Ch. Ribéry. La Phrénologie en Amérique. Extrait de la « Revue Philosophique de la France et de l’Étranger », (Paris), vingt-huitième année, tome LV, janvier à juin 1903, pp. 176-186.
Nous connaissons de ce médecin :
Charle Ribéry. Essai de classification naturelle des caractères: thèse pour le doctorat présentée à la Faculté des lettres de Paris. Paris, Félix Alcan, 1902. 1 vol. in-8°, 200 p.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
[p. 176]
LA PHRÉNOLOGIE EN AMÉRIQUE (1)
Le système du Dr Gall, qui semble aujourd’hui complètement abandonné en France, a obtenu dans ces derniers temps un regain de faveur en Amérique. Un Institut de phrénologie a été fondé à New York. Un Journal américain de Phrénologie y prospère.
Un ouvrage intéressant de M. Sizer : How to teach according to tempérament and mental development, a pour sous-titre: Phrenology in the school-room and the family. C’est dire assez de quels principes s’inspire cet auteur. De ces mêmes principes s’inspire aussi M. Hoffman dans l’ouvrage qui fait l’objet de notre étude. Ce n’est pas sans doute à la légère que ces écrivains très sérieux, esprits très positifs et très épris d’utilité, tentent ainsi de faire revivre cette doctrine par nous délaissée.
Tous deux ont, en effet, la prétention de s’appuyer sur une expérience déjà longue. « Pendant plus de trente ans, dit M. Sizer dans sa Préface, l’auteur a travaillé par le moyen des conférences, par la plume, et dans plus de cent mille observations particulières, à établir les principes du développement mental, de la culture et de l’éducation, et à montrer comment les conditions corporelles peuvent être réglées de manière à assurer la santé, le bonheur, le succès et une longue vie à établir, en un mot, ce que l’on peut faire de mieux pour le développement de chaque être humain dans son corps et dans son esprit. »
Et M. Hoffman, au chapitre III de son livre, s’exprime de la façon suivante : « L’auteur a pendant dix ans fait de nombreuses observations dans toutes les classes de la société, et il peut dire que, pendant ce temps, il n’a pas trouvé un seul cas tendant à infirmer les assertions du Dr Gall, mais que chaque cas au contraire a été une preuve nouvelle. »
Il nous a paru que des études aussi consciencieuses, aussi patientes ne pouvaient être passées sous silence, et c’est pourquoi nous nous sommes proposé de faire connaître aux lecteurs de la Revue philosophique le livre de M. Hoffman. [p. 177]
Cet ouvrage comprend trois parties. La première est consacrée à la nature de l’Esprit, la seconde renferme une Théorie de l’Éducation, et la troisième concerne les Méthodes. Nous nous occuperons seulement de la première, qui, d’ailleurs, est la plus étendue.
I
Il y a une grande différence dans la qualité de l’organisme et dans la perfection de structure que l’on peut trouver parmi les hommes, comme parmi les animaux.
La qualité d’une partie du corps est aussi la qualité de toutes les autres parties. Une peau et une chevelure grossières sont l’indice de fibres nerveuses et de muscles grossiers. Une peau et une chevelure délicates sont l’indice de propriétés semblables du cerveau.
Les trois qualités de la manifestation mentale sur lesquelles les conditions corporelles ont le plus d’influence sont la force, la pénétration et l’énergie.
La force est donnée par l’étendue et la compacité des fibres, la pénétration par leur finesse, et l’énergie par leur bonne santé. Les plus hautes qualités mentales sont le résultat d’une combinaison propre de ces trois qualités corporelles.
Correspondant à ces trois qualités du corps et de l’esprit, il y a dans l’organisme humain trois systèmes
Le système moteur, c’est-à-dire les os et les muscles ;
Le système nutritif, constitué par le canal alimentaire, les organes de la circulation et de la respiration, les organes de sécrétion et d’absorption, et tous les organes qui servent à transformer la nourriture en tissu vivant et à réparer le système.
Le système nerveux, comprenant le cerveau, le cordon spinal et tous les nerfs.
Les définitions qui précèdent vont servir à l’auteur à déterminer ce qu’on appelle le tempérament.
On sait combien les physiologistes et psychologues sont peu d’accord à ce sujet. Sans nous attarder à une discussion qui serait un peu longue, nous constaterons que notre auteur se trouve ici d’accord avec Robin et Littré qui, dans leur Dictionnaire de médecine, définissent le tempérament : le résultat général pour l’organisme de la prédominance d’action d’un organe ou d’un système.
Bien que nous pensions, pour notre part, que la distinction des tempéraments doive être établie par la considération exclusive du système nerveux, nous ne faisons néanmoins aucune difficulté d’accorder que la conception à laquelle se range M. Hoffman donne sans doute des indications sur le système mental qui, à un point de vue pratique et positif, sont loin d’être sans intérêt.
La prépondérance de l’un des systèmes sur les autres, selon notre [p.178] auteur, donne donc naissance à une condition physique particulière qu’on appelle le tempérament.
C’est ainsi que la prépondérance du système musculaire et osseux dans l’organisme humain produit ce qu’il appelle le tempérament moteur. Ce tempérament donne une grande force à la nature physique, et aussi à la nature mentale. Aussi le tempérament moteur est-il surtout le tempérament masculin.
De la prépondérance des organes nutritifs dans l’organisme résulte le tempérament vital. Une structure grande et parfaite donne à l’organisme la capacité nécessaire pour un grand travail, mais la force qui met en action les organes est la vitalité. Le cerveau peut être grand mais, lorsque la vitalité cesse, il s’arrête par manque d’impulsion. Le tempérament vital donne l’activité au pouvoir physique et mental. C’est, enfin, la prépondérance du cerveau et des nerfs qui caractérise le tempérament mental. Le caractère physique le plus marqué de ce tempérament est un vaste cerveau, surtout dans sa partie supérieure. Le corps est mince, les muscles sont minces et mous, et les traits délicats. La peau est tendre et délicatement organisée. La chevelure est fine l’expression de la figure est l’intelligence. Le front est élevé et large au sommet, la base du cerveau va en s’amincissant.
Ce tempérament donne la finesse à l’organisme. Les facultés mentales sont pénétrantes, actives, intenses. Les sentiments sont délicats : la tendance du sujet est vers le raffinement et la beauté. Mais ce tempérament manque de sens pratique et de force de caractère : il est tourné vers la littérature, la théologie et l’art.
Les systèmes moteur, nutritif et nerveux peuvent, de plus, se combiner en des proportions différentes.
Déjà les tempéraments moteur, vital et mental sont, comme nous l’avons vu, des combinaisons dans lesquelles il y a prépondérance de l’un des trois systèmes sur les autres.
Si l’on prend le chiffre 10 comme maximum, ces combinaisons sont les suivantes :
organes nutritifs | 7 | |
Tempérament moteur | cerveau est nerfs | 6 |
os et muscles | 10 | |
système moteur | 5 | |
Tempérament vital | système mental | 6 |
système vital | 10 | |
système moteur | 5 | |
Tempérament mental | système mental | 6 |
système vital | 10 |
Les organes ont donc différents degrés de force et de perfection. Ils peuvent être tous également parfaits chez un individu et faire de lui une personne de qualité supérieure. Ils peuvent aussi être tous faibles dans la même personne. Chez cette dernière le tempérament [p. 179] moteur = 3, le tempérament vital = 2, le tempérament mental = 1. C’est le type le plus bas de l’être humain.
Une combinaison du moteur 6, vital 5 et mental 4 est celle d’une personne d’une habileté ordinaire. La combinaison qui va de 6 à 8 est celle d’une personne qui passe, dans une sphère relativement large dans les affaires, pour une personne supérieure. Mais la combinaison qui va de 8 à 10 est celle d’une personne vraiment supérieure.
L’emploi de ces chiffres, comme on le voit, peut servir à fixer les idées. Nous ferons remarquer cependant qu’ils ne possèdent qu’une valeur purement théorique, et qu’il faut se garder par suite de leur accorder une valeur scientifique qu’ils n’ont pas et ne peuvent avoir.
L’homme vraiment supérieur possède donc, à un très haut degré, tous les tempéraments. Mais il doit posséder de plus un cerveau vaste et bien proportionné. Les autres conditions étant les mêmes, plus le cerveau sera grand, plus grands seront aussi la volonté et le pouvoir mental. Un homme dont le corps est bien organisé, mais qui ne possède qu’un cerveau de grandeur ordinaire, peut avoir un bon jugement !nais celui-ci manque de profondeur, et l’habileté de cet homme ne s’étend pas à de grandes affaires il n’est grand que pour ceux qui l’entourent. Celui dont le cerveau est vaste passe aux yeux de ceux qui l’entourent pour un homme ordinaire; mais c’est dans les grandes affaires qu’éclate sa supériorité.
II
Quels sont maintenant les rapports du cerveau et de la faculté mentale ?
L’esprit est l’agrégat de toutes les activités qui rendent l’homme capable de penser et de connaître, de sentir et de vouloir. La faculté est une activité distincte, primitive de l’esprit. Si c’est une faculté de connaissance, elle donne le pouvoir de percevoir une propriété de la matière, ou la relation d’une chose ou d’une idée avec une autre.
Les objets ont des propriétés, telles que la forme, la grandeur, la couleur, etc. L’esprit possède certaines activités qui perçoivent ces propriétés, et chacune de ces activités ne perçoit qu’une propriété. Si la faculté est un sentiment, elle provoque le désir d’une chose particulière dont la possession est capable de la satisfaire. Les facultés affectives sont aussi distinctes les unes des autres que les facultés perceptives, et l’esprit n’est pas autre chose que l’agrégat des unes et des autres.
Il ne faut pas confondre, d’ailleurs, le pouvoir avec la faculté. La mémoire, par exemple, est un pouvoir, non une faculté. C’est un mode d’action de toutes nos facultés intellectuelles. Depuis les beaux travaux de M. Ribot, peut-être pourrait-on dire de toutes nos facultés intellectuelles et affectives. [p. 180]
Il est aisé de voir pourquoi l’auteur tient à établir cette distinction du pouvoir et de la faculté. C’est que la mémoire, s’appliquant aux différentes facultés, ne peut être localisée dans une partie déterminée du cerveau qu’avec la faculté corrélative. Et nous ne pouvons sur ce point que nous ranger à l’avis de M. Hoffman, car il est démontré aujourd’hui qu’il n’y a pas une mémoire, mais des mémoires.
Cependant l’on peut se demander si les différentes facultés sont aussi nettement distinctes les unes des autres que le veut notre auteur, et si ces facultés, très diverses il est vrai d’apparence, ne sont pas néanmoins composées des mêmes éléments fondamentaux; si par conséquent, en langage physiologique, les mêmes cellules, les mêmes nerfs ne peuvent pas entrer dans différentes combinaisons et suffire à plusieurs besognes.
La manifestation de l’esprit, continue M. Hoffman, est accompagnée de l’action du cerveau, et le cerveau peut être dit l’organe par lequel l’esprit se manifeste. Force nous est donc de considérer le cerveau comme constitué par des centres nerveux différents correspondant aux différentes facultés, et d’admettre que la fonction de chacun de ces centres est de manifester une faculté particulière.
Le crâne est d’ailleurs tellement mince si on le compare au diamètre du cerveau, qu’il forme un trop petit obstacle pour empêcher de déterminer les dimensions relatives des différentes parties du cerveau. C’est par l’observation, et seulement par l’observation, que cette théorie peut être établie ou renversée. Si l’on trouve que la force de certaines facultés est toujours dans le même rapport que le développement relatif des parties du cerveau avec lesquelles elles sont en connexion, la théorie doit être admise comme vraie.
Si la doctrine que nous allons ébaucher d’après l’auteur peut paraître, dans sa trop grande précision, contestable, on y trouvera cependant, croyons-nous, de très utiles indications. Il y a là un ordre de recherches et d’observations dont peut-être nous sommes-nous trop désintéressés. Les criminalistes, et surtout les criminalistes italiens, n’ont eu garde de les négliger. Or, si de telles observations ont pu être faites sur les types anormaux, pourquoi ne serait-il pas possible d’en faire de semblables sur les types normaux eux-mêmes ?
Comment donc faudra-t -il s’y prendre pour apprécier la force relative de chaque faculté ?
La moelle allongée est le centre du cerveau, et c’est à partir de ce centre que s’irradient les fibres nerveuses dans chaque direction,. excepté vers le bas. Si l’on pouvait faire passer un fil de l’ouverture d’une oreille à l’autre, ce fil passerait par la moelle allongée. On peut donc prendre l’oreille comme centre. La distance en avant à partir de l’oreille indique le développement de cette partie du cerveau. De même pour la distance en arrière et en haut. Le développement du cerveau de chaque côté de la moelle est indiqué par la largeur de la tête. [p.181]
Lorsque toutes les parties sont harmonieusement développées, la tête est ronde et symétrique. Si ta. tête est plus large qu’elle ne devrait être, cela indique la prépondérance des facultés égoïstes si elle est plus longue à partir de l’oreille, cela indique une intelligence développée si elle est très élevée, cela indique la prépondérance des facultés religieuses et morales.
L’observateur doit toujours avoir soin de juger par le développement à partir du centre, et ne pas s’attendre à trouver tout d’abord des protubérances, car celles-ci ne se présentent que lorsque la partie du cerveau qui entoure immédiatement la protubérance fait défaut.
Les facultés mentales se classent de la façon suivante :
penchants égoïste | ||
Relatif à soi | facultés esthétiques | |
penchants domestiques | ||
SENTIMENTS | Sociaux | facultés gouvernantes |
facultés morales | ||
INTELLECT | Facultés perceptives |
Facultés réflexives |
Les SENTIMENTS (feelings) sont des facultés qui ne procurent pas de connaissance, mais qui produisent un penchant d’une espèce particulière. Chaque sentiment produit une impulsion qui devient motif d’action. Le désir qui nous incline vers un objet est pénible, mais la satisfaction du désir donne du plaisir. Le degré du plaisir est mesuré par la force du sentiment, et le degré de peine par la force du sentiment et la grandeur de sa privation.
Le contentement résulte d’une satisfaction de toutes les facultés, suffisante pour neutraliser l’action pénible. Le contentement est la base du vrai bonheur, car la personne qui se trouve dans cet état est heureuse si l’un seulement de ses sentiments est satisfait de manière à produire un plaisir intense. La personne qui ne se trouve pas dans cet état peut avoir un grand nombre de sources de joie mais les sources de peine, chez elle, sont aussi nombreuses.
Les sentiments RELATIFS A SOI (self-relatives) sont ceux qui incitent l’individu à préserver sa propre vie et à se procurer les choses relatives à son propre bien-être.
Ces sentiments peuvent se diviser en deux groupes les penchants égoïstes, qui tendent à assurer les choses nécessaires au confort physique et les facultés esthétiques, qui poussent l’individu à se perfectionner lui-même.
Lorsque la partie du cerveau avec laquelle les facultés égoïstes sont en connexion est bien proportionnée, le caractère possède l’énergie, l’instinct d’attaque, l’habileté, la force, etc.
Ces facultés donnent naissance à l’amour de soi sous toutes ses formes, et par suite aux crimes de tout ordre oppression, cruauté, vol, meurtre, etc. Mais elles sont aussi la source de notre pouvoir [p. 182] pour le bien. Il faut autant de force, d’habileté pour maintenir le droit que pour commettre l’injustice.
Les centres nerveux auxquels les penchants égoïstes sont liés se trouvent dans le lobe médian du cerveau ; et lorsqu’ils sont développés, ils donnent de l’amplitude à la tête dans sa largeur. La tête, au contraire, lorsqu’ils sont peu développés, est étroite entre les oreilles. Les facultés esthétiques sont celles qui donnent le désir et le goût du beau et du grand. Elles nous incitent à nous mettre nous-mêmes et à mettre ce qui nous entoure en rapport avec les lois de la proportion, de l’harmonie. Ce qu’elles recherchent, c’est la perfection l’élégance, l’art et lu poésie en résultent.
Les centres nerveux correspondant à ces facultés se trouvent à la partie supérieure de la tête, sur le côté.
Les sentiments SOCIAUX, qui sont la seconde catégorie des sentiments, rendent l’homme capable de la vie en commun ils donnent naissance à la famille, à la société et à l’État.
Toute connaissance en fait de science, d’art, de religion ou de gouvernement résulte de ces sentiments. C’est grâce à eux que nous jouissons des bienfaits de la civilisation. C’est parce que les Indiens d’Amérique ne les possédaient pas qu’ils ne purent être civilisés ; et c’est parce que les anciens Grecs les possédaient, qu’ils s’élevèrent de la barbarie à la civilisation la plus haute.
Ces sentiments, avons-nous dit, se divisent en trois classes les facultés domestiques, les facultés gouvernantes et les facultés morales.
Le siège des facultés domestiques est dans le cervelet et dans les lobes cérébraux postérieurs. Lorsque ces centres sont développés, la tête est longue et large en arrière, à partir de l’oreille. Ces sentiments engendrent l’accord, et non plus la lutte pour la vie, Les animaux des espèces les plus élevées possèdent aussi ces sentiments mais, grâce à la supériorité de l’homme, ils sont chez lui plus raffinés.
Le groupe des facultés gouvernantes se trouve dans le cerveau à la partie supérieure et postérieure de la tête. Lorsqu’elles sont fort développées, la tête est très longue à partir de l’oreille en arrière et en haut.
On les appelle facultés gouvernantes parce que leur fonction est d’assurer le gouvernement des autres facultés. Ce sont elles qui donnent la confiance en soi, la fermeté dans les desseins, le désir de voir le droit prévaloir elles engendrent des aspirations vers l’honneur, le pouvoir et le droit.
Les sentiments moraux ont leur siège dans la partie supérieure du cerveau. Lorsqu’ils sont développés, la tête est élevée et pleine au-dessus des oreilles. Ces facultés sont les plus particulières à l’homme. Leur tendance est de rendre l’homme capable de se conformer à tout ce qui est juste et à la volonté des autres. [p. 183]
Les facultés INTELLECTUELLES donnent à l’homme la connaissance des objets externes et de sas propres sensations internes. Tandis que les sentiments recherchent un objet ou une action capable de satisfaire le désir qui résulte de leur activité, l’Intellect, de son côté, ne recherche que la vérité.
Les sentiments sont les forces qui dirigent la conduite l’Intellect doit déterminer si cette conduite est nuisible ou n’est pas nuisible. L’homme recherche le bonheur, et, s’il sait ce qui le produit, il sera sûr de le trouver. Faire ce qui est juste produit le plus grand bien de l’homme; faire le mal, au contraire, détruit le bonheur. Si un homme est capable de distinguer le bien du mal, il fera ordinairement le bien. Cependant il ne suffit pas, pour que l’homme fasse le bien, qu’il soit éclairé ; ce sont les sentiments qui ont le plus à faire dans la formation de la volonté, et l’intellect n’est que le serviteur de celle-ci. Le caractère et la conduite des hommes dépendent des sentiments et des passions qui les poussent à l’action.
Le lobe frontal du cerveau est le siège de l’intelligence. Le développement de ce lobe donne la longueur, la largeur et la hauteur au front.
Les facultés intellectuelles se divisent en deux classes les PERCEPTIVES et les RÉFLEXIVES.
Les facultés perceptives sont unies à la partie basse du lobe antérieur du cerveau. Leur force relative est indiquée par la proéminence du front juste au-dessus des yeux, c’est-à-dire par la longueur du front à partir de l’oreille. Les facultés perceptives peuvent se diviser en deux classes
1° Celles qui saisissent tes qualités et propriétés des objets ;
2° Celles qui perçoivent les relations des objets.
Les facultés réflexives sont unies à la partie supérieure du lobe antérieur du cerveau. Lorsque celui-ci est large, il donne de la longueur à la tête depuis l’oreille jusqu’à la partie supérieure du front. Les facultés perceptives fournissent l’esprit de tous les faits concernant les objets externes elles cueillent, pour ainsi dire, la vérité dans le monde externe. Les facultés réflexives comparent ces faits : elles rendent l’esprit capable de se considérer lui-même, tirent de son propre travail la connaissance, et s’élèvent à d’autres vérités.
III
Notre intention n’est pas de nous étendre sur le détail d’une théorie dont nous avons voulu seulement indiquer les principes. L’ouvrage de M. Hoffman est d’ailleurs illustré de nombreuses figures et portraits sans l’aide desquels une exposition plus approfondie ne pourrait que demeurer obscure. Nous ne pouvons donc qu’engager le lecteur à se reporter à l’ouvrage, et nous sommes persuadé que, même s’il conteste les principes ou met en doute la valeur de la théorie, il trouvera [p. 184] cependant, chemin faisant, des observations, des analyses qui éveilleront son attention et auxquelles il prendra le même intérêt sympathique que nous y avons pris nous-même.
Il s’en faut d’ailleurs de beaucoup que la théorie des localisations cérébrales soit complètement à dédaigner. Le cerveau, en effet, comme on le sait, n’est pas une masse homogène. Il consiste en un certain nombre d’organes, dont chacun possède sa fonction déterminée, tout en étant dans l’union la plus intime avec les autres. A certaines de ces fonctions, des centres spéciaux ont été assignés par exemple aux mouvements des bras, des jambes, de la face; au langage, à la vision et à l’audition ; peut-être aussi à l’olfaction et à la sensibilité générale, bien que les localisations sensitives soient plus vagues en général que les localisations motrices.
II s’ensuit qu’aucune des recherches que l’on peut faire dans cette voie, soit chez nous, soit à l’étranger, ne doit être passée sous silence. A ces recherches on pourra, sans doute, reprocher d’avoir une tendance à trop multiplier les facultés, à considérer comme simple ce qui est complexe, à ne pas tenir un compte suffisant des relations qui existent entre les différentes parties de la substance cérébrale on doit bien admettre cependant qu’un aussi grand nombre d’observations si patientes, si bien conduites ne doivent pas être négligées.
Le tableau complet que M. Hoffman donne de nos facultés, et dans lequel figurent les facultés particulières, est le suivant :
amour de la vie | |||
faculté d’alimentation | |||
faculté d’acquisition | |||
faculté de destruction | |||
penchants égoïste | |||
amour de la lutte | |||
vigilance | |||
discrétion | |||
RELATIF À SOI (self-relatives) | amour de la construction | ||
amour du beau | |||
facultés esthétiques | amour du sublime | ||
esprit critique | |||
(mirthfulness) | |||
SENTIMENTS | |||
amour sexuel | |||
penchants domestiques | amour des enfants | ||
camaraderie | |||
amour de la maison | |||
amour propre | |||
SOCIAUX | facultés gouvernantes | amour de la probation | |
fermeté | |||
amour de la justice | |||
vénération | |||
faculté morales | bienveillance | ||
imitation (sympathie). | |||
confiance | |||
espérance |
[p. 185]
esprit d’observation | ||
faculté de la forme | ||
faculté de l’étendue | ||
faculté de la résistance | ||
faculté de la couleur | ||
FACULTÉS PERCEPTIVES | faculté de l’ordre | |
faculté du nombre | ||
faculté de l’événement | ||
faculté de la situation | ||
INTELLECT | faculté du temps | |
faculté du son | ||
faculté du langage | ||
faculté de comparaison | ||
faculté du rapport de cause à effet |
Cette division, ce morcellement de nos facultés peut paraître un peu exagéré. II est sujet à bien des objections et, ce qui choque nos habitudes françaises, ne répond pas à une conception théorique bien déterminée. Mais n’oublions pas que le point de vue auquel se place l’auteur, comme le font en généra! ses compatriotes, est surtout un point de vue pratique.
Ce qui, d’ailleurs, dans l’ouvrage de M. Hoffman, peut nous intéresser par-dessus tout, c’est de voir, dans les considérations morales qu’il nous présente, se formuler l’idéal humain que l’on conçoit en Amérique. Il y a là des vues qui appelleront sans doute la critique, mais qui solliciteront aussi la réflexion. Qu’enseignons-nous en général à nos enfants, et que leur recommandent avant tout nos traités de morale, si ce n’est la douceur, la soumission, l’obéissance, le mépris des richesses? Sans méconnaître les grands principes de la morale, la plupart des écrits américains, et en particulier le livre dont nous nous occupons, semblent refléter une conception plus virile, plus proche de la réalité, qui prépare mieux à la vie, et sujette à moins de mécomptes. Peut-être les philosophes qui rédigeront des cours de morale à l’usage de notre enseignement secondaire, où cette science comme on le sait, va tenir une plus large place, peut-être ces philosophes trouveraient-ils quelque profit à s’inspirer de ces ouvrages pour sortir des sentiers battus, pour donner aux élèves un enseignement plus concret, plus réel, et peut-être aussi, plus vivant. H nous semble qu’on insiste trop en général sur les qualités du genre de celles que nous venons d’énumérer, et qui laissent l’enfant désarmé quand il se trouve plus tard en contact avec la vie réelle. Il n’est sans doute pas inutile de lui faire connaître que les moutons sont mane’és par les loups et, partant, qu’il est nécessaire que des qualités opposées fassent équilibre aux précédentes. C’est ce qu’indique avec beaucoup de précision le livre de M. Hoffman.
C’est ainsi que, s’ils sont bien dirigés, les instincts d’acquisition, de destruction, l’amour de la lutte lui paraissent, pour la collectivité aussi bien que pour l’individu, essentiellement salutaires. Ces instincts [p. 186] doivent être, selon lui, non détruits, mais perfectionnés, et détournés en quelque sorte au profit de la communauté. Et il en est de même de la ruse ou de l’habileté dans les affaires.
En particulier, sa dissertation sur la richesse qui, sans doute, n’a rien de celle d’un Sénèque, n’en est peut-être que mieux accommodée aux besoins des sociétés industrielles et commerciales, au milieu desquelles, que nous le voulions ou non, nous vivons : « On accuse l’amour de l’argent, dit l’auteur, d’être la racine de tout mal, mais ne pourraiton pas dire également qu’il est la racine de tout bien ? Sans la tendance à accumuler la richesse, le plus grand génie est imparfait et pour lui le chemin du progrès est fermé. Pour l’homme pauvre, toutes les portes sont fermées, et l’on ne peut les ouvrir qu’avec des clefs d’or. L’argent est roi et dirige le monde. Qu’un homme ait de la réputation pour une certaine supériorité, et que l’on sache qu’il est pauvre, il tombe très bas dans l’estime du monde; qu’on sache au contraire qu’il est riche, tout le monde est son serviteur. Et ce n’est pas que les gens soient gouvernés par des motifs méprisables, car il est juste et naturel qu’ils respectent la richesse, ou plutôt ce qu’elle représente. La richesse est une force essentielle dans la production du bonheur et du bien. » Ce qui n’empêche pas l’auteur de faire ensuite toutes les réserves nécessaires sur la manière dont la richesse doit seulement s’acquérir, sur les limites que l’on doit imposer au désir de la posséder, sur la façon dont on doit en jouir et en faire profiter les autres.
Que ces considérations nous paraissent bien terre à terre et qu’elles dérangent nos habitudes d’esprit, cela est possible; mais introduites avec discrétion dans un cours, qu’on les accepte ou au contraire qu’on les combatte, elles n’en sont pas moins aptes, nous semble-t-il, à renouveler, dans une certaine mesure, l’enseignement de la morale. Une autre originalité nous frappe encore c’est l’importance accordée par l’auteur aux penchants et aux facultés affectives. Trop souvent, en effet, on se borne, même dans les traités qui concernent l’éducation, à l’étude de l’intelligence. Quant au caractère, aux sentiments, aux dispositions morales, qui sont pourtant, comme le remarque l’auteur, ce qui surtout dirige la conduite, on les laisse trop aisément dans l’ombre. L’intérêt, nous semble-t-il encore, est donc très grand de rétablir l’équilibre entre les facultés intellectuelles et les facultés affectives.
Sans méconnaître l’importance du rôle que joue l’intelligence dans la constitution de la personne humaine, il est désirable, il est bon que l’attention soit appelée sur cette autre partie plus profonde et, sans doute aussi, plus vivante de notre nature. L’intelligence elle-même, non pas abstraite, mais concrète, c’est-à-dire réalisée dans un individu, dépend de la personne, du caractère et lui est intimement unie. C’est là un point qu’on oublie trop souvent, et cette erreur est d’autant plus grave qu’elle conduit à étudier des formes vides au lieu d’étudier réellement l’individu.
C. RIBÉRY.
Note
(1) U.-J. Hoffmann, The science of the mind applied to teaching, New York, 1894.
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