Edmond Le Blant. Les premiers chrétiens et le démon. Mémoire lu à l’Académie des inscriptions et Belles-Lettres, 31e année, n° 2, 1887. – Et tiré-à-part : Roma, Tipografia della R. Academia dei Lincei, 1888. 1 vol. in-4°, 9 p.
Edmond Frédéric Le Blant (1818-1897). Archéologue. – Directeur de l’École française de Rome (1883-). – A été membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Polygraphe dont nous avons retenu en particulier :
— Sur l’accusation de magie dirigée contre les premiers chrétiens. Extrait des Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 13ᵉ année, 1869. Et tiré à part : Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur , 1869.
— Artémidore. Extrait des « Mémoires de l’Institut natinal de France », (Paris), tome 36, 2ème partie, 1901, pp. 17-29.
Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
Les premiers chrétiens et le démon.
La surprise est grande parfois pour qui se reporte par la pensée au temps où le christianisme apparut et grandit dans le monde. Une croyance au surnaturel dominait alors les esprits, et les récits de l’Évangile n’étonneraient pas plus les gentils que certaines fables païennes ne venaient surprendre les fidèles. Chez les persécuteurs, la réalité des miracles opérés par le Christ n’était pas révoquée en doute, et quelques-uns d’entre eux tremblaient devant la puissance de celui qui, dans un repas de fête, avait su changer l’eau en vin (1). C’était, disait-il, un habile enchanteur ; comme Orphée, cet autre magicien sous les traits duquel ses adeptes se plaisaient à le représenter, il était venu d’Égypte et, de cette terre fameuse où le grand sorcier des juifs, Moïse, triompha de ceux de Pharaon, il avait rapporté, tout enfant des secrets étranges et redoutables ; les tableaux mêmes des chrétiens, leurs sculptures l’attestaient du reste : on l’y voyait armé de la baguette, cet instrument classique des enchanteurs, ressuscitant des morts, touchant les urnes de Cana (2) ; on l’y voyait remettant aux Apôtres, ses successeurs, le livre où étaient consignés les secrets de l’art occulte qui l’avait fait célèbre (3).
Ainsi parlaient les idolâtres ; aux chrétiens, leurs contemporains, la pensée ne vient même pas de regarder les Dieux de l’Olympe comme des êtres imaginaires ; ce sont, disent-ils, des démons malfaisants, devant lesquels tremblent leurs adorateurs ; il réside dans les édifices, dans les statuts une aveugle dévotion leur élève et où les font en descendre les cérémonies de la dédicace (4) ; ils y vivent deux du fumet des sacrifices et du sang des victimes qu’on leur égorge. On s’était bien détonné quelque peu, alors qu’autant de Constantin, les temples avaient été envahis et violés, de ne voir aucun spectre s’échapper des sanctuaires et des idoles (5) ; mais la persuasion dont je parle était vieille de bien des siècles et l’on continuera à croire avec les [p. 4] païens, que les édifices religieux, les images des divinités recelaient des êtres surnaturels (6). Aussi lorsque l’on exhumait quelques-unes de ses œuvres de l’art antique, s’empressait-on d’en expulser l’esprit malin. Les statues des Dieux, les pierres gravées que rechercha tant le Moyen Âge, les vases qui décoraient des figures mythologiques demeuraient suspects aux fidèles et l’Eglise avait des prières pour purifier ces redoutables simulacres (7). Une idole d’airain déterrée par les religieux de St-Benoît, avait, racontait-on, rempli de flamme la chambre où l’on venait de la déposer (8). Bien des siècles après, le populaire se répétait à Rome que le pape Paul II avait été étranglé par les démons logés dans les vieilles pierres gravées qu’il recherchait curieusement (9).
Ces êtres malfaisants n’étaient autres que les dieux de l’Olympe. Ils le confessaient en ce nommant sous l’étreinte de l’exorcisme : c’était de Jupiter et Mercure, Vénus et Minerve (10), Mercure et Bacchus (11), Saturne et Sérapis (12). Les sécheresses, la famine qu’elles entraînent, la peste et tous les fléaux dont une haine aveugle voulait faire des chrétiens responsables, était l’œuvre des prétendus Dieux (13) ; leurs fureurs s’acharnaient avant tout sur les enfants de Jésus-Christ qui les affamait en proscrivant les sacrifices, les torturer par l’exorcisme en les chassant du corps des possédés (14).
Dès le temps même du Sauveur, le démon avait, croyait-on, engager la bataille. À la veille de la passion, un songe était venu troubler la femme de Pilate, lui [p. 5] commandant d’avertir son mari de ne point condamner Jésus. Un ivoire célèbre de Ravenne nous montre un fantôme élevé, barbu, d’aspect farouche, apparaissant au chevet de Pharaon endormi. C’est le génie du rêve. Quelques autres esprits de forme épouvantable c’était sans doute alors manifesté de même à la femme du Procurateur, car le St-Matthieu, écrit qu’elle avait été étrangement troublée (15). Ce songe, concluait les chrétiens, était comme tant d’autres (16), deun message du diable cherchant à détourner Pilate pour empêcher le crucifiement et entraver ainsi l’œuvre de notre rédemption (17).
Assaillir, inquiéter le fidèle dans le sommeil dans l’oraison, dans tous les actes de la vie, été son jeu de chaque instant. L’un de nos courageux missionnaires, M. l’abbé Lasserteur, a bien voulu me faire voir une peinture naïvement exécutée par un chrétien du Tong King et représentant des religieuses agenouillées devant l’autel. Près d’elle sont des diables noirs qui s’ingénient à les empêcher de se recueillir, montant sur leurs épaules, tirant leurs capuchons. Les conceptions d’un peuple neuf répondent exactement parfois à celle des temps antiques ; nous en trouvons ici une preuve nouvelle. Chez les hommes de l’Extrême-Orient, comme chez nos pères, tout manquement des fidèles est attribué à l’action de l’esprit malin. Dans la peinture dont je parle, on croirait voir « les illustrations », comme on dit aujourd’hui, d’un passage de Rufin relatives aux moines que gouvernaient St-Macaire d’Alexandrie : « A l’heure de l’office, le saint vit se répandre par toute l’église une nuée de petits enfants, noirs comme des Éthiopiens et qui semblaient voltiger. Il est d’usage que l’un de nous récite un psaume devant les frères assis qui écoutent le texte saint ou disent les répons. Les petits éthiopiens allaient de l’un à l’autre ; ce dont ils touchaient les yeux s’endormait à l’instant ; ceux dans la bouche desquels ils mettaient un doigt se prenaient à bailler ; quelque diables étaient grimpés sur la tête, sur les épaules de ceux qui manquaient de recueillement ». (18) Les prêtres, les religieux surtout, appelé à vivre dans la solitude, subissaient les attaques du malin. Le désert qui est son domaine et où il tenta le seigneur lui-même (19), les livrait à ses assauts sans nombre. Parfois, sous les traits d’une belle femme épuisée de fatigue, égarée dans les sables, le diable se présentait suppliant à l’entrée de leur pauvre cellule. Pour ceux qui, trop prompte à la confiance, ne repoussaient par le fantôme à coups de pierres ou, comme le fit un moine forgeron en lui lançant un fer rouge à la tête, le péril était grand et l’un d’eux s’en aperçut [p. 6] avec terreur lorsque, s’oubliant à vouloir serrer entre ses bras la dangereuse sirène, il la vit s’évanouir dans les airs en jetant un cri épouvantable (20).
Ailleurs, la malice de Satan poussera plus loin l’aventure. Chacun sait la brillante fiction imaginée par les anciens. Celui que la charité accueille, misérable, désespéré, et parfois une divinité descendue sur la terre pour éprouver les cœurs. Chez les païens, c’est Jupiter, c’est Mercure se transfigurant sous les yeux de leurs hôtes. Pour les fidèles, le mendiant qu’on assiste peut-être le Christ lui-même, qui va sur l’heure, comme plusieurs l’ont vu, resplendir dans toute sa gloire (21). Des miséricordieux ont reçu ainsi, et sans retard, le prix de leurs bonnes œuvres. L’histoire du démon nous présente l’exacte contrepartie de cette légende. Malheur aux débouchés ! Pour lui le châtiment suivra de près la faute. S’est-il bien quel est cet être impur qu’il presse follement entre ses bras ? N’a-t-il point vu des malheureux qui, croyant s’endormir avec une courtisane, se sont réveillés aux côtés de Satan qui en avait pris la figure ? Les religieux surtout, je le répète, était en butte aux surprises, aux moqueries de l’esprit malin (22).
On raconte que ce même St-Macaire dont je viens de parler, se trouvant en voyage, s’en vint dormir dans un de ces tombeaux antiques ou les païens conservaient les momies. Il prit celle d’une femme, et se couchant s’appuya comme sur un oreiller. Les démons qui, comme l’on sait, hantent les sépulcres (23), essayèrent de le troubler en faisant parler le cadavre. « Madame, lui disent-ils, en l’appelant par son nom, veux-tu venir te baigner avec nous ? » Et l’un d’eux, répondant pour la morte répliqua : « Je ne le puis ; un voyageur s’est couché sur moi ». Le saint ne s’émut point d’un tel dialogue ; il chargea de coups la momie, en lui disant : « Lève-toi et va-t’en, si tu le peux ». Et les diables, plein de confusion, s’enfuirent en criant : « nous sommes vaincus ! » (24).
Un autre conte que j’emprunte au livre d’un savant archevêque du neuvième siècle, nous dit l’aventure d’un abbé dont se joua de même l’esprit malin. Il gouvernait un monastère dont les possessions étaient l’objet d’attaques et de procès injuste. Ce religieux, qui se nommait Jean, se rendit auprès de l’Empereur pour implorer sa protection. Admis, après une longue attente, avoir enfin le souverain, il le supplia à écrire à l’Exarque en faveur de son monastère. « L’empereur y consentit et le moine se retira, emportant avec eux lui une lettre datée du mois, du jour, même de l’heure, et munie du sceau impérial. Le soir étend venu, il se rendit sur le port de Constantinople, cherchant en vains quelques navires en partance pour Ravenne ou [p. 7] pour la Sicile. Pendant qu’il parcourait le rivage, la nuit étendit ses ailes sombres ; il continuait à cheminer, se demandant ce qu’il devait faire, lorsqu’à la clarté de la lune apparurent devant lui trois hommes vêtus de noir : « Abbé Jean, lui disent-ils, d’où vient ton trouble ? » Il répondit : « L’empereur a fait droit à toutes mes demandes et voici que je ne puis trouver de navires pour rentrer à Ravenne ». Les méchants répliquèrent : « Si tu veux faire ce que nous te dirons, demain tu seras rendu chez toi et au milieu des tiens ». Il consenti. « Eh bien, continuèrent les hommes noirs, prend cette baguette et trace sur le sable l’image d’un navire avec ses voiles, sérum, ses parcs et ses matelots. » La chose faite, ils lui dirent : « couche-toi maintenant dans la cale ; tu vas entendre le mugissement des vents, le fracas de la tempête, celui des coûts de mer ; que ta bouche soit muette et que ta main ni trace pas le signe de la croix ! » L’abbé s’étendit sur le sable. Aussitôt le bruit de l’orage se déchaîna à ses oreilles ; il entendit le sifflement des vents, le choc des flots furieux. Les rames, les antennes se rompaient ; les barques étaient enlevées par des vagues et les matelots noirs poussaient des gémissements lugubres. L’abbé ne bougea pas ; il ne poussa même pas assoupir. À l’heure où le coq chante, il se trouva sur le toit de son monastère et appela à l’aide ; les moines, croyant voir un fantôme n’osaient approcher ; mais lui criant plus fort, interpellant chacun par son nom : « Venez à moi, disait-il, reconnaissez votre abbé. Vous savez que je suis allé à Constantinople pour le bien du monastère. J’en arrive ; ne craignez rien ; c’est le vent qui m’a jeté sur ce faîte ». On apporta enfin des échelles et laver plus descendre » (25). Je passe la fin de l’aventure : le récit de l’entrevue de Jean avec l’Exarque qui, voyant la lettre impériale datée de la veille, crut à une imposture : « est-il quelqu’un, dit-il, qui puisse aller de Ravenne à Constantinople et revenir en moins de trois mois ? » Tout ce dénoua devant l’évêque et le pauvre religieux du expliqué par la pénitence la faute de s’être fié à l’esprit des ténèbres.
Plus avisé s’était montré St. Maxime de Riez qui fit évanouir par ses prières un autre vaisseau fantôme sur lequel de prétendus matelots voulaient lui persuader de prendre passage (26).
Sur le faîte même de la colonne où il passa tant d’années en oraison, St. Siméon fut tenté de même. Le diable, nous raconte l’un des disciples du célèbre stylite, prit un jour la forme d’un ange éclatant de lumière est montée sur un char enflammé qui traînait des chevaux de feu. Il se présenta près de la colonne et parlant d’une voix cassante : « Siméon, dit-il, écoute-moi : c’est le seigneur qui m’envoie pour t’emporter sur ce charme de feu, comme j’ai fait autrefois Elie ; car ton heure est venue. Prends place à mes côtés et montons au ciel où t’attendent, joyeux les anges et les archanges avec Marie, la mère du Sauveur, les Apôtres, les Martyrs, les Confesseurs et les Prophètes ». Le saint, achevant sa prière dit alors : « Seigneur, veux-tu donc enlever au ciel un pauvre pêcheur ! » Et comme il s’avançait pour [p. 8] monter sur le char, il fit de la main droite le signe du Christ ; le démon s’évanouit aussitôt, comme une poussière au souffle du vent » (27).
Je n’ai guère rappelé jusqu’ici que de simples jeux de Satan. Les écrivains ecclésiastiques vont nous le montrer sous un aspect implacable et terrible.
Des que deux saints gaulois, Lupicin et Romain, fléchissaient le genou pour prier, les démons leur lançaient des pierres et leur faisaient de cruelles blessures (28). Assailli et terrassé par eux, comme le représente une fresque célèbre de Pierre Laurati (29), S. Antoine ressenti des douleurs si cuisantes aucune plaie faite par une main humaine n’aurait pu produire de telles angoisses (30).
Celui-là qui avait tenté d’entraver l’œuvre du Rédempteur devait s’acharner contre les martyrs ; c’était lui qui, dans sa malice, espérant voir les chrétiens faiblir, attisait les flammes des bûchers, aiguisait les ongles de fer et déchaînait les bêtes féroces (31) .
Cloués, comme le Christ, à l’arbre fatal, de jeunes époux, Timothée et Maura, eurent à repousser ses attaques. Tous deux, nous racontent leurs Actes, s’encourageaient à la constance : « Veillons, dit la chrétienne, veillons afin que le démon ne vienne pas nous tenter sur la croix. — Et, comme le mari, épuisé de souffrance, succombait au sommeil, la martyre, halluciné par la soif, eut une vision : « Frères, dit-elle à son mari, réveille-toi, car j’ai vu, comme dans une extase, un homme tenant un vase plein de lait et de miel, et cet homme me dit : — Prends et bois. — Je lui répondis : qui es-tu ? — Un ange de Dieu, reprit-il. — Et je répliquai : Lèves-toi donc et prions. — Il poursuivit : je suis venu plein de pitié pour toi, car tu as veillé jusqu’à la neuvième heure et tu as faim. — Et je répondis : Qui te fait parler ainsi, et pourquoi t’émeus-du de ma constance et de mon jeûne ? Ne sais-tu pas qu’à ceux qui l’invoquent Dieu accorde même l’impossible ? — Et comme je me mettais en prière, il se détourna de moi. Je reconnais une ruse de l’ennemi qui venait nous attaquer jusque sur l’instrument du supplice, et le démon s’évanouit aussitôt. Un autre apparu, et me mena sur le bord d’un fleuve de lait et de miel, en me disant : Bois. — Et je répondis : Je te l’ai déjà dit : Je ne prendrai aucune boisson avant d’avoir goûté le breuvage du Christ qui ne prépare la mort soufferte pour mon salut et l’immortalité de la vie éternelle. — Il se mit à boire ; à l’instant même le fleuve changea de forme et le dément disparu » (32).
Malheur à qui lui cède et meurt en état d’impénitence. Il ne brûle et j’ai mis dans sa tombe. Un jour qu’à la basilique de Saint-Martin ont récitait selon coutume, [p. 9] l’oraison dominicale, St. Vénance entendit un mort mêlant sa voix à celle des chantres et disant du fond de la terre, le répons : « Libera nos a malo. — Délivrez-nous de l’ennemi » (33). Cet ennemi, c’était le démon qui le torturait dans son cercueil. Espérant échapper à de tels assauts, on se faisait ensevelir dans les sanctuaires et près des tombes des martyrs ; le voisinage immédiat de leurs restes redoutés par l’enfer (34) protégeait contre ces attaques. Des Pères de l’Eglise, des épitaphes laissées par les premiers chrétiens le répètent (35). Mais ces sépultures privilégiées, qu’on recherchait avec tant d’ardeur, ne suffisaient pas toujours à sauver des terribles atteintes ceux qui les avaient pu obtenir. S’ils il ne s’en étaient pas montrés dignes, leur condition n’en devenait que plus cruelles, car leur audace à vouloir reposer auprès des saints du Christ était comptée par une nouvelle faute ;
NIL IVVAT IMO GRAVAT TVMVLIS HAERERE PIORVUM
Dit une inscription trouvée dans le cimetière de Saint-Laurent-hors-les-murs (36). On n’en savait d’épreuves terribles. Une religieuse indigne avait, malgré ses fautes, été inhumée dans un saint lieu ; le gardien la vit en songe traînée devant l’hôtel et à demi consumée par les flammes (37). Ailleurs, un mort enseveli de même cria que le feu le dévorait ; lorsqu’on ouvrit sa tombe, le corps n’existait plus ; elle n’en avait gardé que les vêtements (38). A Milan, les restes d’un débauché venaient d’être placés dans l’église de Saint-Syrus ; la nuit suivante on entendit le bruit d’une lutte engagée sous les voûtes du sanctuaire ; les gardes accourus, virent deux démons à face terrible liant les pieds du cadavre et l’entraînement malgré ces clameurs, pour le jeter hors du saint lieu (39).
Sous quelle forme les premiers chrétiens imaginaient-ils le maudit qui hantait leurs pensées ? Sans nul doute, si nous nous reportons aux documents que je viens de rappeler, aux vieux textes qui nous disent le combat vu en rêve par Saint Perpétue avant lors de son martyre (40), c’était pour eux un être noir, d’aspect sauvage et repoussant, un Éthiopien, comme tous le répètent ; mais quelques précis que puissent être à cet égard les écrivains ecclésiastiques, aucun monument figuré ne vient le mettre ainsi sous nos yeux. Fidèle interprète du sentiment d’allégresse spirituelle qui, suivant le précepte de l’Apôtre, devait animer le monde nouveau (41), l’art chrétien primitif repoussait toute représentation de caractère effrayant ou lugubre. Entre l’imagerie courante au temps antique, plus tard, au Moyen Âge, celle des premiers siècles [p. 10] de l’Eglise marque sa place par se très nettement indiqué. Elle couvre de fleurs et de pierres précieuses la croix du Golgotha, change en un diadème de rose la couronne d’épines qui déchira le front du Seigneur ; ce n’est pas par lui, c’est par Simon qu’elle fait porter l’arbre fatal ; elle ne retrace ni la flagellation, ni le crucifiement, ni le sanglant détail des supplices infligés aux martyrs, ni les épouvantes de l’enfer (42) ; rien chez elle qui rappelle les hideux génies du Tartare des Étrusques, leur Charon, leur Tuchulcha, ni les conclamations au lit des morts, scènes de clameurs et de larmes, si fréquemment sculptées sur les tombes païennes ; rien qui annonce les tableaux terrifiants où devait un jour se complaire les contemporains de Dante et de ceux d’Orcagna. Ce type à demi bestial du diable qui nous montre le Moyen Âge n’appartient pas à l’Antiquité. C’était seulement sous des formes allégoriques, celle de Lyon, du dragon, du serpent, que l’on représentait alors l’ennemi des hommes ; mais une telle exhibition n’était pas destinée à jeter l’épouvante. Si nous trouvons le serpent infernal sur les marbres, les fresques, les verres peints, les lampes, les monnaies des premiers siècles, c’est comme le complément obligé de la scène d’Adam et Eve cueillant la pomme, ou pour faire éclater la victoire du Christ qui foule aux pieds le monstre. Quand par une exception bien rare, Satan apparaît figurer par le lion ou par le dragon, c’est aux côtés du bon Pasteur qui les domine et les maîtrise (43).
Notes
(1) S. Ambros. De Virginibus, L. II, c, 33. Cf. Ruinart, Acta sincera, édition de 1713, p. 399. Passio S. Didymi, § 5.
(2) Mon Mémoire intitulé : Recherches sur l’accusation de magie dirigée contre les premiers chrétiens, p. 32-36
(3) Les sarcophages chrétiens de la Gaule, Introduction, p. X, XI.
(4) Arnob. VI, 17, etc.
(5) Euseb. Vita Constantin, L. III, c, 57.
(6) Mon Mémoire intitulé, Les Actes des Martyrs, supplémet aux Acta sincera, § 74.
(7) Le Prévost, Mémoire sue la collection de vases antiques touvés à Berhonville, p. 2 : Delisle, Notices et extraits des manuscrits, T. XXXII, p. 40.
(8) S. Gregor. Magn. Dialog., L, c. X.
(9) Müntz. Les arts à la cour des papes. IIe partie, Le fait parallèle, relatif à Boniface VIII et que cite M. Müntz, est consigné dans un rare pamphlet intitué Vira status et conditio Bonifacii Pape, per fide dignos relata hic ibferius ceraciter exarata. Voivi la passage copié à la bibliothèque du Vatican, par M. Digard quia bien voulu me la communiquer : «
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