Documents anciens sur le traitement des aliénés au XVIIIe siècle. Par M. A. Marie. – Suivi d’une note : Sur Thomas Willis. Par M. Henri Colin. 1908.

MARIEDOCUMENTANCIEN0001André Marie. Documents anciens sur le traitement des aliénés au XVIIIe siècle. Article parut dans le « Bulletin de la société clinique de médecine mentale », (Paris), tome premier, 1908, pp. 40-44.

Armand-Victor-Auguste Marie (1865-1934). Médecin aliéniste, Licencié en droit et homme politique.
Au cours de sa carrière, il a été successivement médecin adjoint des asiles publics (en 1899), directeur fondateur et médecin en chef de la colonie familiale de la Seine en 1892, titulaire en 1896, médecin en chef de l’Asile de Villejuif (1900). Quelques unes de ses publications :

  • Étude sur quelques symptômes des délires systématisés et sur leur valeur, Paris, O. Doin, 1892.
  • Les aliénés en Russie, Montévrain, École d’Alembert, 1899
  • Les Vagabonds, par le Dr Marie, Raymond Meunier, Paris, V. Giard et E. Brière, 1908.
  • Traité international de psychologie pathologique, sous la direction du Dr A. Marie, Paris, F. Alcan, 1910-1912. 3 vol. in-8°.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images sont celles de l’article orignal. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafol

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Documents anciens sur le traitement des aliénés au XVIIIe siècle, par M. A. Marie, de Villejuif (Présentation de dessins).

Les documents que nous avons l’honneur de présenter à la Société font partie de la collection de notre laboratoire auquel ils ont été offerts par M. Le Professeur Connolly Norman de Dublin.

Notre distingué collègue et ami est le descendant bien connu de l’illustre Connolly qui fut avec W. Tuke le protagoniste de la réforme anglaise du régime des aliénés à la fin du XVIIIe siècle, au moment même où Pinel préparait la révolution psychiatrique en France.

Le 1er dessin (fig. 5) montre de dos et de face la ceinture de force avec contorsion des bras : c’est une sorte de corselet de cuir maintenant les coudes au corps et facilitant le restraint, bien qu’en progrès sur le panier de force fixe.

Le malade est coiffé d’une sorte de bourrelet à double coussinet rappelant la forme du chapeau à cornes de l’époque.

Le 2me dessin (fig. 6) montre le tourniquet thérapeutique d’antan avec adaptation à la station horizontale ou verticale. Ces instruments de [p. 41]

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centrifugation formait fauteuil de force vibratoire dans le 2 cas :

Dans le premier, c’est une sorte de gouttière de Bonnet pivotant sur elle même avec fermeture lacée pour maintenir le patient couché durant l’opération.

Un dessin (non reproduit) montre le couteau et la fourchette de bois en usage dans les asiles anglais d’alors.

Le 3me dessin (fig. 7) représente la signature de W. Tuke avec son profil dessiné par un collègue pendant une séance du collège des médecins de l’époque.

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Ces documents rétrospectifs rappellent les premiers tâtonnements du mouvement d’affranchissement des aliénés. élevés à la dignité de malades, et les premiers essais de traitement qui en découlèrent; à plus d’un siècle de distance ils permettent de mesurer le chemin parcouru.

COLIN, à propos des documents présentés par M. Marie, rappelle la mémoire de M. Willis médecin du roi Georges III, le monarque dont la folie exerça une influence prépondérante sur les réformes apportées, en Angleterre, au traitement des aliénés.

Georges III avait 22 ans lorsqu’il devint roi, en 1700. Imbu de tous les préjugés rigoristes et des tendances réactionnaires des petites cours allemandes de l’époque, il ne tarda pas à soulever contre lui les partis libéraux. Après d’éclatants succès, obtenus au détriment de notre pays (prise de Belle-Isle, de Pondichéry, de la Martinique), vinrent les revers, la guerre de l’Indépendance et la perte des colonies américaines.

En 1787, Georges III eut un premier accès de délire. L’opposition en profita pour demander que son fils fut nommé régent. Mais l’accès fut de courte durée et, bientôt, Pitt put annoncer le rétablissement du roi. Les périodes délirantes se renouvelèrent fréquemment et l’état maladif du souverain fut encore aggravé à la suite du triomphe de la Révolution Française et des guerres du premier Empire. Cependant, les partis conservateurs maintinrent Georges III au pouvoir jusqu’en 1810, époque à laquelle il fallut se décider à instituer la régence. L’état du roi ne fît ensuite qu’empirer et il mourut dans la démence en 1820.

Willis, qui soignait Georges III, n’a de commun que le nom avec le célèbre anatomiste auquel on doit de si importants travaux sur l’anatomie et la physiologie du cerveau et sur la pathologie nerveuse et mentale. Rappelons que le grand Willis (1622-1675) fut un des premiers à décrire la folie à double forme, ainsi que le note M. Ritti, dans son article du Dictionnaire Dechambre.

Willis naquit en 1747 et mourut en 1807. Ancien élève de l’Université d’Oxford il étudia la médecine et, reçu docteur en 1740, s’adonna à l’étude des maladies mentales. Très actif, très remuant, il ne tarda pas à se faire une clientèle superbe et sa réputation fut à son comble lorsqu’il fut appelé à soigner Georges III et la reine de Portugal. Le dictionnaire de médecine mentale de Hack-Tuke nous apprend qu’il avait fondé, à Greatford, petit village du [p. 43] Lincolnshire, une colonie familiale. Les aliénés étaient placés chez l’habitant, à raison d’un ou deux malades par maison. Pour en garder un plus grand nombre, il était nécessaire de demander une licence. Deux cents malades furent, paraît-il, hospitalisés de la sorte. Willis possédait lui même, à Greatford, une maison de santé privée qui recevait une vingtaine de malades ; il la dirigeait avec l’aide de sa femme et de ses trois fils. C’était un robuste gaillard qui, à 78 ans, continuait à chasser, faisait à cheval, en un jour, le voyage de Londres (plus de 150 kilomètres), s’occupait d’agriculture, et prêchait tous les dimanches dans l’église paroissiale.

Il prétendait guérir 9 malades sur 10 dans les trois premiers mois de leur internement. Une grande liberté était laissée aux aliénés, même aux agités. Ils sortaient accompagnés d’un gardien qui, en cas d’évasion, se voyait retenir ses gages en même temps qu’on portait à son compte les frais de réintégration.

La méthode de Willis était simple. Elle consistait dans une large application de vésicatoires aux jambes, unie à de longues promenades — la vésication n’excluant pas la marche — et dans l’emploi de l’écorce de quinquina à titre de tonique. On avait recours au gilet de force et aux liens et, si un malade frappait un gardien, ce dernier était autorisé à rendre les coups. Willis considérait la crainte comme un élément essentiel du traitement. « Le sentiment de la crainte, disait-il, est le premier et, pendant longtemps, le seul moyen susceptible d’influencer l’esprit d’un maniaque. Le fait, pour un maniaque, d’éprouver de la crainte prouve qu’il commence à raisonner d’une façon plus juste, qu’il rattache certains effets à certaines causes, qu’il se rend compte de ce que sera l’avenir par ce qu’il sait du passé ».

Ce traitement était appliqué dans toute sa rigueur au roi Georges III, qui devait subir les vésicatoires, le gilet de force et les coups, si bien qu’un gardien, l’ayant étendu à terre d’un coup de poing, se vantait de l’avoir knocked down as flat as a flounder, (aplati comme une sole). On ajoutait à ce traitement « physique » l’écorce de quinquina qui, au dire de Willis, faisait merveille au tout de 6 heures.

On devine, dans ces conditions, à quels sarcasmes pouvait être en butte le médecin du roi de la part d’un Sheridan, l’auteur de « School for Scandal », le Beaumarchais anglais qui, non content de ses qualités de littérateur, se mêlait de politique, et de politique d’opposition !

Toutefois, il n’est pas douteux que la folie de Georges III a eu une influence décisive sur l’assistance des aliénés en Angleterre. Depuis longtemps on se plaignait de la façon honteuse dont ces malheureux étaient soignés. Des commissions parlementaires s’étaient réunies en 1740 et en 1763 ; elles se multiplièrent dès que fut connue la maladie du roi, Burke, le tribun éloquent qui se fit en Angleterre l’apôtre de la Révolution Française, ne manqua pas de signaler les faits monstrueux qui, se [p. 44] passaient à Bedlam, et dans les établissements destinés aux aliénés.

C’est alors que, William Tuke fit une tentative de réforme, en 1792, au moment même où Pinel, en France, inaugurait une ère nouvelle pour nos malades. Une aliénée, internée dans l’asile d’York, fondé en 1777, avait été maltraitée dans des conditions qui ne furent jamais complètement élucidées. William Tuke, « membre de la Société des Amis », et un certain nombre de ses collègues achetèrent un terrain aux environs d’York et y fondèrent l’asile devenu fameux sous le nom de « The Retreat », « La Retraite ».

C’est là que fut inauguré le traitement moral des aliénés, et que fut préconisé leur emploi dans les travaux agricoles. Les moyens de contention furent réduits au strict nécessaire. C’était le premier pas fait vers méthode du no-restreint appliquée quelque quarante ans plus tard par Connolly.

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2 commentaires pour “Documents anciens sur le traitement des aliénés au XVIIIe siècle. Par M. A. Marie. – Suivi d’une note : Sur Thomas Willis. Par M. Henri Colin. 1908.”

  1. gourdon françoiseLe vendredi 24 octobre 2014 à 11 h 27 min

    infirmière psychiatrique depuis 1972,exercant encore a mi temps dans un Samsah(structure médico sociale) pour handicapés psychiques, je peux vous dire que la psychiatrie des années 1970 est morte et qu’on vient a la médicaliser en donnant des traitements médicamenteux. Hospitalisations très courtes, beaucoup de personnes s’isolent chez eux ou se marginalisent dans la rue ou rechutent. Combien de SDF atteints de troubles psy et combien en prison? Depuis la disparition du diplôme infirmier psy,c’est la castatrophe.

  2. Michel ColléeLe vendredi 24 octobre 2014 à 13 h 26 min

    Bonjour Madame. Merci pour votre témoignage qui vient confirmer de nombreux courriers reçus depuis l’ouverture de notre site. Le « sujet » disparaît, tant du côté des soignant(2)s, que du c^té des soigné(e)s.