Émile Mauchamp. Coutumes et superstitions au Marcoc. Extrait de la revue « L’Écho du merveilleux », (Paris), onzième année, n°246, 1 avril 1907, pp. 121-124.

Émile Mauchamp. Coutumes et superstitions au Marcoc. Extrait de la revue « L’Écho du merveilleux », (Paris), onzième année, n°246, 1 avril 1907, pp. 121-124.

 

Pierre Benoit Émile Mauchamp (1870-1907). Médecin qui fut assassiné près du dispensaire où il exerçait, suite à la découverte d’un manuscrit, dit-on; dans lequel il relatait des pratiques juges « impures et dépravante » des autochtones.
Cet article servira de socle à l’ouvrage paru post-mortem :
La Sorcellerie au Maroc. Œuvre posthume. Précédée d’une Etude documentaire sur l’auteur et l’œuvre par Jules Bois, et accompagnée de 17 illustrations, la plupart d’après des photographies prises par l’auteur. Paris, Dorbon ainé, s. d., [1911], 1 vol. in-8°, 2 ffnch, 313 p., 1 fnch, portrait de l’auteur.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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Coutumes et superstitions au Maroc (1)

Dans un des derniers numéros de la Clinique infantile, journal de médecine de l’enfance, que dirige le Dr G. Variot, l’éminent médecin de l’Hôpital des Enfants Malades, nous avons trouvé an article du malheureux Dr Émile Mauchamp, mort assassiné par les Marocains à Marakech. Cet article, qui traite de la croyance aux diables, à sa place dansl’Écho du Merveilleux. Nous croyons donc que nos lecteurs nous sauront gré de le reproduire.

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Dans l’intérieur du Maroc, on vit en plein moyen âge socialement et moralement.

De l’éclat passager et si lointain de la civilisation mauresque, il ne reste plus chez le Marocain [p. 121, colonne 2] actuel que l’orgueil exagéré d’un passé où il n’a nul mérite. La lumière est depuis longtemps éteinte et l’obscurantisme de la superstition la plus barbare a si bien assombri ce malheureux mais étrange pays que, pour ne nous placer qu’au point de vue médical, l’empirisme le plus follement extravagant, la sorcellerie la plus bassement démoralisante y règnent en institutions absolues et exclusives.

C’est au point que le médecin européen qui assume la rude lâche de contribuer à la régénération morale et au progrès matériel de ce peuple se heurte, en dépit des résultats bienfaisants et pourtant visibles de son intervention, à une défiance et à un parti pris qui peuvent aller jusqu’à l’hostilité. Quelques citations de clinique et de thérapeutique indigène, en ce qui concerne l’enfance, donneront une idée de la mentalité et de l’éducation du pays.

Je tiens à faire remarquer que ces exemples ne sont pas choisis, mais qu’ils viennent à leur place de chapitre dans une étude générale sur la médecine au Maroc. En outre, il faut être prévenu que tout cela est de croyance et de pratique absolument courantes.

La sorcellerie est au Maroc la seule institution solidement établie. Juifs et musulmans s’entendent à merveille pour admettre l’intervention constante des diables dans les moindres détails de la vie quotidienne. C’est le seul dogme qui ne soit pas discuté et qui unifie, dans une commune terreur et dans d’identiques sollicitations, toutes les dévotions et toutes les fois.

La croyance au surnaturel, à l’occulte, un fraternel abandon aux mêmes puissances de ténèbres et de lumière rapprochent si bien, dans une même [p. 122, colonne 1] servitude mentale, ces deux races issues de la de même souche sémitique et appelées à végéter côte à côte sur la terre attardée du Maghreb, que Mahométans Israélites y mettent en commun leurs prophètes et leurs saints, leurs marabouts et leurs rabbis, se les prêtent et se les disputent réciproquement toutes les fois qu’il s’agit de recouvrer la santé, sans s’astreindre à l’hygiène et sans recourir à la science, ou de poursuivre la réalisation du bonheur et de la fortune en évitant l’effort du travail et l’assujettissement de l’acquisition des mérites…

MALADIES DES NOUVEAU-NÉS

El Ism (le nom (2) — Un nouveau-né refuse de téter sa mère, pousse des cris et se révolte, si elle insiste pour lui donner le sein. Au contraire, il se laisse allaiter sans difficulté par une autre femme. C’est un méfait des Bjennoun (3). Un djinnmalfaisant s’est interposé entre la mère et l’enfant au moment de la naissance.

Traitement. — On commence par faire brûler sous le nez du bébé un peu d’ambre gris. Ensuite on se procure des poils de la bosse d’un jeune dromadaire et, en ayant soin de tenir constamment les mains au-dessus de la tête du petit malade, on tresse avec ces poils une mèche qui doit atteindre la longueur du corps de l’enfant. Après quoi l’on fait sept nœuds à cette tresse en prononçant l’exorcisme suivant : « J’attache le diable qui a passé entre la mère et l’enfant, afin qu’il ne puisse plus s’interposer entre la bouche de l’un et le sein de l’autre. » Puis on enduit de goudron la tresse ainsi nouée et on la fixe en collier autour du cou du bébé. On pile en poudre fine une résine parfumée Meha Saëla et, pendant trois jours consécutifs, on en frotte le palais du nourrisson ; le reste de la poudre est placé dans un sachet qu’on fait porter au petit possédé.

Et tout rentre dans l’ordre.

Une maladie analogue consiste en ceci. Chaque fois que la mère veut donner le sein, le bébé pousse [p. 122, colonne 2] de profonds soupirs qui interrompent à chaque instant la tétée.

C’est que la mère a soupiré au moment de l’accouchement ou qu’une personne triste est entrée dans sa chambre à l’instant que l’enfant venait au monde.

Traitement. — On broie ensemble, jusqu’à en obtenir une poudre, de l’ambre gris, des boyaux desséchés de hérisson, de la corne râpée de cerf ou de daim et des cheveux d’un nègre choisi parmi les plus noirs. On fait brûler un peu de cette poudre sur un charbon au-dessous du visage du malade. Le restant de la poudre est délayé dans du miel qu’on fait sucer avec le doigt au bébé. Après quoi on lui fait boire une infusion de crottin d’âne et de cumin. Ensuite la mère s’étend à plat ventre et dispose son enfant sur son dos, entre la peau et la chemise, pendant qu’une autre femme fait rouler à plusieurs reprises le bébé sur le corps de sa mère. Celle-ci prend alors le bébé, écarte les jambes et lui place la tête entre ses cuisses, en lui disant : « Sois guéri par l’endroit qui t’a donné le jour. »

Maladie de l’ogresse. — Il s’agit d’un nourrisson excessivement goulu qui avale tout ce qu’on lui présente et qui pousse des hurlements dès qu’on lui retire le sein. Il ne cesse de crier que pour téter et réciproquement.

C’est une maladie sérieuse provoquée par l’ogresse qui poursuit les petits enfants et les incite à une perpétuelle indigestion, afin de provoquer leur perte. Il s’agit dès lors d’amadouer cette redoutable mégère et de lui racheter la santé du bébé, sans oublier de lui offrir en compensation une autre victime que le hasard désignera.

On va quémander dans sept familles différentes un peu de farine. Puis on se rend le soir au bord d’une rivière où l’on dépose du sucre et de l’huile ou bien du sucre, de la semoule et du henné où l’on a ajouté quelques cheveux de la mère. Ensuite on puise un peu d’eau dans la rivière et, sans prononcer aucune parole, on rentre chez soi pour préparer dans un ustensile neuf une bouillie avec la farine préalablement recueillie. On en fait prendre une petite quantité à l’enfant. On met dans un plat la plus grosse part de la bouillie ; on y ajoute de la lavande, de la myrthe, des roses, de l’orge et du henné en disant : « Voici ta part, notre tante [p. 123, colonne 1] l’ogresse. » Et l’on porte le tout à l’endroit où l’on a puisé l’eau dans la rivière.

Avec ce qui est resté de la bouillie au fond de La casserole, on enduit le corps de l’enfant en rentrant à la maison et Von place sous son chevet sept noix qu’on y laisse toute la nuit. Le lendemain matin, de très bonne heure, la mère prend son bébé avec les sept noix et s’en va parcourir sept rues différentes en déposant dans chacune d’elles une des noix. Dans la dernière rue, elle désemmaillote le petit et l’enveloppe dans une layette neuve. Parmi le linge sale qu’elle lui a retiré, elle cache la dernière noix et abandonne le tout sur le chemin, en disant : « Que le mal de cet enfant se communique à la personne qui ramassera ce paquet. »

Ictère des nouveau-nés. — Si quelqu’un pénètre dans la chambre d’une accouchée, au moment de la délivrance, en tenant à la main du safran, le bébé deviendra jaune.

C’est peu grave. II suffit de délayer sept brins de safran dans quelques gouttes d’huile qu’on recueille en égouttant une mèche qui a brûlé et de faire boire ce mélange au malade pour que celui-ci ne tarde pas à redevenir blanc.

El Rial. — C’est la maladie du nourrisson qui tète le lait d’une femme enceinte.

L’enfant a de la diarrhée continuelle mélangée de glaires, de matières purulentes et même de sang. Un amaigrissement considérable survient au point qu’il ne reste plus aux membres et à la poitrine que la peau sur les os, tandis que le ventre grossit et que les intestins dilatés se dessinent à travers la paroi. Le petit malade n’a pas la force de tenir sa tête qui retombe sur l’épaule ; il est très altéré, les lèvres sont sèches, les yeux sont enfoncés dans les orbites ; les pieds enflent.

C’est, en somme, le dernier degré de l’athrepsie, si fréquente ici et qui se retrouve, en clinique indigène, dans la description d’une foule d’affections que l’on différencie à l’infini et auxquelles on reconnaît les causes les plus diverses.

On a recours aux grands moyens qui sont variés, mais peu efficaces, paraît-il. En voici quelques-uns : On se procure un fœtus de vache ou de chèvre égorgée, on le lave et on en fait une soupe avec des lentilles sèches. Le malade en absorbe une partie et on lui frotte le corps avec le reste.

Les œufs retirés du corps d’une tortue égorgée, [p. 123, colonne 2] cuits également avec des lentilles sèches, s’emploient de la même façon.

On délaie dans de l’eau les excréments d’un poulain pur-sang nouveau-né ; on fait avaler à l’enfant un peu de cette mixture et on emploie le reste en frictions.

On éventre un caméléon, on retire du corps les petits qu’on y trouve et on les écrase dans de l’huile qu’on donne à boire au bébé.

On peut encore donner au petit malade de l’eau où l’on a dissout un peu d’un ferro-prussiate qui passe pour très rafraîchissant ; — ou bien de l’eau de savon de terre (terre à foulon) qui rafraîchit et diminue le ténesme douloureux qui accompagne les diarrhées prolongées.

On enduit le corps avec des feuilles de bois gentil pilées dans de l’eau.

On fait avaler au bébé chaque matin, dans de l’urine, une poudre composée de graines d’anis, de deux espèces de cumin, de thuya, de fenu grec et de coriandre, pour rafraîchir et réchauffer en même temps.

… Tous moyens héroïques, qu’on oublie d’ailleurs d’accompagner d’une diète alimentaire sévère et qu’on n’emploie qu’en désespoir de cause.

Ectopie testiculaire. — Cet accident peut avoir pour origine la mauvaise qualité du lait de la mère : l’enfant en souffre tant et crie tellement que les  testicules rentrent dans le ventre. Ou bien encore là sage-femme a mal pris le bébé au moment de la naissance et lui a fait remonter les testicules par mégarde, surtout si elle l’a tenu la tête en bas.

Traitement. — On bat, dans une cuvette, 20 jaunes d’œufs avec de l’aloës ; on met sur le feu et on agite jusqu’à ce que le mélange prenne l’apparence du goudron. On en frotte alors le bas-ventre et les aines de l’enfant et l’on colle sur chaque orifice inguinal une pièce de monnaie de cuivre. On pose un bandage et on emmaillotte fortement le petit malade en ayant soin de placer une ceinture très serrée au-dessous des aines. Les jambes sont en outre, liées ensemble.

Cet enveloppement et ce bandage doivent être changés à la même heure exactement pendant trois jours de suite, après quoi, si tout a été bien exécuté, les testicules ont repris leur place pour ne plus remonter.

Dr. EMILE MAUCHAMP.

Médecin du Gouvernement français au Maroc.

Notes

(1) Nous sommes heureux de mettre sous les yeux des lecteurs de la Clinique Infantile ces documents intéressants et pleins d’actualité, sur l’hygiène infantile au Maroc. Ils nous sont envoyés par notre ami et collaborateur, le Dr Émile Mauchamp, auquel le ministère des Affaires étrangères a confié le mandat difficile et périlleux de faire connaître aux indigènes de Marrakech, les bienfaits de la philanthropie et de la médecine françaises. Voici un extrait d’une lettre nous montrant avec quelle activité M. Mauchamp remplit sa mission :

« C’est une œuvre bien lourde pour un seul médecin, sans pharmacien, que le gouvernement m’a confiée dans cette capitale de 100.000 habitants. Vous savez peut-être que j’y suis arrivé comme premier médecin et comme premier Français et que, en dehors de mon dispensaire, j’ai eu à faire face à une formidable épidémie de typhus qui, succédant à une famine meurtrière, tua en cinq mois plus de 5.000 personnes. C’est vous dire que je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer ici. Je suis, d’ailleurs, très satisfait du résultat de ma-mission car, malgré l’hostilité première d’une population prévenue et les mauvaises volontés que j’ai rencontrées de tous côtés, spécialement de la part des autorités locales, je suis arrivé à fermer les portes du dispensaire, chaque matin sur une clientèle de 100 à 150 malades, obligé de laisser se morfondre à la porte une foule de gens que je ne puis admettre parce qu’il y a des limites aux forces humaines, et que je n’ai pu obtenir qu’on m’envoie un assistant. »

(2) Sous-entendu : du diable. — Il faut éviter de prononcer le mot « diable », ce qui pourrait attirer quelque intervention fâcheuse du Malin qui se croirait ainsi appelé.

(3) Djinn ; plur. Djennoun. —Démons familiers qui pullulent autour des hommes, et qui représentent le plus clair de la pathogénie indigène.

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