Claude-François Michéa. Des hallucinations. Thèse n°159, présentée et soutenue à la Faculté de Médecine de Paris, le 15 juin 1837. Paris, Imprimerie et fonderie de Rignoux et Cie, 1837. 1vol. in-4°, 21 p.
Cette publication de Michéa, comme plusieurs autres de cet auteur, a échappée à Yve-Plessis dans sa Bibliographie méthodique et raisonnée de la Sorcellerie.
Claude-François Michéa (1815-1882). Médecin aliéniste, d’abord interne, puis directeur durant de longues années de à la maison de santé Marcel-Sainte-Colombe, drue Picpus, à Paris. Un des fondateur de la Société médico-psychologique et un des plus actifs collaborateurs des Annales média-psychologiques.
Il fut un des premiers aliénistes à traiter de la question de la folie et de la responsabilité des aliénés devant les tribunaux. Outre les quelques publications citées ci-dessous on lui doit de nombreux travaux sur l’histoire de la médecine en général. Quelques publications :
— Des hallucinations. Thèse présentée et soutenue à la Faculté de médecine de Paris, le 15 juin 1837, pour obtenir le grade de docteur en médecine., , 21 p. [en ligne sur notre site]
— Paracelse, sa vie et ses doctrines », Gaz. Méd. de Paris., , p. 289-298 ; 305-311.
— Traité pratique, dogmatique et critique de l’hypochondrie. Paris, Labé, 1845. 1 vol.
— Du siège, de la nature intime, des symptômes et du diagnostic de l’hypochondrie. Extrait des Mémoires de l’Académie Royale de Médecine, X, 1843. Paris, J.-B. Baillière, 1843. 1 vol. in-4°, pp.573-654.
— Du délire des sensations. Paris, Labé, 1846. 1 vol.
— Recherches sur l’état de la médecine chez les anciens Indoux. Extrait du Journal « L’Union Mécicale », Septembre 1847. Et tiré-à-part : Paris, impr. de F. Malteste et Cie, 1847. 1 vol. in-8°, 23 p. [en ligne sur notre site]
— Cas de sadisme. Paris, L’Union médicale, 1849.
— Recherches expérimentales sur l’emploi comparé des principaux agents de la médication stupéfiante dans le traitement de l’aliénation mentale. Paris, E. Thunot et Cie, 1852.
— Des hallucinations dans la magie. Extrait de la « Revue Contemporaine », (Paris), huitième année, 2e série, tome septième, XLIIe de la collection, 1859, pp. 501-537. [en ligne sur notre site]
— Démonomanie. Extrait de « Nouveau dictionnaire de médecine et de chirurgie pratique, sous la direction du Dr Jaccoud », (Paris), tome onzième, DÉLIG — DYSE, 1860, pp.122-130. [en ligne sur notre site]
— De la sorcellerie et de la possession démoniaque dans leurs rapports avec le progrès de la physiologie pathologique. Extrait de la « Revue contemporaine », (Paris), onzième année, 2e série, tome vingt-cinquième, LXe de la collection, 1862, pp. 526-566. [en ligne sur notre site]
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoute par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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DES ·HAL·LUCINATIONS.
THÈSE
On appelle hallucinations les sensations perçues sans cause extérieure de perception, les organes des sens conservant leur état normal.
On ne considérait autrefois ce phénomène comme un symptôme à part, que lorsqu’il avait son siège dans l’organe de la vie, encore était-il confondu par tous les auteurs avec les erreurs des sensations qui résultent d’une lésion locale des sens, et avec les illusions des sens qui proviennent d’un vice de liaison, d’un défaut de rapport entre l’objet extérieur d’impression et l’impression perçue. M. Esquirol a donné le premier une valeur absolue au mot hallucinations ; des observations nombreuses lui ont permis d’élargir le domaine où elles étaient restreintes ; non-seulement il les a considérées dans l’organe de la vue, mais il en a recueilli plusieurs dont le siège avait lieu dans les sens de l’ouïe, du goût, de l’odorat, du toucher.
On distinguera donc les hallucinations : 1° des fausses perceptions qui se lient à un état morbide des sens, telles, par exemple, que les visions d’insectes, de flocons de neige, qui ont lieu quelquefois dans l’amaurose commençante ; 2° des perceptions vicieuses qui dépendent d’un défaut de justesse entre le rapport de l’impression d’un objet extérieur sur les sens, et l’idée que l’intelligence en effectue ; perceptions vicieuses qui font croire à l’homme en délire comme à Don Quichotte, par exemple qu’un moulin est un géant ou qu’un nuage est un corps de cavalerie.
On substitue généralement aujourd’hui le terme générique d’illusion des sens aux deux dernières anomalies de perception que nous venons de citer.
De toutes les hallucinations, celles de l’ouïe sont les plus fréquentes.
Au milieu du silence le plus complet, dans l’état d’intégrité le plus [p. 6] parfait de l’audition, et quelquefois malgré la perte de son exercice, l’halluciné croit entendre, des bruits de vagues, des fleuves, de torrents, de cloches, etc., etc. Très communément il est importuné par des voix de parents, d’amis ou d’étrangers, qui l’accablent d’injures, de reproches, de menaces, qui l’engagent à faire, telle ou telle démarche, qui lui ordonnent de commettre une mauvaise action ; une conversation trèssuivie s’engage quelquefois entre ces voix et lui ; il répond à toutes leurs interpellations, résiste ou cède à leurs instances, emploie souvent les arguments les plus solides à réfuter les raisons qu’elles, lui allègue. Celui-ci, au contraire, prête une oreille attentive aux chants des anges ; des accents délicieux le plongent dans une sorte de ravissement qui absorbe toutes ses facultés. Un autre sera poursuivi par les plaisanteries, les sarcasmes des méchants : les gémissements de l’enfer, les chants du sabbat, retentiront sans cesse à ses oreilles, etc., etc. M. Calmeil possède un volumineux recueil de poésies latines et françaises composé par un ecclésiastique privé de de l’ouïe depuis longtemps, et qui s’imagine écrire sous la dictée de l’archange saint Michel.
M. de la F*** entend’ sans cesse des voix de de missionnaires qui, du haut de sa cheminée, lui prêchent la soumission aux préceptes de l’église, et lui signifient d’aller à confesse, sous peine de prison perpétuelle, d’exil, d’empoisonnement. La plupart des hallucinés soutiennent que les voix qu’ils entendent partent de leur cheminée, de la cave, de trappes, d’appartements secrets qu’on a creusés sous le parquet ou dans les parois des murailles ; que la physique enseigne les moyens de parler et de se faire entendre à de très-grandes distances, etc., etc.
l.es hallucinations de la vue sont les plus fréquentes après celles de rouie ; elles sont caractérisées par des visions d’étincelles, d’éclairs, de feux, par des apparition d’insectes, d’oiseaux, de quadrupèdes, d’esprits, de fantômes, par des représentations fidèles de personnes absentes, décédées ; et pourtant l’individu qui les présente n’est pas à la portée d’agents capables d’impressionner sa rétine ; sa vue, est saine, ou quelquefois même il est aveugle.
Une femme, affectée de monomanie religieuse, s’agenouille, se met [p. 7] très souvent en prière, dans la conviction que Jésus, la Vierge, ou sa patronne, lui apparaissent au milieu des nuages.
Un musicien fut pris, il y a quatorze ans, à la suite d’un revers de fortune, d’un état de manie furieuse qui dura plusieurs mois ; il est actuellement guéri de son aliénation mentale ; seulement il voit sans cesse autour de lui des chevaux, des bêtes à cornes, et une foule d’autres animaux.
Il est d’autres individus qui croient respirer des parfums délicieux, qui se plaignent d’une odeur de fumée, de chlore, qui s’attache à leurs pas, sans que la membrane pituitaire soit malade ou soit excitée par aucune espèce de molécule odorante, et quelquefois malgré son inaptitude à se laisser impressionner par ses excitants propres.
Un jeune homme-de vingt-cinq ans, jouissant de toute l’intégrité de sa raison, m’a dit avoir été importuné plusieurs jours par une odeur de fumée qui ·le suivait ·partout où il se déplaçait.
On observe également d’autres personnes dont la cavité buccale, exempte de toute altération, ne contient point de particule sapide ou insipide, et qui néanmoins s’imaginent savourer des mets exquis, être empoisonnés par des substances salines, métalliques, etc., etc.
Les hallucinations du toucher, soit externe, soit interne, sont les plus rares ; on doit classer dans cette série les perceptions imaginaires de brûlures, de clous, d’aiguilles, de flèches ; les douleurs que ressentent quelquefois les amputés à la place où était leur membre, les sensation de corps étranger (insectes, reptiles, démons) dans le cerveau, l’estomac, les intestins, l’utérus, etc.
M. Calmeil rapporte qu’un vétéran de l’empire sentait courir sous sa chemise un rat énorme ; et que vingt fois par jour il portail la main sur son ventre en s’écriant : je te tiens ! je te tiens !
Une dame s’imagine que toutes les personnes qu’elle approche lui lancent des flèches, qui l’atteignent, tantôt à la poitrine, tantôt aux membres inférieurs, etc. etc.
Il fausse perception dont nous nous occupons sont assez souvent intermittente, mais on les observe ordinairement d’une manière [p. 8] continue ; elles peuvent être isolées, c’est-à-dire reléguées dans un sens seulement, ou bien elles peuvent se montrer réunies dans deux, trois, quatre à la fois, et très-rarement dans tous, les sens en même temps. Celles de l’ouïe et de la vue se remarquent très-souvent ensemble ; les illusions des sens les accompagnent quelquefois. Ainsi une illusion du goût peut survenir chez un individu qui présente une hallucination de l’odorat, et vice versa.
Elles sont le plus souvent en rapport avec les habitudes corporelles et intellectuelles de l’individu, ou avec la nature de la cause qui les a occasionnées.
Les hallucinations de saint Antoine, de saint Jérôme, des père. De la Thébaïde, qui vivaient au sein de la prière, de la contemplation, étaient toujours des visions ou des auditions célestes..
Depuis sa chute au pont de Neuilly, Pascal s’imaginait qu’un précipice, ouvert à ses côtés, était toujours prêt à l’engloutir.
Le sexe, le tempérament, les passions, les croyances, ainsi que les circonstances particulières dans lesquelles se trouve l’individu, les modifient à l’infini.
Le principe, le sujet des hallucinations, se trouve toujours lié à des impressions antérieures, se rattache constamment à des idée anciennes que l’imagination prend ensuite en sous-œuvre, et associé au hasard. Elles ne sont ni ces impressions ni ces idées anciennes, mais des perceptions d’objets matériels, tombant actuellement sous les sens qui en dérivent.
Elles sont ordinairement plus intenses au sein des ténèbres, de la solitude, qu’au milieu du commerce du monde et des distinctions de la société, probablement par la raison que tout ce qui tend à diminuer l’exercice, à suspendre l’activité des sens contribue par cela même à exalter l’imagination, à pervertir le jugement.
La plupart des hallucinés, et principalement les fous, n’ont pas le moindre doute sur la réalité des agents de leurs fausses perceptions ; ils sont impressionnés par ces objets imaginaires aussi vivement que nous le serions par des objets matériels. Cherche-t-on à leur faire entrevoir l’erreur de leurs sensations ; il. vous répondent qu’ils sont [p. 9] donc alors en droit de douter de la présence de l’individu qu’ils ont sous les yeux, et qu’ils entendent parler actuellement. Leur jugement, leur détermination, leurs passions sont le plus souvent la conséquence des idées que les hallucinations ont fait naître. Cependant, quelques individus prennent dès le principe ce phénomène pour ce qu’il est ; quelques autres, tout en prêtant d’abord une existence matérielle aux objets de leurs sensations imaginaires, finissent pourtant par revenir plus tard de leur erreur.
Les hallucinations ne sont, après tout, qu’un genre particulier du délire, qu’une des formes multiples qu’il peut revêtir dans une foule de circonstances.
Les maladies où on les rencontre le plus souvent sont, sans contredit, la manie, et la monomanie. Sur cent aliénés, comme l’a dit M. Esquirol, quatre-vingts au moins ont des hallucinations. Elles sont très-fréquentes dans l’enthousiasme, l’extase,
Les visions de sainte Thérèse, de sainte Brigitte, de sainte Catherine de Sienne, etc., etc., en sont des exemples.
On en voit survenir quelquefois peu d’instants avant les attaques d’épilepsie. Tissot rapporte qu’un jeune épileptique, quelque temps avant son accès, vit un jour s’avancer à lui un équipage qui paraissait conduit par un homme coiffé d’un bonnet rouge.
M. Bouchet et Cazanveilh dans leur ouvrage de l’épilepsie considérée dans ses rapports avec l’aliénation mentale, ont consigné l’observation d’une jeune épileptique qui voyait des Cosaques à l’entour d’elle, quelques minutes seulement avant le commencement de ses attaques.
Les hystérique, les cataleptiques, les hypocondriaques en ont aussi quelquefois.
Une dame affectée d’hypocondrie entend sans cesse un mugissement qu’elle compare à celui des vagues de la mer. Une autre dame affectée de la même maladie se plaint d’être constamment importunée par un bruit de carillon. Deux cas d’hallucinations de la vue, [p. 10] recueillis au service de M. Martin Solon, à l’hôpital Beaujon, sur deux malades affectés de colique. de plomb, ont été mentionnés dans le n° du 28 janvier 1837 de la Gazette Médicale ; l’un d’eux racontait qu’il voyait des cavaliers faire l’exercice ; l’autre assurait qu’un bras nu s’était avancé jusqu’à lui, et qu’un oiseau venait tous les matin se percher sur son lit.
Elles composent en partie le délire fébrile de l’encéphalite de la méningite, celui qui peut survenir sympathiquement dans les érysipèles de la face ; les varioles confluentes, les pneumonies, les fièvre typhoïdes, les fièvres intermittentes, etc.
Assez souvent elles sont la suite des gastrites déterminées par l’oxide blanc d’arsenic ou par d’autres substances toxiques ; elles surviennent quelquefois après l’abus prolongé des liqueurs alcooliques, l’usage immodéré de l’opium, de la ciguë aquatique et terrestre, de l’aconit, de la pomme épineuse, de la belladone, de la jusquiame, de l’ellébore, du tabac et de quelques autres plantes narcotiques et excitantes.
Les Orientaux, d’après l’Écluse, font usage d’un mélange d’opium, de muscade, de gérofle, et de chanvre indien qui donne lieu aux rêveries les plus singulières.
Kaemfer dit qu’il crut avoir franchi l’espace, et avoir participé à un banquet céleste, un jour qu’il prit chez des Perses une composition opiatique.
Les prêtres de ·la Floride se donnaient des visions en fumant une plante narcotique appelée pétun.
Nos sorciers du moyen âge, qui prétendaient voyager dans les airs sur les épaules d’un homme velu, ou sur le dos d’un chat noir, etc., etc., se frottaient, dit-on, avec une pommade narcotique très en vogue parmi eux.
D’une autre part il existe des hallucinations spontanées, accidentelles, sans aliénation mentale et indépendamment de toute autre affection capable de déterminer du délire.
C’est ordinairement à la suite d’une méditation profonde, d’une [p. 11] concentration de la pensée, d’une tension de l’esprit sur une idée exclusive ou sur un petit nombre d’idées, sur une passion, un sentiment, une affection, qu’on les voit se manifester.
On conçoit en outre que la répétition journalière d’actes intellectuels identiques, que l’habitude de mouvements cérébraux toujours les mêmes, puissent reproduire dans l’encéphale, sans la participation d’aucun agent extérieur, les modifications qui y déterminent ordinairement les excitants matériels par leur contact sur les organes des sens, de même qu’on voit les organes de relation chez le somnambule, par exemple, se transporter d’un endroit à un autre sans le concours de sa spontanéité, de sa volonté, par une sorte de mécanisme que l’habitude d’exécuter les mêmes mouvements durant l’état de veille rend facile et même sollicite.
Un des plus grands penseurs de l’antiquité, Socrate, entendait souvent θαος un dieu, φωνη, une voix.
C’est après une méditation profonde sur les misères de son esprit, et sur les égarements de sa jeunesse, que saint Augustin entendit une voix comme celle d’un enfant, qu’il crut sortir d’une ·maison voisine, qui répétait souvent ces deux mots : toile, lege.
Luther voyait souvent le diable sous la forme d’un moine, dont les mains étaient garnies de griffes semblables à celles des oiseaux ; et qui lui opposait des syllogismes.
Charles IX, poursuivi par l’idée du massacre de la Saint-Barthélemy, disait à Ambroise Paré : « Je ne sçay ce qui m’est survenu depuis deux ou trois jours, mais je me trouve l’esprit et le corps grandement esmuea, voire tout ainsi que si j’avais la fièvre, me semblant à tout moment aussi bien veillant que dormant, que ces corps massacrez se présentent à moy les faces hydeuses et couvertes de sang ».
M. de Balzac rapporte que Louis Lambert lui dit un jour (Histoire intellectuelle de Louis Lambert) : « En lisant le récit de la bataille d’Austerlitz, j’en’ ai vu tous les incidents ; les volées de canon, et les cris des combattants retentissaient à mes oreilles, m’agittaient les entrailles ; je sentais la poudre, j’entendais le bruit des chevaux, et [p. 12] la voix des hommes ; j’admirais la plaine où se heurtaient des nations armées comme si j’eusse été sur la hauteur du Santon. » Dans un autre passage : « Sens-tu comme moi, me demande-t-il un jour, s’accomplir en toi, malgré toi, de fantasques souffrances ? Si, par exemple, je pense vivement à l’effet que produirait la lame de mon canif en entrant dans ma chair, j’y ressens tout à coup une douleur aiguë, comme si je m’étais réellement coupé ; il n’y a de moins que le sang ».
Beaucoup de faits autorisent à croire que les hallucination peuvent être épidémiques.
Des moines de Saint-Denis assuraient avoir vu errer l’ombre de Charles Martel dans leur abbaye.
Les religieuses de Loudun aperçurent pendant plusieurs soirs de suite le fantôme d’Urbain Grandier qui venait de monter au bûcher. En Allemagne, le démon possédait des couvents de femmes en totalité. Les prisons de Bordeaux regorgeaient, à une certaine époque, de détenus qui prétendaient avoir tous de mêmes visions.
Les hallucinations ont joué un très-grand rôle parmi les monuments historiques de presque tous les peuples. Beaucoup d’institutions religieuses encore debout n’ont eu d’autre fondement. Il n’est plus permis aujourd’hui de considérer autrement ce qu’on raconte des revenants, des vampires de Pologne, de Hongrie. de Lorraine, etc., etc., des sorciers, des possédés qui infestèrent la France pendant plus de dix-sept cents ans.
Mahomet n’eût été qu’un homme vulgaire sans les visions fréquentes qui finirent par Ie persuader que son rôle était d’instituer une religion dont Allah l’avait constitué le prophète.
Jeanne d’Arc ne devient guerrière, n’expulse les Anglais du territoire, qu’après l’avis qu’elle en reçut un jour, dans le jardin de son père, de la bouche de l’ange Gabriel, de saint Michel et de sainte Marguerite.
C’est aux apparitions de la Vierge à Ignace de Loyola, que l’institution des jésuites a dû le jour.
C’est aux prétendues révélations faites à Swendenborg, aux conversations [p. 13] familières qu’avait le Christ avec Marie Alacoque, qu’on doit lei sectes des swendenbergistes et des cordicolis.
Les perceptions visuelles des magnétisés ne paraissent être autre chose que des hallucinations ; on en a acquis la preuve par une foule de faits. La description de la nature, la peinture des objets que fait l’individu plongé dans le sommeil magnétique est toujours imaginaire: témoin la dame aveugle dont l’observation est rapportée dans les Annales du magnétisme animal, laquelle voyait durant ses crises tous les objets avec lesquels elle était mise en rapport, et qui finit par avouer plus tard après avoir recouvré la vue, que la nature qu’elle voyait étant aveugle était toute différente de celle qu’elle avait actuellement sous ses yeux. Seulement durant le sommeil provoqué. comme dans le sommeil naturel, l’individu est privé de son moi, de sa spontanéité, de sa volonté ; la mémoire et l’imagination sont les seules facultés qui restent libres, tandis que l’halluciné, au contraire, compare, juge, délibère, jouit en un .mot de toutes les facultés actives de l’entendement.
Les hallucinations symptomatiques de la monomanie, de la manie, etc., etc., sont souvent rebelles à toute espèce de traitement ; c’est donc en général un signe qui doit faire porter un pronostic défavorable, sur les chances de la guérison. Les fausses perceptions, qui sont l’objet d’un dérangement dans les organes des sens, autrement dit les illusions des sens, sont beaucoup plus faciles à détruire.
Les hallucinations spontanées, ou sans désordre intellectuel, guérissent quelquefois après la cessation des causes qui les ont produites ; elles finissent le plus souvent par conduire d’une manière insensible à l’aliénation mentale; elles peuvent être pendant très-longtemps les seuls signes qui traduisent l’existence de cette maladie.
Les auteurs ne sont pas d’accord sur la nature et le siège de ce phénomène.
Darwin le croit occasionné par l’inflammation de l’origine des nerfs de sensation.
Gall le regarde comme le résultat d’une modification morbide [p. 14] survenue dans les organes multiples de l’encéphale. Il, rapporte, par exemple, les hallucinations de la vue et-de l’ouïe, à un dérangement de fonctions de l’organe du coloris et de la musique.
Suivant M. Esquirol, ce ne sont que des imagea, des idées reproduites par la mémoire, associées par l’imagination, et personnalisées par l’habitude : « L’homme, dit-il, donne un corpeaux produits de ton entendement, il rêve tout éveillé, etc., etc.
M. Calmeil, tout en admettant l’opinion précédente, prétend néanmoins qu’il peut y avoir aussi des hallucinations symptomatiques dont le point de départ se trouverait dans le système nerveux périphérique, par des causes, dit-il, qui restent impalpables sous l’influence du calorique, de l’électricité d’un fluide animal. Ne peut-il pas s’effectuer dans les organes des sens, et alors que les agents placés à l’extérieur n’y sollicitent plus aucun ébranlement des modifications intestine, analogues à celles qui y ont pris naissance, lorsqu’en réalité ces excitants matériels s’exerçaient sur eux par leur nature et leur contact ? Les sens ainsi mis en action ne peuvent-ils pal de nouveau réagir sur l’encéphale, y réveiller des sensations qui n’y seraient pas née spontanément ? Il est donc vraisemblable, d’après lui, que le cerveau puise la plupart de ses hallucinations dans la moelle épinière, les nerfs de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût, du toucher externe et interne ; seulement il ignore le point de départ.
M. Foville les localise davantage, en les regardant comme liée à la lésion des parties nerveuses intermédiaires aux organe des sens et au centre de perception, ou à l’altération des parties cérébrales auxquelles aboutissent les nerfs de sensations.
Il a bien trouvé dans quelques circonstance une altération des nerfs chargés de conduire les impressions, entre autres chez une aliénée tourmentée par des hallucinations de la vue ; il dit avoir rencontré les nerfs optiques demi-transparents dans la plus grande partie de leur épaisseur, depuis la portion crânienne de ces nerfs jusqu’à celle contenue dans l’orbite ; mais, dans une foule d’autre cas, n’a-t-il pat été [p. 15] impossible, malgré les recherches les plus minutieuse, de surprendre les moindres vestiges d’altération ?
De toutes les opinion précédentes, celle de M. Esquirol est encore la plus probable. Il n’est pas besoin, à la rigueur, de lésion matérielle pour expliquer ce phénomène. D’ailleurs. comment concevoir que l’altération du nerf optique, par exemple, puisse déterminer de fausses perceptions relatives à la vision ? Le sentiment de la perception, à l’état pathologique comme à l’état normal, ne réside pas dans les nerfs, qui reçoivent et qui conduisent seulement les impressions, mais qui ne sentent pas ; c’est toujours, en dernière analyse, le cerveau qui transforme l’impression en perception. Ne sont-ce pas plutôt des mouvements molléculaires, des oscillations intestines du centre sensitif, qui font que, dans certaines circonstances données, l’homme revêt d’un corps ce qui est purement abstrait, qu’il matérialise les idées, les images rappelées par sa mémoire, associées par son imagination, idées qui sont tantôt un objet visuel, une voix, une odeur, une saveur, etc., et qu’il personnifie par l’habitude qu’il a de rapporter toute perception à l’impression d’un agent extérieur sur les sens ?
La preuve que la mémoire joue un très-grand rôle dans, ce phénomène, c’est qu’il est souvent possible de reproduire à volonté les hallucinations qui sont intermittentes, en rappelant aux malades une idée, un mot qui a trait à l’objet de leurs fausses perceptions.
Ce phénomène n’étant qu’un symptôme ne devrait, rationnellement parlant, donner lieu par lui-même à aucune considération thérapeutique spéciale ; cependant, comme il est souvent le point de départ, l’origine du délire, la cause qui le perpétue, on ne saurait trop y faire attention, soit pour éviter les intentions souvent homicides des aliénés, soit pour faire cesser le délire lui-même.
M. Esquirol a vu disparaître des hallucinations de l’ouïe en provoquant l’inflammation, et la suppuration du canal auditif au moyen d’un bourdonnet de charpie imprégné de poudre de potasse caustique. [p. 16]
M. Jolly a guéri de nombreuses hallucinations du goût, qui consistaient en des saveurs salées, métalliques, au moyen d’un gargari8me de chlorure de chaux, etc.
On a vu des hallucinations du toucher s’évanouir à la suite d’un érysipèle survenu spontanément aux environs ou à l’endroit même de la peau où le cerveau croyait les percevoir.
Ces faits autorisent à penser qu’une inflammation artificielle développée dans les organes des sens affectés, ou à quelque distance, au moyen de substances irritantes ou caustiques, qu’une suppuration établie dans ces mêmes lieux par l’intermédiaire d’un vésicatoire, d’un cautère, pourraient être d’un grand avantage dans beaucoup de cas.
Les narcotiques paraissent avoir été utiles dans quelques circonstances : M. Foville a vu disparaître de fausses perceptions relatives à l’ouïe en maintenant dans les oreilles un bourdon net de coton laudanisé. Quoi qu’il en soit de ces moyens locaux, qu’on peut employer avec un égal succès contre les hallucinations symptomatiques et l’hallucinations spontanées, ils seraient insuffisants sans le secours des moyens moraux et hygiéniques suivants, c’est-à-dire sans la soustraction des causes, sans le repos de l’esprit. l’exercice modéré de la pensée, sans l’activité corporelle, poussée quelquefois jusqu’à la fatigue. On conseillera, dans tous les cas, le jardinage, la gymnastique, l’équitation, l’escrime, la chasse, les promenades, les voyages; on cherchera d’une autre part à distraire le malade, à le détourner de son idée fixe au moyen des réunions, des conversations familières, de la musique, etc., etc. Ces derniers moyens opèrent souvent seuls la guérison.
Ire OBSERVATION.
Hallucination de la vue et de l’ouïe. — Circonstances de surdité.
V***, ex-employé au ministère de l’intérieur , âgé de soixante-dix ans, sourd depuis un grand nombre d’années, perdit une partie de sa fortune durant les crises de la révolution française. A partir de cette [p. 17] époque, il commença à entendre de loin en loin des voix de malfaiteurs, d’assassins. qui l’accablaient d’injures, qui menaçaient ses jours ; il croyait les voir s’avancer à lui disposés en troupe et armés, dan. l’intention de lui disputer son existence, de lui arracher la vie.
Ces hallucinations ne l’empêchent pas d’abord de remplir les charges qui lui sont confiées et de paraître dans le monde comme il le faisait auparavant ; elles persistent ainsi près de trente ans de sa vie, sans apporter de trouble notable dans les idées, de désordre dans les actions ; elles ne sont même pas soupçonnées par ses amis et par ses parents. Vivement affecté à la révolution de juillet 1830, le délire éclate, il remet volontairement sa bourse et sa montre à des individus de son quartier, qu’il prend pour des brigands et des assassins, à condition qu’ils cesseront de le poursuivre et de vouloir attenter à ses jours. Entré le 8 octobre 1835 dans la maison d’aliénés de Marcel-Sainte Colombe, et examiné par le docteur Vallerand-Delafosse et par moi, il se plaint d’être assailli par les mêmes voix, d’apercevoir les mêmes personnages qu’il entendait et qu’il voyait avant ce temps ; il raisonne juste sur tout ce qui n’a pas de rapport à l’objet de ses hallucinations; ses acte. sont ceux d’un homme jouissant de toute 80n intelligence ; ses organes, soigneusement interrogés, ne présentent aucun signe d’altération. On se borne pour traitement aux moyens hygiéniques et moraux : on cherche à le distraire de ses fausses perceptions par le jeu, la promenade, la conversation, la musique ; on lui fait apercevoir l’erreur de ses sensations, on cherche à dissiper ses craintes. Nous n’observons point d’abord de changement notable dans son état mental ; il, abandonne quelquefois brusquement la société au milieu de laquelle il se trouve, ainsi que ses partenaires au jeu de billard, pour aller dans la cour ou dans le jardin, répondre à l’insolence des voix qui le harcèlent, pour ébranler l’audace des individus qui le poursuivent. A la suite de quelques mois de ce traitement hygiénique et moral, les hallucinations perdent de leur fréquence et de leur intensité ; elles ne lui inspirent plus autant d’inquiétudes ; il convient même qu’il a pu se tromper, prendre des sensations illusoires pour des objet. [p. 18] réel ; mais le phénomène morbide reparaît bientôt avec la même violence que précédemment. On continue le même traitement, les hallucinations diminue de nouveau, et M. V*** sort le 19 mai 1836 de la maison de santé dans un état assez satisfaisant pour pouvoir se promener seul journellement dans Paris.
IIe OBSERVATION.
Hallucination de l’ouïe et de la vue à la suite d’un empoisonnement
par l’oxide blanc d’arsenic.
G. de la B***, ancien préfet d’A***, d’un âge mûr, d’un esprit cultivé, vivait depuis quelques années dans un village voisin de Paris, entouré d’un petit nombre d’amis, s’occupant principalement d’horticulture ; lorsqu’au mois de décembre 1836, sa domestique lui servit une omelette qui contenait deus gros d’oxide blanc d’arsenic. Tous les symptômes de l’empoisonnement, par cette substance ne tardèrent pas à se manifester ; on parvint heureusement à faire rejeter le poison en entier au moyen du vomissement, ce qui n’empêcha pas une violente inflammation de l’estomac d’éclater. Quatre jours après cet accident, il crut entendre tout à coup des voix qui lui adressaient des reproches, qui l’importunaient de leurs avis et de leurs remontrances. Il crut apercevoir en même temps des globules lumineux de différentes couleurs qui partant des deux angles de sa mâchoire, s’élevaient à la manière, des fusées volantes, et retombaient en décrivant une ligne courbe. Ces hallucinations l’importunent tellement. qu’il quitte son domicile pour s’y soustraire, pensant qu’il sera plus tranquille dans tout autre lieu. Il entre dans l’établissement Marcel-Sainte-Colombe, le 9 décembre 1836, il y est observée par le docteur Vallerand-Delafosse et moi, M. Cruveilhier l’observe également. Il présente d’abord tous les signes d’une gastrite, il se plaint d’être poursuivi par les mêmes voix, d’apercevoir les mêmes globules lumineux : on fait une application de sangsues à l’épigastre, il est soumis à la diète, aux ,boissons délayantes ; l’état de [p. 19] son estomac s’améliore sensiblement au bout de quelques jours ; mais les hallucinations persiste et semble devenir même plus fréquentes. Nous le trouvons quelquefois ayant l’oreille appliquée au trou de la serrure, aux fissures des portes ou aux parois de la muraille ; nous lui demandons le motif, il nous répond qu’il écoute les paroles qu’on lui adresse à voix basse. Ces voix lui donnent des rendez-vous dans tel ou tel endroit de la maison et ils s’y rend avec exactitude, etc. etc. Cherche-t-on à le dissuader de l’erreur de ses sensations : « Je dois donc douter répondit-il alors, de tous les objets qui tombe sous le sens ? » M. Cruveilhier lui parle un jour de la fille d’un général de ses amis, nous le voyons tout à coup changé de physionomie, il n’est plus à la conversation, il semble même ignorer la présence des personnes qui l’entourent, il balbutie quelques paroles ; on lui demande à qui il s’adresse, il répond que c’était elle, la fille du général, qu’il entendait parler. On lui donne des bains, des purgatif salins sont administré de temps à autre, ainsi que pédiluves irritants ; on cherche à le distraire, à détourner son attention trop concentrée, à faire naître des idées nouvelles au moyen de la promenade, du jeu, de la conversation, de la musique. Une ophtalmie survient à la suite d’une promenade faite au grand air, on emploie contre elle les collyres au nitrate d’argent ; on a recours plus tard à un vésicatoires à la nuque : depuis ce temps les hallucinations sont moins fréquentes et moins intense ; on entretient les ésicatoires, le malade continue d’aller tous les jours de mieux en mieux, il sort le 19 janvier 1837. Nous avons appris depuis qu’il était parfaitement guéri de ses hallucinations
IIIe OBSERVATION
Hallucination de l’ouïe à la suite d’un accès de colère.
P… j’ai de 38 ans, d’un temperament nerveux et impressionable, est pris d’un violent accès de colère au milieu d’une discussion de famille. Il est obligé le soir du même jour de monter la [p. 20] garde ; il a très-froid en faisant une patrouille. Il rentre chez lui avec un frisson, la fièvre se développe, du délire survient pendant la nuit. Il est saigné sur-le-champ, on lui fait une application de sangsue derrière les oreilles, il est soumis à la diète et aux boissons délayantes. Sa fièvre tombe deux jours après, mais un délire apyrectique lui survit. Il entre dans. l’établissement Marcel-Sainte-Colombe le 9 avril 1837. Nous l’examinons soigneusement ; nous n’observons rien du côté du cœur, de la poitrine, de l’estomac et des intestins ; seulement l’esprit du malade est en proie à des idée.mélancoliques, lugubres : il croit qu’il a été placé dans cette maison pour être empoisonné ; il s’imagine entendre, tantôt dans le jour, tantôt au milieu de la nuit, la voix de sa femme et celle de son amant, qui avisent aux moyens de se débarrasser de sa personne ; il entend ce dernier surtout, qui propose de lui enfoncer un stylet dans le crâne, etc. Il est mis au bain tous les deux jours, de l’eau de Sedlitz lui est donnée à la même distance. On le console, on le rassure, on dissipe ses craintes en le conduisant dans la chambre où il croit entendre les voix qui le menacent ; on lui démontre l’erreur de ses sensations. Au bout de quelques jours il commence à douter de l’existence des voix qu’il entend ; il finit bientôt par ne plus y croire. On continue les mêmes moyens. Aujourd’hui, 28 avril, il n’a plus d’hallucinations, il est guéri de sa mélancolie, il a repris ses occupations ordinaires. [p. 21]
PROPOSITIONS.
I.
L’isolement est la première condition du traitement des aliénés.
Il.
La saignée est avantageuse dans la manie récente et dans tous les cas d’aliénation mentale où il existe un état de pléthore générale, avec menace de congestion au cerveau.
III.
La manie guérit plus souvent que la monomanie.
IV.
La pneumonie au troisième degré est toujours mortelle.
V.
Le fer est le spécifique de la chlorose.
VI.
Les bains de mer sont un des meilleurs moyens à employer contre les scrofules.
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