favorable. Au 5e jour, Mme Bo… note que l’enfant urine très peu et pour rétablir le cours normal de la diurèse impose immédiatement les mains et du linge « traité par la prière » sur le corps de sa fille adoptive. Dans la soirée, une miction assez abondante se produit et confirme à ses yeux la vertu curative de son acte « thérapeutique ». Brusquement, le lendemain matin, s’installe un état suraigu avec hyperthermie, polypnée, altération marquée de l’état général. Mme B… impose à nouveau les mains mais cette fois « sans résultat ». Les heures passent et l’état s’aggrave. Devant l’insistance d’une voisine, Mme B… consent à ce qu’un médecin vienne examiner l’enfant. Celui-ci fait le diagnostic de bronchite capillaire, ne cache pas que le pronostic est d’une extrême gravité et conseille le transport d’urgence à l’hôpital pour que soient administrés des antibiotiques et de l’oxygène. Mme B… refuse de suivre les conseils du médecin arguant du fait que selon ses propres dires l’enfant est vraisemblablement condamnée et signe volontiers une décharge de responsabilité. Elle déclare que l’enfant étant perdue il est inutile d’augmenter ses souffrances en la transportant à l’hôpital et en entreprenant un traitement illusoire. Elle veut qu’elle meure tranquillement auprès d’elle qui lui donnera jusqu’au dernier moment « tout son Amour ». Le soir même, un peu avant minuit, le médecin rappelé par des voisins scandalisés constate le décès de la police arrête Mme B. [p. 141]

Examen clinique

Lors de l’examen, la malade se présente avec une vivacité enjouée, elle se montre très aimable, répond rapidement aux questions qu’on lui pose, proteste avec véhémence contre la mesure d’internement d’office dont elle est l’objet et réclame son jugement. Elle est lucide, bien orientée. Derrière l’aménité de la présentation, on devine cependant une satisfaction de soi, une rigidité psychique foncière. Il n’existe pas d’affaiblissement intellectuel et le niveau mental semble normal.

L’histoire de la mort de Chantal est exposée avec un calme souriant et une parfaite conscience. La malade ne manifeste aucun regret de son acte. Pour elle, il ne fait aucun doute qu’elle a agi comme elle devait agir. Sa petite Chantal « qu’elle adorait » est maintenant assise à la droite de Dieu qui lui a fait la grâce de la rappeler si jeune à lui. Dieu seul décide dans chaque cas particulier de l’efficacité du pouvoir de guérison qu’il a donné à chacun de ses Témoins, Lui seul décide de l’heure à laquelle il rappelle à lui chacun de ses enfants.

Toute argumentation se heurte à une conviction absolue, inébranlable, fanatique. L’adhésion à la mystique est totale, inaccessible à tout raisonnement, aucune preuve, aucune expérience ne peut la réduire. Cette conviction mystique est défendue avec passion et l’état d’exaltation qui l’accompagne est à l’origine d’un prosélytisme de tous les instants. Par ailleurs, la malade semble n’avoir jamais présenté de signes d’activité hallucinatoire, de manifestations d’automatisme mental.

Du point de vue physique, on ne note rien de particulier. La malade est en très bon état général, pléthorique, le faciès coloré. La tension artérielle est de 19/11 et il semble n’exister aucune manifestation fonctionnelle de type hypertensif.

Évolution

Pendant les mois qui ont suivi son internement le comportement de cette malade dans le service est resté [p. 142] identique. Convaincue de son bon droit et qu’elle détient la vérité contre tous, elle répète inlassablement la même argumentation. Tout est véritablement intégré dans son système de croyance et la seule activité qu’elle ait a trait à sa mission de Témoin du Christ. Son activité prosélyte ne désarme pas, elle prêche la bonne parole du matin au soir, propose aux malades et à leur famille ses services et ses dons, met les médecins devant leurs responsabilités, stigmatise l’erreur dans laquelle ils persistent. Elle se prétend tout Amour et route humilité. Il lui arrive en fait de se montrer d’un égoïsme sordide et de faire preuve d’un orgueil démesuré. Inaccessible à toute argumentation comme à toute discipline, elle interprète comme une brimade tout ce qui la concerne.

Une nouvelle expertise faite dans le service et qui a confirmé les conclusions de la première a encore augmenté son agressivité et sa conviction. Tous les médecins sont ligués contre elle et ses « frères et sœurs en religion », mais il existe des Signes qui ne trompent pas : le suicide d’un psychiatre expert auprès des tribunaux, interprété comme un geste de protestation contre les experts responsables de son internement, le tremblement de terre d’Orléansville, des inondations récentes, les accidents consécutifs à une explosion atomique dans le Pacifique, la maladie du Pape sont autant de signes de certitude que l’heure de la Vérité est près de sonner.

Reprenant les conclusions des experts, il nous semble incontestable que Mme B… doive être considérée comme une aliénée. Son psychisme est dominé par la conviction absolue, inébranlable , que Georges Roux est le Christ Revenu sur la terre et qu’elIe possède le don divin de guérir que chacun parut acquérir en lisant les trois livres de son Message. Cette conviction altère son jugement, domine son comportement au point de réduire son activité à sa seule activité de prosélyte et s’accompagne d’un état passionnel ayant toutes les caractéristiques que l’on retrouve chez les idéalistes passionnés. Elle l’a conduite à laisser mourir sans soins une enfant qu’elle disait adorer. [p. 143]

II. ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE D’UN GROUPE
DE TÉMOINS DU CHRIST

Nous avons examiné un total de 24 Témoins du Christ qui se sont tous prêtés de bon gré à notre enquête et n’ont vu aucune objection, bien au contraire, à notre désir d’étudier de façon systématique et le plus objectivement possible comment ils sont devenus Disciples de Georges Roux et les raisons pour lesquelles ils ont adhéré à l’Église Chrétienne Universelle.

Caractéristiques générales du groupe

Nous avons eu l’occasion de voir presque autant d’hommes que de femmes et la plupart avaient entre 20 et 40 ans. La majorité d’entre eux étaient célibataires ou mariés sans enfants et nous avons été frappés du nombre restreint d’hommes ou de femmes mariés avec plusieurs enfants qu’il nous a été donné d’examiner. Dans plusieurs cas le conjoint ou le fiancé était Témoin du Christ et il ne nous a pas semblé exceptionnel, tant s’en faut, que plusieurs membres de la Famille le soient, l’adhésion ayant été simultanée ou successive.

Bien que le niveau d’instruction de certains soit élevé, il nous est apparu assez nettement que dans une grande proportion de cas il s’agissait d’hommes ou de femmes qui avaient reçu une instruction primaire ou primaire supérieure. Du point de vue professionnel, la variété des métiers exercés est très grande. Il s’agit en général, mises à part quelques brillantes exceptions, de sujets exerçant des professions subalternes ou artisanales. Ces professions exigent assez fréquemment une formation technique et les maintiennent à un niveau social relativement modeste, analogue le plus souvent à celui dont ils sont issus.

Il ne nous a pas été facile d’approfondir systématiquement à quel milieu familial appartenait la plupart d’entre eux. Dans beaucoup de cas, comme nous venons de le dire, les parents avaient des situations relativement modestes de petits bourgeois. Dans un certain nombre de cas il s’agissait d’un milieu différent, plus aisé ou plus humble. [p. 144]

La quasi-totalité des disciples avec lesquels nous nous sommes entretenus ont reçu une éducation catholique qui n’a pas été dans la plupart des cas au delà de l’observance conventionnelle des traditions familiales.

Comportement et personnalité avant la conversion

Le premier fait important qui nous a frappés au cours de cette étude est la fréquence extrême avec laquelle ces sujets se sont livrés avant leur conversion à l’Église Chrétienne Universelle à des activités témoignant de préoccupations psychologiques particulières. Dans un certain nombre de cas leur personnalité antérieure est très en marge de la normale et nous avons retrouvé parfois des manifestations franchement psychopathiques délirantes ou hallucinatoires.

Nous avons retrouvé chez la plupart de ces sujets, l’existence, au moment de l’adolescence, d’une période de désaffection progressive pour la religion catholique jusque-là plus ou moins pratiquée. Les prétextes invoqués le plus fréquemment sont que le catholicisme leur a paru incapable d’expliquer certaines choses, impuissant à résoudre certains problèmes, qu’il ne leur a pas apporté d’explications satisfaisantes aux grands problèmes de la Vie et de la Mort, de la Grâce et de l’Amour. Ce besoin de vérité, de certitude, d’absolu est à l’origine chez beaucoup d’une recherche plus ou moins ordonnée des réponses aux questions qu’ils se posent par l’étude des sciences occultes, de la théosophie, de l’hindouisme, du yoga, de l’astrologie ou par la pratique du magnétisme, d’activités de guérisseur, de la radiesthésie. Ils ont été souvent des adeptes enthousiastes et éphémères de multiples théories : naturiste, cartonienne, stoïcienne. Fait assez remarquable, pratiquement aucun des sujets que nous avons examinés n’a participé effectivement à une activité politique, quelle qu’elle soit.

Dans certains cas la biographie témoigne d’une personnalité pour le moins originale. Une disciple nous a raconté que son mari, qui avait été prêtre avant de l’épouser, avait écrit à Moscou pour demander son ordination dans l’Église Orthodoxe afin de rester dans les ordres. Ne recevant pas de réponse, il était devenu un adepte de l’Église Gallicane [p. 145] dont il avait rapidement été promu Archidiacre puis avait quitté cette Église pour devenir Témoin du Christ.

Dans d’autres cas enfin nous ayons été en présence de malades mentaux de plus ou moins longue date, chez lesquels nous avons mis en évidence l’existence dans les années précédant la conversion de manifestations franchement pathologiques. Une des femmes que nous avons vues a été internée pendant 10 ans dans un hôpital psychiatrique pour un syndrome délirant hallucinatoire de structure paranoïde. Elle nous a dit être devenue Témoin du Christ pour ne plus avoir que de « bonnes voix », préférant « le contact du Christ » à celui de ceux qui la poursuivent. Une autre femme reconnait entendre des voix depuis plusieurs années, bien avant son premier contact avec la mission. Ces voix lui parlent dans la tête, lui donnent des ordres, commentent ses actes, cc sont des voix qui lui parlent « dans le cerveau ». Interrogée à son sujet, un de ses coreligionnaires nous a dit qu’elle avait effectivement « une plus grande matérialisation que beaucoup de la Voix de sa Conscience » mais que de nombreux fidèles avaient des manifestations analogues. Une autre Disciple admet qu’elle est guidée dans ses actes et hallucinée depuis longtemps. Chez une autre femme enfin, nous avons pu objectiver une conviction absolue et ancienne de posséder des dons de clairvoyance et de pouvoir agir à distance.

Il est donc manifeste qu’on retrouve dans les antécédents de la plupart de ces sujets des préoccupations psychologiques particulières de type mystique ou métaphysique, des tendances de la personnalité parfois très irrégulières voire des manifestations psychopathiques.

La conversion. et ses conséquences

La base de la conversion à la Secte est la lecture du Message de Georges Roux dont les trois volumes Journal d’un guérisseur, Paroles du guérisseur et Mission Divine constituent l’enseignement du Maître. Cette simple lecture donne à ceux qui le veulent le don de guérison :

« Tu viens à moi sitôt qu’ayant lu le Message et l’ayant Accepté, tu veux, de tout ton cœur, la Présence du Père. [p.146]
« Et cette Présence aussitôt t’est donnée.
« Tu es à moi sitôt qu’Acceptant la Présence, tu vas à quiconque « souffre et yeux le soulager.
« Tu es à moi sitôt que l’Horreur du Malle pénètre et que tu « oses te dresser pour le combattre.
« À moi, tu es venu quand, désormais, tu veux agir en Guérisseur. »
Mission Divine, p. 187.

Assez souvent c’est un Témoin du Christ de l’entourage membre de la famille, ami, voisin, camarade de travail qui parle au futur disciple du Retour du Christ sur la terre et propose le Message. D’autres fois c’est un prospectus, une manifestation de Disciples sur la voie publique, un article de journal à sensation sur Georges Roux et l’Église Chrétienne Universelle qui conduit à assister à une réunion ou à acheter directement le Message. Ailleurs, c’est une amélioration ou une « guérison » consécutive aux soins dispensés par un Témoin du Christ qui pousse le sujet à prendre connaissance du contenu des trois livres.

Dans certains cas, une période de déception suit le premier contact avec l’Église Chrétienne Universelle et certains ont insisté sur le scepticisme dans lequel ils sont longtemps restés. Le plus souvent, la lecture du Message entraîne l’adhésion totale, l’enseignement du Maître apparaît comme une révélation, « une montagne de vérités », « un recueil de toutes les vérités », « a réponse à toutes les questions posées, à toutes les préoccupations », « la clé du bonheur ». Chez certains, c’est la guérison par eux-mêmes d’un malade sur lequel ils ont essayé leur nouveau pouvoir qui apporte la Preuve que la lecture du Message leur a bien donné la possibilité de guérir par l’imposition des mains. Cette « preuve » emporte l’adhésion complète.

Très souvent les sujets disent que c’est le bonheur qu’ils ont ressenti à la suite de leur adhésion, l’enthousiasme et la foi qu’ils ont acquis par les Livres qui a été pour eux la « preuve » de l’authenticité du Message. Ils parlent de « force interne » qui les pousse, de « voile qui se déchire ». Un couple a lu conjointement le message et s’est rendu compte « n vivant l’enseignement » que tout ce qui était promis lui arrivait.

Une femme nous a raconté que son mari, Docteur ès [p. 147] lettres et spécialiste de philologie, passionné depuis 20 ans d’histoire comparée des religions extrême-orientales et connaissant dans le texte les livres sacrés hindous avait trouvé dans le Message ce qu’il avait cherché pendant toute une vie : la vérité, le bonheur, la paix intérieure, la réponse à toutes les questions « que les hommes se posent en général ».

Lorsqu’une guérison est à l’origine de la conversion, il s’agit en règle générale de l’une des affections banales ou imprécises qui figurent au palmarès des guérisseurs : grippe, eczéma, maux divers et incontrôlables, douleurs multiples, rhumatismes, syndromes fonctionnels. C’est fréquemment un parent proche, une mère, une sœur, un ami cher qu’il s’agit de guérir et la reconnaissance est proportionnelle à l’affection portée au malade. D’ailleurs, la réalité de la guérison est relativement contingente et ce qui importe évidemment c’est la certitude d’être guéri. Un des hommes que nous ayons vu souffre d’emphysème et de bronchites à répétition jusqu’au jour où il rencontre une guérisseuse qui propose de le soulager. Il se sent immédiatement mieux et se rend sur son conseil à un centre des Témoins du Christ pour y continuer le « traitement ». Il y va deux fois par semaine pendant un mois et demi et se considère bientôt comme guéri. Convaincu, il lit le Message et guérit lui-même. Lorsque nous le voyons, il affirme ne plus ressentir aucun trouble depuis deux ans. La dyspnée marquée, accompagnée de cyanose et d’injection conjonctivale, qu’il a présentée pendant tout notre entretien ne le préoccupe manifestement plus.

Dans certains cas enfin les circonstances de la conversion revêtent un caractère plus pathologique. Une des femmes que nous avons vue nous a dit qu’elle avait su par clairvoyance qu’un homme doué de puissance divine habitait la vallée du Rhône. Dans ce cas, la lecture du Message n’a fait que confirmer le don de prescience qu’elle s’attribuait. Un autre disciple, qui avait gardé une attitude sceptique à la suite de la lecture du Message, entend un jour une voix intérieure lui dire : « Qu’attends-tu pour guérir ? » et l’occasion se présente le lendemain d’utiliser son don. Une disciple nous a raconté qu’au début de 1953 une voix a manifesté à plusieurs reprises son étonnement qu’elle ne s’émeuve pas de la nouvelle ou Retour du Christ sur la terre et lui en a fait [p. 148] le reproche. Un jour la voix lui a dit : « Il faut absolument que tu ailles à Montfavet » et elle y a été sur le champ. Dans un autre cas enfin, le mari et la femme étaient disciples de concert mais avaient gardé une attitude sceptique à l’égard de Georges Roux. Brusquement, le mari meurt et la femme devient Témoin du Christ à la suite d’une visite que lui fait le lendemain une voisine médium, pour lui dire que son mari l’a priée de lui transmettre un message l’informant que Georges Houx est bien le Christ Revenu sur la terre.

Chez presque tous les disciples que nous avons eu l’occasion de voir la conviction mystique était absolue. Nous avons rencontré pratiquement chaque fois une adhésion complète à l’enseignement du Maître. La majorité ne doute pas que, comme il est dit dans le Message, Georges Roux soit le Christ Revenu sur la terre, un envoyé de Dieu venu pour sauver l’humanité menacée. En fait leur croyance dépasse l’adhésion aveugle, elle est leur raison d’être. Ils ne croient pas que le Christ est Revenu sur la terre, ils en ont la Preuve. Le Verbe contenu dans le message «  redonne Dieu à celui qui Ie « reçoit » : « c’est une Foi de Thomas ». Georges Roux redonne aux hommes le Verbe de Dieu qu’ils peuvent entendre avec leurs oreilles et lire avec leurs yeux.

Cette adhésion totale entraîne chez certains une modification complète de leur comportement et une altération grave du jugement. Chez ceux-là, toute l’activité est absorbée presque exclusivement par les démarches, les tournées de propagande, les réunions, le prêche individuel et les guérisons, au détriment de leur activité professionnelle ou de leurs devoirs familiaux les plus élémentaires. Cette rupture parfois brutale avec le passé entraîne chez certains des conséquences familiales ou professionnelles qui seraient dramatiques s’ils y attachaient la moindre importance. Une infirmière de l’Assistance Publique avec qui nous nous sommes longuement entretenus a sacrifié délibérément sa carrière pour sa foi. Affectée sur sa demande à une consultation hospitalière pour éviter d’avoir à refuser d’exécuter les soins, elle y fait du recrutement, déconseille aux malades de se faire traiter et va jusqu’à considérer qu’il serait de son devoir, si elle allait chercher un malade à son domicile, de persuader la famille de la nocivité de l’hospitalisation. Se livrant par surcroît à un prosélytisme spectaculaire et provocateur, refusant tous les [p.149] conseils, indifférente à toutes les sanctions, elle a fini par être l’objet d’une révocation. Pour cette ancienne infirmière diplômée il ne fait actuellement aucun doute qu’une hémorragie ne doit pas être arrêtée, qu’une fracture ne doit pas être réduite et que le traitement du coma diabétique est l’imposition des mains. Une institutrice que nous avons vue a été l’envoyée de l’école professionnelle où elle travaillait parce qu’elle guérissait des parents d’élèves et disait aux enfants « la vérité » sur le catholicisme. Plusieurs autres disciples que nous avons eu l’occasion de voir ont été également renvoyés de la place qu’ils occupaient et subviennent à leur besoins de façon indéterminée. Cependant, un grand nombre continuent d’exercer leur profession bien qu’ayant une activité militante avérée. Nous avons été amenés par ailleurs à constater que les conséquences familiales étaient en général moins graves que sur le plan professionnel. Si le membre de la famille « Témoin du Christ » entraîne relativement souvent un ou plusieurs membres de son entourage familial, il est assez rare que la famille écarte le Disciple. Dans deux cas seulement nous avons obtenu l’aveu de l’existence d’une dissension grave. Habituellement, semble-t-il, les deux parties se supportent mutuellement. Sur le plan conjugal, nous avons signalé la fréquence des couples convertis simultanément ou l’un par l’autre à l’Église Chrétienne Universelle. Dans un seul cas un homme nous a dit avoir quitté sa femme parce qu’elle restait incrédule. Il nous a déclaré avoir agi selon la parole du Christ ; « je suis la paix mais je suis aussi l’épée entre l’époux et l’épouse » et il a ajouté : « ma femme refusait le Christ c’est-à-dire le Bien et j’ai tranché. »

Dans un certain nombre de cas enfin il est manifeste que l’adhésion à une mystique a été un bénéfice pour le sujet en cause.

Caractéristiques psychologiques des sujets

Dans la majorité des cas nous nous sommes trouvés en face de personnalités d’un type particulier et de présentation assez univoque. Ce qui frappe d’emblée chez beaucoup de ces Témoins du Christ, c’est l’exaltation passionnelle qui se fait jour dès le début de l’entretien. À leur présentation souriante, apparemment calme, voire indulgente et légèrement ironique [p.150] succède souvent assez rapidement un ton plus incisif, plus mordant, un état d’exaltation, d’expansivité même où apparaît avec netteté dans beaucoup de cas la satisfaction de soi, la fausseté du jugement, la méfiance, l’orgueil, la rigidité de fond qui caractérise un grand nombre d’entre eux.

D’autres sont réellement plus avenants et font un effort dl’ contact plus sincère. Certains dissimulent derrière une attitude jusqu’au bout compréhensive une intransigeance foncière. Tous exposent avec une conviction absolue leur certitude que le Christ est Revenu sur la terre et ils sont inaccessibles à toute argumentation logique, insensibles à toute considération d’opportunité ou de bon sens, inimitables, incapables d’imaginer une autre explication des événements que celle qu’ils donnent.

Si chez certains la conviction mystique obnubile Iittéralement les facultés de jugement et d’autocritique, d’autres au contraire ne sont aveugles que sur le terrain de la foi et sont capables par ailleurs d’avoir des activités et un comportement bien adaptés.

Le zèle et le courage dont font preuve ces Témoins du Christ pour propager ce qu’ils croient être la vérité, au mépris de leurs intérêts et malgré les sanctions dont ils sont l’objet, ne connaissent pas de limites. N’hésitant pas à braver le ridicule et les humiliations, acceptant « avec joie » les épreuves qui leur sont infligées, ils répandent inlassablement le « Message » selon les propres paroles du Maître :

« Tu sais bien qu’en tout homme palpite l’étincelle de l’âme qui espère et m’attend.
« Et, ne l’oublie jamais, fût-ce au plus fort de l’insulte, du sarcasme, de la violence même, tu as partout, en tout, ton Allié.
« Quel qu’il soit, celui qui te refuse et te repousse, en lui la Voix s’élève qui te donne raison. Si, hardiment, avec douceur, tu dis ce que tu as à dire, quels que soient sa colère ou son refus, du tréfonds de son cœur, sans relâche, la Voix lui martèle : « Écoute, il a raison, il dit vrai, il faut que tu l’écoutes.
« Et même si furieux, il t’a chassé, la Voix, bien après ton dé­ « part. plaide encore pour toi, pour lui, pour son salut.
« Hélas! mêlée aux voix contraires.
« Mais il n’importe, parlant au Nom de Dieu et prouvant le Message, tu n’auras comme obstacles que ceux-là même que tu accepteras :
« par trop timide Foi. [p. 151]
« Et celui qui, parlant au Nom de Dieu, apporte l’Amour, la Vie et le Bonheur Parfait à ses frères,
« n’a plus le droit à la timidité.
« Ta seule et vraie difficulté ne peut venir que de toi-même. »
Mission Divine, p. 190 el 191.

Il est incontestable que l’impression générale que nous avons retirée des entretiens que nous avons eus avec ces sujets a été qu’il s’agissait d’individus en marge, enfermés dans un système hermétique d’explication du monde qui les sépare complètement de la réalité qui les entoure. Leur religion explique tout, ils possèdent la Vérité, ils sont cette Vérité même. Incapables de se tromper, ils ne doutent pas un instant. La béatitude se lit sur leur physionomie, ils ont le comportement et le visage du Juste.

Problème psychopathologique

Dans quelle mesure doit-on considérer les Disciples du Christ de Montfavet comme des malades mentaux ? Notre enquête a bien mis en évidence qu’il est impossible de les englober tous dans une catégorie unique de délirants mystiques, hallucinés et dangereux pour l’ordre public. Certains sont tout au plus des irréguliers de la pensée ou des passionnés que leur personnalité expose depuis toujours à devenir des sectataires. D’autres au contraire peuvent être considérés comme des psychopathes mais présentent dans un certain nombre de cas des troubles dont la signification peut prêter à discussion.

Sur les 24 sujets que nous avons examinés, six entrent dans cette dernière catégorie.

Dans un cas le diagnostic de maladie mentale ne se discute pas. Il s’agit d’une femme qui a été internée pendant dix ans pour un syndrome délirant hallucinatoire à thème de persécution et d’influence. Lorsque nous l’ayons vue nous nous sommes trouvés en face d’une délirante paranoïde qui nous a déclaré qu’elle était devenue Témoin du Christ pour ne plus avoir que de « bonnes voix », qu’elle préférait être « Disciple du Christ que la poubelle sur la terre », qu’elle aimait mieux avoir « le contact du Christ » que celui de ceux qui la persécutaient. [p. 152]

Dans deux cas nous avons retrouvé des manifestations psycho-sensorielles ou une activité para psychologique antérieure à la conversion. Une femme s’est livrée pendant des années à des activités spirites au cours desquelles elle affirme avoir eu des visions de scènes se passant à distance ou des visions prémonitoires d’événements à venir. C’est par son don de clairvoyance qu’elle a appris l’existence de Georges Roux.

Depuis 5 ans, une autre jeune femme entend distinctement dans son cerveau une voix intérieure qui lui donne des conseils, commente ses actes. Elle entend dire un jour que le Christ est revenu depuis plusieurs années sur la terre. Bientôt la voix lui dit : « Comment, on t’a dit que le Christ est Revenu et cela ne t’inquiète pas ? » et elle répond : « Mais non. » À plusieurs reprises la voix s’inquiète, elle répète la même phrase ou d’autres telles que celle-ci : « Tu es en train d’étudier tant de choses alors que la Lumière est à la portée de ta main », et à quoi elle répond : « C’est possible. » Finalement, la voix lui a dit: « Il faut absolument que tu ailles à Montfavet » et elle y a été, mais le Maître ne l’a pas reçue car elle ne l’avait pas encore reconnu comme tel.

Dans trois autres cas se pose le problème de la signification que l’on doit attribuer aux phénomènes psycho-sensoriels, auditifs ou visuels, décrits par le sujet.

Une jeune femme, adepte fanatique de la secte, nous a raconté qu’obéissant à la voix de sa conscience elle est un jour partie au Portugal pour voir « ceux qui détiennent le secret de Fatima ». Au bout d’un certain temps de séjour, une voix douce, nettement audible et qu’elle a reconnue comme étant la voix de Marie, lui a donné l’ordre d’aller voir le Pape. Selon ses propres déclarations cette voix lui a parlé à l’oreille, elle était extérieure à elle et absolument différente de la voix intérieure de sa conscience qui la guide depuis longtemps. Parfois, cette jeune femme a l’impression que l’atmosphère est parfumée de roses, signe de la présence de Marie. Enfin, elle a eu une apparition : par deux fois, le matin, alors qu’elle était réveillée, elle a vu apparaître devant elle, dans sa chambre, à quelques secondes d’intervalle, la tête du Maître qui lui souriait.

Une autre femme, une des premières Disciples de Georges Roux, a reçu des « preuves » sous formes de « signes extraordinaires » : elle a vu le soleil à minuit dans sa maison, un [p. 153] matin elle a vu Marie apparaître devant elle dans un rayonnement et habillée d’une robe de lumière. Un mois après sa mort, Chantal, la fille adoptive de la malade internée dans notre service est venue « en chair et en os » au devant d’elle : elle l’a tenue dans ses bras, Chantal lui a parlé pendant une heure, elle lui a demandé de lui copier la « prière des nations ».

Un homme enfin nous a dit avoir une fois entendu une voix lui parler. C’était une voix intérieure qui lui a dit, alors qu’il avait lu les deux premiers livres de Georges Roux : « Qu’attends-tu pour guérir ? » et l’occasion s’est présentée le lendemain.

Si nous avons insisté assez longuement sur les manifestations psycho-sensorielles que nous avons retrouvées chez plusieurs de ces Témoins du Christ c’est qu’il nous a semblé que dans certains cas la survenue chez des sujets en proie à une exaltation mystique considérable de phénomènes de cet ordre n’est pas suffisante pour faire de leur conviction passionnelle un délire hallucinatoire.

CONCLUSIONS

Nous avons tenté dans cette étude (2) de dégager, à l’occasion d’un cas que nous avons pu observer longuement dans notre service, les données psychologiques essentielles que l’examen systématique de 24 Témoins du Christ qui ont accepté de collaborer à notre enquête nous a permis de mettre en évidence.

Le premier fait caractéristique qui ressort de notre étude est l’existence chez la plupart des Disciples du Christ de Montfavet de préoccupations antérieures ou d’un comportement nettement prédisposants.

Le second caractère dominant est la conviction absolue de tous en une doctrine qui affirme que Georges Roux, l’employé des postes de Montfavet, est le Christ Revenu sur la terre et que quiconque lit son Message peut devenir son Disciple et posséder s’il le veut, le don de guérison par l’imposition [p. 154] des mains. Cette conviction est inaccessible à toute argumentation logique, elle altère profondément les facultés de jugement et d’autocritique de ces sujets, s’accompagne d’un état passionnel qui fait rarement défaut et entraîne des conséquences sociales, professionnelles et familiales que les adeptes acceptent « avec joie ».

La troisième constatation patente est qu’un nombre relativement important de sujets présente depuis plus ou moins longtemps des manifestations psychopathologiques dont l’authenticité est incontestable.

(Travail de la Clinique des Maladies Meruaies et de l’Encéphale.
Centre psychiatrique Sainte-Anne, Paris.)

 

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Gravure du XVIIIe siècle. COLLEGIANS COLLEGIENS AMSTERDAM PAYS BAS NETHERLANDS SECTE

NOTES

(1) Attaché de Recherches à l’Institut national d’Hygiène.

(2) Dans une seconde étude nous exposerons les résultats que nous avons obtenus en utilisant des méthodes psychométriques.

 

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1 commentaire pour “Étude d’un groupe d’adeptes d’une secte religieuse. Par Jean Delay, Pierre Pichot, J.-F. Buisson et R. Sadoun. 1965.”

  1. dahanLe vendredi 24 juin 2016 à 12 h 08 min

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