Chervin. Traditions populaires relatives à la parole. Extrait de la « Revue de l’hypnotisme et la psychologie physiologique 1904-1904 », (Paris), dix-huitième année, 1903, pp. 54-62.
Claudius Chervin (1824-1896). Pédagogue et un thérapeute français. Spécialiste du bégaiement, il est le fondateur de l’Institution des bègues à Paris
Quelques publications :
— Mes récréations, poésies diverses de Claudius Chervin, monographie imprimée. 1851,
— Méthode de lecture ou Procédé pour apprendre à lire en peu de temps d’une manière conforme à la marche naturelle du langage, ouvrage approprié au goût et à l’intelligence des enfants faisant suite à l’alphabet par un ancien instituteur, (première partie), Paris, Nouvelle librairie classique Victor Sarlit. 1857.
— Guérison des bègues, prompte et radicale, sans remède ni opération, mais par l’imitation, Lyon : A. Brun. 1854.
— Les Bienfaiteurs des sourds-muets, Grenoble : Allier Frères. 1863.
— L’Asile et l’École ouverts aux Sourds-Muets par la méthode de M. le docteur Blanchet, mémoire lu à la Sorbonne dans la réunion des Sociétés savantes. 1864.
— Statistique décennale des Bègues en France, mémoire lu à la Sorbonne dans la réunion des Sociétés savantes. 1865.
— Du Bégaiement considéré comme un vice de prononciation, mémoire lu à la Sorbonne dans la réunion des Sociétés savantes. 1866.
— Etc…
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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FOLKLORE
Traditions populaires relatives à la parole
Par le Docteur Chervin.
I
Section du filet chez les enfants
Paul Sébillot (1) affirme que l’usage de couper le frein, où le suble est à peu près général dans les campagnes de la Haute Bretagne.
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Moiset (2) assure que dans l’Yonne c’est une opinion acceptée par tous, que si l’on omettait de couper le frein aux nouveau nés, l’enfant serait le muet.
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Dans le Poitou, suivant M. Desaivre (3), on s’empresse de couper le lignoux aux nouveau-nés, dès leur naissance, par ce qu’on croit qu’il empêcherait l’enfant de téter et plus tard de parler.
M. le Dr Desaivre, de Niort, m’a écrit qu’un exemple bien observé lui avait permis de constater, conformément à mes conclusions personnelles, que le développement anormal du frein ne gêne ni la succion chez le nouveau-né ni la phonation chez l’enfant. Il s’agit d’un membre sa famille qui, élevé au sein tétait fort bien et qui, plus tard homme fait, s’exprimait avec beaucoup de facilité. Cependant, il lui était impossible de tirer la langue hors de sa bouche ; c’est à peine si elle atteignait le port d’élèves. Cette langue paraissait plus courte et comme aplatie transversalement.
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M. P. Lavenot, Curé de Camors, Morbihan :
« Dans ma paroisse, le jour de leur baptême, qui est aussi le jour où le lendemain de leur naissance, tous les enfants sont présentés à une commère pour les décisions du filet de la langue. Ce filet est examiné et n’est coupé qu’à quelques-uns seulement. Si, plus tard, les autres ne pleurent pas ou ne tettent pas bien, ils sont rapportés à la commère, qui agit alors toujours et se sert de ses ciseaux de travail.
« La même chose se pratique, je crois, dans quelques autres paroisses du pays Vannetois, mais pas dans toutes. »
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Paris, 1889, dit M. le Docteur Bidault, Dans les superstitions médicales du Morvan, page 66 :
« Pour le mot fil, il y a des contradictions dans sa signification exacte. [p. 55]
Pour les uns ce mot désigne le format de la langue. Ils font couper le fil à leurs enfants. Pour les autres, le mot s’applique aux douleurs lombaires, soit en ceinture (lumbago), soit le long du tronc et du membre inférieur (sciatique). Mais ces contradictions doivent nous étonner dans une matière aussi précise que les superstitions dont nous parlons. »
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Mme Roy, sage-femme à Saint-Christophe-en-Brionnais (S.-et-Loire), a dit à M. Hippolyte Marlot que, sur 100 enfants qu’elle mettait au monde, elle faisait environ 15 fois l’opération, est toujours à la demande des parents.
Paul Helleu.
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M. Paul Fagot, le folkloriste attitrés du Lauraguais, m’a donné les renseignements linguistiques suivants :
« Le frein de la langue, lorsqu’il est à l’état normal ou un peu prolongé de manière à en paresser légèrement le fonctionnement de l’organe se nomme :
Fialet (petit fil) Bas-Langedoc
Fial Castres
Filet Castres
Fissou Environs de Villefranche (Haute-Garonne).
« En cas de soudure complète de la langue au plancher de la bouche le fil est prolongé se nomme :
Soulenghi oi soulengo de sub ligua (environs d’Alais).
Serlengo, surlengo, sabalengo de supra linguam (Lauraguais).
« L’opération a lieu avec que l’ongle du petit doigt ou avec des ciseaux ordinaires. La croyance et que cette opération facilite plus tard le bon fonctionnement de la langue, aussi dit-on d’un bavard : Liam coupat le sabalengo, ou Li an coupt le fissou.
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Mon ami le Dr Bugiel (de Paris) m’a dit avoir recueilli l’affirmation, chez les clients issus de la Vendée et de l’Ille-et-Vilaine, que c’est une coutume très répandue de couper le frein dès la naissance.
Il m’a confirmé qu’à Paris, les sages femmes le font couramment aussi.
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Notre savant collègue, le Dr Fliessinger, d’Oyonnax, dit dans la Thérapeutique des vieux maître, en parlant de Fabrice d’Aquapendente (1537-1619) :
« Des ongles non taillés par devoir professionnel, on voyait cela au XVIe siècle. Les sages-femmes du temps avaient charge de montrer cette curiosité, l’ongle de l’index surtout. Plus long et pointu était-il, mieux l’usage en apparaissait approprié. Car c’était un instrument de chirurgie, une façon de bistouri corné, cet ongle que les oiseaux n’entamaient pas. [p. 56] il ne servait à rien moins qu’a déchirer le filet de la langue chez les nouveau-nés. Que des accidents graves fissent suite à cette intervention la sérénité des matrones ne s’en émouvait guère : on leur avait prescrit de déchirer le filet. Quand on opère suivant les règles, on peut laisser mourir les gens. La satisfaction du devoir accompli permet de se retirer tête haute.
« Non pas, protesta Fabrice d’Aquapendent. D’abord il n’est pas nécessaire de couper le filet, et l’opération, par exception, devint-elle indispensable, elle serait pratiquée avec un historique courbe.
« Ce médecin, qui ne craignait pas de déchaîner contre lui l’amour-propre des matrones, était professeur à Padoue, où il avait remplacé Fallope en 1565.
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Le Docteur Hofler, de Tolz (Bavière), le très savant traditionnaliste de la médecine populaire, m’a fait l’honneur de m’écrire à ce sujet et de publier dans Monatschrift für Volkkunde du Dr Krause un très intéressant article sur mon questionnaire.
Le Docteur Hofler, m’a confirmé que l’opération de la section du frein se fait également en Bavière, chez les nouveau-nés par le ministère des médecins, en suivant le procédé classique.
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M. Natchoff, Directeur du Gymnase des Demoiselles à Varna (Belgique) m’a envoyé les très intéressants renseignements qui suivent ;
La coutume de couper le frein (1) est universellement répandue en Bulgarie, chez les nouveau-nés, chez les enfants et même chez les adultes.
Dès qu’un enfant vient au monde, les matrones ont soin d’examiner si la langue est bien constituée, tant au point de vue de la succion que de la parole future.
A Krouchovo (Vilayet de Monastir, Macédoine), si l’enfant pleure trop, la matrone examine avant tout sa langue, et si elle pense que la foi est trop long, elle ne cherche pas ailleurs la cause des pleurs, l’opération est faite. L’opération a lieu également lorsque l’enfant tète mal.
Dans la Bulgarie centrale, d’après ethnographe bulgare bien connu, M. Tsani Guintcheff, l’opération n’a lieu que si l’enfant tète mal.
On s’abstient alors même qu’il serait KASSOIÉZTCHNO, c’est-à-dire à la langue courte, ou PODWARDZANO, c’est-à-dire à la langue liée. Mais en grandissant, s’il parle avec difficulté, on l’opère. L’opération, en somme, est redoutée à cause des suites fâcheuses qu’elle paraît avoir.
A Prilep, lorsque l’opération n’a pas donné chez les bègues un bon résultat, on la renouvelle plusieurs fois. [p. 57]
L’opération est faite le plus souvent par des matrones, mais si elles n’ont pas suffisamment d’expérience, ce sont d’autres vieilles femmes, spécialistes dans l’art de couper les freins de la langue, qui s’en chargent (Gavrovo, Bulgarie centrale) ; Kronchovo, Prilep ; Malko-Tirvono, Vilayet d’Andrinople).
D’après le Dr Radeff, de Varna, les médecins ne font l’opération chez les nouveau-nés que lorsque les parents l’exigent. Dans ce cas, ils se servent, comme partout, de la sonde cannelée et des ciseaux courbent.
L’opération se fait le plus souvent avec une vieille monnaie d’argent (2) mince et usée, dont la circonférence est rendue tranchante par un aiguisage prolongé sur une pierre dure.
A Grabovo, C’est le barbier qui fait l’opération sur les enfants et il se sert naturellement de son rasoir.
A Prilep Et dans la Bulgarie centrale on se sert de petits ciseaux ou d’une aiguille de pelletier à 3 arêtes, comme le conseillait jadis Avicenne ; le frein est sectionné à l’aide de l’aiguille préalablement introduite entre la langue et le frein.
Après l’opération, l’appelait quelquefois recouverte de cendres de coquillages, de moules, pour aider à la cicatrisation.
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En Pologne d’après Mme Sophie Kowerska, de Jozwow, qui a bien voulu répondre à mon questionnaire, on coupe le frein de la langue aux enfants qui ne peuvent têter, qui le font avec difficulté ou qui ne prononcent pas indistinctement.
L’opération est généralement exécutée par une sage-femme ou un barbier, qui est ordinairement un juif. On soulève la langue avec une petite cuillère et on coupe le frein avec des ciseaux, un couteau bien aiguisé, ou avec un rasoir. Mais, dans ce cas, pour ne pas risquer de faire une coupure trop profonde, on entoure de toile allant du rasoir en ne laissant que le bout a découvert.
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Swicteck dit (3) que si un enfant est venu au monde avec un frein développé, on le couple avec des ciseaux et on oint la plaie avec de l’huile pure.
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Mon ami M. Th. Volkov ma dit que, dans sa jeunesse, l’usage de couper le frein de la langue était très fréquent dans la petite Russie, mais seulement dans les classes supérieures de la société. M.Volkov n’a jamais lu et entendu dire que cette opération fut pratiquée dans les villages chez les paysans.
C’est également l’opinion de feu M. Dikarev, l’ethnographe petit russien bien connu, qui, questionné par M. Volkov, lui a dit que l’usage de couper le frein est très commun, mais seulement dans les familles du [p. 58] clergé, de la petite noblesse et des marchands. Ce sont les médecins, les chirurgiens ou les sages-femmes qui font l’opération.
Mlle Alex. Rammelmeler Readiris par contre, à M. Volkov que l’usage de couper le frein est répandu dans toute la Lithuanie et dans toutes les classes de la société.
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M. Wissendorff, De Saint-Pétersbourg, dit que les Lettes ne pratiquent pas la section du frein de la langue.
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M. Thomas-Pires d’Elva, Portugal, m’a dit que la section du frein se fait, à la naissance par les sages-femmes avec l’ongle du pouce, qu’elle laisse croître à cet effet.
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M. Delacovios dit qu’en Grèce, on ne coupe pas le frein aux nouveau-nés, mais seulement à l’âge de deux ou trois ans lorsqu’ils ne parlent pas.
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Miss Marian Roalfe Cox, de Londres, me dit tenir de sa mère qu’il est en usage, dans les villages, que les matrones couplent le filet aux enfants qui tettent mal.
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M. Corrado Avolio, de Noto (Sicile), m’a envoyé les renseignements suivants :
« L’opération de couper le frein de la langue se fait rarement dans nos environs, c’est le chirurgien qui l’exécutent dans la première jeunesse lorsque le frein est un obstacle à téter.
« Dans les couches profondes des superstitions populaires, on croit que couper le frein sans nécessité cette offenser saint-Paul, lequel a voulu donner à l’enfant une marque de sa bonté, en lui plaçant sous la langue de tarentule, par ce que le peuple voit dans les rameaux veineux une araignée et on pense que saint-Paul veut en faire un sorcier (ciaràuli (4) en dialecte napolitain).
Les ciaràuli, suivant la croyance populaire, ont tous une tarentules à la place du frein et jouissent de certaines immunités : le Léman sur deux serpents et d’autres animaux venimeux ne leur font aucun mal, ils peuvent rendre ces animaux inoffensifs, ils devinent l’avenir, chassent les démons et éloigne les fléaux de la terre et, par mille le procédés mystérieux, ils vivent aux dépens de l’ignorance et de la superstition du peuple ».
Corrado s’est occupé de ces parasites sociaux dans son livre Chant populaire de Noto, p. 345, 365 à 366.
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