Du traitement des états anxieux par la méthode psycho-analytique. Par Louis Trepsat. 1920.

TREPSAT0001Louis TREPSAT. Du traitement des états anxieux par la méthode psycho-analytique. Article paru dans la revue « L’Encéphale, journal mensuel de neurologie et de psychiatrie », (Paris) quinzième année, 1920, pp. 35-48.

Charles-Louis Trepsat (1879-1929). Docteur en médecine  de la Faculté de Paris en 1905 il exerce toute sa carrière à la maison de santé de Rueil-Malmaison, une polyclinique sélecte et réputée spécialisée dans le traitement des affections du système nerveux et des troubles de la nutrition. De très nombreuses personnalités y séjournent en tant que pensionnaire de maison de repos(Paul Deschanel, Paul Valéry, Georges Feydeau, Pierre Louÿs, Georges Halévy, Maurice Ravel…). Il est une un des tout premiers aliénistes à porter un intérêt à la psychanalyse. Bien avant la guerre découvre les travaux de Freud et utilise dès 1914 certains principes comme la méthode d’association libre sur le rêve.

Quelques travaux :
− Dessins et écrits d’un dément précoce. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), septième année, deuxième semestre, 1913, pp. 541-544, 3pl. ht. [en ligne sur notre site]
− (avec Ernest Dupré). La technique de la méthode psychoanalytique dans les états anxieux. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), quinzième année, 1920, pp. 169-184. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé plusieurs fautes de typographie.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

DU TRAITEMENT DES ÉTATS ANXIEUX
PAR LA M
ÉTHODE PSYCHO-ANALYTIQUE

par

L. TREPSAT

[p. 35]

On sait qu’un des principes sur lesquels est fondée la méthode psycho-analytique, imaginé par Freud (de Vienne), pour pénétrer dans l’intimité des processus psychiques et essayez de découvrir les lois qui les régissent, aussi bien à l’état normal qu’à l’état pathologique, consiste dans le phénomène du refoulement de certaines images pénibles dans l’inconscient et le transfert sur les images nouvelles qui viennent les remplacer, de la charge émotive ou affect qui appartenait aux images refoulées.

Voici un exemple simple de cette loi de notre esprit. Un homme d’affaires a eu des ennuis dans son bureau ; on peut dire que sa conscience a été occupée par une série d’images douées d’affects pénibles. Le voici rentré chez lui, ce qui l’amène à refouler les ennuis d’affaires dont il ne veut pas entretenir sa femme. Les images sont donc refoulées, il n’y veut plus penser, il n’y pense plus. Mais l’affect qui les accompagnait voir inconsciemment se manifester dans divers troubles de l’humeur, dans deux irritabilités contre la cuisinière pour le service. Sa femme, étonnée de ces réactions inattendues, demandera avec raison le motif d’une telle nervosité. Et l’homme d’affaires répondra sincèrement que la seule cause de sa mauvaise humeur est le déjeuner qui n’a jamais si mal marché… Le déplacement de l’affect a été inconscient.

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Nous avons tous, tant que nous sommes, si bien habitué notre esprit, depuis la première enfance, à refouler les images mentales indésirables hors de notre conscience claire, que le processus de ce refoulement nous est aujourd’hui complètement inconnu. Il faut du temps, de la réflexion et même un certain courage pour se rendre [p. 36] compte que la répression dans l’inconscient représente, chez l’adulte, la condition même de la vie psychique normale.

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À tout instant, pendant la veille, les images viennent se présenter en foule au seuil de notre conscient, mais une sorte de censeur sévère exerce sur elles un rigoureux contrôle. Le conscient n’admet dans son domaine propre que des images agréables ou utiles. Il réprime avec force les autres, toutes les images indésirables, celles qui sont chargées d’émotion triste, de regret, de remords, de chagrin, de laideur. Il les réprime avec une telle célérité que l’exercice même de cette censure reste pratiquement presque complètement ignoré de nous.

La vie sociale, en elle-même, n’est possible que grâce à cette répression psychique constant. Imaginez qu’un jour, quand vous réunirez chez vous quelques amis, vous leur proposiez le petit jeu de salons suivants : « pendant un quart d’heure, nous allons exprimer à haute voix et exactement tout ce qui nous viendra à l’esprit, dans la conversation, avec une sincérité absolue, sans rien rejeter, ni refoulé. » Ce serait une vraie torture pour tout le monde ; votre proposition serait bien vite repoussée comme absurde, chacun de vos amis craignant déjà d’avoir à formuler tout au ce qui gît au fond de lui-même, tout ce qu’il a tant de peine à oublier, à négliger, à chasser de son esprit, pour pouvoir vivre pour lui et pour les autres, encore et toujours, dans une bienfaisante illusion.

L’éducation de l’enfance consiste surtout dans l’apprentissage de ce refoulement. Les images et les désirs inadéquats à la formation de l’individu sont réprimés avec force. On sait que les tendances infantiles sont toujours égoïstes, égocentriques et demande une satisfaction immédiate. La mère apprend peu à peu, à son enfant, le refoulement de ces tendances en lui inculquant des sentiments plus élevés et altruistes de pudeur, de charité, de pitié, d’affectivité. C’est ce qu’on appelle la sublimation des tendances infantiles.

Ce travail de remplacement des tendances primitives devient peu à peu aussi complet que, plus tard, l’adulte n’arrive plus à se rappeler son psychisme infantile. Tous les programmes de la première enfance sont rejetés dans l’oubli, refoulé dans l’inconscient. C’est l’amnésie de la vie infantile si complète chez tout le monde.

La « sublimation » des tendances primitives obtient un succès plus ou moins complet suivant les individus, leur constitution émotive, le milieu, la forme et la force de l’éducation. C’est quand cette sublimation est manquée, en tout ou en partie, qu’il faut [p.37] craindre dans l’avenir l’éclosion d’une névrose ou d’une psychose.

Chez l’adulte normal, le refoulement des images mentales dans l’inconscient est donc la condition même de la vie psychique. Chacun de nous possède cependant, à un degré différent, cette faculté de répression. Observez « le distrait ». Il ne s’est pas bien « refoulé », c’est pourquoi il s’adapte si mal à la réalité : vous verrez sans cesse chez lui, les pensées subconscientes, mal réprimées, revenir à la conscience par bouffées et prendre la place de l’observation exacte. Son subconscient se révèle sans cesse sous forme de lapsus, de fausses reconnaissances, d’oublier et d’actes incorrectement exécutés. Les associations d’idées se font par des voies anormales. C’est une des sources du comique (Bergson).

Il nous semble qu’à l’heure actuelle, il est impossible d’ignorer cette doctrine du refoulement si l’on veut faire de la bonne psychologie normale ou pathologique. Pour s’en convaincre, le meilleur moyen est d’étudier d’abord son propre subconscient : medice cura te ipsum ; on s’aperçoit alors, bien vite, une vive lumière est ainsi projetée sur le déterminisme dynamique des processus mentaux, et en devient incapable désormais d’en détacher son esprit. Le moment est alors venu pour le médecin d’employer la méthode analytique comme moyen thérapeutique des troubles psychiques.

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Avant d’aborder le difficile problème du refoulement psychique chez les délirant proprement dit, nous avons pensé qu’il était raisonnable de commencer par étudier « la marche des affects », chez les émotifs constitutionnels, au moment où il présente une crise paroxystique. La psychoanalyse, en même temps qu’elle est une théorie générale du déterminisme des processus mentaux, nous donne en outre, comme on le sait, une méthode de recherche de cette [sic] ces mêmes processus. Tout le monde connaît aujourd’hui cette méthode basée sur l’analyse des rêves de Freud et sur les exercices dits des « associations- réactions » de Yung. Ces procédés valent ce qu’ils valent : ils nous ont toutefois paru suffisants chez l’individu normal et chez l’anxieux lucide et conscient. Pour le véritable délirant, ils ne sont pas toujours applicables évidemment dans leur intégralité. Nous nous occupons donc, dans ce travail, seulement des résultats thérapeutiques que l’on peut obtenir chez les émotifs constitutionnels, par des moyens de l’analyse du refoulement.

À l’heure actuelle, il faut bien l’avouer, la psychothérapie des [p. 38] anxieux, dans le sens exact du terme, n’existe pas encore. Voyez ce qu’écrivent Devaux et Logre, deux auteurs qui ont su décrire et classer d’une façon très heureuse, les états d’anxiété.

« Il y a plusieurs sortes de psychothérapie.

« Il est une certaine psychothérapie rationnelle, ou plutôt raisonnante, qui marque une incompréhension totale de la situation pathologique, puisqu’elle consiste à vouloir modifier le malade précisément avec les mêmes moyens d’action que s’il était bien portant (argumentation « rationnelle », discutions les réfutations des craintes chimériques, dissertations morales, etc.). C’est la psychothérapie spontanée des incompétents, la psychothérapie des familles et des médecins inexpérimentés ou doctrinaires, qui veulent « raisonner » les anxieux. Le plus grand avantage de l’isolement bien compris est assurément de soustraire le malade à cette psychothérapie-là.

« Il est une autre sorte de psychothérapie ; elle se propose avant tout d’agir sur l’anxieux, non par la voie stérile des démonstrations logiques, mais par l’intermédiaire, plus efficace, du sentiment. C’est dans l’affectivité que la cause essentielle du mal, c’est par elle et sur elle qu’il faut intervenir. »

Ils nous disent fort justement que, chez l’anxieux, c’est l’affectivité qui est malade ; aussi pour guérir le patient, lui donne-t-il de l’affectivité à dose homéopathique. C’est assurément un bon calmant de la douleur morale ; il faut continuer de l’appliquer ou on applique un cataplasme ou une vessie de glace dans l’appendicite.

Mais il ne faut pas se borner à employer un procédé qui soulage momentanément la douleur morale et qui nous cache l’avertissement salutaire de la nature. Il faut disséquer les troubles morbides, aller jusqu’au subconscient et à l’inconscient où gît le véritable mal. C’est ainsi que nous franchirons la première étape empirique, si décevante, et que nous réussirons peut-être à établir la vraie science mentale, base de toute thérapeutique.

À la lumière de la théorie du refoulement, nous pouvons pénétrer plus profondément la nature essentielle et les origines du phénomène morbide ; nous connaissons le malade, nous le suivons dans les diverses étapes de sa vie affective et nous comprenons mieux la valeur des symptômes morbides qui le présentent.

Il nous semble qu’il y a dans la théorie psycho-analytique, mieux qu’une vue de l’esprit, et qu’on peut, au moins, la prendre comme [p. 39] point de départ de nouvelles recherches dans la détermination des processus mentaux qui président à la formation des névroses.

Il paraît évident aussi, a priori, que si l’on arrive à montrer aux malades le chemin sinueux et compliqué qu’a suivi son esprit pour aboutir aux troubles morbides, le malade prenant une vue plus claire de sa vie subconsciente, aura quelque pouvoir de redresser son jugement, son émotivité et ses tendances.

Les accidents morbides prendront, pour le clinicien, une valeur toute nouvelle et plus précise. L’agitation stérile, les phénomènes de dérivation, les troubles psycho-somatiques, les phobies et les obsessions pourront être interprétées, et la traduction de leur symbolisme deviendra possible. Le malade, mieux compris, donnera toute sa confiance aux médecins, et se laissera guider par lui avec une soumission qui n’est pas aussi facilement obtenue avec les autres méthodes.

Tout symptômes neuro-psychiques, dit E. Jones, doit être considéré comme l’expression symbolique d’un complexe submergé de l’inacceptibilité de sa nature – se cache en quelque sorte, et le symptôme morbide est le produit du comportement entre le désir et la force de répression développée par le fonds de la personnalité. L’afflux de sentiments qui caractérise le désir est ainsi intercepté ; et comme il ne peut trouver d’issue directe, il s’écoule par les voies inaccoutumées de la maladie. Sous une forme plus technique, nous pouvons dire que l’affect du complexe originel est inhibé et se trouve transposé sur un processus mental indifférent. Ce processus mental indifférent hérite alors de la force sentimentale qui appartient en propre au complexe mental originel : il est donc permis de dire qu’il remplace ce dernier. C’est ainsi qu’est constitué ce qu’on a appelé une névrose de substitution dans laquelle un processus affectif réprimé à trouver une issue anormale. Cette issue peut suivre une voie purement mentale et nous avons alors des symptômes comme les phobies ou obsessions, au bien-être dérivé suivant des processus psychiques variés ; C’est alors l’hystérie de conversion dans laquelle on constate du tremblement, des spasmes ou de la paralysie. Par la manifestation de ce symptôme, le patient obtient une certaine satisfaction inconsciente, et ce moyen d’arriver à une satisfaction – quelque perverse est anormale qu’elles puissent être – mais cependant le sol dont le patient dispose dans les conditions où il se trouve. Ce fait explique l’obstination avec laquelle de tel le malade s’accroche instinctivement à leurs symptômes et c’est [p. 40} une des causes de la résistance que le médecin rencontre quand il essaye de les combattre. »

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Faut-il rappeler ici que cette résistance est souvent faussement interprétée par le public et même par des médecins qui n’y voient qu’une perversité malicieuse : les sept erreurs entravent le succès du traitement. Non seulement l’observateur n’arrive pas en général à reconnaître la vraie signification du symptôme, mais le patient lui-même n’a aucune connaissance de son sens ou de son l’origine. En fait, le point capital de toute thérapeutique psychique est de rendre le malade capable de découvrir et d’apprécier la signification du processus mental, qui se manifeste sous la forme d’un symptôme.

Le médecin doit faire revivre, devant le patient, les principales étapes qu’ont suivies les affects variés avant l’éclosion des symptômes actuellement traités. Parfois, la tâche, au début, est très dure, on a devant soi toutes les résistances intérieures du malade, qu’il faut vaincre, pour pénétrer dans le domaine du subconscient. Certains obsédés s’abstiennent si complètement de cette rêverie acide (qui est le vrai repos d’esprit de l’état de veille pour l’homme bien portant), qu’ils en ont tout à fait perdu l’habitude. Dans la recherche des phénomènes subconscients, le premier soin du médecin doit donc être de déaccoutumer le malade à ce procédé mental oublié.

Dans un cas d’agoraphobie, que nous avons récemment traité, nous nous sommes heurtés, pendant des semaines, à des obstacles de ce genre. Tous les exercices psycho-analytiques proprement dits avaient lamentablement échoué : les rêves l’amenaient à l’analyse aucun complexe personnel, mais seulement de menus épisodes du passé de la malade, ne présentant aucun intérêt. Elle faisait travailler uniquement sa mémoire volontaire. Les associations-réaction, d’autre part, nous avez donné les réponses les plus extrinsèques qui soit.

La pauvre anxieuse, pleine d’orgueil, méfiante vis-à-vis du traitement, voyait, dans chaque question posée, un traquenard dresser contre sa personnalité consciente qu’elle place très haut. De nouveaux ces difficultés que nous avons priées de la malade de faire ces associations automatiques toutes seules, loin de notre présence, comme dans une rêverie, en prenant soin de noter, en quelques mots, les images qui se succéderaient devant son esprit. Elle apprécie bien oublier comment on se laisse aller à rêver tout éveiller, tout éveillé, que les premières expériences ne donnèrent que des devoirs littéraires médiocres. Il n’y avait pas trace du moindre affect personnel. À cet égard, la série des exercices qu’elle nous a remis, classée [p. 41] chronologiquement, et des plus intéressantes à consulter. On n’y voit que, d’abord banales, et volontaires, les associations se font de plus en plus automatiques, superficiel, et amène au jour les complexes les plus inattendus pour la balade elle-même. Nous avions dès lors parti gagné, ayant réussi à surmonter les plus grands obstacles, c’est-à-dire les inhibitions internes du sujet. Aujourd’hui, dans la conversation courante elle-même, nous la trouvons souvent étendue et naturelle ; elle a perdu le temps affecté et prétentieux qui n’était que le masque destiné à cacher et à refouler tous les mouvements émotifs intérieurs. L’angoisse n’a pas disparu, les troubles de l’humeur sont bien souvent violents, mais les bonnes heures sont déjà charmantes ; cette orgueilleuse est une pauvre jeune femme, incomprise et timide, qui est heureuse de ce détendre enfin après 10 ans de maladie et deux. Elle « se laisse aller » de vendre et elle commet même des « lapsus » dans ses conversations. Ces lapsus sont parfois d’un grand intérêt, comme le jour où elle nous dit : « vous m’avez demandé comment je m’habillais étant garçon ? » Elle voulait dire « étant petite fille ». De fait, elle s’habillait en garçon aussi souvent qu’elle le pouvait, fumer en cachette, à cinq ou six ans, la pipe de son père ; 10 ans plus tard, elle voulut être étudiante, et suivi les cours de la Sorbonne, vêtu d’un costume tailleur aussi masculin que possible, portant faux-col et des rêves et faisant des farces sur le boulevard Saint-Michel. Actuellement, son costume d’intérieur est un pyjama masculin. Si nous joignons à ces tendances, malle sublimée, vers la version sexuelle, à l’amour pathologique est très dédié pour sa mère, sur laquelle, dans nos exercices, se rejoignent, aujourd’hui, presque toutes les associations enchaînent, on comprendra facilement qu’il y a dans ce « complexe d’Œdipe homosexuel » une des causes capitales du refoulement de ces affects de l’enfance. Plus tard, l’incompréhension de l’entourage familial à l’égard de ces tendances, a causé la plupart de ces exaltations et de ses collègues, et finalement la déviation émotive vers la névrose. La voie était donc ouverte à ce moment, pour la recherche de la cause efficiente de l’agoraphobie proprement dite.

On voit, par ce court exemple, que la tache du médecin et de faire revivre devant le malade et complexes enfouis de l’inconscient. Cette découverte s’accompagne aussitôt de détente, car un complexe refoulé, revenant à la conscience claire, se décharge facilement de l’affect qu’il renferme, et il peut être alors assimilé sous cette nouvelle forme. N’oublions pas qu’un symptôme morbide [p. 42] représente un langage voilé par lequel les pensées et les désirs inadéquats trouvent un moyen de s’exprimer. Si l’on peut amener le sujet à traduire ces symptômes dans un langage plus clair, il en comprend l’origine, et l’émotivité suit un cours normal.

Nous disons à dessein qu’il s’agit ici, et pour le malade, d’une vraie découverte des complexes inhibés. On peut en effet faire une comparaison assez étroite entre la découverte de l’obsédé, et l’éclair de génie du savant ou de l’inventeur. L’apparition, devant la conscience du malade, des désirs et des tendances refoulées, éclairent subitement toute une série de phénomènes psychiques jusque-là inexplicables pour lui. Et de même, la découverte de l’inventeur ou du savant, après les longues heures de méditation et de « pensée patiente », ce produit par des associations d’idées inattendues. Ces associations, vraiment spontanées, éclairent un bonjour, dans son esprit, comme dans une sorte d’intuition, et répandent une clarté subite sur un grand nombre de phénomènes auparavant inexpliqués ou obscurs. Il n’y avait pas jusqu’à l’heureuse détente, qui se produit dans les deux cas, qui venaient des caractères communs.. Ces associations, vraiment spontanées, éclairent un bonjour, dans son esprit, comme dans une sorte d’intuition, et répandent une clarté subite sur un grand nombre de phénomènes auparavant inexpliqués ou obscurs. Il n’y avait pas jusqu’à l’heureuse détente, qui se produit dans les deux cas, qui venaient des caractères communs.

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Il est intéressant, maintenant, de comparer deux méthodes de traitement psychique : l’hypnotisme et la psychoanalyse : dans l’hypnotisme, on essaye d’imposer aux malades, par suggestion, un sentiment nouveau, confiance, soumission, ou des sensations nouvelles, et il se produit ainsi entre le malade et le médecin un lien de dépendance étroite. On pourrait dire au contraire, de la méthode analytique, comme de la cure d’Évian, qu’elle « vaut plus parce qu’elle emporte que parce qu’elle apporte ». Elle enlève en effet aux patients quelque chose : à savoir l’inhibition, qui n’avait pas permis aux tendances d’être assimilées. Par ce procédé, les images autrefois indésirables reviennent à la conscience des chargés de leur affecte est susceptible d’être jugées, pesées et appréciées sainement. C’est donc, un certain point de vue, une rééducation par laquelle on permet au malade de se connaître, de reprendre confiance en lui, et de se sentir indépendant. Cette maîtrise de soi est indispensable pour la prophylaxie d’un nouvel accès et pour la conduite générale du patient à l’avenir.

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On a adressé à la psycho-analyse de nombreux reproches, qui ne paraissent pas tous également fonder notre intention n’est [p. 43] d’ailleurs pas de les passer ici en revue. La grande objection qu’on peut faire à la généralisation de ce procédé, c’est la durée du traitement et la grosse perte de temps qu’il occasionne. Ne dit-on pas que Freud a été obligé de suivre certains de ces malades pendant trois ans, en leur accordant une heure par jour. Fort heureusement, les cures de psycho-analyse habituelles ne durent par aussi longtemps, et on emploie pas beaucoup plus de minutes à faire faire un anxieux des exercices d’associations d’idées enchaînent, qu’à écouter ses plaintes et à le rassurer. D’ailleurs qu’importe le temps employé si un résultat heureux est acquis. La psycho-analyse s’adresse surtout aux sujets intelligents qui représentent une valeur sociale réelle, mais dont la maladie a fait jusque-là une vraie charge pour la société. Ne dépense-t-on pas beaucoup de temps et d’argent pour soigner les tuberculeux ?

Le but du traitement et de remonter jusqu’à l’enfance du malade ; d’y découvrir tous les complexes en fruits ; de suivre ensuite toute son histoire émotive aux épisodes divers, mais en étroite dépendance les uns des autres ; enfin d’arriver à l’accident lui-même (obsession, phobies, impulsion, trouble hystérique) qui venait une conséquence de tout ce qui précède. On comprend aisément qu’il faille de nombreuses séances pour arriver à démêler tous les fils ténus de ce drame compliqué. Mais encore, il ne suffit pas que le médecin devine tout ce qui s’est passé. Avec un peu d’expérience il est arrivé en fait aisément ; ce qu’il faut surtout, c’est que le malade se sente et découvre lui-même ses propres complexes en. La suggestion du médecin n’y est pour rien ; elle serait d’ailleurs d’un effet nul. Pour le redressement psychique du malade. En pratique, voici ce qui se passe : le malade a fort bien indiqué, dans le langage plus ou moins voilé et symbolique des associations en chaînes les images mentales à affect puissant qui ont troublé jadis son émotivité. Un jour, il le dit sous une forme, et aux visites suivantes, il revient avec obstination, sous une forme nouvelle. Le médecin n’a alors qu’à dire d’une façon précise ce dont il s’agit, et le malade, non seulement à qui est-ce, mais il va se revoir au-delà et donne à son interlocuteur des explications confirmatives. Nous avons été amenés à dire un jour à une obsédée scrupuleuse, en lui parlant de son mari : « En somme, Madame, vous voulez nous dire que vous avez épousé votre grand-père ? » La malade s’est bien gardée d’éclater de rire, et au contraire nous a répondu : « c’est bien cela, comme c’est bien cela, vous ne pouvez vous imaginer à quel point vous avez raison. » Elle avait réalisé tout à coup [p.44] dans sa conscience, un des complexes refoulés de la petite enfance, c’est-à-dire une fantaisie incestueuse très tenace pour son grand-père.

On comprend facilement qu’avec des malades débiles et peu éduqués les résultats soient médiocres. Le traitement s’adresse à des malades intelligents, doués de la bonne volonté de guérir, et faisant confiance aux médecins qui les traite. Cette confiance est en effet indispensable, elle est un des éléments de ce « transfert affectif sur la personne du médecin » que certains auteurs considèrent comme un des dangers de la psycho-analyse. Ce transfert affectif n’appartient pas à la seule psycho-analyse, on le retrouve dans toutes les méthodes de traitement des anxieux.

P. Janet en a donné une excellente description dans son livre des Névroses et idées fixes à propos de l’hypnotisme : « il semble, dit-il, que pendant le somnambulisme, le sujet soit particulièrement préoccupé de son hypnotiseur, et qu’il est à son égard, une préférence, une docilité, une attention, en un mot des sentiments particuliers qu’il nappa pour les autres personnes. »

Le traitement moral de tous les anxieux, tel qu’il est compris par A. Thomas, ou par Devaux et Logre s’accompagne de la même « électivité » pour le médecin.

En réalité, ce « rapport » affectif vient bien plutôt, à notre avis, de la maladie que l’on traite que de la méthode employée. Une preuve de ce fait, c’est qu’on n’obtient pas toujours le transfert affectif dans l’analyse des grands accès de mélancolie périodique, ni, bien entendu, dans celle des démons précoces.

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Comment se fait-il qu’en faisant reparaître dans la pleine lumière de la conscience les affects refoulés par le sujet on puisse apporter à celui-ci un soulagement immédiat et même la guérison ? Une objection va se présenter bien vite à l’esprit. Les idées du malade ont été antérieurement refoulées dans le subconscient parce qu’elle se trouvait en conflit avec d’autres désirs et d’autres sentiments de l’individu : il s’est révolté contre elles, il n’a pas pu les tolérer – et il en est devenu malade. – Que fait le traitement analytique ? Il ne ramène ses idées dans la conscience. Cette conscience qui les a refoulées une fois, va donc que les refouler encore. La méthode est donc tout au moins inutile.

Cette objection de Morton Prince est fort intéressante, car elle [p.45] fait toucher du doigt la valeur même de la thérapeutique psycho-analytique. Morton Prince, et P. Janet avec lui, ont bien mal interprété la théorie générale du refoulement ; ils ont fait du refoulement une sorte de répression volontaire.

« Je dois avouer, dit P. Janet, qu’au début, je n’ai pas éprouvé une grande sympathie pour cette théorie psychologique du refoulement et que j’étais disposé à m’en méfier pour plusieurs raisons. En premier lieu, ne connaissant par encore bien la méthode de la psycho-analyse et ses généralisations infinies, j’étais un peu surpris de voir constamment appliquer cette explication fort spéciale à des phénomènes que je jugeais fort différents les uns des autres, dans l’émotion, la fatigue, l’épuisement, tantôt les phénomènes de dérivation. En second lieu, je n’aimais guère à expliquer les troubles pathologiques par la volonté du malade et j’avais du mal à comprendre que le simple effort de la volonté du sujet put produire ces altérations pathologiques. Enfin, il ne me semblait pas que le refoulement, la lutte contre nos tendances détermina d’ordinaire des phénomènes analogues à la suite conscience des hystériques. La lutte contre nos tendances les empêche de se manifester de se développer et par la même elle les réduit peu à peu et les annihile. Si pour des raisons de santé, je veux résister à la mauvaise habitude de fumer, je n’arriverai pas à fumer subconsciemment en ce somnambulisme, je ferai disparaître la tendance à fumer, voilà tout. Ce qui caractérise la suite conscience, ce n’est pas que la tendance diminue ou reste latente, c’est au contraire que les tendances se développent, se réalise fortement sans que les autres tendances de l’esprit soient averties de leur réalisation et sans qu’elle puisse travailler à s’y opposer.

« Mais, dira-t-on, il s’agit de tendances puissantes qui résistent au refoulement et ne se laisse pas annihiler. Soit, elles résisteront, elles continueront à se développer de temps en temps en écrasant les tendances morales opposées. Il y aura des luttes, des déchirements de conscience, mais ce n’est pas non plus de la suite conscience ; le désir d’une action détendue par le médecin ou par le confesseur sera accompagné, si l’on veut, d’une peur de la mort ou d’une peur de l’enfer, mais il ne se transformera pas lui-même en peur. J’ai envie de fumer un cigare, mais j’ai peur que cela ne me rende malade : je ne vois pas bien pourquoi on rappellera cela une phobie du cigare, ou comment cela deviendra un acte de fumer subconsciemment. Ces objections viennent assez [p.46] naturellement à l’esprit et je les retrouve chez divers auteurs, en particulier dans les études de M. Morton Prince. »

En réalité les « refoulements » qui sont une nécessité de notre vie intellectuelle et sociale, comme les refoulements que l’on trouve à l’origine des troubles morbides, ne sont par sous la dépendance de la volonté claire et consciente. Le faite de lutter contre une tendance à fumer un cigare n’a jamais produit un complexe circonscrit. Si l’une de nos malades, Élise, s’est montrée érotique et scrupuleuse dès l’âge de dix ans, c’est parce qu’elle s’est trouvée en face d’un problème psychologique insoluble pour sa conscience d’enfant. Elle savait que son père avait des relations coupables avec son institutrice, ce qui lui donnait de très vives émotions ; et on lui disait d’autre part qu’elle devait honorer son père si elle voulait gagner le paradis. Elle ne pouvait cependant s’empêcher de considérer comme honteuse la conduite de son père. Ajoutez à ce premier trouble, – insupportable pour une grande émotive, – que ses tendances érotiques personnelles étaient exaspérées par les images qu’elle se faisait des relations des deux amants. De tels sentiments sont bien plus « émotionnants » que la fête de l’unité contre une tendance à fumer par crainte d’intoxication tabagique. Mais surtout, ils sont sujets à refoulement tandis que la tendance à fumer reste plus nettement précise devant la conscience. Élise a résolu son problème par l’obsession scrupuleuse, plutôt que d’accuser, consciemment, son père du trouble érotique qu’elle ressentait et que ce dernier avait en grande partie déclenché. On peut analyser la mentalité du fumeur qui lutte contre sa manie, on n’y trouvera bien quelques problèmes psychologiques ou le subconscient n’est pas étranger, mais l’impressionnabilité du fumeur n’est guère en cause ; l’émotion prend une part insignifiante à la lutte contre le retour de l’habitude et de l’automatisme subconscient. Aucun de ces éléments n’est émotionnant : le complexe n’est pas circonscrit. C’est pourquoi l’habitude de fumer ce père aisément. On ne pourrait en dire autant d’une manie voisine, qui est la morphine, dans laquelle le refoulement de tendance subconsciente c’est important.

Cette comparaison, sur laquelle nous avons voulu assister, éclairera beaucoup mieux le lecteur, croyons non, que de longs exposés doctrinaux. On comprend mieux ainsi pourquoi les tendances sexuelles jouent ainsi grand rôle dans la vie subconsciente : ce sont elles qui donnent lieu chez l’enfant, et même chez l’adulte, au plus grand nombre de complexes émotifs, et aux affects les plus [p. 47] puissants. Ne sont-elles pas une des préoccupations les plus constantes de la mère et de l’éducateur dans la formation morale de l’enfant ?

Il faut aussi noter l’importance de l’émotivité du sujet dans la notion du refoulement. P. Janet, dans sa critique, après la tendance la plus neutre qu’il a pu trouver, mais justement ce ne sont pas les tendances de cette nature qui donne lieu à des troubles morbides, car elles ne sont pas accompagnées d’émotions et de doute, ni de luttes de tendances opposées. Celles qui nous occupe sont les plus inadéquates au besoin innées de perfection de l’individu. Et les sujets qui n’arrivent pas à les combattre à ciel ouvert, ou à les contourner, ce sont les émotives constitutionnelles : c’est-à-dire de pauvres êtres qui s’adaptent mal à la médiocrité de la vie commune, qui ont soif d’idéal et de justice en eux et surtout autour d’eux, qui souffrent de la moindre imperfection, qui sont impressionnables au plus haut degré, et qui s’évade de la réalité insoutenable en se créant une vie factice, étriquée et peu sociable.

Dans ces transformation de tendances en troubles morbides, la volonté consciente de refoulement est totalement absente. La théorie de la répression concerne les forces endopsychiques inhibitrices qui empêchent justement certaines idées de devenir jamais conscientes. Les plus importantes des idées pathogènes en tout cas, qui sont écloses après la première enfance, n’ont jamais été conscientes au sens usuel du mot. Celles-même dont le sujet a été un moment averti n’ont été présentes dans le champ de la conscience que temporairement, et un état très différent de celui que nous définissons par un état de conscience.

Enfin et surtout, Morton Prince et P. Janet négligent complètement un autre aspect important de la question : c’est que des idées qui ont paru inacceptables pour chacun de nous a une période de la vie au point de ne pouvoir être supportées, peuvent se présenter sous un jour différent à un autre moment. Nous nous reprochons tous beaucoup moins nos peccadilles passées que nos erreurs récentes.

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Résumant à présent l’exposé de la méthode thérapeutique. On a réussi à découvrir chez le malade, de nombreux complexes circonscrits ou des images, à affect puissant, se sont trouvés jadis en lutte contre des tendances opposées ; c’est honnête les a empêchés [p. 48] d’arriver à la conscience attentive et réfléchie. À l’époque où elles se sont produites, ces images ont donc été violemment refoulées dans l’inconscient ; le sujet n’a pas pu les assimiler, les fondre dans sa personnalité. L’affect qui les accompagnait a produit alors une tension telle, que la décharge s’est effectuée par une voie détournée et anormale : la névrose. En d’autres termes, il y qui a eu jadis dissociation de l’image et de son attribut : l’affect. Le traitement consiste à rendre l’image ancienne, oubliée, à son affect, à les réassocier, aller subordonner au contrôle du moi conscient, de façon à éviter une nouvelle diffusion. Il est aisé de comprendre que dans cette nouvelle expérience, ou la lutte des tendances opposées et ressuscitées, la conscience du malade, éclairé par le médecin, pour contrôler son processus conscient beaucoup mieux qu’elle n’a pu le faire autrefois quand ce processus était subconscient ou inconscient.

Il ne faut pas craindre d’avertir le patient d’une tendance ancienne, quelque criminelle qui lui plaît lui paraître autrefois. En effet il a jugé jadis à ce point insupportable qu’il a réprimé avec une extrême énergie ; il en sera donc sans doute de même quand la tendance reparaîtra devant la conscience claire. Mais il faut penser surtout que les émotifs que nous traitons sont arrivés à un âge où les points de vue sont très différents de ce qu’ils avaient à l’époque où les complexes pathogènes ont été inhibés.

Par l’analyse du refoulement psychique, le malade est averti du travail inconscient qui ensevelit les images à affect inadéquates. Il en ressent une impression personnelle de « déjà vu », tellement vive, que sa vie inconsciente se trouve soudain comme inondée de clarté. Ainsi se trouvent vaincues les résistances internes, les inhibitions qui avaient été cause du refoulement.

La détente se produisit alors, et les complexes sont assimilés par la conscience. Celle-ci va pouvoir exercer sur elle-même un contrôle intérieur qui peut s’adresser même à l’ensemble des matériaux refoulés. Et cette connaissance que le sujet acquiert et ainsi de lui-même est une garantie contre un retour de l’état névropatique ; elle constitue en même temps, au point de vue prophylactique, une base des plus solides pour la direction de sa vie dans l’avenir.

 

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