Belletrud et Mercier. De l’instinct génésique, anosmie, à faire Ardisson. Extrait de la revue « Annales d’hygiène publique et de médecine légale » (Paris), 3e série, tome XLIV, n°6, 1903, pp. 481-490.

Belletrud et Mercier. De l’instinct génésique, anosmie, à faire Ardisson. Extrait de la revue « Annales d’hygiène publique et de médecine légale » (Paris), 3e série, tome XLIV, n°6, 1903, pp. 481-490.

 

Pierre-Michel-Emmanuel Belletrud (1856-1934). Médecin, maire de Cabris, conseil général des Alpes-Maritimes. Directeur des asiles d’aliénés de Rennes, du Mans et de Pierrefeu dans le Var, il cherche inlassablement à soulager les malades et à apporter des conditions de vie décente aux infirmiers.
Autre publication :
— (avec Paul Froissard) Conseils aux infirmiers. Paris, Vigot frères,1910. 1 vol. VIII, 331 p.

Edmond Mercier (1870-1945). Médecin, militant socialiste, maire de Pierrefeu et conseiller d’arrondissement, il eut quelques déboires avec la Résistance à la fin de la guerre.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Les images ont été rajoutées par nos soins. — Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 481]

PERVERSION DE L’INSTINCT GÉNÉSIQUE
ANOSMIE
AFFAIRE ARDISSON

Par Μ. le Dr Belletrud,
Directeur-médecin de l’asile d’aliénés de Pierrefeu (Var),
Et le Dr Mercier,
Médecin adjoint de l’asile de Pierrefeu,
Ancien chef de clinique des maladies mentales de Ιa Faculté de médecine
de Paris.

Le 27 septembre 1901, le nommé Ardisson (Antoine), en se rendant au grenier de sa maison, ouvrir la porte d’une chambre du troisième étage d’où s’exhalait une odeur fétide qu’il avait déjà remarquée antérieurement sans pouvoir en saisir l’origine. Il pénétra dans cette pièce et aperçu dans un coin un paquet informe, qui, vu de près, se trouva être le cadavre de fillette.

Prévenue par lui, la gendarmerie se rendit sur les lieux et constata que le cadavre était couché sur le dos et avait les jambes écartées. La tête, détaché du corps, gisait dans un coin à un mètre environ de distance. En revenant sur ses pas, le brigadier, attiré par l’odeur qui se dégageait d’un réduit placé sous l’escalier y pénétra et découvrit dans un sac, parmi de menus objets, une tête en putréfaction enveloppé dans un linge grossier. Des cheveux [p. 482] également découvert derrière une porte située sur le même palier.

Les soupçons se portèrent sur le fils d’Ardisson et ce jeune homme fut interrogé.

Il simula d’abord l’étonnement, puis il nia énergiquement, enfin pressé de questions, il avoua avoir déterrer le cadavre de la fillette découvert dans la chambre du troisième étage, l’avoir transporté chez lui dans un sac, et l’avoir souillé à plusieurs reprises.

Il déclara ensuite avoir exhumé et violé plusieurs autres cadavres. « voici, dit-il, comment je procédais : après avoir enlevé le couvercle des caisses, je sortais en partie le cadavre, je l’appuyais sur les bords de la caisse et là j’assouvissais c’est ma passion. »

Quant à la tête trouvée dans le réduit, Ardisson Victor, affirma « qu’il avait séparée du tronc avec un couteau, uniquement pour la conserver comme souvenir d’affection ».

Victor Ardisson

Il fut arrêté et, quelques jours après, il fut conduit à la maison d’arrêt de Draguignan. Là, aux questions qui lui furent posées par le Procureur de la République et le Juge d’instruction sur ses actes répugnant, il répondit : « Je ne trouvais pas de jeunes filles qui consentissent à céder à mes désirs, c’est pour cela que j’ai fait ça, car j’aurais préféré avoir des relations avec des personnes vivantes. Je ne le ferai plus. Je trouvais tout naturel ce que je faisais. Je n’y voyais aucun mal et je ne pensais pas que personne peut en trouver. Aujourd’hui que vous m’avez fait connaître la portée de ces actes, je vous promets de ne plus les renouveler et de me tenir tranquille. — Comme les femmes vivantes n’avaient pour moi que de la répulsion, il était tout naturel que je m’adressasse aux mortes qui ne m’ont jamais repoussé ! À celle-là je disais des paroles de tendresse telles que : « ma belle, mon amour, je t’aime ; »

Après expertise médico-légal, Ardisson Victor fut l’objet d’une ordonnance de non-lieu et internée à l’asile de Pierrefeu.

Les antécédents héréditaire de Ardisson Victor ne nous [p.483] sont connus que du côté maternel. Il est en effet certain que l’homme dont il porte le nom et qui le reconnut après aνoir épousé sa mère, n’est pas son père. Les témoignages des deux époux sont formels sur ce point.

La mère est une débile, chez laquelle rien n’entrave l’instinct sexuel très développé. Elle avoue sans aucune honte que dès que sa puberté elle recherchait les hommes, les provoquait au besoin, et s’abandonnait au premier venu sans aucune résistance. « J’étais comme les poules, » dit-elle.

Change de notre malade, et les deux fausse couche et donna le jour à trois enfants morts en bas âge.

Après la naissance de notre malade, et eut deux fausse couche et donna le jour à trois enfants morts en bas âge.

Un aïeul maternel était, nous dit-on, sournois et excentrique.

Une tante paternelle de la mère du malade était alcoolique et eut six enfants tous débiles. De ses six enfants, les trois premiers se sont suicidés et la quatrième a fait deux tentatives de suicide.

Dans l’enfance, Ardisson Victor se développa assez bien au point de vue physique ; mais au point de vue moral, ce prédisposé se trouva placé dans les conditions les plus défectueuses. Il n’eut sous les yeux que les pires exemples. Nous avons dit ce qu’est sa mère : une débile qui s’abandonne à ses instincts. Ajoutons pour donner l’idée des conditions dans lesquelles se développa le psychisme de ce malade, que son père adoptif est placé au moins aussi bas sur l’échelle de la dégénérescence. C’est, lui aussi, un débile sur lequel la débilité intellectuelle et la débilité morale marche de pair. Très brutal, il se livre pour des motifs futiles à des actes de violence. Il attirait chez lui les femmes de mœurs faciles qu’il pouvait trouver, et s’accouplait avec elle, en présence même de l’enfant.

L’instruction de d’Ardisson Victor fut très négligée, il ne resta qu’un an à l’école. Nous manquons de détails précis sur ce qu’il y fit.

Il quitta l’école de bon heure et se mit à exercer la profession de marchand de pigeons (graines de pain comestible). [p. 484] Cette profession lui laissait de nombreux loisirs pendant lesquelles il se livrait au vagabondage.

Il était doué d’un grand appétit et dévorait dans un seul repas des quantités considérables d’aliments. Il supportait ensuite des privations prolongées sans jamais se plaindre.

C’était un enfant toujours triste. Il ne montrait ni en rain, ni gaieté, et, se tenant à l’écart, il évitait le contact des enfants de son âge.

Il avait un caractère doux et obéissant, il se laissait volontiers conduire. Sa docilité et sa crédulité en firent souvent le jouet des personnes plus âgées que lui.

Cependant, dès l’enfance, l’instinct sexuel s’éveille en lui.

Il s’adonne à l’onanisme et contre argent il contracte de mauvaises habitudes avec des personnes de dépravées.

Souvent il erre à travers champs, et un secret désir, après s’être masturbé, le pousse à lécher la terre souillée par son sperme.

Les jeunes enfants l’attirent. Il recherche surtout toutes les occasions de regarder les jambes et les organes sexuels des petites filles. La représentation mentale de ces organes est pour lui plein de charme et provoque une érection suivi quelques fois d’éjaculation.

Bientôt il lui faut d’autres satisfactions. Epiant les femmes qui vont accomplir un besoin naturel, il se précipite sitôt après leur départ à l’endroit où elles étaient, lèche le sol, mange la terre imprégné de leurs urines et ce livre avec fureur à la masturbation.

Cependant, comme il était très timide, il n’osait s’adresser aux femmes ou le faisait si gauchement que celles-ci se moquaient de lui.

Une circonstance particulière donna un nouveau cours à son instinct sexuel exaspéré. Ardisson Antoine, en effet, étant chargé de remplacer en certains jours le fossoyeur du village, se faisait aider par Ardisson Victor qui prit sur l’habitude de fréquenter le cimetière.

Un soir, nous a-t-il raconté, vers sa vingtième année, il eut [p. 485] la curiosité après que la famille eut quitté le cimetière de voir et d’embrasser le corps d’une jeune fille qui lui plaisait beaucoup à cause de ses gros mollets. « Je n’eυs pas l’idée dit-il, de la violer. J’étais en érection seulement et je l’appelais ma belle. »

Le plaisir qu’il en ressentit fut si vivace, que son sommeil fut entrecoupé par des rêves. Le matin même à son réveil, il vit !a jeune fille, a ce qu’il raconte, pendant quelques secondes.

Dès lors il sentit s’éveiller en lui d’étranges sensations à la vue des femmes. Étant dans l’impossibilité de les avoir vivantes, il les rêvait mortes, les contemplait, et éprouvait des frissons voluptueux, lorsque, toujours en rêve, il les possédait.

Enfin sa perversion l’entraina de nouveau une nuit vers le cimetière après l’inhumation d’une femme. Il la déterra, la viola plusieurs fois, et embrassa ensuite ses organes génitaux.

Ainsi c’est un peu avant son service militaire qu’Ardisson Victor se livra pour la première fois aux actes qui devaient amener son internement.

Il avait tiré au sort en 1892. Incorporé au 61e régiment d’infanterie, il rejoint en novembre 1893 sa garnison à Bonifacio. Sitôt arrivé, il devient triste, s’isole, mange avec voracité et réponds brièvement sur un ton monotone, à toutes les questions qu’on lui pose. Quelques temps après il déserte et se réfugie dans une maison abandonnée. Découvert par ses camarades, il leur dit : « Ce n’est pas trop tôt que vous arriviez, car j’ai bien faim. »

Rentré en France en juillet 1894 avec un détachement pour tenir garnison à Marseille, il déserte à plusieurs reprises, et, finalement, après enquête médicale, est réformé pour irresponsabilité.

Pendant son service militaire, les relations sexuelles qu’il eut avec une maîtresse avait fait disparaître l’habitude de la masturbation, il ne songeait plus à violer les cadavres. [p. 486]

Une fois réformé, il revint dans son village. Il s’y montra voleur. Son caractère était en outre devenu irritable. Il faisait parfois à son père des scènes violentes au cours desquelles il poussait des cris et brisait la vaisselle.

L’excitation génésique reparut alors avec le caractère qu’elle présentait avant le départ pour le régiment. Il pratiquait la masturbation et de nouveau il souilla les femme décédées et lécha leur vulve avec délice. « J’ai prouvé, dit-il, tant de plaisir que le froid des cadavres ne m’incommodait pas. »

Enfin, ayant apporté un cadavre chez lui, il fut arrêté dans les circonstances que nous avons relaté plus haut.

Voici quelques mensurations que nous avons prises sur lui :

Centimètres
Taille…………………………………………………………… 154
Grande envergure………………………………………. 159,4
Tour de poitrine…………………………………………. 91,5

 

Millimètres
Conférence maxima 560
Courbe fronto-iniaque 335
Crâne Courbe sus-auriculaire 335
Diamètre antéro-postérieur maximum 188
Diamètre transverse maximum 154
Indice céphalique = 81,91 (sous-brachycéphale)

Taille est au-dessous de la moyenne, mais l’apparence est robuste. On note un certain embonpoint au niveau de l’abdomen.

L’inspection révèle de suite un front fuyant et une mâchoire inférieure très développée. On découvre ensuite un certain degré d’asymétrie faciale. La tête est ordinairement penchée à droite et de ce côté, la face est un peu plus volumineuse et plus large, principalement au niveau du maxillaire, qu’à gauche. Au contraire, le malaire et le pariétal sont un peu plus saillant à gauche qu’à droite.

Les cheveux bruns-blonds sont peu fournis, ils sont [p. 487] même rares au niveau du tourbillon. La barbe est blonde. Les Iris sont gris bleutés. Les oreilles sont bien conformes.

Les dents sont au nombre de vingt-huit, les dents de sagesses ne sont pas sorties. Aucune gâtée. Elles sont serrées et au niveau des incisives inférieures, il existe un certain degré de chevauchement. Les canines ne dépassent pas le niveau des incisives.

Les organes génitaux sont bien développés. Le gland est gros, le prépuce, très long, le recouvre entièrement.

Les diverses fonctions de la vie végétative s’accomplissent avec régularité.

Du côté de la motricité nous noterons surtout une faiblesse musculaire peu en rapport avec l’apparence du sujet. En effet, la pression dynamométrique de la main droite est de 25 et celle de la main gauche le 23.

Notons encore dans le même ordre d’idées un tremblement intentionnel à petites oscillations des membres supérieurs. Ce tremblement est très net lors de certains mouvements, l’écriture en particulier.

L’étude de la sensibilité est beaucoup plus intéressante.

La sensibilité général est peu développée. Il existe un retard notable dans la perception. La sensibilité à la douleur est obtuse.

Ce qui chez notre malade mérite surtout d’être mis en relief, c’est l’absence de l’odorat, absence qui explique que le mal a des plus supporter le contact du cadavre en putréfaction sans un autre le moins du monde incommodé. L’anosmie est complète. À l’inspiration nasale, il ne peut différencier le vin du vinaigre. Le poivre introduit dans les narines n’est pas perçu et ne provoque aucun réflexe.

La muqueuse gustatives n’est pas excité par le poivre, l’eau sucrée, le vinaigre. La l’aloès ne détermine aucune sensation d’amertume.

En général, les réflexes tendineux sont plutôt paresseux. [p. 488]

Réflexe pharyngées est aboli.

La contenance d’Ardisson depuis son internement et celle d’un être timide, craintif même. Sa physionomie est triste, peu intelligente, mais non bestiale. Elle s’anime toujours d’un sourire quand on adresse la parole au malade.

Il écoute avec attention, répond avec lucidité, exécute passivement et à l’instant les ordres qui lui sont donnés. Mais il ne faut pas trop prolonger l’interrogatoire, sinon on voit l’attension se fatiguer et les réponses aux questions se font attendre.

Les sentiments affectifs sont peu développés, mais existent. Il paraît aimer son père et sa mère. Il est heureux de se trouver dans la société de ses semblables et toutes les fois que nous allons causer avec lui, son plaisir est manifeste. Mais sa moralité est tout à fait rudimentaire, c’est ainsi qu’il nous a avoué qu’il aurait très volontiers couché avec sa mère, si celle-ci avait bien voulu y consentir.

La mémoire ne présente rien de particulier. Il sait la date de sa naissance, il se souvient de l’époque des principaux événements de sa vie.

Bien que n’ayant passé qu’une année à l’école, il lit couramment et écrit assez bien. Prié d’écrire : « Je suis dans une belle maison » il écrit : « Je sui dan une belle maison ».

Il calcule mal. Il ne connaît que les premières lignes de la table de multiplication. Si on lui demande combien font 4 fois 7, il répond 3 fois 7 font 21, puis, comptant sur ses doigts, il arrive à 28. Toute division lui est impossible.

Il est capable de faire une règle de trois simple à condition que le calcul en soit très facile. Il fait correctement le raisonnement nécessaire.

Il possède de quelques notions historiques et géographiques. Ainsi il connaît l’histoire de Jeanne d’Arc, il sait que Henri IV et Louis XIV étaient des rois de France. Il ignore absolument vers quelle époque c’est personnages ont vécu et même dans quel ordre ils se sont succédé. Il connait les [p. 489] capitales de la Prusse, de l’Espagne, de l’Angleterre. Il ne répond rien quand on l’interroge sur celles de la Turquie et de la Russie. Il croit que Pékin est la capitale du Portugal.

En somme, intellectuellement et moralement, Ardisson est un débile. Nulle part cette débilité n’éclate mieux que lorsqu’on le met sur le chapitre des actes qui ont motivé son internement. Il est en effet absolument inconscient de la gravité des actes qui lui sont reprochés. Il en parle très volontiers, sans aucune honte, et semble se complaire à donner des détails.

Parfois même, faisant claquer sa langue, il nous dit : « C’était bon ». « J’ai, nous dit-il, apporté chez moi une fille pour l’avoir à mon aise et coucher à ses côtés. Elle n’opposait aucune résistance et le trou s’agrandissait à mesure que je répétais l’acte. »

Son ignorance et sa débilité sont telles, qu’il s’attendait toujours à entendre les mortes lui parler, comme il avait entendu dire que cela arrivait parfois.

Il avoue bien maintenant qu’il a mal agi, puisqu’on le lui dit, mais il prétend qu’il ignorait faire mal, et il pense qu’en demandant pardon aux parents des filles et des femmes qu’il a souillées, il ferait une réparation suffisante.

Il assure d’ailleurs que s’il agissait ainsi c’était pour assouvir l’instinct génésique, mais qu’il aurait beaucoup mieux aimé avoir des femmes vivantes à sa disposition.

En effet, il ne s’agit pas ici d’actes impulsifs toujours dirigés vers un même but sous l’influence d’une perversion primitive de l’instinct génétique. Il s’agit seulement de l’utilisation des cadavres pour l’assouvissement de besoins sexuels exceptionnellement développés et empêchés d’arrivée à leurs fin naturelle.

Qu’Ardisson en soit arrivé à remplacer les vivante par des mortes, nous pouvons l’expliquer au moins en partie par la débilité intellectuelle et morale, par les circonstances qui ont fait de lui un fossoyeur et surtout peut-être, [p. 490] par la considération de cette anosmie complète, qui le  mettait vis-à-vis des objets de sa passion dans des conditions tout à fait particulières.

 

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