COLLE J. R. Sites maléfiques et demeures étranges. Paru dans « Sites, animaux, plantes étranges, Société d’ethnologie et de folklore du Centre-Ouest. Revue de recherches ethnographiques, Le Subiet », (La Rochelle), tome VI, 4ème livraison, juillet – août 1972, pp. 228-231.
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- — SITES MALEFIQUES.
Il est des maisons qui ressemblent à des pommes, avec de bonnes joues et des yeux étonnés, des maisons de bonheur et de clarté où les hommes ne regrettent pas d’être nés. Mais il existe aussi des maisons maléfiques, bâties sur l’argile noire des charniers dont les portes font des sourires sataniques, qui, pour fenêtres, ont des orbites tragiques et des calottes crâniennes pour greniers. Les aîtres sont des êtres et les pierres s’imprègnent de la méchanceté des occupants, les murs suintent la mort, les cloisons saignent, fuyez ces lieux s’il en est encore temps.
Il existe des lieux maléfiques : dans mon enfance, on m’a parlé d’une guérite où un jeune soldat s’était suicidé. Par la suite, plusieurs personnes sont venues s’y tuer, si bien qu’il a fallu la démolir. Il est bien sûr impossible de dire si l’endroit était maléfique ou bien s’il s’agissait d’une contagion psychologique dont on connaît d’autres exemples. Il y a des époques à suicides, des familles où l’on se détruit, des lieux et même des modes de suicides (par exemple la mort par le feu des bonzes qui fut imitée maintes fois ensuite alors que l’on n’y pensait pas auparavant. A la campagne, le suicide le plus fréquent est la pendaison).
Certaines maisons semblent maudites : celle de Landru, le prieuré de Franchard dans la forêt de Fontainebleau et la cure d’Uruffe. Coup sur coup trois prêtres furent les victimes de ce presbytère : le premier se tua accidentellement en descendant les marches de l’autel. Le second fut le trop célèbre abbé Desnoyers. Le troisième fut assassiné alors qu’il se rendait en pèlerinage à Jérusalem.
D’autres ont un aspect tellement rébarbatif que l’on hésite à y pénétrer. Pendant l’occupation, les Allemands m’expulsèrent de ma demeure qu’ils voulaient transformer en « maison » pour soldats et me donnèrent six heures pour le [p. 229] faire. Avec quelques amis, nous entassâmes sur une voiture à bras ce que je possédais et, avec ma femme et mon bébé, j’allai m’installer dans une des rares maisons vides. C’était une masure abandonnée, tout à fait sinistre, avec des portes grinçantes et des fenêtres crevées. L’humidité y avait décollé la tapisserie qui pendait comme des barbes d’Espagne et un ruisseau coulait dans la cave. Le seul avantage fut la découverte de vieilles bouteilles d’un très bon vin, abandonnées depuis Dieu sait quand, que nous bûmes pour nous consoler.
Nous y restâmes le moins possible car nous y serions morts, on aurait pu dire à cause de l’insalubrité des lieux, mais il y avait peut-être autre chose qui expliquait l’angoisse qui se dégageait des murailles salpêtreuses.
Les maisons construites sur un terrain imperméable, et surtout sur de l’argile, sur un ruisseau qui véhicule des courants néfastes, ou sur un ancien cimetière sont particulièrement dangereuses. On avait muré vivante une jeune femme dans le château de Csethje pour porter bonheur à ses occupants : le résultat fut le contraire. Là habita un des plus épouvantables vampires de l’Histoire : Erzebeth Bathory qui tortura à mort neuf cents jeunes filles.
Erzebeth Bathory §1560-1614)
Qu’il y ait une liaison entre la maison et ses occupants, cela n’a rien d’impossible. Quand Henry IV fut assassiné par Ravaillac le 14 juin 1610, l’écu qui couronnait la porte de son château de Pau tomba sur le sol et se brisa. Il s’agit là d’un exemple historique bien connu, on pourrait en citer d’autres. De même qu’un outil se modèle à la main de l’artisan qui l’emploie, peut-être l’amour ou la haine arrivent-ils à imprégner les pierres. Dans une ancienne commanderie de Templiers, il existe une crypte secrète qui a été découverte depuis peu, dont le sol est rouge sang. Dès que l’on y pénètre, on est pris d’un malaise violent et inexplicable. Quand quelqu’un meurt au village voisin, des bruits terribles s’y font entendre et, sur une des parois, apparaît une main. Les chasseurs de spectres, certains du moins, pensent que les fantômes sont des sortes de films inscrits dans les murs par la présence d’anciens occupants.
Une personne rencontrée par hasard m’a parlé des « maisons à cancer » et m’en a même montré une dont tous les habitants étaient morts de cette maladie. Sur le moment, je n’y ai pas prêté attention, mais, depuis, on m’a cité d’autres exemples de ces demeures qui tuent (1). [p. 230]
Les Chinois qui voulaient construire une maison s’adressaient, non à un architecte, mais à un prêtre taoïste ou à un maître en Foung Choeï qui choisissait l’emplacement, l’orientation de l’édifice et traçait les perpendiculaires sur lesquelles on pouvait le bâtir. On évitait de placer la porte en face d’un angle de mur car c’est par les angles et par les pointes que sortent les mauvais esprits. On orientait les lits suivant les points cardinaux. Superstition ? On aurait peutêtre tort d’en rire. Après tout, nous sommes continuellement traversés par les rayons cosmiques et par le champ magnétique de la terre, les sourciers perçoivent les radiations de l’eau que nous ne sentons pas, qui sait si les rayons telluriques chers aux occultistes n’existent pas ?
J’ai connu un doux maniaque qui ressemblait a Anatole France et qui avait fabriqué un « piège à courants telluriques », une sorte de ressort à boudin placé sous son lit, j’en ai ri à l’époque, mais était-il aussi farfelu que je le croyais ?
Une maison, une pièce, un coin de pièce est peut-être chargé d’une force ignorée, mauvaise ou bonne : cela expliquerait le « coup de foudre de la foi » que Claudel. reçut à un endroit précis, près d’un pilier de Notre-Dame de Paris.
Je suis moi-même assez sensible à la sympathie ou à l’anti pathie que dégage un endroit ou un objet.
Il est possible que certains soient bénéfiques : les amulettes (ne serait-ce que par le, pouvoir qu’on leur prête) et la croix, même pour les non croyants, car la perpendiculaire a toujours été considérée comme un signe positif (le « plus » des mathématiques) et bon.
Il y a par contre des objets maléfiques : je n’aimerais pas avoir chez moi certains masques de danses africains, ni ces statuettes hérissées de clous, ni les poupées de cire ayant servi à des envoûtements.
Je conterai seulement une anecdote : un de mes amis avait fabriqué un objet maléfique pour s’amuser, ce qui prouve qu’il n’avait pas pris la chose au sérieux. A partir de ce moment, il lui est arrivé toutes sortes d’ennuis hasard peut-être. En tout cas, il jugea plus prudent d’enterrer le dit objet dans son jardin. A partir de ce moment, chaque fois qu’il prenait l’air ou qu’il se promenait, ou qu’il jardinait, il était saisi d’une sorte d’angoisse dont il ne comprenait pas la cause, jusqu’au moment où il a songé à l’objet. Il a tenté de l’exhumer mais il a eu beau retourner tout le massif où il l’avait enterré, impossible de le retrouver, l’objet maléfique avait disparu. [p. 231]
Les Egyptiens enterraient à part les méchants, les Romains rasaient les villes maudites et y semaient du sel. Au Moyen Age, on abattait les maisons de sorciers ou de criminels. De nos jours, on ne se préoccupe plus ni de la texture du sol, ni de l’orientation, ni de savoir le passé, parfois inquiétant, du terrain sur lequel on va ériger un immeuble et certaines maladies, dépressions ou catastrophes inexplicables en sont peut-être la conséquence.
De même que les tziganes dessinent sur les murs des signes pour indiquer aux gens de leur peuple qui viendront après eux si la maison est amie ou hostile (signes que nous ne voyons pas car nous ne les comprenons pas), il existe d’autres signes magiques dont nous avons oublié le sens : par exemple, près de l’église de Pont-l’Abbé-d’Arnoult, sur des pierres très anciennement sculptées et réemployées, on devine une main et d’autres signes étranges que je ne puis expliquer. De même les innombrables graffiti des moulins et des églises sont en général compréhensibles, mais pas toujours. Il serait d’ailleurs impensable que les innombrables confréries et sociétés secrètes qui se sont succédées sur notre sol n’aient pas laissé des traces aux initiés. Elles l’ont fait. A nous de les comprendre (2).
- – DEMEURES ETRANGES.
J’ai déjà signalé le curieux château de Montazier construit par l’abbé Bichon et qui est une véritable hérésie archéologique. Au Clapet, on peut voir la villa « le Sextant » qui n’a rien d’extraordinaire si ce n’est qu’elle fut construite par un architecte génial qui devait devenir célèbre par la suite : Le Corbusier. Presqu’en face, se trouve une curieuse maison inspirée de l’architecture russe qui fut bâtie pour une Russe assez originale. Certaines maisons ont une forme cylindrique inhabituelle. Une des plus réussies se dresse à Saint-Palais.
NOTES
(1) M. André Guillon à Saint-Jean-d’Angély, a publié récemment un livre sur ce sujet.
(2) On peut consulter à ce sujet le livre de Paul Yvon « L Ame de nos vieux Moulins de Saintonge ».
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