Charles Dufay. La vision mentale ou double vue dans le somnambulisme provoqué et dans le somnambulisme spontané. Extrait de la « Revue Philosophique de la France et de l’Étranger », (Paris), quatorizième année, tome XXVII, janvier-juin 1889, pp. 205-224.
Jean François Charles Dufay (1815-1898). Médecin et homme politique. – Maire de Blois en 1871, député et membre du Conseil général du Loir et Cher en 1877. S’est spécialisé dans l’hydrothérapie. Quelques publications :
— Des Indications et des effets du traitement hydrothérapique, mémoire présenté à la Société médicale d’Indre-et-Loire (séance du 7 avril 1864). Blois, impr. de Lecesne , 1864. 1 vol. in-8° , 28 p.
— Eaux minérales ferrugineuses iodées de Saint-Denis-lez-Blois (Loir-et-Cher). Établissement hydrothérapique. Compte-rendu médical, année 1862. Blois, impr. de Lecesne , 1863. 1 vol. in-8° , 15 p.
— Lettre médicale sur l’hydrothérapie. Blois, impr. de Lecesne , 1862. 1 vol. in-8°, 14 p.
— Charles Dufay. La notion de la personnalité. Extrait de la « Revue Scientifique », (Paris), deuxième série, tome XI, tome XVIII de la collection, 6e année, 1er semestre, juillet à janvier 1876, pp. 69-71. [en ligne sur notre site]
— Contribution à l’étude du somnambulisme provoqué à distance à l’insu du sujet. Extrait de la « Revue Philosophique de la France et de l’Étranger », (Paris), treizième année, tome XXVI, juillet à décembre 1888, pp. 301-312. [en ligne sur notre site]
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyer les notes de bas de page de l’article originale fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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LA VISION MENTALE OU DOUBLE VUE
DANS LE SOMNAMBULISME PROVOQUE ET DANS LE SOMNAMBULISME SPONTANÉ (1)
A propos de ma précédente communication à la Société de psychologie physiologique (2) sur le Somnambulisme provoqué à distance et à l’insu du sujet, j’ai reçu plusieurs lettres, dont quelques-unes de personnes incompétentes — dont je n’ai pas à m’occuper — et d’autres fort intéressantes, parmi lesquelles j’en trouve une de M. le professeur Azam, dont le sujet me servira de transition pour arriver au chapitre le plus scabreux du somnambulisme, à ce qu’on a appelé la double vue, qu’il vaudrait mieux nommer vision mentale, comme l’a fait, si je ne me trompe, M. Alfred Maury, car l’organe physiologique de la vue ne prend aucune part à ce phénomène.
Mes observations personnelles à ce sujet datent de la même époque que celles des cas de sommeil provoqué à distance. J’ai eu occasion, il y a une douzaine d’années, d’en entretenir M. Victor Meunier, le savant chroniqueur du Rappel, à qui je disais que je n’oserais jamais révéler publiquement ce dont j’avais été témoin. « Vous y viendrez, me répondit-il ; ce que nous croyons être la vérité nous échappe un jour ou l’autre. »
Cette prophétie s’accomplit aujourd’hui.
I
M. le Dr Azam, après avoir lu mon mémoire dans la Revue philosophique du 1er septembre dernier, m’écrit :
« J’ai vu, et beaucoup de médecins, je crois, ont vu comme moi, des faits de cette nature, ou qui en approchent. J’en citerai deux, pour [p. 206] lesquels je crois avoir pris, afin de m’assurer de leur certitude, toutes les précautions indispensables.
« 1° Vers 1853 ou 1854, j’avais dans ma clientèle une jeune femme hystérique confirmée ; rien de plus facile que de l’endormir par un procédé quelconque ; je crois pouvoir dire qu’en lui tenant la main je lui transmettais des pensées non exprimées par la parole, mais, dans cet ordre d’idées, l’erreur ou la fraude étant possibles, je n’insiste pas.
« Mais la transmission par le seul contact de la main d’une sensation déterminée me paraît absolument certaine ; voici comment j’ai procédé ayant endormi la jeune femme, et m’étant assis à son côté pour me garer de toute fraude, je me mouchai en me penchant près d’elle et laissai tomber mon mouchoir derrière sa chaise alors, me baissant pour le ramasser, j’introduisis prestement dans ma bouche une pincée de sel de cuisine que j’avais, au préalable et à son insu, placée dans la poche droite de mon gilet. Le sel de cuisine étant absolument inodore, il était matériellement impossible que le sujet sût que j’en avais mis dans ma bouche. Or, aussitôt relevé, je voyais le visage de la jeune femme exprimer le dégoût et des mouvements des lèvres se produire « C’est bien mauvais, disait-elle, pourquoi m’avez-vous mis du sel dans la bouche (3) ? »
« J’ai répété plusieurs fois cette expérience avec d’autres corps inodores elle a toujours réussi. Je ne cite que ce fait parce que je le regarde comme certain. Il en ressort que, dans certaines circonstances, il peut v avoir, par l’intermédiaire de la main, transmission d’une sensation déterminée de l’endormeur à l’endormi. Ce n’est pas à distance, et par la seule force de la volonté, comme pour les faits que vous citez, mais c’est presque cela.
2° Un jour, vers 1878 ou 1879, mon vieil ami le Dr M., médecin considérable, membre de l’Académie de médecine de Paris, et le Dr M., dont le caractère et le savoir ont une légitime autorité en médecine légale, me rendirent témoin, dans le jardin de leur maison de santé de Paris, d’expériences qui m’ont vivement frappé ; l’une d’elles est particulièrement restée dans mon souvenir. « Le sujet était un jeune ouvrier, qui a eu, je le dis en passant, quelque célébrité, près d’être condamné en police correctionnelle, pour un prétendu attentat à la pudeur. MM. M. et M. prouvèrent aux juges qu’il était inconscient, ayant agi pendant un accès de somnambulisme spontané, et il fut acquitté. Mais je n’insiste pas ; vous connaissez ce fait, gros de conséquences pour la médecine légale (4).
« Ce jeune homme mis en état de somnambulisme par M. M., nous fîmes diverses expériences qui ne m’ont pas laissé un souvenir assez précis pour que j’en puisse parler; une seule est restée nettement imprimée dans ma mémoire ; la voici : [p. 207]
« Nous faisions nos expériences dans un pavillon très isolé, situé à l’extrémité d’un vaste jardin sillonné de nombreuses allées ; or, nous étions convenus entre nous, à l’avance et absolument en dehors du jeune homme, que nous le ferions promener dans le jardin et qu’à un point d’une allée que nous avions remarqué d’après la disposition de quelques feuilles tombées, le sujet, circulant librement partout, serait arrêté par un obstacle imaginaire infranchissable.
« M. M., seul en communication avec lui, devait lui imposer, mentalement et à distance, l’ordre de cet arrêt. Tout se passa comme il était décidé appelé par M. M., notre sujet suivant l’allée convenue a été subitement arrêté, comme par un mur. M. M., insistant dans son appel, la physionomie du sujet exprime l’angoisse et la colère : « Je ne peux pas, je ne peux pas passer », dit-il, d’un air désespéré.
« Je sais, mon cher confrère, que les passionnés dans les questions de magnétisme ou d’hypnotisme ne verront dans ce fait rien que de fort ordinaire; pour moi il est considérable, car les précautions prises, l’honorabilité et la compétence des témoins, et le seul but scientifique poursuivi, éloignent absolument l’idée d’une illusion ou d’une tromperie. Nos confrères et moi, familiers tous trois avec les hystériques, savons nous en méfier, et, dans les questions de cet ordre, demeurer plutôt en deçà qu’au delà de la vérité.
« Il serait donc possible, d’après les deux faits précédents, — je ne vise que ceux-là, — qu’un individu étant dans le somnambulisme provoqué, puisse éprouver une sensation déterminée, ressentie par la personne qui l’a endormi, et à lui communiquée seulement par la pensée. Comment le contact de la main pourrait-il indiquer le goût du sel, à moins de conventions préalables ?
« Il est possible aussi que cet individu puisse obéir à un ordre déterminé, à lui intimé à distance par une volonté non exprimée nous l’avons vu tout à l’heure.
« Je ne développerai pas ici toutes les réflexions qui me viennent à l’esprit à ce sujet; une lettre ne s’y prête pas ; cependant je ne puis me dispenser de rapprocher ces faits de ceux que vous citez et d’en faire quelques-unes.
« Le fait de communication à distance entre deux individus, sans l’emploi des moyens usités, leur est commun ; mais dans ceux que vous rapportez la distance est beaucoup plus grande et il n’y a eu nul intermédiaire appréciable. En fait, cette distance est toute la question et suppose une force ; on me dira que c’est la force neurique… ; donnons-lui le nom qu’on voudra, il n’est pas moins certain qu’elle existe. Si extraordinaire qu’elle soit, elle a des analogues que nous n’expliquons pas mieux. Le principal de ces analogues est l’aimant; il agit à distance au travers d’intermédiaires qui arrêtent nombre d’autres forces l’aiguille aimantée, attirée par une puissance formidable et inaccessible à nos sens, tourne toujours dans la même direction, et son inclinaison et sa déclinaison indiquent un centre d’attraction gigantesque. Expliquons-nous [p. 208] sérieusement ces phénomènes ? Nullement ; pas mieux, je le répète, que nous ne pouvons expliquer les faits que j’ai rapportés.
« Est-ce à dire qu’il ne viendra pas un temps où ces questions seront approfondies ? Je crois fermement que ce temps viendra, mais nous ne le verrons pas. — Dr AZAM. »
*
* *
Personne ne doutera des faits observés par mon très honoré confrère de Bordeaux. C’est à peine s’ils étonneront ceux qui connaissent l’histoire du magnétisme ou somnambulisme provoqué et sont au courant des progrès modernes.
Ceux que je vais citer à mon tour seront-ils accueillis avec la même confiance ? Je commence par déclarer que le contraire ne m’étonnerait ni ne me blesserait, car si je n’avais pas vu, — de mes yeux vu, — je ne sais pas si je croirais. Avant d’entrer en matière, peut-être ferai-je bien de raconter un épisode qui montrera combien j’étais peu disposé à la crédulité. Le voici en quelques lignes :
Avant de quitter Paris, en i845, j’eus la curiosité d’aller consulter quelques somnambules, dites lucides, en grande réputation à cette époque. J’avais pour compagnon de chambre un singe qui me permit de lui couper une mèche de poils sous le ventre et qui parut s’intéresser beaucoup au soin qu’il me voyait prendre pour mettre sous double enveloppe cette minime portion de sa personne, tout en m’interrogeant d’un regard un peu inquiet.
La première marchande de consultations à qui je remis d’un air naïf mon petit paquet le retourna entre ses doigts, le palpa dans tous les sens, et me révéla — non sans ménagements pour ma sensibilité — « que ma grand’mère, à qui appartenait cette mèche de cheveux blancs, était atteinte d’un cancer du foie, affection assez grave, mais qui guérirait cependant à la longue, si elle suivait le traitement qu’elle allait prescrire ». Je gardai mon sérieux pendant que le barnum rédigeait, sous la dictée de la dame, une consultation trop stupide pour que j’aie songé à la conserver.
Pour une autre somnambule extra-lucide, c’était encore une mèche de cheveux, « coupée sur une tête qui m’était chère, mais en qui je ne devais pas avoir confiance ».
De même pour une troisième, qui me fit une description anatomique on ne peut plus fantaisiste des organes malades chez la personne à qui appartenaient ces cheveux, etc.. etc. J’étais donc mal préparé à gober les tours de passe-passe des artistes extra-lucides.
Ceci posé, j’entre en matière.
II
Une seule des somnambules que j’ai eu occasion d’observer était douée de la vision mentale ou double vue; c’était la servante de mon confrère [p. 209] Girault, d’Onzain (Loir-et-Cher), celle dont j’ai raconté déjà la mésaventure alors qu’elle fut accusée de vol et emprisonnée, tandis qu’elle avait, en état de somnambulisme spontané, changé de place les bijoux de sa nouvelle maîtresse, afin précisément de les mettre plus à l’abri des voleurs, précaution dont elle n’avait nul souvenir à l’état de veille. Le Dr Girault m’avait plusieurs fois rendu témoin d’expériences très curieuses sur cette fille, qu’il magnétisait à peu près tous les jours. Lorsqu’il était appelé à la campagne, il endormait Marie avant de partir et la questionnait sur l’état du malade qu’il allait visiter, de sorte que, disait-il, il savait positivement — mettons seulement approximativement — quels médicaments il devait emporter.
Je m’empresse de déclarer que je n’ai jamais été à même de vérifier la clairvoyance de Marie dans ces cas de diagnostic à distance, ou même de près ; ce que j’ai vu je vais le dire.
Le 15 juin 1855, j’étais en visite dans le voisinage d’Onzain (à la Varenne, 16 kilomètres de Blois), chez un client dont la fille était sur le point de se marier. On venait de parler de l’Egérie de M. Girault, quand tout à coup Mlle de S., charmante créole de la Réunion, dont la famille est bien connue de mon confrère de Mahy, — depuis mon collègue à la Chambre des députés, — me saisit les deux mains et m’entraîne dans un coin du salon, me suppliant d’aller chercher la fameuse somnambule, qu’elle a le plus grand désir d’interroger sur le caractère intime de son futur. Je me prêtai, comme on le pense bien, à ce caprice enfantin, et, une heure après, je revenais avec le Dr Girault et sa servante.
Endormie par quelques passes, Marie fut mise en rapport avec Mlle de S., et les assistants se tinrent à distance, par discrétion, suivant le désir de la jeune consultante, qui voulait être seule à connaître les révélations de la Pythonisse.
Pour ma part, d’ailleurs, je n’attachais pas un grand intérêt scientifique à ce colloque très animé, doutant beaucoup de la réalité du phénomène attendu, et soupçonnant Marie de jouer un rôle aimable vis-à-vis de Mlle de S., en lui faisant un portrait enchanteur de l’absent. Celle-ci, en effet, était dans le ravissement, frappant des pieds et des mains, et riant aux éclats…
Puis, avec la rapidité de l’éclair, la comédie se transforma en drame la pauvre somnambule fut prise d’étouffements, ses larmes coulèrent à flots, une sueur froide mouilla son front, et elle appela M. Girault à son secours.
« Qu’avez-vous donc, Marie ?… D’où souffrez-vous, ma fille ?
— Ah ! monsieur. Ah ! monsieur. Quelle horreur ! Le voilà mort !
— Qui donc est mort ? Est-ce un de mes malades ?
— Le fils au père Limoges, le cordier,… vous savez-bien… En Crimée… Il vient de mourir. Pauvres gens ! Pauvres gens !
— Voyons, voyons, mon enfant, remettez-vous ; c’est sans doute un rêve, un mauvais rêve que vous avez fait. [p. 210]
— Un rêve ! Mais je ne dors pas (c’est la prétention de tous les somnambules). Je le vois. Il vient de rendre le dernier soupir. Pauvre garçon ! Voyez-le. »
Et ses yeux se portaient vers un point de l’appartement qu’elle désignait de la main. Elle voulait fuir, mais, à peine soulevée de sa chaise, elle retombait, ses jambes ne pouvant la porter.
Le calme fut longtemps à se produire et, lorsque M. Girault eut réveillé Marie, elle était encore en proie à un grand malaise, qu’elle attribuait à une mauvaise digestion, n’ayant aucun souvenir de ce qui s’était passé.
A quel propos avait-elle pensé tout à coup au jeune soldat ? On savait dans le bourg que le père était inquiet ; il n’avait pas de nouvelles de son fils. S’en préoccupait-elle par sympathie pour la famille, ou par suite d’un sentiment plus tendre que l’idée du mariage de Mlle de S. aurait ravivé en elle à ce moment ?
Quoi qu’il en soit, le père Limoges fut avisé quelque temps après de la mort de son fils qui avait eu lieu à Dalmate (était-ce le nom d’une ambulance française ?) près de Constantinople, le 15 juin 1855, c’est-à-dire le jour même où Marie en avait eu la vision.
Cela rappelle le récit de Grégoire de Tours, d’après lequel saint Ambroise s’étant endormi en disant la messe dans l’église de Milan, rêva que saint Martin venait de mourir à Tours, ce qui arriva précisément ce jour-là, et à l’heure de la messe.
*
* *
A quelque temps de là, je reçus la visite du Dr Girault, qui venait me parler de sa parente, Mme D., que je soignais à ce moment. Il venait de la voir, l’avait trouvée convalescente et lui avait conseillé la distraction. Mais Mme D. ne pouvait encore quitter son fauteuil. « Il n’y a qu’une chose qui pourrait me distraire, lui avait-elle dit, c’est que vous ameniez ici votre somnambule et que vous nous rendiez témoins de ces phénomènes incroyables que vous racontez toujours, mais que nous ne voyons jamais. J’inviterai quelques amies aussi incrédules que moi, je vous en avertis. » Mon confrère avait promis et venait me prier, afin qu’on ne pût soupçonner une scène préparée entre lui et sa servante, d’arranger moi-même le programme de la séance, en enveloppant, par exemple, divers objets de manière à en dissimuler la nature, et sans les lui faire connaître à lui-même. Ces petits paquets seraient présentés à la somnambule qui devrait découvrir ce qu’ils contenaient. La chose fut convenue et le journée.
Je venais de mettre de côté quelques objets d’un usage peu ordinaire afin que le hasard servît moins notre voyante, lorsque m’arriva d’Algérie une lettre d’un chef de bataillon d’infanterie que j’avais connu en garnison à Blois. Le commandant me racontait divers épisodes de sa vie au désert et me parlait surtout de sa santé, qui venait [p. 211] d’être très éprouvée. Il avait couché sous la tente pendant la saison des pluies, ce qui avait déterminé chez lui, comme chez la plupart de ses camarades, une dysenterie violente.
Je plaçai cette lettre dans une première enveloppe sans adresse ni timbre de poste, et en collai soigneusement les bords ; puis j’introduisis le tout dans une seconde enveloppe, de couleur foncée, et fermée comme la première.
Au jour dit, j’arrivai chez Mme D., un peu en retard. Déjà Marie était endormie elle ignora donc ma présence, sachant seulement que je devais venir. Les dix ou douze personnes réunies dans le salon de Mme D. étaient dans la stupéfaction de ce qu’elles venaient de voir, la somnambule ayant reconnu sans se tromper le contenu de plusieurs paquets préparés par elles-mêmes, comme je l’avais fait de mon côté ; mais je laissai les miens dans ma poche afin d’éviter la monotonie des expériences, me bornant à glisser ma lettre dans la main d’une des assistantes, en lui faisant signe de la faire passer jusqu’à M. Girault. Celui-ci la reçut sans savoir qu’elle venait de moi, et la remit entre les mains de Marie.
Je n’ai pas noté si ses yeux étaient ouverts ou fermés, mais cela n’avait, on le conçoit, aucune importance en pareil cas.
« Qu’est-ce que vous avez dans la main ? demanda le Dr Girault.
— Une lettre.
— A qui a-t-elle été adressée ?
— A M. Dufay.
— Par qui ?
— Par un monsieur militaire que je ne connais pas.
— De quoi parle-t-il dans sa lettre, ce monsieur militaire. Il est malade ; il parle de sa maladie.
— Est-ce une maladie que vous pourriez nommer ?
— Oh oui, très bien ; c’est comme celle du vieux boissier de Mesland, qui n’est pas encore arrêtée…
— Très bien, très bien, je compreuds, la dysenterie. Écoutez, Marie, je crois que vous feriez grand plaisir à M. Dufay si vous alliez voir son ami l’officier, pour lui en rapporter des nouvelles certaines.
—Oh, il est trop loin… Ce serait un long voyage.
— Eh bien, partez sans perdre de temps. Nous vous attendons.
— (Après un long silence.) Je ne peux pas continuer ma route… Il y a de l’eau, beaucoup d’eau.
— Et vous ne voyez pas de pont ?
— Bien sûr qu’il n’y a pas de pont.
— Il y a peut-être un bateau pour traverser, comme entre Onzain et Chaumont ? (Le pont de Chaumont sur la Loire n’était pas encore construit.)
— Des bateaux, oui ; mais cette Loire-là me fait grand peur une vraie inondation !
— Allons, allons, du courage, et embarquez-vous. (Silence prolongé. [p. 212] Agitation. Pâleur du visage. Quelques causées.) Êtes-vous bientôt arrivée ?
— J’arrive, mais j’ai été bien fatiguée, et je ne vois personne au bord de l’eau.
— Débarquez et avancez ; vous finirez par rencontrer quelqu’un.
— Voilà, voilà.., j’aperçois du monde…, rien que des femmes en blanc. Ah ! mais non, au contraire, ils ont tous de la barbe.
— Eh bien ! abordez-les et priez-les de vous indiquer où vous trouverez le monsieur militaire.
— (Après un silence.) Ils ne parlent pas comme nous ; il a fallu que j’attende qu’on appelle un petit garçon à calotte rouge, avec qui j’ai pu m’entendre. Il m’a conduite lui-même, et pas vite, parce que nous marchions dans du sable.
— Et le monsieur ?
— Le voilà. Il a un pantalon rouge et une casquette d’officier. Mais qu’il a mauvaise mine et qu’il est maigre ! C’est malheureux qu’il n’ait pas pris de votre médecine (5).
— Vous dit-il ce qui a causé sa maladie ?
— Oui, il me montre son lit, trois planches sur des piquets, au-dessus d’un sable humide.
— Allons, merci, conseillez-lui d’aller à l’hôpital où il sera mieux couché, et revenez à Blois.
— (Avec grande animation.) Il est bien temps que j’arrive, car vous ne vous apercevez pas que l’aubergiste donne à son cheval l’avoine que nous avons apportée pour Bichette (6). »
Je priai alors mon confrère d’ouvrir la lettre et d’en donner lecture. Ce n’est pas lui qui fut le moins stupéfait de la société le succès avait dépassé ses espérances.
On ne peut pas dire que Marie avait lu dans sa pensée à lui qui ignorait le contenu de la lettre. (Il a soupçonné, nous dit-il, plus tard, qu’elle venait d’Alger, lorsque la somnambule a eu des nausées.) Dira-t-on qu’elle avait vu ma pensée à moi, avec qui d’ailleurs elle n’avait pas été mise en rapport, ayant seulement entendu dire que je devais venir à cette séance, où elle ne me vit pas avant d’être magnétisée ? Combien inutiles paraîtront maintenant ces précautions minutieuses d’un bandeau bien adhérent sur les yeux des somnambules véritables dont il s’agit de mettre la lucidité à l’épreuve.
Était-il même nécessaire que Marie eût entre les mains la lettre mystérieuse ? N’en eût-elle pas lu, ou plutôt senti le contenu tout aussi bien si cette lettre eût été dans ma poche, ou même chez moi, sur mon bureau, ou ailleurs ?
Voilà des expériences à faire. Mais continuons. [p. 213]
C’est à la prison de Blois que nous retrouvons Marie, dans les circonstances que j’ai déjà fait connaître. Par suite des formalités judiciaires, les portes ne s’étaient pas ouvertes pour elle le jour même où son innocence avait été constatée. Le lendemain, on était venu me chercher de grand matin à l’occasion d’un suicide qui venait d’avoir lieu. Un détenu, accusé d’assassinat, s’était étranglé avec sa cravate dont il avait attaché l’une des extrémités au pied de son lit fixé dans le sol. Couché à plat ventre sur la dalle du cachot, il avait eu le courage de se pousser en arrière avec les mains jusqu’à ce que le nœud coulant de la cravate eût produit la strangulation. Le corps était déjà froid lorsque j’arrivai, en même temps que le procureur et le juge d’instruction.
Le procureur, à qui le juge d’instruction avait raconté la scène de somnambulisme de la veille, manifesta le désir de voir Marie, et je lui proposai de profiter de ce qui venait d’arriver pour interroger cette fille sur le criminel qui s’était fait justice lui-même. Les magistrats acceptèrent avec empressement ma proposition. Je coupai un morceau de la cravate et l’enveloppai de plusieurs feuilles de papier que je ficelai fortement.
Arrivés au quartier des femmes, qui venaient de descendre du dortoir, nous priâmes la sœur gardienne de mettre son cabinet à notre disposition je fis signe à Marie de nous suivre, sans lui dire un seul mot, et je l’endormis par une simple application de la main sur le front. Je tirai alors de ma poche le paquet préparé et le lui mis entre les mains.
Au même instant, la pauvre fille bondit sur sa chaise et rejeta au loin avec horreur ce paquet, criant avec colère qu’elle ne voulait pas « toucher à cela ». Or, on sait que dans les prisons les suicides sont tenus secrets le plus longtemps possible ; rien n’avait encore transpiré dans l’intérieur de l’établissement du drame qui venait de s’accomplir; la religieuse elle-même l’ignorait.
« Qu’est-ce que vous croyez donc que ce papier renferme ? demandai-je, quand le calme fut un peu revenu.
— C’est quelque chose qui a servi à tuer un homme.
— Un couteau peut-être ? ou un pistolet ?
— Non, non, une corde…, je vois…, je vois…, c’est une cravate.. ;. il s’est pendu… Mais, faites donc asseoir le monsieur qui est derrière moi, car il tremble si fort que ses jambes ne peuvent plus le porter. (C’était l’un des deux magistrats qui était si ému de ce qu’il voyait qu’il tremblait, en effet, de tous ses membres.)
— Pourriez-vous dire où cet événement s’est passé ?
— Ici même, vous le savez bien. C’est un prisonnier.
— Et pourquoi était-il en prison ?
— Pour avoir assassiné un homme qui lui avait demandé à monter dans sa charrette.
— Comment l’avait-il tué ? [p. 214]
— A coups de gouet. »
On nomme ainsi dans le Loir-et-Cher une sorte de hachette à manche court, à lame large et allongée, recourbée en bec de perroquet à son extrémité. C’est un instrument très employé à la campagne, surtout par les tonneliers et les bûcherons. Et c’était, en effet, un gouet que j’avais désigné dans mon rapport médico-légal comme étant probablement l’arme dont le meurtrier s’était servi.
Jusqu’ici les réponses de Marie ne nous avaient rien appris que nous ne sussions à l’avance. A ce moment le juge d’instruction me tira à l’écart et me souffla à l’oreille que le gouet n’avait pas été retrouvé. « Et qu’a-t-il fait de son gouet ? demandai-je.
— Ce qu’il en a fait ?… attendez…, il l’a jeté dans une mare…, je le vois très bien au fond de l’eau. »
Et elle indiqua assez exactement le lieu où se trouvait cette mare pour qu’on pût y faire des recherches le jour même, en présence d’un brigadier de gendarmerie, et y découvrir l’instrument du crime. Nous n’avons connu ce résultat que dans la soirée, mais déjà le scepticisme des magistrats était fort ébranlé. Je leur demandai s’ils voulaient mettre à profit la lucidité de notre somnambule pour éclairer l’instruction de certaines affaires obscures ils refusèrent, trouvant déloyal d’employer un moyen de recherche qui ne serait pas à la disposition de la défense. Ce scrupule, honorable à première vue, me sembla exagéré cependant, car l’intervention de la somnambule pouvait aussi bien conduire à reconnaître un innocent qu’à découvrir un coupable. Quoi qu’il en soit, pour satisfaire leur curiosité, je priai la sœur d’aller emprunter à quelques-unes des condamnées un petit objet leur appartenant, comme une bague, une boucle d’oreille. et d’en faire des paquets dissimulant bien la forme de l’objet. Elle s’y prêta avec intelligence, quoiqu’elle ne .vît pas d’un bon œil ces pratiques qui lui semblaient couvre de Satan. Et Marie nous fit le récit exact des faits qui avaient motivé la condamnation de chacune des détenues. Cette fille a quitté le pays. J’ai entendu dire qu’elle s’était mariée. Il serait intéressant de savoir si elle est encore — dois-je écrire douée ou affligée ? — de somnambulisme, spontané ou provoqué, et si ses enfants ont hérité de cette névrose.
III
Les faits de vision mentale — ou double vue, ou lucidité magnétique — que je viens de rapporter se sont passés dans l’état de somnambulisme provoqué ; ceux qui vont suivre ont été observés dans des accès de somnambulisme spontané.
Un de mes concitoyens, M. Badaire, ancien directeur d’école normale, à Guéret d’abord, puis à Blois, ayant lu dans un journal un extrait de ma communication à la Société de psychologie physiologique, est venu dernièrement me dire que lui aussi avait connu un somnambule [p. 215] bien extraordinaire c’était un des élèves-maîtres de l’école de Guéret qui, presque chaque soir, après une heure ou deux de sommeil normal, entrait en somnambulisme et exécutait en cet état des actes qui excitaient la stupéfaction de ses professeurs et de ses camarades, actes dont un certain nombre d’habitants de la ville ont été, sur leur demande, rendus témoins.
M. le Dr Cressant, médecin de l’établissement, s’est fort intéressé à cet élève et avait prié le directeur de lui rédiger à son sujet un rapport qu’il se proposait d’adresser à l’Académie des sciences. M. Badaire (7) a eu l’obligeance de me copier ce rapport sur son registre de correspondance, et je ne saurais mieux faire que de le mettre in extenso sous les yeux de la Société.
« Guéret, le 5 février 1860.
« Monsieur le Docteur,
« Conformément au désir que vous m’en avez exprimé, j’ai l’honneur de vous adresser une note sommaire de quelques-uns des phénomènes de somnambulisme naturel que nous avons eu lieu d’observer chez le jeune Janicaud Théophile, élève-maître à l’école normale de la Creuse.
« D’après les renseignements qui m’ont été fournis par M. Simonet, son beau-frère, maître adjoint à l’école normale, Janicaud aurait éprouvé vers l’âge de huit à dix ans des accès assez fréquents de somnambulisme. Depuis cette époque les accès cessèrent à peu près complètement jusqu’à l’âge de dix-neuf ans.
« Pendant la première année de son séjour à l’école normale, nous n’avons, en effet, rien remarqué chez cet élève qui méritât de fixer notre attention d’une manière particulière. Mais, à l’époque des grandes chaleurs qui eurent lieu durant les mois de juin et juillet 1859, l’état du jeune Janicaud changea subitement, et les accès de somnambulisme se succédèrent chez lui chaque nuit avec une fréquence qui devint bientôt alarmante pour sa santé. En quelques semaines ses traits s’altérèrent au point de le rendre presque méconnaissable, même pour les membres de sa famille. Ses yeux devinrent caves, fatigués et hagards; une grande maigreur succéda rapidement à un état de force et de santé robuste et florissant. Tous les soirs, au moment du premier sommeil, il se levait de son lit, se promenait dans le dortoir, descendait en étude pour y travailler dans l’obscurité, ou bien allait se promener dans le jardin durant des heures entières, après quoi il retournait à son lit. Il avait alors toutes les apparences de l’état de veille, sauf un timbre tout particulier de la voix quand il chantait ou répondait [p. 216] aux questions qu’on lui adressait. Ce jeune homme, d’un caractère naturellement timide et embarrassé, devenait, dans son état de somnambulisme, plaisant, facétieux même. Il avait alors la répartie vive, caustique et souvent heureuse, s’exprimant avec la plus grande facilité et relevant impitoyablement toute expression employée dans une acception impropre. C’est ainsi que, parlant un jour de feu sa, mère qu’il disait voir au ciel, l’aumônier de l’établissement lui ayant dit : « Ce doit être bien joli, le ciel ! Non, monsieur l’aumônier, répondit Janicaud, ce n’est pas joli, mais c’est beau. — Ah ! vous épiloguez toujours sur les mots; eh bien, soit. Mais, dites-moi, Janicaud, quelle différence établissez-vous donc entre le joli et le beau ? — Au ciel tout est beau ; le joli n’est que sur la terre.
« Une nuit, malgré la surveillance attentive dont il était l’objet, Janicaud sortit du dortoir sans que le maître adjoint de service ni aucun élève s’en aperçût. Le lendemain matin, au moment du lever, notre somnambule était dans son lit comme les autres élèves; mais son oreiller avait disparu ainsi que sa montre. A la fatigue qu’il éprouvait, à l’altération de ses traits, il devint évident pour tout le monde qu’il avait dû se lever pendant la nuit. Des recherches minutieuses furent faites dans tout l’établissement et dans les jardins qui l’entourent, mais sans résultat. On prit des informations dans le voisinage sans pouvoir rien découvrir. Enfin, dans la journée on remarqua quelque chose de blanc sur la toiture en zinc de l’infirmerie ; c’était l’oreiller de Janicaud, qu’il y avait déposé pendant la nuit avec sa montre et un bouquet de fleurs, cueillies dans le jardin. Des empreintes que l’on remarqua sur un châssis vitré indiquaient la route périlleuse que le somnambule avait dû suivre pour monter sur le toit et pour en descendre ; or il est évident que, dans l’état de veille, ce jeune homme n’aurait pu tenter une pareille ascension sans s’exposer à une chute certaine, dans laquelle il se serait brisé les membres.
« Les dangers que pouvaient avoir pour Janicaud ses pérégrinations nocturnes nécessitèrent bientôt des mesures de sûreté que, du reste, il fut le premier à provoquer, et que je m’empressai de prendre. Chaque soir le somnambule fut attaché par le poignet au moyen d’un collier fermant à cadenas et fixé à l’extrémité d’une chaîne de fer, rivée à son lit. Mais cette précaution fut bientôt .reconnue insuffisante; car, dans ses moments de crise, la main du somnambule se contractait au point de passer avec la plus grande facilité dans le collier, et bientôt il fallut l’attacher par la jambe, au-dessus de la cheville du pied.
« Un soir, vers 11 heures, Janicaud, échappé du dortoir, vient frapper à la porte de ma chambre à coucher : « J’arrive, me dit-il, de Vendôme, et je viens vous donner des nouvelles de votre famille. M. et Mme Arnault sont en bonne santé, et votre petit garçon a quatre dents.
— Puisque vous les avez vus à Vendôme, pourriez-vous y retourner et me dire où ils sont en ce moment?
— Attendez… M’y voici. Ils dorment dans une chambre du premier [p. 217] étage ; leur lit est au fond de la chambre, à gauche. Le lit de la nourrice est à droite, et le berceau d’Henri touche le lit de la nourrice. »
« L’indication de l’appartement et la disposition des lits étaient parfaitement exactes, et le lendemain je recevais une lettre dans laquelle mon beau-père m’annonçait que mon enfant avait sa quatrième dent.
« Quelques jours après, Janicaud revient vers la même heure, m’annonçant encore qu’il arrive de Vendôme, et qu’un accident est survenu dans la journée à mon enfant. Ma femme effrayée lui demande avec anxiété quel est cet accident.
— Oh ! ne craignez rien, madame ; rassurez-vous, cela n’aura pas de suite grave, quoi qu’en pense le médecin qui est en ce moment auprès de l’enfant. Si j’avais su vous causer tant d’effroi, je ne vous en aurais pas parlé; encore une fois, rassurez-vous, cela ne sera rien ».
« Dès le lendemain matin j’écrivis à mon beau-père pour l’informer de ce que m’avait dit Janicaud, et le prier de me donner par le retour du courrier des nouvelles de mon enfant. La réponse fut qu’il se portait parfaitement et qu’aucun accident ne lui était arrivé.
« Mais au mois de septembre, quand je me rendis dans ma famille pour y passer mes vacances, j’appris toute la vérité, que, sur l’avis du médecin, mon beau-père m’avait cachée dans la crainte de nous causer de l’inquiétude, à ma femme et à moi. Il me dit qu’au moment même où Janicaud était venu m’annoncer un accident, le médecin désespérait que l’enfant vît le jour le lendemain ; que ce jour-là la nourrice, dans un moment où elle était restée seule à la maison, s’était emparée de la clef de la cave et s’était mise dans un état complet d’ivresse, et que l’enfant, après avoir sucé le lait de cette malheureuse femme, avait été pris de vomissements violents qui, pendant plusieurs jours, avaient mis sa vie en danger.
« Une nuit Janicaud se lève brusquement sur son lit, et s’adressant à l’un de ses camarades : « Tiens, Roullet, vois comme tu es négligent. Je t’avais bien recommandé de fermer l’atelier de reliure, tu ne l’as pas fait, et voilà qu’un chat, en mangeant la pâte, vient de faire tomber le plat qui la contenait et qui s’est brisé en cinq morceaux. »
« On descend aussitôt à l’atelier, où l’on constate que ce que vient de dire le somnambule est parfaitement exact.
« La nuit suivante, il raconte qu’il voit sur la route de Glény le cadavre d’un homme qui s’est noyé en se baignant dans la Creuse, et qu’on ramène à Guéret dans une voiture. Le lendemain matin j’allai aux informations, et j’appris qu’en effet un habitant de la ville s’était noyé la veille à Glény et que son cadavre avait été ramené à Guéret pendant la nuit. Or, personne dans l’établissement, ni même dans la ville, n’avait eu connaissance, la veille, de cet accident (8). [p. 218]
« M. Simonet, maître adjoint à l’école, et beau-frère de Janicaud, avait un enfant qui, depuis plusieurs mois, était atteint d’un kyste derrière l’oreille. Les médecins qui le soignaient craignaient une carie de l’os. Inquiet de l’état de son enfant, M. Simonet demande à Janicaud dans une de ses crises s’il pense que le mal soit bien grave.
— Non, répond le somnambule. Les médecins sont dans l’erreur en croyant à une carie de l’os le mal n’a pas la gravité que vous croyez tous.
— Mais, dites-moi, puisque vous semblez si bien connaître le mal, pourriez-vous m’indiquer un remède pour en hâter la guérison ?
— Oui, il suffirait pour cela de piler une herbe dont je ne saurais vous dire le nom, mais qui se trouve dans le fond du jardin, près des ruches à abeilles (9). On mélangerait cette herbe avec de l’iode, puis on en ferait un cataplasme que l’on appliquerait sur le mal.
— Puisque vous ne pouvez nous dire le nom de cette plante, pourriez-vous nous la montrer ?
— Détachez-moi et venez avec moi au jardin; je vais vous en cueillir. »
« Aussitôt on ouvre le cadenas; M. Simonet et deux élèves suivent Janicaud, qui descend à la cuisine, prend une assiette dans un placard et se dirige vers le fond du jardin ; mais en arrivant près des ruches il tombe à la renverse en poussant un cri. Comme il marchait pieds nus (10) une longue épine lui était entrée dans le talon et la douleur l’avait réveillé avant qu’il eût pu cueillir la plante qu’il allait chercher. Toutefois, comme l’avait affirmé Janicaud, le mal de l’enfant était sans gravité, car peu de temps après il était complètement guéri.
« Janicaud avait à l’école pour condisciple et ami intime un élève de troisième année, nommé Matieux. Dans les premiers jours du mois d’août, et après avoir subi avec succès l’examen pour le brevet de capacité, Matieux quitta l’école. Janicaud, éprouva une grande tristesse du départ de son ami. Deux jours après ce départ, il vient frapper à ma porte tenant une lettre à la main. Il était 10 heures 45 du soir :
« Que demandez-vous ? lui dis-je.
— Je viens vous prier de vouloir bien m’autoriser à porter cette lettre à la poste ; elle est pour Matieux ; il est 11 heures moins le quart, et le courrier qui emporte les lettres pour Tercillat part à 11 heures. Je n’ai donc que le temps juste de courir à la poste pour qu’elle parte ce soir.
— Vous devez savoir que je ne puis vous accorder une telle permission donnez-moi cette lettre et je la porterai moi-même à la boîte à l’instant. »
« Et en même temps je lui pris la lettre des mains. Avant de sortir, et pendant que le somnambule rentrait dans la salle d’étude où il venait d’écrire sa lettre sans lumière, je montai au dortoir pour y réveiller le [p.219] maître adjoint, que je priai de surveiller Janicaud jusqu’à mon retour sans le réveiller. Je me transportai chez vous (chez le docteur) à la hâte, et là nous prîmes ensemble connaissance du contenu de cette lettre, dont voici la copie :
« Guéret, le 5 août 1859, 10 heures 38 minutes du soir.
« Cher ami, permets-moi de t’exprimer par cette missive les sentiments de peine et de douleur que m’a fait éprouver et que me fait encore éprouver chaque jour notre bien amère séparation. Plus de plaisirs pour moi, plus de joie. Lors de ton départ de l’école normale tu as emporté avec toi cette gaieté que je croyais inhérente à ma nature. Je ne me sens plus le besoin comme autrefois de rire et de converser avec mes condisciples. Mes moments de loisir sont employés à visiter les lieux que nous fréquentions le plus souvent ensemble. Tantôt rêveur et pensif, je parcours à pas lents la dernière allée du jardin bas, m’arrêtant à chaque instant comme pour interroger les plantes et les arbres qui ont plus d’une fois en ces lieux attiré notre attention. Tantôt je vais me reposer sous cette tonnelle du jardin haut, où tu m’as fait la promesse de venir le 25 septembre passer chez moi la fête de Saint-Sylvain. Tantôt je monte à l’étude, je prends mes livres de musique et mon diapason et j’essaye d’entonner les morceaux que nous avons si souvent exécutés ensemble. « Rien ne peut me distraire, je suis indifférent à tout. Mon oreille n’entend plus la voix amie de celui qui prenait une si large part à mes petits désagréments; mes yeux ne voient plus celui qui lisait dans mon âme; je suis privé du plaisir de presser sur mon cœur celui qui, par sa présence, le dégageait de tout ce qui pouvait l’attrister. Je suis enfin privé de cet ami, de cet autre moi-même. Vraiment je n’aurais jamais cru si pénible la séparation de deux amis Tempère, je te prie, par une correspondance entretenue, la douleur qu’elle me cause. Le rêve dans lequel en ce moment se berce ton imagination agitée, te reporte en moins d’un instant auprès de celle qui pleure ton absence. Ta main droite appuyée sur ton cœur oppressé me dévoile le secret de ton trouble. Ta main gauche, étendue sur ton lit en désordre, semble prête à recevoir celui qui lit dans ton âme.
« Je voudrais, cher ami, pouvoir te manifester de vive voix le plaisir que j’éprouve à te voir si heureux dans ton chimérique bonheur ; mais craignant de troubler ton repos, je termine en te priant d’être fidèle à tes promesses et de me rappeler au souvenir de la personne qui t’occupe en ce moment, ta chère et future moitié.
« Adieu, cher ami, crois à mon amitié sincère et durable.
« T. JANICAUD (11). » [p. 220]
« Il résulte de la date inscrite en tête, que cette lettre, très proprement écrite et sans la moindre rature ni surcharge, a dû être faite dans un intervalle de temps qui n’a pu excéder quatre à cinq minutes au plus.
« Un autre fait plus récent constate plus évidemment encore l’incroyable rapidité avec laquelle Janicaud rédige et écrit dans son état de somnambulisme. Vers la fin de décembre dernier, j’indiquai aux élèves-maîtres, au moment du coucher, le sujet qu’ils auraient à développer le lendemain pendant l’étude du matin comme sujet de style. Un des élevés se doutant que Janicaud se réveillerait pour faire sa composition, se munit avant de monter au dortoir d’un crayon et de feuilles de papier. Vers 10 heures et demie en effet, le somnambule se lève sur son lit ; mais se voyant enchaîné par le pied, il prie un de ses camarades de descendre en étude et de lui apporter une plume, du papier et de l’encre. L’autre lui présente une feuille et le crayon dont il s’était muni. Le somnambule plie la feuille de papier sur le traversin de son lit et ramène la couverture sur ses épaules pendant que le maître adjoint et une dizaine d’élèves se groupent autour de son lit dans l’obscurité ; puis, le bonnet de coton enfoncé jusqu’au menton (12), Janicaud se met à l’œuvre. Il prononçait à haute voix ce qu’il écrivait et, quoiqu’il parlât avec une certaine volubilité, le crayon suivait la parole. En quelques minutes les deux pages furent remplies. On enleva alors la feuille, sur laquelle, au grand étonnement de tous, se trouvait en écriture très. lisible tout ce qui venait d’être prononcé par le somnambule.
« L’extrême maigreur dans laquelle était tombé le pauvre Janicaud inspirant des craintes de plus en plus sérieuses pour sa santé et même pour son état moral, ce jeune homme fut, sur votre avis, monsieur le Docteur, envoyé dans sa famille vers le 10 août pour s’y rétablir par l’exercice et la distraction. Pendant les deux mois qu’il y passa, à Saint-Sylvain, il n’éprouva, en effet, que quelques accès, et dans les premiers. jours seulement. La crise du surlendemain de son arrivée dans sa famille mérite cependant d’être rapportée ici. S’étant levé pendant la nuit, il dit à son beau-frère, qui l’avait accompagné, qu’il voulait aller à la pêche. Comme la nuit était très sombre, M. Simonet employa tous. les moyens possibles pour le décider à renoncer à son projet. Il lui. proposa d’aller ensemble faire une visite à l’instituteur de Saint-Sylvain, leur parent, dont la demeure était éloignée d’un kilomètre environ. Le somnambule ayant accepté cette proposition, on se met en [p. 221] marche, et bientôt Janicaud est suivi par trois ou quatre chiens dont les aboiements furieux ne le réveillent pas. En arrivant chez l’instituteur, il demande qu’on le régale d’une bouteille d’un certain vin bouché qu’il a beaucoup entendu vanter, dit-il, mais dont il voudrait bien apprécier lui-même la qualité. Comme on ne voulait pas allumer la chandelle dans la crainte de le réveiller, on l’invite à descendre lui-même à la cave. Il en remonte bientôt, muni de deux bouteilles. Il ouvre ensuite un placard, y prend trois verres, qu’il dépose sur la table et qu’il emplit de vin. Après avoir bu quatre rasades, il demande un fusil pour aller tuer un lièvre qu’il voit, dit-il, dans un champ de blé noir, derrière la maison. On lui répond qu’il n’y a pas de fusil ; mais il s’obstine à faire la poursuite à son lièvre. Il sort et indique les .endroits par où l’animal a passé et a laissé du poil. Enfin il se décide .à reprendre le chemin de sa maison. Arrivant à un passage étroit et très dangereux sur le bord de la rivière, son beau-frère lui crie de bien faire attention où il pose le pied.
« Soyez sans crainte, répond Janicaud, j’y vois plus clair que vous, et la preuve c’est que vous ne voyez pas une allumette qui est près de vous. Tenez, arrêtez-vous, et si vous ne voyez rien tâtez avec la main sous votre pied gauche. Il est vrai que vous n’y verrez guère plus clair quand vous l’aurez trouvée, car cette allumette n’a pas de phosphore. «
« M Simonet cherche en tâtonnant sous son pied gauche et y trouve l’allumette. Or, non seulement l’obscurité était très grande, mais encore Janicaud était à une trentaine de pas en avant de son beau-frère et n’avait point cessé, suivant son habitude, d’avoir son éternel bonnet de coton enfoncé jusqu’au bout du nez.
« En terminant cette notice, monsieur le Docteur, je crois devoir ne pas passer sous silence le procédé au moyen duquel notre somnambule .est parvenu dernièrement à sortir du dortoir malgré les précautions prises pour l’en empêcher. Dans l’une de ses dernières crises il prit un .couteau, enleva un petit fragment de bois au cadre d’une fenêtre voisine de son lit, et avec cette clé d’un nouveau genre il ouvrit avec la plus grande facilité le cadenas qui fermait le collier au moyen duquel il était attaché par le pied. Je vous envoie le cadenas et le fragment de bois; l’examen de ces deux pièces vous en dira plus que je ne saurais le faire.
« Tels sont, monsieur le Docteur, parmi les faits si nombreux que nous avons eu lieu d’observer, ceux que j’ai cru le plus utile de vous signaler Je me suis attaché à les raconter tels qu’ils se sont passés, évitant avec un soin scrupuleux d’y ajouter comme aussi d’en retrancher le moindre détail qui pût en altérer la plus stricte exactitude.
« Veuillez agréer, etc.
« Le directeur de l’École normale de la Creuse,
« BADAIRE. » [p. 222]
« P.-S. Il n’est peut-être pas inutile de consigner ici une observation qui peut avoir son intérêt au point de vue de la science ; c’est que, dans ses accès de somnambulisme, J. a parfaitement conscience de l’état dans lequel il se trouve. Le plus ordinairement il s’y complaît même; et quand on veut le réveiller il vous supplie de ne pas le faire, disant qu’il se trouve bien plus heureux que dans son état naturel. Néanmoins, à la suite de chaque crise, il éprouve une grande fatigue et ses traits sont altérés d’une manière très sensible. Cette fatigue doit-elle être attribuée à l’activité extraordinaire de ses facultés dans son état de somnambulisme, ou bien serait-elle le résultat de la violente commotion qu’il éprouve toujours en passant de cet état à celui de veille ?
« Une fois réveillé, J. n’a plus le moindre souvenir de ce qui s’est passé dans son état de somnambulisme. Mais dans chacune de ses crises il se rappelle parfaitement tout ce qui s’est passé, tout ce qu’il a dit et fait dans ses crises précédentes.
« Dans son état naturel, J. a la mémoire assez rebelle et retient difficilement ce qu’il étudie. Or, nombre de fois il lui est arrivé d’étudier tout haut ses leçons d’histoire dans son lit. Au bout d’un certain temps le maître adjoint lui prenait le livre des mains, et le somnambule récitait sans en omettre une syllabe les cinq ou six pages qu’il venait de lire. Réveillé aussitôt après, il n’avait pas le moindre souvenir de ce qu’il venait de. lire et de réciter (13). » B.
*
* *
Avant de remettre ce rapport à M. le Dr Cressant, M. Badaire avait réuni les professeurs et les élèves de l’École normale et leur en avait donné lecture, leur demandant s’ils avaient quelques observations à faire ; tous déclarèrent qu’il était d’une exactitude scrupuleuse. Une copie en fut adressée à M. Théry, alors recteur à Clermont-Ferrand, qui avait eu connaissance d’une partie des faits relatés; et qui s’y intéressait d’autant plus qu’il avait eu occasion d’en observer de semblables au lycée de Versailles dont il avait été proviseur.
On trouvera beaucoup d’analogie entre l’histoire de J. et celle de Mlle R. L. (Revue scientifique du 15 juillet 1876, p. 69), mais il y a aussi des différences.
Les accès de somnambulisme sont à peu près quotidiens chez J., comme chez Mlle R. L., mais si celle-ci passe quelquefois du sommeil normal au somnambulisme, comme J., il lui arrive habituellement de tomber en somnambulisme alors qu’elle est éveillée. L’un et l’autre passent du somnambulisme au sommeil normal, puis se réveillent comme tout le monde, sans se douter de la modification qui a eu lieu dans leur sommeil. [p. 223]
L’un et l’autre, en état de somnambulisme, se rappellent ce qui s’est passé dans les accès antérieurs et connaît également les événements de sa vie normale, tandis qu’à l’état normal ils ignorent complètement ce qu’ils ont pensé et fait pendant l’état de somnambulisme c’est ce qui constitue, chez tous les deux, la double personnalité ; seulement elle est plus complète chez Mlle R. L., qui, somnambule, parle d’elle-même éveillée comme d’une autre personne, qu’elle appelle la fille bête. Chez tous les deux il y a, pendant l’accès, un grand développement de la mémoire et de l’intelligence.
Si l’on voulait faire cesser l’accès somnambulique, sans attendre le passage spontané au sommeil normal, il fallait, dit M. Badaire, presser fortement les flancs de J., ou lui mettre une lumière éclatante devant les yeux ; il suffisait du plus léger attouchement de la peau du col ou de la muqueuse du pharynx chez Mlle R. L. L’un et l’autre s’opposaient violemment aux tentatives faites pour amener ce résultat.
L’un et l’autre, pendant l’accès, circulaient et travaillaient dans l’obscurité, mais Mlle R. L. voyait avec ses yeux; elle perdait sa myopie, rejetait au loin ses lunettes et relevait beaucoup la tête pour regarder de manière à amener la pupille derrière la fente palpébrale très rétréci par suite du relâchement de la paupière supérieure (14) ; J., au contraire, voyait sans l’intervention de l’organe physiologique de la vue.
Enfin, différence considérable, J. voyait au loin comme auprès; il présentait dans son somnambulisme spontané ce phénomène de la vision mentale, ou double vue, qui ne s’observe habituellement que dans le somnambulisme provoqué. Faut-il regarder comme une particularité nouvelle la vision de la pensée inconsciente de son ami M. lorsqu’il lui écrit : « Le rêve dans lequel, en ce moment, se berce ton imagination agitée, te reporte en moins d’un instant auprès de celle qui pleure ton absence. » Était-ce une manière générale de s’exprimer ? L’ami a déclaré avoir, en effet, fait ce rêve pendant la nuit où la lettre avait été écrite. Quant à moi, je ne puis croire qu’à une simple coïncidence, qui était bien naturelle dans la circonstance.
*
* *
Les faits exposés dans ce travail seront-ils utiles à la science ? « Il semble, m’écrit M. Azam, que depuis les temps lointains où la science n’existait pas, les observateurs aient comme taillé des pierres pour la construction d’un monument, et cela avec des instruments qui se perfectionnent peu à peu. Ces pierres, nous en avons taillé et nous en taillons, mon cher confrère; la philosophie de M. Th. Ribot établit les [p. 224] fondations, la Salpêtrière et Nancy sculptent les colonnes ; tous, travailleurs de l’heure actuelle, nous coopérons à cette construction; après nous, d’autres y travailleront aussi avec des instruments plus parfaits ; enfin, après un temps, un très long temps, l’évolution sera accomplie, et il viendra un architecte qui, avec les pierres taillées pendant des siècles, élèvera le monument. »
On ne saurait dire mieux. J’ajouterai seulement, en conservant le langage figuré de mon savant confrère, qu’au fronton de ce monument on n’inscrira pas le mot LIBERTÉ, car s’il est une vérité mise en lumière par les travaux de Claude Bernard et confirmée tous les jours par ceux de la Société de psychologie physiologique, c’est que l’activité cérébrale dite psychique résulte de la combinaison d’actes réflexes physiologiques déterminés et influencés par les conditions de milieu intérieur et extérieur ; d’où il suit que la croyance au libre arbitre, inspirée par le désir de donner une base métaphysique à la responsabilité morale, est une erreur de logique, ou comme on l’a dit très justement une orgueilleuse illusion.
Dr DUFAY.
Blois, septembre 1888.
Notes
(1) Séance du 26 novembre 1888.
(2) Séance du 30 juillet 1888. Mémoire publié Rev. Phil. Du 1er septembre suivant. [en ligne sur notre site]
(3) Qu’adviendrait-il en pareil cas, si l’expérimentateur voulait mentalement que le sujet éprouvât une saveur sucrée ? (Dr D.)
(4) J’en ai vu un exemple semblable sur lequel je reviendrai plus loin. (Dr D.)
(5) Le Dr Girault avait grande confiance dans l’action astringente du plantain, dont sa servante lui voyait faire souvent diverses préparations.
(6) L’accusation ne put être vérifiée, mais elle n’était pas invraisemblable.
(7) D’après les informations que j’ai prises au secrétariat de l’Institut, M. Dr Cressant n’a pas mis son projet à exécution. Comme moi, et comme bien d’autres médecins probablement, il a reculé devant la réprobation que ces questions soulevaient alors dans le monde savant officiel.
(8) Des faits de même nature sont rapportés par le Dr Macario (Du sommeil, des rêves et du somnambulisme, 1857), qui les emprunte à F. Lebeuf. Il s’agit aussi de somnambulisme spontané. (Dr D.)
(9) Je me demande si cette plante n’était pas la consoude, dont J. pouvait avoir entendu vanter l’action astringente, résolutive, de même que pour l’iode. (Dr D.)
(10) Lorsqu’il se levait en état de somnambulisme, il s’habillait complètement, mais ne mettait pas de chaussures.
(11) Le Dr Cressant avait manifesté à M. Badaire le désir de connaître ce que J. écrivait en état de somnambulisme, M. Badaire lui ayant dit plusieurs fois que son style était alors bien supérieur à ce qu’il était dans l’état normal. Dès qu’ils [p. 220] eurent pris connaissance de cette lettre, M. Badaire y joignit un mot qui faisait connaître au destinataire l’indiscrétion commise et lui en donnait l’explication ; celui-ci, dès le lendemain, envoya à son ancien directeur une copie de cette lettre.
(12) Ses condisciples l’ayant plusieurs fois taquiné, l’accusant de jouer la comédie du somnambulisme, tandis qu’il voyait avec ses yeux comme à l’état de veille, J. ne voulant pas être soupçonné de mauvaise foi, enfonçait ainsi son bonnet jusqu’au menton dès le commencement de ses accès de somnambulisme.
(13) M. Janicaud s’est marié presque aussitôt après sa sortie de l’École normale. Il n’a eu qu’un seul accès de somnambulisme quelques jours après son mariage. Il est depuis ce temps directeur d’école primaire dans la Creuse.
(14) Lorsque je mentionnai, dans mon article de la Revue scientifique du 15 juillet 1816, la cessation de la myopie de Mlle R. L. pendant ses accès, j’émis l’hypothèse qu’elle était due à un relâchement des muscles moteurs-oculaires ; la blépharoptose qui survenait en même temps porte à croire que tous les muscles intra-orbitraires perdaient au moins leur tonicité.
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