Dr Moizard. Des terreurs nocturnes chez les enfants. Extrait de la « Gazette des Hôpitaux de Toulouse », (Toulouse), 2eannée, n°37, 15 septembre 1888, pp. 290-293.

Dr Moizard. Des terreurs nocturnes chez les enfants. Extrait de la « Gazette des Hôpitaux de Toulouse », (Toulouse), 2eannée, n°37, 15 septembre 1888, pp. 290-293.

 

Paul Moizard (1850-1910). Médecin chef de l’hôpital des Enfants-Malades à Paris. membre du comité de rédaction des Archives de médecine des Enfants qui paru à compter de 1898.

 Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé plusieurs fautes de composition.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 290, colonne 1]

Des terreurs nocturnes chez les enfants
Par M. de Dr Moizard, médecin des hôpitaux.

Un enfant de 3à 6 ans s’est paisiblement endormi sans qu’on ait remarqué rien d’anormal dans son état. Brusquement, deux ou trois heures après, il s’agite, s’assied sur son lit, les yeux largement ouverts, comme rivés sur une apparition terrifiante qu’il cherche à repousser. Tout en lui exprime l’effroi : ses traits sort bouleversés, il pousse des cris plaintifs, prononce des paroles Incohérentes nu milieu desquelles on peut saisir quelques mots qui laissent deviner la nature de l’hallucination, de la vue qui cause sa frayeur : c’est un animal monstrueux, des voleurs, etc. Il ne reconnaît pas les personnes qui l’entourent et qui sont accourues à ses cris ; il se jette cependant dans leurs bras, comme pour y chercher un refuge contre le danger qui le menace. Puis, brusquement, après cinq minutes, une demi-heure ou même une heure d’agitation et d’effroi, !e calme reparaît ; l’enfant se rendort d’un sommeil tranquille ; et le lendemain à son réveil il est frais et dispos, conservant rarement le souvenir de la scène terrifiante de la nuit. Tels sont, rapidement esquissés, les caractères principaux de ces phénomènes si intéressants, décrits sous le nom de terreurs nocturnes des enfants. Ayant eu récemment l’occasion d’en observer plusieurs exemples, il m’a semblé que l’étude de leurs caractères cliniques, et de leur pathogénie, présenterait peut-être quelque intérêt.

C’est en 1845 qu’Hesse, d’Altona, les décrivit pour la première fois. Il est étonnant de n’en point trouver mention dans l’ouvrage classique de Barthez et Rilliet. M. Bouchut, dans son Traité des maladies de l’enfance, les fait rentrer dans le groupe des névroses congestives de l’encéphale et leur consacre une courte étude. Mais c’est West qui, le premier, en a donné une description complète, dans ses leçons cliniques. Steiner les a également étudiées, ainsi que les auteurs des récents manuels sur les maladies des enfants, Ellis, d’Espine et Picot, Descroizilles. Enfin, M. Jules Simon en a parlé à différentes reprises dans ses intéressantes leçons cliniques de l’hôpital des Enfants.

Mais aucun travail d’ensemble n’existait sur cette question de pathologie infantile. La thèse de M. Debacker est venue combler cette lacune : elle contient [p. 290, colonne 2] une étude complète de la pathogénie de ces accidents nerveux, et constitue un document précieux dans lequel j’aurai largement à puiser.

Bien que les quelques lignes du début de cet article soit plutôt une esquisse une véritable description, ils me paraît cependant inutile d’y revenir. À la durée, à l’intensité près, tous les accès de terreurs nocturnes se ressemblent. La nature des hallucinations terrifiantes peut varier ; mais la caractéristique absolue de ces accidents est de montrer sous forme de crises nocturnes, passagère, de courte durée. Je veux seulement insister sur quelques-uns des traits du tableau clinique,

Pendant la crise, l’enfant semble avoir perdu toute connaissance. Il appelle sa mère, mais ne reconnaît pas sa voix. On n’a jamais observé de convulsions pendant ou après la crise, et c’est là, comme nous le verrons, un fait important au point de vue du diagnostic.

Il n’y a ordinairement qu’un accès par nuit. West signale cependant le fait d’un enfant de 11 mois, atteint de troubles gastro-intestinaux liés à la dentition, chez lequel les attaques se reproduisaient sept ou huit fois dans une seule nuit. Le sommeil de la journée lui-même n’en était pas exempt.

Il est assez rare que la terreur· nocturne se montre par accès isolés. Le plus souvent elle se produit pendant plusieurs nuits de suite et ces périodes d’accès peuvent durer pendant un mois, six semaines. Chez un de mes petits malades, les crises eurent lieu pendant six semaines, tous les soirs à heure fixe, à 10 heures ; et avec une régularité telle, qu’ayant tenu à assister à plusieurs d’entre elles, je pouvais arriver chez ses parents quelques minutes avant leur début. Après six semaines, les crises cessèrent pendant un mois pour reparaître régulièrement tous les soirs pendant quinze jours, et ensuite de temps en temps seulement, quand les troubles digestifs, qui en étaient nettement la cause, venaient à se produire.

Cette durée peut être beaucoup plus longue. West cite l’observation d’un enfant de 7 ans, ayant eu, pendant les douze mois que dura le travail de sa seconde dentition, des attaques de terreur qui ordinairement éclataient une demi-heure après son sommeil. D’après West, cette longue durée des accidents n’a pas de gravité. Nous verrons cependant, en étudiant leur pathogénie, qu’il n’en est pas toujours ainsi. [p. 291, colonne 1]

Dans l’intervalle des accès, l’état de l’enfant ne présente ordinairement rien d’anormal ; mais les petits malades atteints de ces troubles nerveux sont généralement excitables, et après la cessation des crises de terreur, on observe quelquefois chez eux. d’autres troubles cérébraux : le somnambulisme, par exemple. Ellis l’a signalé, et j’ai eu l’occasion, chez un de mes malades, d’observer, après la disparition des terreurs, de véritables phénomènes de. somnambulisme.

Quelles sont les causes de ces troubles nerveux si curieux ?

C’est surtout entre 2 et 6 ans qu’on les observe. Les enfants qui en sont atteints sont presque toujours nerveux, impressionnables, souvent leurs ascendants présentent ou ont présenté des troubles nerveux plus ou moins nullement caractérisés. Presque tous ces enfants sont de constitution délicate ; mal nourris, ou tout au moins nourris contrairement à toutes les règles de l’hygiène.

M. Jules Simon a bien indiqué cette influence d’une alimentation mal comprise sur la· production des accidents nerveux chez les enfants.

Si les mauvaises conditions alimentaires ont une influence manifeste sur l’apparition des accidents que nous étudions, la mauvaise hygiène morale et intellectuelle n’en a pas moins. Les contes effrayants dont certaines personnes se plaisent à farcir l’imagination des enfants ; les scènes violentes, doivent être mises aussi au premier rang des causes prédisposantes. Mais elles ne suffisent pas, dans la généralité des cas, tout au moins, à déterminer l’apparition des accidents. L’intervention d’autres facteurs est nécessaire. Avant de les énumérer, il faut tout d’abord les classer en deux grandes catégorie : ceux qui agissent sur le cerveau d’une façon indirecte, l’impressionnant par action réflexe ; sans doute, en déterminant des troubles passagers de la circulation cérébrale. Ceux, au contraire, qui frappent directement l’encéphale. En fait, au point de vue de l’étiologie, comme à celui du pronostic et du traitement, il faut diviser les terreurs nocturnes en deux grandes classes, suivant qu’elles sont liées ou non à une lésion permanente de l’encéphale : les unes sont graves, les autres bénignes. C’est la division de Lasègue et de Debacker ; c’est sur elle qu’il faut se baser pour indiquer les causes multiples qui peuvent les déterminer.

Parmi celles qui ne sont pas causées par une [p. 291, colonne 2 ]atération permanente de l’encéphale, les plus fréquemment observées sont déterminées par des troubles digestifs. On peut dire que dans l’immense majorité des cas, c’est là le point de départ des accidents. Quoi de plus naturel quand on songe aux réactions nerveuses multiples que déterminent les maladies des organes de la digestion (insomnie; somnolence, vertiges, troubles vaso-moteurs, accidents hystériformes et hypochondriaques, palpitations, syncope, dyspnée) ? Cette influence réflexe des troubles de la digestion sur la circulation encéphalique existe peut-être encore plus chez l’enfant que chez l’adulte, et rien n’est plus intéressant à étudier, Sans parler des convulsions dont l’indigestion est une des causes les plus fréquentes, je rappellerai ces faits si curieux d’aphasie passagère observés par Henoch, de Berlin, chez des enfants qui s’étaient gorgés de fruits, et disparaissant à la suite d’un vomitif. Siegmund a observé des faits semblables, et Fraenkel cite même le cas d’une hémiplégie passagère, coïncidant avec une indigestion.

Ces faits montrent d’une façon saisissante combien sont multiples, combien peuvent être d’apparence grave les troubles nerveux réflexes d’origine gastro-intestinale.

Comment s’exerce cette action ?

Sur le système nerveux vaso-moteur très certainement.

Quoi qu’il en soit, l’influence des troubles gastro-intestinaux sur la production des terreurs nocturnes est indéniable. Alimentation trop abondante, excitante ; usage abusif des boissons alcooliques, telles sont les causes principales ; la dyspepsie consécutive à cette mauvaise hygiène alimentaire explique la persistance des accidents. Il faut dire aussi que chez certains enfants on observe des idiosyncrasies bien singulières : un aliment quelconque, très sain, de digestion facile, ne pouvant être ingéré sans qu’il en résulte une crise de terreur.

West insiste sur la fréquence de la constipation chez les enfants atteints de terreurs nocturnes, et Hesse, d’Altona, cite des faits où une diarrhée abondante termina l’accès.

Cette influence gastro-intestinale se rencontre presque constamment à l’origine des accidents. Comment donc expliquer l’opinion de Steiner qui admet que ni les troubles gastriques, ni la constipation, ni la diarrhée ne peuvent les déterminer ? Simple question de hasard d’observa lion, sans doute. [p. 292, colonne 1]

Pour moi, qui ai eu déjà plusieurs fois l’occasion d’observer et de suivre des enfants atteints de terreurs nocturnes, non seulement j’ai toujours constaté à l’origine des accidents, des phénomènes de dyspepsie plus ou moins accentués, mais encore chaque retour offensif m’a paru déterminé par des manifestations dyspeptiques nouvelles. Qu’il taille ne pas se laisser influencer d’une façon trop exclusive par cette opinion, et se rappeler avec Steiner que les troubles digestifs peuvent manquer, et les accidents s’expliquer par une surexcitation cérébrale chez des enfants nerveux, irritables, et d’une santé délicate, rien de plus sage assurément : mais c’est nier l’évidence que de refuser aux troubles gastro-intestinaux une influence de premier. ordre sur la production des terreurs nocturnes.

Bien que la plupart des cas observés par Steiner se soient montrés chez des enfants de 3 à 6 ans ; ayant par conséquent échappé à la période la plus dangereuse de la dentition, l’influence d’une dentition laborieuse sur la production des terreurs nocturnes est évidente. Aussi faut-il dans ces conditions toujours examiner les gencives de l’enfant. On n’observe guère ces accidents nerveux que pendant la première dentition. Ils sont beaucoup plus rares pendant la seconde. Parmi les causes, je dois aussi indiquer les vers intestinaux (les lombrics, les oxyures surtout). Debacker cite une observation dans laquelle les terreurs nocturnes cessèrent après l’expulsion d’un tænia.

Si l’alcoolisme des parents peut être considéré comme une cause prédisposante, l’absorption d’alcool en excès par l’enfant suffit pour déterminer l’apparition des terreurs nocturnes. Chez un enfant à la mamelle, l’absorption exagérée d’alcool par la nourrice peut avoir le même résultat. Debacker cite l’exemple fort intéressant d’un enfant de dix-huit mois atteint de terreurs nocturnes, qui cessèrent brusquement quand on chassa la nourrice qui buvait de l’eau-de-vie en cachette.

Certaines intoxications peuvent compter les terreurs nocturnes au rang de leurs symptômes : l’intoxication par la belladone, le datura stramonium par exemple.

Enfin :M . Jules Simon a cité un fait très intéressant, dans lequel la cause des accidents fut l’administration de doses relativement faibles de sulfate de quinine. [p. 292, colonne 1]

Certaines intoxications peuvent compter les terreurs nocturnes au rang de leurs symptômes ; l’intoxication par la belladone, le datura stramonium par exemple.

Enfin, M. .Jules Simon a cité un fait très-intéressant, dans lequel la cause des accidents fut l’administration de doses relativement faibles de sulfate de quinine.

Les irritations prolongées de la peau (prurigo, [p. 292, colonne 2] gale) peuvent aussi être cause de ces accidents, et il est fort intéressant de rappeler à ce propos les accidents pseudo-méningitiques observés par M. Moutard-Martin chez un enfant atteint d’une phthiriase arrivée à un développement colossal.

Telles sont, rapidement résumées, les principales causes de terreurs nocturnes d’origine réflexe.

Il me reste à indiquer maintenant les lésions cérébrales qui peuvent avoir les terreurs nocturnes au nombre de leurs symptômes.

Elles peuvent être, dans certains cas, un signe avant-coureur de la méningite tuberculeuse, de la sclérose cérébrale (sur laquelle M. Jules Simon a récemment appelé l’attention), des tubercules cérébraux. Ai-je besoin de dire que, dans ces cas, les crises nocturnes ne sont qu’un des éléments du tableau clinique, et que plus ou moins rapidement l’apparition d’autres symptômes en fixe la nature et l’origine ? Enfin, l’épilepsie et l’hystérie peuvent compter les terreurs nocturnes au nombre de leurs manifestations symptomatiques.

Telles sont les principales causes des phénomènes nerveux qui font l’objet de cette étude. Il faut les avoir bien présentes à l’esprit en face d’un enfant atteint de ces accidents, afin de pouvoir instituer un traitement rationnel. Le diagnostic de la nature exacte de la crise ne présente ordinairement pas grande difficulté. L’épilepsie seule pourrait être confondue avec elle. On les distinguera par les caractères suivants :

Dans la crise de terreurs : pas de convulsions, pas de morsure de la langue, pas d’émission involontaire d’urine et, le lendemain, pas de fatigue extrême, pas d’affaissement intellectuel comme d’ordinaire à la suite d’une attaque d’épilepsie. Cependant, même dans les cas les plus nets, certaines réserves doivent être faites, et avant de se prononcer il est nécessaire de fixer avec soin les antécédents personnels et héréditaires du sujet : souvent on doit ajourner le diagnostic jusqu’au moment où l’évolution des accidents en a déterminé la véritable nature. M. Jules Simon a vu plusieurs fois en effet l’épilepsie sous forme d’hallucinations ou de terreurs nocturnes. Il cite un petit malade chez lequel de grands accès d’épilepsie sont venus succéder à des terreurs nocturnes. Debacker a observé un cas analogue, où la filiation des accidents fut la suivante : terreurs nocturnes au début, hallucinations, somnambulisme, épilepsie nettement constituée. [p.193, colonne 1] Un de mes· petits malades semble devoir présenter la même succession d’accidents.

Malgré ces-difficultés qui se présentent assez souvent et dont il est important de se souvenir, le diagnostic est généralement facile.

Quant au pronostic, il varie essentiellement selon la pathogénie des accidents. Pour West, la longue durée des accidents ne leur donne pas de gravité. Mais, par une singulière contradiction, il avoue cependant, « qu’une irritation prolongée du cerveau, peut, sous l’influence de causes insignifiantes, se transformer en une maladie sérieuse ». Que conclure de tout ceci, sinon qu’un cas de terreur nocturne étant donné et reconnu tel, il faut s’efforcer d’en pénétrer la cause : de la pathogénie des accidents dépendent, en effet, et la possibilité d’un pronostic sérieux et les indications d’un traitement rationnel.

Le traitement varie en effet suivant la cause déterminante. Mais quelle que soit celle-ci, il est certaines précautions d’hygiène intellectuelle et physique qui sont de règle dans tous les cas. Éviter toute cause d’excitation cérébrale ; ni lecture attachante, ni travail intellectuel prolongé, ni récits effrayants. L’enfant ne sera pas laissé seul dans sa chambre après son coucher, et on y maintiendra de la lumière. Enfin, au moment de l’attaque, on s’efforcera de le rassurer.

Les enfants atteints de terreurs nocturnes sont souvent d’une complexion délicate, ainsi que l’a remarqué Steiner : aussi on prescrira un exercice régulier, un régime reconstituant et tonique.

L’influence prépondérante des troubles de la digestion indique la nécessité d’une sévère hygiène alimentaire. Les repas de l’enfant doivent être fréquents et peu abondants. Il ne doit pas diner tard. On ne doit sous aucun prétexte lui donner ni vin pur, ni liqueur forte. Éviter la constipation. Surveiller attentivement la dentition.

Quand des phénomènes de dyspepsie se montrent, on les combattra suivant les cas, par les alcalins, la teinture de noix vomique ou les gouttes de Baumé, les préparations de pepsine.

L’étude attentive du malade permettra de fixer la pathogénie des accidents, et de leur opposer une médication appropriée. Je n’insiste pas, il suffit de se reporter aux causes multiples indiquées plus haut.

Toutes les prescriptions ci-dessus indiquées sont [p. 293, colonne 2] dirigées surtout contre la cause des accidents. Il faut aussi attaquer directement l’excitation cérébrale qui en est le point de départ immédiat. Les préparations de bromure de potassium, le chloral, sont employés avec succès.

West insiste sur l’utilité de l’association du bromure de potassium et du chloral. Elle réussit beaucoup mieux que l’opium à diminuer l’irritabilité du système nerveux et à produire un repos calme. Si les gencives sont chaudes et tuméfiées, leur incision peut faire cesser les accidents. Le sulfate de quinine donne souvent aussi de très bons résultats, son utilité est bien évidente, quand on se rappelle la pathogénie des accidents cérébraux.

Quoi qu’il en soit, il faut se rappeler que les attaques survenant toujours dans la première moitié de la nuit, c’est les prévenir d’une manière presque certaine, que d’assurer le sommeil pendant les deux ou trois premières heures.

(Revue des maladies de l’enfance).

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