Érotomanie. Par J.-E.-D. Esquirol. Article parut dans le « Dictionnaire des sciences médicales », (Paris), C. L. F. Panckoucke, tome XIII, EPI-EXC, 1815.

ESQUIROLEROTOMANIE0011Jean-Étienne-Dominique Esquirol, Érotomanie. Extrait du « Dictionnaire des sciences médicales – Panckoucke », (Paris), C. L. F. Panckoucke, tome XIII, Epi-EXC, 1815, pp. 186-192.

Jean-Étienne-Dominique Esquirol est né à Toulouse le 4 janvier 1772 et mort à Paris le 12 décembre 1840. Médecin aliéniste, il est à l’origine de la loi de 1838 obligeants chaque département français à se doter d’un asile psychiatrique, qui deviendront les hôpitaux spécialisés. Il fût en médecine l’élève de Jean-Nicolas Corvisart et le collaborateur de Philippe Pinel à l’hôpital de la Salpêtrière. Sur le plan épistémologique il fut l’un des premiers à établir une distinction entre hallucination et illusion. Nous renvoyons pour plus de détails sur la vie et la carrière de ce pilier fondateur de la psychiatrie au Dictionnaire biographique de la psychiatrie de Pierre Morel ainsi qu’à la réédition de son ouvrage Des maladies mentales, 1838, réédition par Frénésie Editions, 1989.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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ÉROTOMANIE, s. f., erotomania ; d’εροϛ, amour, μανια, délire ; amor insanus de Sennert ; délire érotique ; mélancolie amoureuse.

L’érotomanie consiste dans un amour excessif, tantôt pour un objet réel, tantôt pour un objet imaginaire ; dans cette maladie, l’imagination seule est lésée : il y a erreur de l’entendement. C’est une affection mentale, dans laquelle les idées amoureuses sont fixes et dominantes comme les idées religieuses sont fixes et dominantes dans la théomanie ou mélancolie religieuse.

L’érotomanie diffère essentiellement de la nymphomanie et du satyriasis. Dans celles-ci, le mal vient des organes reproducteurs, dont l’irritation réagit sur le cerveau. Dans l’érotomanie, l’amour est dans la tète. La nymphomane et le satyriaque sont victimes d’un désordre physique ; les érotomaniaques sont le jouet de leur imagination. L’érotomanie est à la nymphomanie et au satyriasis ce que les affections vives, mais honnêtes du cœur sont au libertinage effréné. Tandis que les propos les plus sales, les actions les plus honteuses, les plus humiliantes caractérisent la nymphomanie et le satyriasis, l’érotomaniaque ne désire, ne songe pas même aux faveurs qu’il pourrait espérer de l’objet de sa folle tendresse. Quelquefois même l’amour a pour objets des êtres qui ne sauraient le satisfaire. Alkidias, rhodien, est pris de délire érotique pour une statue de Cupidon de Praxitèle. Variola dit la même chose d’un habitant d’Arles qui vivait de sou temps.

Dans l’érotomanie, les yeux sont vifs, animés, le regard passionné, les propos tendres, les actions expansives, mais ceux qui en sont affectés ne sortent jamais des bornes de la décence ; ils s’oublient eu quelque sorte eux-mêmes ; ils vouent à leur divinité un culte pur, souvent secret ; ils se rendent esclaves ; ils exécutent les ordres de leur déité avec une fidélité souvent puérile ; ils obéissent même aux caprices qu’ils lui prêtent ; ils sont en extase, contemplant ses perfections souvent imaginaires ; désespérés par l’absence, leur regard est alors abattu ; ils sont pâles, les traits s’altèrent ; ils perdent le sommeil et l’appétit ; ils sont inquiets, rêveurs, colères, etc. Le retour les rends ivres de joie, le bonheur dont ils jouissent se montre dans toute leur personne et se répand sur tout ce qui les entoure ; leur activité musculaire augmente, mais elle est convulsive ; ils parlent beaucoup, et toujours de leur amour ; pendant le sommeil, ils ont des rêves, ils sont sujets à des illusions de sensations, qui ont enfanté les succubes et les incubes. Voyez ces deux mots.

Lucie P….., 21 ans. Hypocondrie primitive. Illusions génésiaques des incubes. p. 249-256. Troisième partie, § VII, 2ème observation. Observation de manie avec hallucinations et délire général des idées et des sentiments par suite Erotomanie. – Nymphomanie. – Satyriasis. – Succubes. - Etudes cliniques. Volume 2. (1853). De Bénédict-Augustin Morel. © histoiredelafolie.fr

Lucie P….., 21 ans. Hypocondrie primitive. Illusions génésiaques des incubes. p. 249-256. Troisième partie, § VII, 2ème observation. Observation de manie avec hallucinations et délire général des idées et des sentiments par suite Erotomanie. – Nymphomanie. – Satyriasis. – Succubes. – Etudes cliniques. Volume 2. (1853). De Bénédict-Augustin Morel. © histoiredelafolie.fr

Comme tous les monomaniaques ou mélancoliques, les [p. 187] érotomaniaques sont, nuit et jour, poursuivis par les mêmes idées, par les mêmes affections, qui sont d’autant plus cruelles, qu’elles s’irritent de toutes les passions conjurées : la crainte, l’espoir, la jalousie, la joie, la fureur, etc., semblent concourir toutes à la fois ou tour à tour, pour faire le tourment de ces infortunés ; ils négligent, ils abandonnent, puis ils fuient leurs parents, leurs amis ; ils méprisent la fortune, les convenances sociales ; ils sont capables des choses les plus extraordinaires, les plus difficiles, les plus pénibles, les plus bizarres.

L’observation suivante offre d’autant plus d’intérêt qu’elle présente tous les caractères du délire érotique.

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Une dame, âgée de trente-deux ans, d’une taille élevée, d’une constitution forte, ayant les yeux bleus, la peau blanche, les cheveux châtains, avait été mise dans une maison d’éducation, où le plus brillant avenir, où les plus hautes prétentions s’offraient en perspective aux jeunes personnes qui en sortaient. Quelque temps après son mariage, elle aperçoit un jeune homme d’un rang plus élevé que son mari ; aussitôt elle devient éprise de lui ; elle murmure de sa position, ne parle qu’avec mépris de son mari ; elle se refuse à vivre avec lui, finit par le prendre en aversion, ainsi que ses propres parents, qui s’efforcent vainement de la ramener de son égarement. Le mal augmente, il faut la séparer de son mari ; elle parle sans cesse de l’objet de sa passion ; elle devient difficile, capricieuse, colère ; elle s’échappe de chez ses parents pour courir après lui ; elle le voit partout ; elle l’appelle par ses chants passionnés : c’est le plus beau, le plus grand, le plus spirituel, le plus aimable, le plus parfait des hommes ; elle assure qu’elle est sa femme, qu’elle n’a jamais connu d’autre mari : c’est lui qui vit dans son cœur, qui en dirige tous les mouvements, qui règle ses pensées, qui gouverne ses actions ; elle a eu un enfant avec lui, qui sera accompli comme son père : on la surprend souvent dans une sorte d’extase, de ravissement ; alors son regard est fixe, et le sourire est sur ses lèvres ; elle lui adresse fréquemment des lettres ; elle fait des vers, qu’elle anime des expressions les plus amoureuses ; elle les copie souvent et avec soin ; s’ils expriment la passion la plus violente, ils sont la preuve d’une vertu parfaite. Si elle se promène, elle marche avec vivacité, comme si elle était très-occupée ; ou bien elle marche avec lenteur, avec fierté ; elle évite la rencontre des hommes qu’elle méprise et qu’elle met bien au-dessous de son amant. Cependant elle n’est pas toujours indifférente aux marques d’intérêt qu’on lui donne ; mais toute expression peu mesurée l’offense, et aux instances qu’on peut lui faire, elle oppose le nom, le mérite, les perfections de celui qu’elle adore. Souvent, pendant le jour et durant la nuit, elle parle seule, tantôt à haute voix, tantôt à [p. 188] voix basse ; tantôt elle rit, tantôt elle pleure, tantôt elle se fâche, dans ses entretiens solitaire. Si on l’avertit de cette loquacité, elle assure qu’on l’a contrainte de parler ; le plus souvent, c’est son amant qui cause avec elle à l’aide de moyens connu de lui seul ; quelquefois elle croit que des jaloux s’efforcent de traverser son bonheur en troublant ses entretiens, et en lui donnant des coups (je l’ai vue prête à entrer en fureur après avoir poussé un grand cri, et m’assurer qu’on venait de la frapper). Dans d’autres circonstances, la face devient rouge, les yeux étincelants ; elle s’emporte coutre tout le monde ; elle pousse des cris affreux ; elle ne connaît plus ni parents, ni amis ; elle est furieuse, et profère les injures les plus menaçantes : cet état persiste quelquefois pendant deux, trois, huit, quinze jours, elle éprouve alors des douleurs atroces à l’épigastre, au cœur. Ces douleurs, qui se concentrent à la région précordiale, qu’elle ne pourrait supporter sans la force que lui communique son amant, sont causées par ses parents, ses amis, quoiqu’ils soient éloignés même de plusieurs lieues, ou par les personnes qui sont auprès d’elle. Un grand appareil de force lui en impose ; elle pâlit, tremble ; l’écoulement des larmes termine l’accès.

Cette dame raisonnable sous tout autre rapport, travaille, surveille très-bien les objets qui sont à sa convenance et à son usage ; elle rend justice au mérite de son mari, à la tendresse de ses parents ; mais elle ne peut voir le premier ni vivre avec les autres : les menstrues sont régulières, abondantes ; les paroxysmes d’emportement ont lieu quelquefois aux époques menstruelles, mais pas toujours : elle mange par caprice, et toutes ses actions participent au désordre et à la bizarrerie de sa passion délirante ; elle dort peu, son sommeil est troublé par des rêves, et même par le cauchemar ; elle a souvent de longues insomnies, et lorsqu’elle ne dort point, elles se promène, parle seule et chante ; cet état persiste depuis plusieurs années. Un traitement méthodique d’un an, l’isolement, les bains tièdes et froids, les douches, les antispasmodiques à l’intérieur et à l’extérieur, rien n’a pu la rendre à la raison.

L’érotomanie ne se présente pas toujours avec les mêmes caractères que nous venons d’indiquer ; quelquefois, elle se masque sous des dehors trompeurs, alors elle est plus funeste ; les malades ne déraisonnent pas, mais ils sont tristes, mélancoliques, sombres, taciturnes ; ils tombes dans la fièvre que Lorry appelle fièvre érotique, et qui a une marche plus ou moins aiguë, une terminaison plus ou moins fâcheuse. Cet état peut être facilement confondu avec la chlorose ; mais on reviendra facilement de la méprise, si, après avoir pris tous les éclaircissements possibles, le médecin attentif a soin d’observer le malade : le visage prend un ton animé ; le pouls devient [p. 189] fréquent, plus fort, convulsif à la vue de l’objet aimé, ou seulement en entendant prononcer son nom ou parler de lui.

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Une jeune personne sans maladie physique apparente, sans cause connue, devient triste, rêveuse ; son visage prend une teinte pâle, les yeux se cavent, les larmes coulent ; elle éprouve des lassitudes spontanées ; elle gémit, pousse des soupirs ; rien ne la distrait, rien ne l’occupe, tout l’ennuie ; elle évite ses parents, ses amis ; elle mange par caprice ; elle ne dort point ; si elle dort, son sommeil est troublé ; elle maigrit. Ses parents croient, par le mariage, la retirer de cet état qui les inquiète ; elle accepte d’abord avec indifférence les partis qu’on lui propose ; bientôt elle les refuse avec obstination : le mal va croissant, la fièvre se déclare, le pouls est inégal, déréglé, quelquefois lent ; on peut observer quelques mouvements convulsifs, quelques idées disparates, surtout quelques actions bizarres ; peu à peu la jeune personne tombe dans le marasme et meurt. La mort a dévoré son secret ; la honte, une religion mal éclairée, la crainte de déplaire à ses parents l’ont déterminé à cacher les désordres de son cœur et la vraie cause de sa maladie. Jonabad ne se laisse pas tromper à la tristesse, à la langueur, au dépérissement d’Amnon, second fils de David, devenu amoureux de sa sœur Thamar. Plutarque nous a conservé les divers moyens employés par Hippocrate pour découvrir l’amour de Perdicax pour Phyla, concubine de son père ; ce qui l’avait fait tomber dans une fièvre étique. À l’état du pouls, à la rougeur de la face, Erasistrate reconnut la cause de la maladie d’Antiochus, se mourant d’amour pour Stratonice, sa belle-mère. Galien porta un jugement aussi certain sur Justus, amoureuse de l’histrion Pilade. Ferrand, dans son Traité d’amour, imprimé en 1615, nous dit qu’il reconnut la maladie d’un jeune homme par la coloration de la face, par l’accélération du pouls à la vue d’une jeune fille qui portait un flambeau dans sa chambre.

Cette variété est très-fréquente ; il est peu de médecin qui n’aient eu l’occasion de l’observer, et d’en proposer le remède, qui arrive quelquefois trop tard lorsque la maladie a une marche très-aiguë.

Une demoiselle de Lyon devint amoureuse d’un de ses parents à qui elle était promise en mariage. Les circonstances s’opposèrent à l’accomplissement des promesses données aux deux amants : le père exigea l’éloignement du jeune homme. À peine est-il parti, que cette demoiselle tombe dans une profonde tristesse, ne parle point, reste couchée, refuse toute nourriture. Toutes les sécrétions se suppriment ; elle rejette toutes les prières, toutes les consolations de ses parents, de ses amis. Après cinq jours vainement employés à vaincre sa [p. 190] résolution, on se décide à rappeler son amant ; il n’était plus temps ; elle succombe, le sixième jour, dans ses bras. J’ai été frappé de la rapidité de la marche de cette maladie chez une femme qui mourut au septième jour, après avoir acquis la conviction de l’indifférence de son mari.

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Lorsque l’érotomanie n’a pas une terminaison aussi prompte ni aussi fâcheuse, elle dégénère comme toutes les monomanie ; le délire s’étend à un plus grand nombre d’idées ; il s’établit une sorte de délire général, qui, assez souvent, par les progrès de l’âge, finit par la démence, dans laquelle on retrouve encore les premiers éléments du désordre intellectuel et moral qui a caractérisé le début de la maladie. C’est ce que nous voyons tous les jours à l’hospice de la Salpêtrière, chez des femmes qui, primitivement, avaient été affectées d’érotomanie chronique, et qui aujourd’hui sont dans une démence incurable.

L’érotomanie, comme toutes les mélancolies qui semblent n’être que l’extrême d’une forte passion, conduit au suicide en produisant le désespoir ou la certitude de n’obtenir jamais l’objet aimé. Sapho, n’ayant pu fléchir les rigueurs de Phaon, se précipite du haut du rocher de Leucade, devenu si célèbre depuis. Les anciens envoyaient à Leucade les amants qui ne pouvaient supporter ni vaincre leur passion. Les miracles attribués au saut de Leucade prouvent que les anciens regardaient l’érotomanie comme une véritable affection nerveuse qui pouvait se guérir par de vives secousses morales ; ils prouvent encore que de tous les temps le suicide a été une des terminaisons de l’érotomanie.

Le délire érotique cause la chlorose, souvent l’onanisme, l’hystérie, le satyriasis, la nymphomanie ; car, dit Lorry, la fièvre érotique s’accompagne d’une sorte d’éréthisme des organes de la génération.

La mélancolie amoureuse se complique avec la manie : l’observation suivante m’en a fourni un exemple remarquable. Un jeune homme âgé de vingt-trois ans, amoureux d’une jeune personne, concentre sa passion pendant plus d’un an : un jour, après avoir dansé avec son amie, il est pris de convulsions qui se renouvellent pendant trois jours ; les intervalles de rémission laissent entrevoir du délire. Après que les convulsions eurent cessé, il devint maniaque, violent, agité, colère, etc., voulant toujours s’échapper. Après deux mois il est confié à mes soins. Quoique son délire fût général, quoiqu’il fût très-agité, il traçait sur la sable, sur le pavé, sur les murs le nom de son amante ; il courait, marchait dans l’espoir de la trouver. Au sixième mois de la maladie, il eut une fièvre angioténique qui jugea sa manie érotique. Une [p. 191] demoiselle âgée de trente-deux ans, accablée de la perte d’une fortune très-considérable, par conséquent devenue triste, assiste à une leçon d’un professeur célèbre de la capitale : dès ce moment, elle ne cesse de parler de ce professeur, bientôt elle se croit enceinte de lui ; les menstrues se suppriment, ce qui la confirme dans son idée de grossesse ; les coliques que la suppression cause, sont de nouvelles preuves de la présence de l’enfant ; elle maigrit beaucoup, elle a mille illusions de l’ouïe, elle entend ce professeur qui lui parle, qui lui donne des conseils ; souvent elle refuse toute nourriture, et ce n’est qu’en lui répétant que c’est par son ordre qu’elle se décide à prendre des aliments ; alors, elle mange beaucoup. Pendant dix-huit mois, elle fut occupée à faire des layettes pour l’enfant, à lui préparer de petits vêtements pour le temps où il sera sevré ; souvent elle marche nu-pieds sur le pavé afin de provoquer les douleurs de l’enfantement, douleurs qu’on lui a dit être nécessaires pour que l’enfant vienne à bien. Fréquemment elle s’agite, elle appelle à hauts cris le père de l’enfant qu’elle porte dans son sein ; elle a de longs intervalles de raison, mais le plus souvent elle déraisonne sur toutes sortes d’objets, quelquefois elle devient furieuse, parce qu’on l’empêche de voir ou d’aller trouver son amant qui l’appelle. Il est remarquable que cette demoiselle n’a jamais parlé à ce professeur, qu’elle ne l’a vu qu’une fois, et qu’elle a toujours eu la conduite la plus régulière.

Cette complication ne doit pas être confondue avec la manie hystérique. Dans la manie hystérique, les idées amoureuses s’étendent à tous les objets propres à les exciter, tandis que dans la manie érotique ces idées portent le caractère de la monomanie, c’est-à-dire qu’elles sont fixes et déterminées sur un seul objet.

L’érotomanie a été signalée chez tous le peuples ; les anciens, qui avaient déifié l’amour, la regardèrent comme une des vengeances les plus ordinaires de Cupidon et de sa mère. Galien accuse l’amour d’être la cause des plus grands désordres physiques et moraux. Les philosophes, les poètes ont décrit ses désordres ; les médecins de tous les âges l’ont signalée. Elle n’épargne personne, ni les sages ni les fous. Aristote brûle de l’encens pour sa femme. Lucrèce, rendu amoureux par un philtre, se tue. Le Tasse soupire son amour et son désespoir pendant quatorze ans. Cervantes, dans son Dom Quichotte, a donné la description la plus vraie de cette maladie presque épidémique de son temps, en lui conservant les traits des mœurs chevaleresques du quinzième siècle. Chez Heloïse et Abailard, elle s’associe aux idées religieuses dominantes alors ; tandis que dans Nina on l’a peinte avec des [p. 192] couleurs affaiblies et conformes au relâchement des mœurs moderne.

Les causes de l’érotomanie sont les mêmes que celles de la monomanie ou mélancolie (Voyez ce mot). Quoiqu’elle éclate dans un âge même avancé, cependant les jeunes gens, surtout les jeunes personnes, ceux, qui ont un tempérament nerveux, une imagination vive, ardente, dominée par l’amour-propre, l’attrait des plaisirs, l’inoccupation, la lecture des romans, une éducation vicieuse, sont plus exposées à cette maladie. La masturbation, en communiquant au système nerveux une susceptibilité plus grande, quoique factice ; la continence, en lui imprimant une activité très-énergique, prédisposent également au délire érotique.

Quel est le siège de l’érotomanie ? Nous l’avons déjà dit au commencement ; ii est dans la tête. Le cerveau ou cervelet sont-ils affectés ? nous avouons notre ignorance, nous n’en savons rien : il nous suffit d’avoir fait sentir que cette maladie est une véritable altération de la faculté pensante, pour qu’on en conclue que les fonctions de l’organe de la pensée sont lésées. Nous ne saurions rien voir au-delà.

L’érotomanie, étant une maladie essentiellement nerveuse, doit être traitée comme les autres monomanies nerveuses. Lorsque Les idées amoureuses se portent sur un objet connu, nul doute que le mariage ne soit presque le seul remède efficace. Il en est ici comme de la nostalgie, il n’y a que l’accomplissement des vœux du malade qui puisse le guérir. Lorsque la fièvre érotique se déclare, lorsque la tristesse est extrême, lorsque la cause du dépérissement est cachée, il faut user de ruse pour la découvrir, et avoir l’habitude de l’observation, car le mal un fois découvert, on a déjà fait un grand pas vers la guérison. S’il reste quelque voie ouverte jusqu’au cœur du malade, on placera auprès de lui une personne dont les qualités, les soins affaiblissent les impressions faites par l’objet aimé, une nouvelle affection peut détruire la première. Lorsque l’objet de la passion est imaginaire, lorsque le mariage est impossible, l’on doit recourir au traitement humide. Les bains tiède prolongés, les boissons délayantes, le petit-lait nitré, le lait d’aînesse, les chicoracées, un régime végétal, des laxatifs, tels sont les moyens préférables aux antispasmodiques, qui attisent le mal plutôt qu’ils e l’étreignent. L’isolement, les distractions, les voyages, un travail manuel, doivent concourir au succès du traitement. Des secousses morales, comme le prouvent les bons effets du saut de Leucade, doivent produire un ébranlement général qui peut être utile dans l’érotomanie ainsi que dans les autres espèces de mélancolies. Voyez MÉLANCOLIE, MONOMANIE.                                     (ESQUIROL)

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