Emmanuel Régis. Émotion sexuelle, psycho-analyse de Freud. Parut dans le « Précis de Psychiatrie. 6e édition, entièrement revue et corrigée. Avec 98 figures dans le texte et 7 planches, dont 5 en couleurs, hors texte ». Paris, Librairie Octave Doin, 1923. pp. 38-42.
Emmanuel Régis (1855-1918). Bien connu pour son célèbre Manuel de psychiatrie qui connut six éditions sous deux titres différents : Manuel pratique de médecine mentale (1885 et 1892) – Précis de psychiatrie (1906, 1909, 1914, 1923). – C’est à partir de la cinquième édition (1914), donc très tôt, qu’apparaît le nouvel article que nous proposons, sur la psychanalyse, dans le Précis de Psychiatrie. Très sensible aux idées freudienne il publiera un ouvrage commun avec Angelo Hesnard, La Psychanalyse des névroses et des psychoses en 1914. – Il est l’auteur de nombreux ouvrages et de plusieurs dizaines d’articles dont LA folie à double forme (1887) [en ligne sur notre site]
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images sont celles de l’article original. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
[p. 38]
Émotion sexuelle, psycho-analyse de Freud. Depuis quelques années, toute une théorie nouvelle a été édifiée sur le rôle prédominant des émotions dans la genèse des psycho-névroses et, des psychoses. C’est la théorie de la psycho-analyse de FREUD et de son Ecole (BLEULER, YUNG, JONES, RICKLIN, K. ABRAHAM, SADGER, etc.). Elargissant son idée et celle de BREUER déjà ancienne de l’étiologie sexuelle plus ou moins apparente de l’hystérie, de la névrose d’angoisse et des états obsédants, FREUD en est arrivé avec ses disciples à soutenir que bien d’autres syndromes morbides avaient la même étiologie. Voici par quel mécanisme.
La très originale Psychologie de FREUD repose sur une conception dynamique de la vie psychique considérée comme un système en évolution de forces antagonistes ou composantes, [p. 39] dont le sujet ne connaît qu’une faible partie, faite d’éléments conscients, par opposition aux éléments inconscients : beaucoup plus nombreux et surtout plus actifs dans le déterminisme de notre activité mentale.
Ces forces inconscientes, au pouvoir potentiel ou kinétique, sont attachées à des complexes, idées plus ou moins compliquées, nullement logiques et toujours empreintes d’une tonalité affective prononcée qui en mesure l’énergie. Les complexes président, à notre insu, au cours des phénomènes de conscience. Leur contenu généralement érotique — l’érotisme étant pris dans un sens très compréhensif propre à cette doctrine et considéré comme influençant toute la mentalité depuis la plus tendre enfance — se rattache à un ou plusieurs épisodes sexuels, parfois très anciens, de la vie du sujet, véritables traumas émotifs originels. Etant très fréquemment en opposition avec les tendances de la personnalité consciente de l’adulte, éduqué et soumis aux coercitions morales, éthiques et sociales de la civilisation, ils sont, chez certains, rejetés dans le subconscient et maintenus là par une force de résistance (WIDERSTAND) durable qui dissimule ainsi leur existence. C’est le fait capital de la Répression des complexes (VERDRANGUNG), beaucoup plus marquée chez le malade que chez l’homme sain. Comme ils n’en continuent pas moins à influencer fortement le flot des phénomènes psychiques, mais d’une manière détournée qui en défigure les manifestations extérieures, ils se traduisent au dehors par des phénomènes difficilement compréhensibles : chez l’homme sain, par des tendances artistiques, littéraires, des particularités de caractère, des rêves, etc. ; chez le malade, par des obsessions, des hallucinations, des délires, des dissociations de la conscience et de la personnalité, en un mot par les symptômes de la névrose et de la psychose. Ces symptômes morbides sont donc, dans la théorie de FREUD, la manifestation en quelque sorte symbolique ou, si l’on veut, l’équivalent de complexes psychiques refoulés et dérivés.
Cela étant, le psychiatre viennois proclame la nécessité de rechercher et de découvrir, dans le subconscient, les complexes émotifs d’ordre habituellement sexuel qui ont donné naissance à l’état pathologique. [p. 40]
Tout d’abord, il a employé dans la découverte et la mise à jour du processus psychologique générateur l’élude interprétative des rêves et la méthode de l’hypnose. Mais cette dernière n’étant pas applicable à tous les cas, il en est venu, avec YUNG à utiliser ceux de l’auto-analyse et des associations mentales. Dans la première, le sujet doit noter lui-même, avec la neutralité absolue d’un témoin étranger, indifférent ou, si l’on veut, d’un simple appareil enregistreur, toutes les pensées, quelles qu’elles soient, qui traversent son esprit. C’est ensuite à l’observateur à distinguer, dans la succession de ces manifestations idéatives, celles qui peuvent mettre sur la voie du complexe pathogène initial. Dans la méthode des associations mentales, ce complexe se révèle par les réponses associatives ou mots-réactions du malade aux questions variées qui lui sont posées ct par le retard de certaines d’entre elles, mesuré chronographiquemcnt.
La psycho-analyse de FREUD n’a pas seulement pour but de découvrir l’émotion sexuelle qui, à l’insu de l’individu, est devenue l’origine de son affection nerveuse ou mentale. Elle aboutit aussi, par voie de conséquence, et c’est là son principal objet, à une thérapeutique appropriée. La véritable cause psychologique connue et ramené à la surface du conscient, il devient en effet possible, par des moyens surtout psychothérapiques, d’en atténuer ou d’en faire disparaître les effets.
Cette psychothérapeutique consiste dans la translation de l’inconscient dans le conscient, c’est-à-dire dans la mise en lumière des complexes pathogènes. Le malade, après de patientes recherches de la part du médecin, revit l’événement originel, généralement dans un sursaut émotif que ressent également le psychothérapeute (transfert, Ubertragung) ct peut alors reconnaître le complexe, le considérer en face et le combattre efficacement avec l’appui moral du praticien.
Pouvant alors agir sur le complexe devenu conscient et ayant par là même perdu sa dangereuse puissance, le médecin, suivant le cas, fait appel à la raison adulte et assise du sujet pour détruire les effets d’une insuffisance antérieure et infantile du jugement (condamnation, Verurtheilung), utilise l’énergie [p. 41] du complexe réprimé en lui substituant des mobiles d’actes ou de pensée supérieurs ou non sexuels (sublimation, Sublimierung), ou enfin fait librement accepter au sujet une hygiène sexuelle bien comprise.
Telle est, brièvement résumée en ses grandes lignes, la théorie de la psychanalyse. Cette théorie a fait en peu de temps une fortune extraordinaire. Elle possède une littérature déjà considérable et compte en divers pays, notamment en Suisse, en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis, des partisans et des adversaires nombreux qui la discutent avec une ardeur parfois presque passionnée. En France, on la connaît à peine et aucun auteur n’en a fait encore sérieusement mention, à l’exception, peut-être, de MORICHAU-BEAUCHANT, de Poitiers. (Voy. RÉGIS et HESNARD E., 1913 et vol. Alcan. 1914.
Nous n’avons pas à discuter ici la théorie de la psycho-analyse, au moins, dans son principe psychologique. En ce qui concerne ses applications cliniques et thérapeutiques, les brèves indications ci-dessus suffisent, à elles seules, à montrer ses exagérations et ses imperfections.
Il est en effet excessif de tout rapporter à une émotion sexuelle ancienne, refoulée dans le subconscient et c’est avec raison qu’on s’élève de divers côtés contre le « pansexualisme » de FREUD.
D’autre part, à supposer que toute psycho-névrose se rattache à un complexe émotif antérieur — ce qui n’est pas et ce qui réduirait, à bien peu de chose le rôle des autres facteurs étiologiques — les méthodes employées par FREUD et ses disciples pour déceler ce complexe et le mettre à jour sont, pratiquement, très infidèles et très incertaines.
Enfin, même lorsque la cause psychique d’un état morbide est connue, il n’est point toujours facile, tant s’en faut, de guérir cet état morbide, fût-ce en agissant sur cette cause psychique, souvent très adhérente et très résistante.
La théorie de FREUD, malgré tout, n’est pas sans grandeur. Elle a les allures non seulement d’une doctrine psychologique, mais aussi, comme on l’a fait remarquer, d’une doctrine religieuse. Aussi s’explique-t-on son retentissement et la passion avec laquelle elle est soit défendue, soit combattue. [p. 42]
Telle qu’elle est et quelle que soit sa destinée à venir, elle nous a paru mériter par son originalité, son ampleur, son actualité même, le court exposé que nous venons d’en faire.
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