Don B. Maréchaux. Le démoniaque dans la vie des saints. Partie 4. Au dix-huitième siècle. — La vénérable Anna-Maria Taïgi. Le saint Homme de Tours. — Le vénérable Jean-Baptiste Vianney, curé d’art — Article paru dans la « Revue du Monde Invisible », (Paris), première année, 1898-1899, 1899, pp. 668-682.
Cet article a été publié en quatre parties, qui sont détaillées ci-dessous.
Bernard-Marie Maréchaux (1849-1927). Bénédictin olivétain du monastère Notre-Dame de la Sainte-Espérance de Mesnil-Saint-Loup, Aube (1871/1872-1901 et à partir de 1914). – Assura la charge pastorale de la paroisse du Mesnil-Saint-Loup de 1901 à 1903. – Abbé du monastère de Sainte-Françoise-Romaine à Rome (1903-1914). Quelques-uns de ses travaux :
— La réalité des apparitions démoniaques. Paris, P. Téqui, 1899. 1 vol.
— Le démoniaque dans la vie de Saints. Partie 1. – I. — Quelques réflexions préliminaires. ⁄ II. — L’ère des persécutions. ⁄ III. — Saint Antoine et les Pères du désert. ⁄ IV. — Saint Martin et Saint Benoît. ⁄ V. — Du sixième au Treizième Siècle. Article paru dans la « Revue du Monde Invisible », (Paris), première année, 1898-1899, janvier 1899, pp. 462-475. [en ligne sur notre site]
— Le démoniaque dans la vie de Saints. Partie 2. – VI. — Les Saints Dominicains et Franciscains. « Revue du Monde Invisible », (Paris), première année, 1898-1899, janvier 1899, pp. 538-544. /VII. — Sainte Françoise Romaine,Sainte Colette. « Revue du Monde Invisible », (Paris), première année, 1898-1899, janvier 1899, pp. 538-544. [en ligne sur notre site]
— Le démoniaque dans la vie de Saints. Partie 3. – VIII. — Sainte Thérèse, saint Jean de la Croix. /IX. — Saint Jean de Dieu, saint Philippe de Néri. /IX. — Les Vénérables Agnès de Langeante Benoïte du Laus. « Revue du Monde Invisible », (Paris), première année, 1898-1899, janvier 1899, pp. 596-604. [en ligne sur notre site]
— Le démoniaque dans la vie de Saints. Partie 4. – XI. — Au dix-huitième siècle. /XII. — La vénérable Anna-MAria Taïgi. Le saint Homme de Tours. /XIII. — Le vénérable Jean-Baptiste Viannet, curé d’art. /XIV. — Conclusion. « Revue du Monde Invisible », (Paris), première année, 1898-1899, janvier 1899, pp. 668-682. [en ligne sur notre site]
— Le merveilleux divin et le merveilleux diabolique. Paris, B. Bloud, s. d. [1901]. 1 vol
— Anges et démons le monde des esprits. Paris, Bloud , 1911. 1 vol.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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LE DÉMONIAQUE DANS LA VIE DES SAINTS
(Suite et fin)
XI. — AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.
Au dix-huitième siècle, nous retrouvons les mêmes phénomènes diaboliques que nous avons signalés dans les siècles précédents. Pendant que le diable essaie de se faire nier par le philosophisme à la mode et par l’incrédulité régnante, il s’agite avec les mêmes fureurs contre les saints et les élus de Dieu.
J’ai raconté comment il avait essayé de troubler l’agonie de saint Martin, de saint Odilon, du pape Etienne IX. Voici l’assaut épouvantable qu’il livra à saint François de Girolamo, quelques instants avant sa précieuse mort survenue en l’an 1716.
« Le démon, dit le continuateur du P. Giry, fit un dernier effort pour arracher au moment décisif la victoire des mains de celui qui l’avait terrassé si souvent. Dieu le permit pour ajouter à la honte du malin esprit et à la gloire du Bienheureux. Dans la rigueur de la lutte, on vit toute sa personne s’agiter violemment ; poussant un cri, il appelait au secours Notre-Seigneur, Notre-Dame et tous les saints ; il répondit à ceux qui lui demandaient la cause de cette horrible convulsion : Je combats, je combats ! Au nom de Dieu, priez pour moi que je ne succombe pas ! Puis, comme s’il repoussait son ennemi, il disait : Non, jamais ! Relire-toi ! Je n’ai rien à démêler avec toi ! Son visage enfin reprit sa sérénité, et il répéta avec douceur : C’est bien, c’est bien ! Et aussitôt il se mit à chanter le Magnificat et le Te Deum, comme pour remercier Dieu de la victoire (1). »
Il ne parait pas douteux que cette violente agitation du serviteur de Dieu ait été provoquée par une apparition visible de l’esprit infernal ; car le saint lui parle comme à une personne présente. Mais voici des faits sur lesquels il n’y a pas d’équivoque possible ; car il [p. 669] s’agit de coups et de mauvais traitements, dont le bruit a été surpris et entendu par des témoins nombreux,
Le continuateur du P. Giry raconte ce qui suit du R. P. Jérôme d’Estienne, mort en Provence l’an 1712 en odeur de sainteté, religieux de l’Ordre des Minimes, que nous avons mentionné plus haut.
Cristiano combate con Apolión (Abbado) – en « El viaje del peregrino » de John Bunyan ;
edición ca. 1850; ilustraciones por Selos y Priolo – (Merci à Yusuf Ozer)
« Les démons ont exercé sur son corps la plus cruelle tyrannie. II passait quelquefois les nuits entières à combattre, par l’oraison et la patience, contre les puissances infernales. Des témoins, qui avaient ouï les coups qu’il avait reçus, lui demandèrent un jour cc qui s’était passé dans sa chambre. « Je crois, répondit-il, que tous les démons de l’enfer sont venus me visiter cette nuit… » — D’autres témoins l’ont entendu s’écrier, dans ces combats nocturnes, en s’adressant aux démons : « Si mon Dieu vous le permet, frappez, déchargez sur moi votre colère, meurtrissez tous mes membres, brisez mes os, répandez mon sang… Oui, si c’est par son ordre, ne m’épargnez pas (2). »
Mêmes sévices, d’après le recueil biographique des vies des saints du Pèlerin (3), contre sainte Véronique Giuliani, religieuse capucine, qui mourut l’an 1727. Mais le démon ne se contente pas de la battre, avec une rouerie infernale il essaie de la discréditer dans l’esprit de ses compagnes en prenant sa ressemblance, comme il avait fait pour sainte Marie-Madeleine de Pazzi.
« Le démon, dit sa biographie, s’efforça de la perdre dans l’estime de ses sœurs, et de la faire passer pour une hypocrite. Il prenait sa figure et se faisait voir mangeant à la dérobée et hors des heures prescrites, tantôt au réfectoire, tantôt à la cuisine ou à la dépense. C’était justement l’époque où Véronique avait obtenu de jeûner pendant trois ans. Qu’on juge de l’étonnement des religieuses, témoins de ces infractions à la règle ! Un jour, l’une d’elles, croyant apercevoir Véronique qui mangeait en cachette, courut au chœur pour avertir la Supérieure. Quelle ne fut pas sa surprise d’y trouver aussi la véritable sœur Véronique vaquant à la prière ! Ainsi fut découverte la supercherie de Satan. »
Plus violentes encore et non moins insidieuses furent les attaques de l’esprit mauvais dirigées contre la vénérable Claire-Isabelle Fornari, clarisse du couvent de Todi, morte en odeur de sainteté l’an 1744.
« Furieux des nombreuses conversions qu’elle opérait, l’ennemi [p. 670] de tout bien essaya premièrement de la jeter dans le découragement et le désespoir. Tentations, angoisses intérieures, violences extérieures, tout fut employé par lui pour vaincre cette humble vierge. Cette lutte dura plusieurs années. Les démons accablaient de coups la servante de Dieu et la précipitaient parfois du haut des escaliers du monastère : mais la sainte fille se relevait sans avoir éprouvé aucun mal. D’autres fois, ils lui apparaissaient sous des formes effrayantes ; ou même, se transformant en anges de lumière, ou prenant les traits de ses directeurs, ils cherchaient à lui persuader des doctrines contraires à la foi. L’enfer semblait avoir reçu tout pouvoir de la faire souffrir, excepté celui de la tenter à l’endroit de la chasteté. Toutes ces luttes et ces combats ne servirent qu’à faire éclater davantage la puissance de la grâce divine, et le démon dut se retirer couvert de honte et de confusion. Ne pouvant ébranler sa foi et sa confiance en Dieu, les anges maudits essayèrent de la perdre dans l’esprit de ses supérieurs : l’évêque reçut plus d’une fois des lettres remplies de calomnies à son adresse, et les démons furent obligés d’avouer qu’ils en étaient les auteurs (4). »
Le dix-huitième siècle est rempli par les travaux et la sainteté du célèbre docteur de l’Eglise, saint Alphonse de Liguori. Nous n’avons pas trouvé dans les abrégés de sa vie qu’il ait eu des apparitions physiques du diable. En revanche, son fameux disciple, d’une si merveilleuse innocence et d’une si extraordinaire sainteté, le bien heureux Gérard Majella, eut beaucoup de luttes à soutenir contre l’esprit mauvais, comme en témoignent les actes de son procès de béatification.
« Outre la messe quotidienne, et la visite au Saint-Sacrement, le bienheureux passait souvent la nuit devant le tabernacle dans la cathédrale de Muro sa ville natale, dont le sacristain qui était son parent lui remettait la clé. Là il prenait de rudes disciplines, et il déplorait l’ingratitude des hommes envers Dieu. Il eut beaucoup à souffrir de la part du démon durant ces veilles nocturnes ; l’esprit du mal se présenta plusieurs fois à lui sous la forme d’un chien et renversa un des gros anges de bois qui étaient aux coins de l’autel pour écraser notre pieux Gérard. Ces faits, déclare un témoin qui dépose au procès de béatification, m’ont été rapportés soit par les chanoines de Muro, soit par le sacristain de la cathédrale (5). »
On lira avec plaisir le récit d’une aventure des plus pittoresques [p. 671] arrivée au même serviteur de Dieu, et consignée également dans son procès de béatification. Le voici tel qu’il a été recueilli, parmi les dépositions de vingt témoins assermentés, de la bouche d’un membre de la famille Capucci qui, dans la circonstance, donna l’hospitalité au bienheureux.
« Gérard, venant de Melfi à Lacédonia, arriva à dix heures du soir et vint frapper à la porte de notre maison où tout le monde était déjà couché. Le vieux Costantino lui dit : « Comment peux-tu voyager par un temps aussi affreux ? Les diables eux-mêmes ne se risque raient pas dehors. — Et pourtant, répondit Gérard, c’est un diable qui, sans le vouloir, m’a conduit sain et sauf chez toi. » On courut ouvrir la porte, le cheval fut mis à l’écurie, et l’on alluma un grand feu. La journée avait été la plus épouvantablement pluvieuse qu’on eû vu depuis longtemps ; la neige et le brouillard avaient empêché tout le monde de voyager ; l’Ofanto était sorti de son lit, et formait un infranchissable torrent. Le vieux Costantino ne pouvait s’expliquer que Gérard eût pu se sauver dans l’obscurité de la nuit, et parmi la violence de la tempête, et il le pressait de raconter son voyage ; le serviteur de Dieu hésitait. Costantino ayant dit qu’il voulait le savoir par obéissance, Gérard raconta qu’il était parti malgré l’évêque de Melfi et le mauvais temps, parce que son supérieur lui avait dit de ne pas différer davantage ; qu’il s’était perdu en route à cause de la neige et du brouillard ; qu’à la nuit il s’était trouvé dans des broussailles au bord de l’Ofanto : que là un démon lui était apparu, avec menace de le tuer ; mais que, recourant au nom auguste de la Très Sainte Trinité, il lui avait commandé de prendre la bride de son cheval, et de le conduire à Lacédonia par la voie la plus sûre. Et voilà comment il se trouvait sain et sauf dans la maison Capucci (6). »
Plus étrange encore est le fait suivant tiré des actes de béatification d’un contemporain du bienheureux Gérard, le bienheureux Félix de Nicosie, capucin, qui mourut l’an 1787, et que Léon XIII vient de placer sur les autels. Cinq témoins oculaires, tous très dignes de foi, en ont déposé avec serments. La longueur du récit me contraint de l’abréger (7).
Carmelo Faleo étai tun opulent propriétaire des environs de Nicosie. Une violente épidémie se déclara dans une de ses bergeries située dans la haute montagne. Il demanda un père capucin pour donner [p. 672] une bénédiction préservatrice à son bétail. Le père arriva suivi de frère Félix et se rendit sur les lieux. Or, parmi les bergers, on avait reçu récemment un jeune étranger qui se faisait nommer Agostino, qui était d’une force extraordinaire, mais d’allures suspectes en fait de religion. La bénédiction donnée, maître Faleo voulut servir une collation aux deux religieux ; frère Félix demanda à ce que les bergers y prissent part ; sa requête fut accueillie avec empressement, et bientôt tous se trouvèrent réunis autour des pères, sauf toutefois le mystérieux Agostino. On le chercha de tous côtés, il s’était caché ; on le découvrit enfin, mais il refusa de quiller sa cachette. Informé de cette résistance, le bienheureux Félix s’écria : « Eh bien, moi, je vous dis que Dieu va le contraindre à venir et à dire ce qu’il est ! » Alors il se passa une scène extraordinaire. Se transportant près d’Agostino, le serviteur de Dieu lui jette l’extrémité de la corde, qui sert de ceinture aux capucins, sur les épaules, et l’y maintenant, lui dit d’un ton solennel : « Au nom de Dieu, suis-moi ! » L’autre suit, comme s’il eût été attaché ; mais il marchait sur ses pieds et sur ses mains à la façon des bêtes, et il faisait, pour résister à la force spirituelle qui l’entraînait, les mêmes contorsions que fait un animai furieux que l’on a attaché par le cou et qu’on emmène malgré lui. Arrivé au lieu où les bergers étaient réunis, le bienheureux Félix, tenant toujours sa corde sur les épaules d’Agostino, lui crie : « Au nom de Jésus-Christ et de Marie, sa mère, je te commande de dire qui tu es, et pourquoi tu es venu dans cette bergerie. » Les traits du malheureux se contractent d’une façon hideuse ; il écume, il rugit comme une bête féroce ; et finalement il déclare qu’il est un démon sorti de l’enfer, qu’il est venu dans la bergerie pour faire an troupeau tout le mal possible, et surtout pour perdre les bergers en les détournant de la prière et en les rendant progressivement vicieux. « Au nom de Jésus-Christ, reprit le bienheureux, je t’ordonne, démon maudit, de rentrer en enfer, sans nuire à aucune créature ! » Le démon démasqué ne pouvait se soustraire à cette objurgation ; mais, comme autrefois les esprits infernaux chassés du corps des hommes demandèrent à Notre-Seigneur permission de passer dans une bande de pourceaux, il demanda qu’il lui fût permis d’entrer, pour en faire sa proie, dans le corps d’un animal quelconque. Sur la sollicitation des assistants, le bienheureux Félix le lui permit. On vit alors comme un éclair, un hurlement prolongé retentit, la forme humaine du prétendu Agostino s’évanouit, et le démon sauta dans les membres d’un petit veau qui se trouvait à l’attache près de la porte ; et en un instant, du pauvre animal il ne resta que quelques [p. 673] ossements calcinés. Ce fait si extraordinaire fut, je le répète, attesté sous la foi du serment, lors des premiers procès de béatification du serviteur de Dieu, par cinq témoins oculaires.
Il y aurait une étude spéciale à faire sur ce phénomène du démon se mêlant sous forme humaine à la vie courante. Qu’il suffise de rappeler ici un trait de la vie de saint Gilduin, chanoine en Bretagne au onzième siècle, consigné dans la Mystique de M. l’abbé Ribet : un démon sous forme humaine se met au service d’un batelier pour le perdre temporellement et éternellement, le saint le découvre et le met en fuite comme fit le bienheureux Félix pour le soi-disant Agostino.
XII. – LA VÉNÉRABLE ANNA-MARIA TAÏGI.
LE SAINT HOMME DE TOURS.
Notre Saint-Père le pape Léon XIII, qui n’est certes pas un petit esprit, ni un ignorant, ni un crédule, a décrété que tous les prêtres, en terminant la sainte messe, adresseraient du pied de l’autel une prière au glorieux saint Michel archange, pour lui demander qu’il replonge en enfer les esprits de malice qui parcourent le monde pour perdre les âmes. En un mot, l’illustre Pontife tient pour avéré qu’il y a de nos jours un déchainement insolite de démons. Et ils ont manœuvré avec une habileté si raffinée, qu’ils réussissent à faire nier jusqu’à leur existence, alors qu’ils sont partout, qu’ils bouleversent tout, et qu’ils entrainent dans la perdition un nombre incalculable d’âmes. Telle est la situation présente.
Le diable commence par aveugler ceux dont il poursuit la perte ; il n’arrive à ses fins qu’en se cachant ; le comble de son astuce est de provoquer la mise en doute, la négation de l’enfer. Mais les hommes de Dieu, les saints lui ôtent son masque ; il est contraint de se montrer à leurs yeux dans toute sa laideur abjecte, dans toute la brutalité de sa haine contre l’humanité et surtout contre l’humanité rachetée.
C’est ce que nous avons remarqué dans les siècles précédents, c’est ce que nous allons remarquer au dix-neuvième siècle. Prenons quelques exemples.
Au commencement du siècle vivait à Rome une admirable femme, qu’on peut appeler une nouvelle Françoise Romaine, la vénérable Anna-Maria Taïgi. Ce n’était pas une religieuse d’une vie retirée et contemplative ; c’était une bonne mère de famille, vaquant aux soins [p. 674] du ménage parmi de nombreux enfants. Elle jouissait de la continuelle vision d’un soleil mystérieux, orné de caractéristiques emblèmes, dans lequel elle voyait se produire les événements les plus cachés, se manifester le secret des âmes, et même se peindre l’avenir. Les plus signalés personnages fréquentaient son humble logis ; et les cardinaux s’y rencontraient avec des généraux et des diplomates. Elle mourut en odeur de sainteté ; son procès de canonisation est ouvert, c’est une merveille d’information : voici quelques extraits relatifs aux luttes de la servante de Dieu avec le diable (8).
Ecoutons le cardinal Pédicini, qui la fréquentait beaucoup. — « L’ennemi de tout bien, voyant qu’il ne gagnait rien par les assauts contre la foi, prit bien souvent la forme d’un vénérable religieux, afin d’exhorter Anna-Maria à abandonner son genre de vie… Comment compter les assauts des esprits infernaux qui la tentaient sous les formes les plus séduisantes et par les suggestions les plus humiliantes ?? Elle leur opposait le bouclier de la patience et de la prière. Les démons, se voyant déçus, se tournaient contre son corps, tantôt en la saisissant au cou, tantôt en l’accablant par des coups douloureux et épouvantables. »
Ecoutons son confesseur le P. Philippe Louis de Saint-Nicolas, carme du couvent de la Victoire, qui prêta serment à chaque déposition, et apposa sa signature au bas de toutes les pages des procès verbaux. — Anna-Maria avait obtenu la conversion d’un jeune débauché. « Elle dut payer cette grâce bien cher. Impossible de décrire la rage des démons pour la perte d’une telle âme. La nuit qui suivit la première entrevue du jeune homme avec la servante de Dieu, les esprits infernaux se rendant visibles, essayèrent de l’étrangler, après l’avoir accablée d’injures ; le prêtre qui l’amena, et qui est encore aujourd’hui mon pénitent, passa toute cette nuit dans des frayeurs et dans des bruits diaboliques qu’il pourra seul décrire. » Sa foi fut combattue d’une manière extraordinaire par les démons ; ils lui livraient des assauts incessants, surtout aux époques de ses peines intérieures, et en mille autres circonstances que l’astucieux serpent savait choisir. La pauvre femme entendait des voix : « Qui t’a donné à entendre que l’éternité existe ?… Tout finit avec le corps… Oh ! insensée, considère ce qu’ont pensé, ce que pensent les gens d’esprit ! Regarde aussi les prêtres qui débitent ces fables, comme ils vivent ! S’ils y croyaient, ils ne seraient pas si fous ! Amuse-toi, amuse- [p. 675] toi (9) ! » Et autres suggestions sur tous les points de la religion, surtout contre le Saint-Sacrement. « Le démon lui apparut sous diverses formes, tantôt comme religieux ou abbé, tantôt comme prélat ou comme un beau jeune homme, en l’excitant à des choses indignes par des actions qui dénotaient l’esprit impur et corrupteur. »
Passons de l’Italie en France.
Le 18 mars 1876 mourait à Tours un vénérable laïque, connu pour sa foi ardente et son inépuisable charité, plus connu encore par les innombrables prodiges et guérisons qu’il opérait avec l’huile brûlant devant une image de la Sainte-Face, M. Dupont, communément appelé le saint Homme de Tours. Sa vie a été écrite par M. l’abbé Janvier, son confesseur. Il faut lire au tome premier le chapitre dix-neuf, très suggestif, intitulé : Satan. C’est l’histoire des combats du saint homme avec l’esprit infernal (10).
La première escarmouche fut un violent cauchemar du genre de celui qui rendit presque fou, au témoignage de saint Bernard, un religieux de Clairvaux. Les assauts commencèrent durant les veilles des adorations nocturnes, dont M. Dupont fut le promoteur et le propagateur infatigable. Sanctifier la nuit en la passant au pied du Saint-Sacrement, c’était en quelque sorte chasser le diable d’un domaine usurpé ; car il revendique, comme le propre théâtre de ses exploits infâmes, la nuit, cette conseillère du vice, la nuit qui se prête aux crimes, nox apta criminibus, dit le poète. L’esprit infernal ne peut souffrir tranquillement d’être pourchassé sur ce terrain : tandis que M. Dupont reposait sur le lit de camp des adorateurs attendant leur tour de veille, il s’en vit à plusieurs reprises tiré violemment par une main invisible et jeté au milieu de la chambre, ou bien il fut lancé en l’air d’un mouvement giratoire inexplicable. Ces luttes nocturnes se renouvelèrent par la suite, et eurent bien des témoins. Tandis qu’il prenait les eaux à Bourbon l’Archambault, on entendit dans sa chambre un vacarme épouvantable : on crut qu’un voleur avait pénétré chez lui, et qu’une bataille corps à corps s’était engagée. Cela dura deux nuits. Comme on demandait à M. Dupont pourquoi il n’avait pas appelé au secours, il répondit : « Je n’ai pas besoin de secours humains, ils sont inutiles. »
A la différence de ceux qui ne veulent voir le diable nulle part, M. Dupont, avec une pénétration, j’allais dire avec un flair surnaturel, [p. 676] le surprenait partout. « Méfiez-vous de lui, recommandait-il à de jeunes personnes, il se fourre partout, dans un jeu de cartes, dans une guitare, dans une boucle de cheveux frisés, dans une cuillerée de soupe, etc. » — « Cette dernière localisation de Satan, ajoute la pieuse dame de qui nous tenons ce propos (c’est l’historien de sa vie lui parle), me semblait très douteuse en ce temps où j’étais jeune : je la comprenais mieux dans l’apparition de ce chien noir qui se présentait à Alphonse Ratisbonne en cette église de Rome, où sa conversion eut lieu, et qui selon M. Dupont n’était autre que Satan en personne. »
Ajoutons que M. Dupont ne se contentait pas de repousser les attaques du diable. Il prenait l’offensive, il le provoquait en quelque sorte, il le stigmatisait avec une virulence de langage qui était à cent lieues de ses habitudes, il le foulait aux pieds avec le dernier mépris. « C’est là, disait-il, la manière de traiter cet esprit orgueilleux. » Oui, mais pour le traiter ainsi, il fallait être M. Dupont.
XIII. — LE VÉNÉRABLE JEAN-BAPTISTE VIANNEY, CURÉ D’ARS.
Le vénérable Jean- Baptiste Vianney, curé d’Ars, clôturera cette revue de l’ingérence démoniaque dans la vie des saints. Mort le 5 août 1859, il répandit dans toute la France, et même dans toute l’Eglise, un éclat de sainteté très doux et très pénétrant. Qu’elle est attirante cette figure de prêtre, encadrée de longs cheveux blancs, émaciée, extatique, imprégnée de la mansuétude de Jésus-Christ ! La sérénité de ce front vous calme, la flamme humide de ce regard vous subjugue, la clémence de ces lèvres vous séduit ; ces mains sont faites pour délier les consciences, pour rendre les âmes à la liberté.
La vie de ce saint prêtre a été écrite par un témoin avec une simplicité évangélique, sans aucun apprêt de style, sans aucune prétention de pensée. Elle offre un caractère d’absolue vérité. Détachons-en ce qui concerne les rapports de M. Vianney avec celui qu’il appelait familièrement le grappin, avec le démon (11).
Le saint prêtre demeurait seul dans son modeste presbytère. Le démon venait le troubler durant son sommeil, ou plutôt durant ses longues prières nocturnes. Un écho de ces bruits étranges transpira dans le pays, et y causa une légitime émotion. On crut que des maraudeurs en étaient les auteurs. « Des personnes charitables [p. 677] s’offrirent à faire le guet autour de la maison ; quelques jeunes gens armés s’établirent en embuscade au clocher pour surveiller les abords de la cure. Des paroissiens zélés voulurent coucher dans la chambre voisine de celle de M. le curé. Il y en eut parfois qui furent très effrayés, entre autres le charron du village, André Vachère. Une nuit que son tour de faction était venu, il s’installa avec son fusil dans la chambre. Quand vint minuit, un bruit effroyable se fit entendre à côté de lui dans la pièce même ; il lui sembla que les meubles volaient en éclats sous une grêle de coups. La pauvre sentinelle de crier au secours, et M. le curé d’accourir. On regarde, on examine, on fouille les coins et les recoins, mais inutilement (12). »
Le bruit de ces événements vint aux oreilles des confrères de M. Vianney. En général, ils se montrèrent sceptiques. « Si M. le curé d’Ars, disaient-ils, vivait comme les autres, s’il prenait sa dose de sommeil et de nourriture, cette effervescence d’imagination se calmerait, son cerveau ne se peuplerait pas de spectres, et toute celte fantasmagorie infernale s’évanouirait. »
Un soir que le saint curé se trouvait dans un presbytère voisin en compagnie de plusieurs confrères avec lesquels il devait passer la nuit, les quolibets ne lui furent pas épargnés, et même le badinage dépassa la mesure. On le traita de visionnaire, de maniaque. « Allons ! allons ! mon cher curé, lui disait-on, faites comme les autres, nourrissez-vous mieux, c’est le meilleur moyen d’en finir avec toutes ces diableries… Votre cure est un taudis malpropre, les rats y sont chez eux, ils y prennent leurs ébats jour et nuit, et vous croyez que c’est le diable. » Le bon curé ne répondit pas un mot ; il se retira dans sa chambre, insensible à tout, sauf à la joie d’avoir été humilié. « Un instant après, dit l’historien de M. Vianney, messieurs les rieurs se souhaitaient une bonne nuit et regagnaient leurs appartements respectifs, avec l’assurance de philosophes qui, s’ils croyaient au démon, n’avaient du moins qu’une foi très médiocre à son intervention dans les affaires du curé d’Ars. »
« Mais voilà qu’à minuit ils sont réveillés en sursaut par un affreux vacarme. La cure est sens dessus dessous ; les portes battent, les vitres frissonnent, les murs chancellent, de sinistres craquements font craindre qu’ils ne s’écroulent. En un instant tout le monde est debout. On se souvient que le curé d’Ars a dit : « Vous ne serez pas étonnés, si par hasard vous entendez du bruit cette nuit. » On se précipite vers sa chambre, il reposait tranquillement. « Levez-vous [p. 678] vous, lui crie-t-on, la cure va tomber. — Oh ! je sais ce que c’est, répond-il en souriant ; il faut aller vous coucher, il n’y a rien à craindre. » On se rassure et le bruit cesse. A une heure de là, quand tout est redevenu silencieux, un léger coup de sonnette retentit. L’abbé Vianney se lève, et trouve à la porte un homme qui avait fait plusieurs lieues pour venir se confesser à lui. Il se rend aussitôt à l’église, et y reste jusqu’à la messe occupé il entendre un grand nombre de confessions. »
Les confrères cessèrent de plaisanter M. Vianney. Un missionnaire qui assistait au tintamarre diabolique, M. Chevalier, de pieuse mémoire, disait en racontant l’aventure : « J’ai promis au bon Dieu de ne plus me moquer de ces histoires d’apparitions et de bruits nocturnes ; quant à M. le curé d’Ars, je le tiens pour un saint (13). »
L’épisode suivant de ces luttes avec Satan est des plus caractéristiques.
« Une des fantaisies les plus bizarres du démon, celle qui trahit le mieux ses ignobles instincts, est l’histoire du tableau contre lequel il s’est acharné si longtemps. M. le curé avait sur son palier, à la place même où l’on voit encore aujourd’hui une image grossière de la Sainte Vierge, une toile qu’il aimait beaucoup, bien que ce futt une œuvre très médiocre. La vue de cette peinture parlait à son âme et l’attendrissait en lui rappelant le plus doux, le plus chaste et le plus divin de nos mystères : c’était une Annonciation.
« Voyant que M. le curé honorait cette sainte image d’un culte particulier, que faisait ce méchant grappin ? Tous les jours il la couvrait outrageusement de boue et d’ordure. On avait beau la laver, on la retrouvait, le lendemain, plus noire et plus contaminée que la veille. Ces lâches insultes se renouvelèrent jusqu’à ce que M. Vianney, renonçant aux consolations qu’elle lui donnait, prit le parti de la faire enlever. Beaucoup ont été témoins de ces odieuses profanations, ou du moins en ont pu observer les traces sensibles. M. l’abbé Renard, un ami de M. Vianney, dit avoir vu ce tableau indignement maculé ; la figure de la Sainte Vierge n’était plus reconnaissable.
« Ce fait doit être mis au rang de ceux dont il est le moins permis de douter. Nous avons entendu M. le curé y faire publiquement allusion, et, parmi ses auditeurs assidus, il n’en est point qui n’en sache les détails par cœur (14). »
Relatons encore un témoignage très authentique et très saisissant. [p. 679]
En 1829, au plus fort de cette lutte, un jeune prêtre du diocèse de Lyon, le fils de la bonne veuve d’Ecully avec laquelle nous avons fait connaissance, dès les premières pages de ce livre, et qui rendit de si touchants services à M. le curé, l’abbé Bibot, vint à Ars faire une retraite auprès de l’homme de Dieu. M. Vianney, (lui avait encouragé et guidé ses premiers pas dans la carrière sacerdotale, le reçut avec une extrême bonté, et voulut qu’il logeât chez lui.
« Je connaissais particulièrement ce prêtre, dit M. l’abbé Renard, et la Providence me favorisa en faisant coïncider avec le sien un voyage que je fis dans ma paroisse natale.
« Dès notre première entrevue, la conversation tomba sur les choses extraordinaires qui se passaient à Ars, et dont la rumeur remplissait le pays : « Vous couchez à la cure, lui dis-je, eh bien ! vous allez me donner des nouvelles du diable. Est-il vrai qu’il y fait du bruit ? l’avez-vous entendu ? — Oui, me répondit-il, je l’entends toutes les nuits. Il a une voix aigre et sauvage qui imite le cri d’une bête fauve. Il s’attache aux rideaux de M. le curé et les agite avec violence. Il l’appelle par son nom ; j’ai saisi très distinctement ces paroles : Vianney ! Vianney ! que fais-tu là ? Va-t’en ! va-t’en ! — Ces bruits et ces cris ont dû vous effrayer ? — Pas précisément. Je ne suis pas peureux, et d’ailleurs, la présence de M. Vianney me rassure. Je me recommande à mon ange gardien, et je viens à bout de m’endormir. Mais je plains sincèrement le pauvre curé ; je ne voudrais pas demeurer toujours avec lui. Comme je ne suis ici qu’en passant, je m’en tirerai tant bien que mal, à la garde de Dieu ! — Avez-vous questionné M. le curé là-dessus ? — Non, la pensée m’en est venue plusieurs fois, mais la crainte de lui faire de la peine m’a fermé la bouche. Pauvre curé ! pauvre saint homme ! Comment peut-il vivre au milieu de ce tapage (15) ? »
Après de semblables attestations, il n’est pas permis de douter que le diable ne soit intervenu physiquement, par des effets sensibles, un nombre incalculable de fois, dans le presbytère d’Ars. Mais le saint curé a-t-il vu son infernal ennemi ? Sa discrétion était extrême, il n’a certainement pas dit tout ce qu’il a vu. A la question posée, l’auteur de sa vie répond par les deux faits suivants.
« M. Vianney vit un jour, à trois heures du matin, un gros chien noir, les yeux flamboyants, le poil hérissé, grattant la terre du cimetière à l’endroit où avait été déposé, quelques semaines auparavant, le corps d’un homme mort sans confession. La vue de ce chien [p. 680] l’effraya beaucoup ; il ne douta pas que ce ne fut le diable, et courut se réfugier dans son confessionnal. — On lit, dans la légende de saint Stanislas Kostka, que, pendant une maladie qui lui vint à la suite de ses mortifications, l’angélique jeune homme vit aussi le démon sous la forme d’un horrible chien prêt à s’élancer sur lui. L’affreuse vision se renouvela trois fois, trois fois il la mit en fuite avec le signe de la croix.
« M. Vianney a encore raconté que le diable lui était aussi apparu, sous la forme de chauves-souris qui remplissaient sa chambre et voltigeaient autour de son lit ; les murailles en étaient toutes noires. »
Je pourrais relever bien d’autres faits, car les infestations diaboliques auxquelles le saint curé fut en butte sont très variées. Ceux qu’on vient de lire suffisent amplement à ma preuve. Ils sont d’une authenticité hors de conteste ; ils ont été, on peut le dire, publics ; de plus ils emportent une réfutation des plus originales de toutes les objections qui ont cours contre la réalité des manifestations diaboliques. Les chers confrères du saint curé ont été guéris de leur incrédulité d’une façon trop piquante, pour que la leçon qu’ils ont reçue ne profite pas à d’autres qu’à eux.
XIV. — CONCLUSION.
La conclusion de cette étude n’est pas difficile à tirer.
J’ai mis en avant des faits en grand nombre qui dénotent incontestablement une action physique, extérieure, du diable ; et les faits que j’ai laissés de côté sont en bien plus grand nombre encore. Ces faits ont eu des témoins sérieux, et quelques-uns ont été en quelque sorte publics. Ils se trouvent consignés dans des écrits qui portent le nom de docteurs de l’Église comme saint Athanase, saint Grégoire le Grand, saint Pierre Damien, ou tout au moins qui proviennent d’auteurs graves et bien placés pour être exactement renseignés; ils sont parfois extraits des dépositions assermentées qui figurent dans les procès de canonisation, et l’on sait avec quelles précautions infinies l’Eglise dirige les informations de cette nature. Il me parait donc que ces faits ne peuvent être niés, au moins dans leur ensemble, sans déroger aux lois de la certitude historique.
Pour arriver à formuler une semblable négation, il faudrait non seulement recourir à la théorie de l’hallucination collective dont il n’est pas permis d’abuser, mais encore étendre celte hypothèse [p. 681] gratuite d’hallucination à des témoins très divers, ayant vécu à des âges très différents el dans des milieux très disparates. Cette épidémie d’hallucination sans cause, se répétant à tout moment dans la vie des saints, et se communiquant à tout leur entourage, serait elle même un phénomène plus étonnant que tous ceux dont j’ai donné le récit.
C’est un préjugé très dangereux et très faux de croire que les saints avaient la tête faible, le cerveau mal équilibré. Ils jouissaient an contraire, leurs vies en témoignent, d’un grand bon sens pratique et montraient en toute occasion une rare possession d’eux-mêmes, Prenez le premier traité spirituel venu d’un bon auteur : vous verrez quelle différence il met entre l’état d’un novice qui s’exalte facilement, et l’état d’un homme de vertu consommée qui se défie des apparitions et des visions, et qui n’y ajoute foi qu’à son corps défendant. Etant donnée cette maturité d’esprit, cette expérience des choses surnaturelles, quand un saint Benoît, une sainte Thérèse nous disent: j’ai vu le diable de mes yeux, on peut les croire sur parole, sans même recourir à d’autres témoignages que le leur.
Je crois avoir répondu par avance aux principales difficultés qui auraient pu inquiéter l’esprit du lecteur : Pourquoi le démon se montre t-il de préférence aux saints ? Pourquoi à tel saint ? Pourquoi d’une manière si monstrueuse et si étrange ?
Qu’on me permette d’ajouter un mot. On s’explique facilement qu’il y ait du monstrueux, de l’invraisemblable, de l’incohérent même, dans les phénomènes diaboliques. Mais comment se fait-il que le diable, qui a tant d’esprit, se montre parfois si ridicule et si bête ? Car enfin il était d’une sottise achevée, quand il contrefaisait grossièrement une sainte Marie Madeleine de Pazzi, une sainte Véronique Giuliani ; il pouvait bien se douter que sa ruse misérable serait éventée au premier jour. Cela démontre à mon sens, et mieux que tout autre chose, jusqu’où va la malice de l’esprit infernal. Dieu ne lui laisse pas toute liberté, il resserre son action dans un cercle très restreint, il force le vieux serpent à ramper et à manger la terre. Or, cette malice est telle que, ne pouvant éclater autrement que par des actes grotesques, incapable de se contenir, elle éclate ainsi. Et puis, même réduite à traduire sa haine par des grimaces bêtes, le diable se propose un but ; il affirme son action ; il cherche à troubler les saints. Père du mensonge, il sait que le plus stupide mensonge trouve toujours quelque créance. Ne ferait-il commettre qu’un jugement téméraire en singeant un saint ou une sainte, il se tiendrait pour satisfait. Dans sa guerre continuelle et intensive contre [p. 682] Dieu et les hommes, tous les moyens lui sont bons et rien ne lui paraît négligeable.
En somme, dans mon étude, le diable apparaît ce qu’il est méchant d’une méchanceté irréductible, abominable et abject.
Chose étrange ! les spirites lui reconnaissent les mêmes caractères.
Il y a quelques années, l’excellente revue romaine, la Civilta catholica, publiait des articles très documentés sur le spiritisme, avec de nombreux extraits des livres d’Allan-Kardec et de divers auteurs ou journaux spirites (16). Or, Allan-Kardec et ces auteurs déclarent qu’il y a des esprits menteurs, bouffons, méchants, obscènes, et qu’ils sont nombreux, plus nombreux même que les bons esprits ; ils relatent des traits d’abjecte méchanceté de leur part. Il leur est arrivé d’injurier, de harceler, de souffleter de pauvres malheureux fourvoyés dans les réunions spirites. Ils s’acharnent de préférence sur ceux qui offrent le moins de résistance. Ils sont aussi lâches que cruels. Bref, c’est la reproduction, avec des variantes tenant au milieu, de ce que nous lisons dans la vie des saints.
La vérité de nos dires se trouve ainsi contresignée par les déclarations des pontifes du spiritisme.
Seulement cet être invisible, trompeur et malicieux, dont ils constatent l’existence et dépeignent les agissements, les spirites rappellent : un esprit. Et nous, chrétiens, nous le stigmatisons de son vrai nom : le diable.
Don Bernard MARÉCllAUX,
Bénédictin de la congrégation olivétaine.
NOTES
(l) Supplément à la Vie des Saints, du P. Giry, 4e volume, 22 mai.
(2) Même supplément, 30 mai.
(3) Vies des Saints du Pèlerin, n° 605.
(4) Vie des Saints du Pèlerin, n° 724.
(5) Analecta Juris Pontificii, VIIe série, 4e volume, 1re partie, col. 1045.
(6) Anatecta Juris Ponlificii, Loco citato, col. 1058.
(7) Vie du bienheureux Félix de Nicosie, par le P. Henri de Gréges, capucin.
(8) Analecta Juris Pontificii, VIIIe série, 4e volume, 1re partie, col. 392, 413, 677, 678.
(9) On dirait les déclamations d’un mauvais journal. Identité de source.
(10) Vie de M. Dupont, par M. l’abbé Janvier. Tome 1er, ch. XII, p. 431-438.
(11) Vie au curé d’Ars, par M. l’abbé A. Monnin.
(12) Vie de M. Vianney. Tome I, liv. Ill, chap. II, p. 389.
(13) Vie de M. Vianney. Tome I, liv. Ill, chap. II, p. 391-401.
(14) Id. ibid., p. 406-407.
(15) Vie de M. Vianney, p. 415-416.
(16) Civilta catholica : Quaderni 1025-1032 .
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