Azam. L’hypnotisme. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), 3esérie, tome VI, juillet 1860, pp. 428-452.
Le même texte a été publié comme article original dans les « Archives générales de médecine », (Paris), Vesérie, tome 15, 1860, volume 1, pp. 4- 24. – Bien sur sans les interventions de MM. Baillarger et Michea, avec la titre : Note sur le sommeil nerveux ou hypnotisme.
Cet article très important introduit la pensée de James Braid en France, et officialise la notion d’hypnotisme qui supplante celle très encrée de « magnétisme animal » initié par Mesmer.
Étienne Eugène Azam (1822-1899). Chirurgien bordelais qui s’intéressa beaucoup à la psychologie en général et à l’hypnotisme en particulier. Il fut avec Alfred Velpeau et Paul Broca, un des premier à découvrir l’anglais Braid et sa théorie de l’hypnotisme, et à en faire connaitre la pensée en France.
Quelques unes de ses publications :
— De la folie sympathique provoquée ou entretenue par les lésions organiques de l’utérus et de ses annexes, mémoire adressé à la Société médico-psychologique. Bordeaux : impr. de G. Gounouilhou , 1858. 1 vol.
— Azam. L’hypnotisme. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), 3esérie, tome VI, juillet 1860, pp. 428-452. [en ligne sur notre site]
— Amnésie périodique. Dédoublement de la vie. Extrait de « La Revue Scientifique », (Paris), 2e série, 5e année, n°47, 1er semestre, 20 mai 1876, pp. 481-490. [en ligne sur notre site]
— Double Conscience, état actuel de Félida X… Association française pour l’avancement des sciences. Congrès de la Rochelle, 1882. Séance du 30 août 1882 Paris : impur. de Chaix , (1883).
— Hypnotisme, double conscience et altérations de la personnalité ; préface par le professeur J.-M. Charcot. (Paris), J.-B. Baillière et fils, 1887. 1 vol. in-16, 294 p. Dans la Bibiothèque scientifique contemporaine. [en ligne sur notre site]
— Entre la folie et la raison. Les toqués. Extrait la « Revue scientifique », (Paris), 28eannée, 1ersemestre, tome XLVII, janvier-juillet 1891, pp. 613-621. Reprise intégrale dans : Entre la folie et la raison. Les toqués. Extrait des « Annales de psychiatrie et d’hypnologie », (Paris), nouvelle série, 3eannée, 1893, pp. 97-104, et 134-146. [en ligne sur notre site]
— Hypnotisme, double conscience, origine de leur étude et divers travaux sur des sujets analogues. Paris : F. Alcan , 1893. 1 vol.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les images, ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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M. le docteur Azam, membre correspondant à Bordeaux, a la parole pour une communication sur l’hypnotisme.
Hypnotisme.
Messieurs,
L’hypnotisme est un moyen particulier de provoquer un sommeil nerveux, un somnambulisme artificiel, accompagné d’anesthésie, d’hyperesthésie, de catalepsie, et de quelques autres phénomène portant sur le sens musculaire et l’intelligence.
L’origine de l’hypnotisme ou de pratiques analogues se perd dans la nuit des temps et se retrouve dans tous les pays ; je n’en étudierai pas l’immense historique, d’autres l’ont fait mieux que je ne saurais le faire. Qu’il me suffise de dire qu’un médecin anglais, J. Braid, en 1842, a simplifié son étude d’une façon singulière, en découvrant un procédé très simple pour le produire ; il l’a étudié avec soin, lui a donné le nom qu’il porte, et a fait un grand nombre d’expériences curieuses.
Mais, présentées sous une forme qui a pu éloigner les gens sérieux, ces études étaient tombées dans l’oubli. Plusieurs livres scientifiques, qui sont entre les mains des médecins en Angleterre, en Allemagne, en France, les avaient rappelées avec peu de détails, se contentant presque tous de reproduire la page 27 du livre de M. Braid, dans laquelle le procédé est exposé succinctement. Un vulgarisateur distingué des sciences, M. Victor Meunier, les avait aussi rappelées dans un feuilleton de la Presseen 1852.
Seulement, par une préoccupation d’esprit inexplicable, personne en France ne les avait répétées avec persévérance, pour voir le avantages qu’il était possible d’en retirer, et elles seraient encore dans l’oubli si, il y a dix mois, le hasard ne m’avait mis sur cette voie.
Comprenant toute l’importance de cette méthode au point de vue [p.429] chirurgical et du secours qu’elle pouvait apporter à la physiologie et à la psychologie, je l’étudiai avec soin et patience, et ma conviction faite, je l’apportai à Paris, seul tribunal convenable pour la juger de haut comme elle méritait de l’être ; et par l’Intermédiaire de mes savants amis, M.M. Broca et Verneuil agrégés à la Faculté, auxquels j’en fis l’exposé, elle a fait ces jours derniers, son entrée dans le monde scientifique.
Voici comment j’ai été conduit à cette élude.
Au mois de juin 1885, je fus appelé pour donner des soins à une jeune fille du peuple qu’on disait atteinte d’aliénation mentale, et qui présentait des phénomènes singuliers de catalepsie spontanée, d’anesthésie, d’hyperesthésie : elle présentait en outre une intéressante lésion de la mémoire, sur laquelle je reviendrai dans un travail spécial.
Déjà, depuis plusieurs années, il m’avait été donné d’observer chez d’autres malades des phénomènes de ce genre, et ma curiosité était vivement excitée. Peu disposé par la nature de mon esprit à accepter le merveilleux les yeux fermés, je résolus d’étudier, plus attentivement. Du reste je dois le dire, je n’avais rencontré dans ces faits aucune des prétendues merveilles du magnétisme, mais j’avais compris comment avec eux il était facile d’en faire ; j’y voyais des faits extraordinaires, mais qui dérivaient tous d’états morbides du système nerveux on d’états physiologiques d’essence Inconnus, Comme beaucoup de gens sérieux, j’avais un principe : c’est qu’on ne doit pas rejeter sans examen, ce qu’on ne comprend pas ; la somme de nos connaissances physiologiques et psychologiques est loin de nous en donner le droit. Alors je me mis à examiner ces questions avec patience.
James Braid.
Un premier obstacle s’élevait devant moi : je veux parler de l’évidente parenté de ces phénomènes avec ceux du magnétisme animal ; et, je l’avoue, j’avais un vif éloignement pour une doctrine qui, si elle compte quelques adeptes convaincus et sérieux, à des exploiteurs sans vergogne. Cependant je savais, comme tous les médecins, que le somnambulisme provoqué existe réellement, et que pour être étudié comme il mérite de l’être, il ne lui manquait que d’être élevé à la hauteur de la science , d’où certains de ses enthousiastes l’avaient exclu. D’autre part, depuis quelque temps, des hommes instruits et haut placés avalent publiquement étudié ces problèmes : ainsi la Société médico-psychologique sur la proposition d’unde ses membres les plus éminents, M. Cerise, mis à l’ordre du jour les névroses extraordinaires : une discussion longue et remarquable s’en était suivie, des faits nombreux, des arguments de toute ·espèce [p. 430] avaient été échangés, et, comme d’usage pour les questions de cette nature, croyants sceptiques étaient rentrés sous leurs tentes, plus fermes qu’auparavant dans leur conviction. Ces maîtres de la science vont de nouveau s’occuper de la question du somnambulisme ; j’ai l’espoir que la résurrection de l’hypnotisme pourra leur être de quelque secours : préciser la part de la physiologie et de la vérité dans des phénomènes qui jusqu’ici ont été victimes d’un scepticisme aveugle ou d’un enthousiasme ridicule, serait, je le pense, rendre un grand service aux esprits éclairés.
Mais revenons à notre malade. Je montrai cette jeune fille à plusieurs confrères : les uns, comme je devais m’y attendre, considérèrent ces phénomènes morbides comme une jonglerie ; d’autres m’engagèrent à les étudier et à faire des recherches, entre autres M. le docteur Bazin, professeur à la Faculté des sciences, et médecin en chef de l’asile, homme d’une grande érudition. Ce médecin me dit avoir lu dans !’Encyclopédie de Todd, article Sommeil (Sleep), qu’on médecin anglais, M. Braid, avait découvert un moyen de reproduire artificiellement des phénomènes analogues à ceux que j’avais observés chez cette malade. Il avait lu, mais n’avait jamais essayé par lui-même de répéter ces expériences. Je les répétai non sans avoir des doutes, je l’avoue, tant les résultats annoncés me paraissaient extraordinaires. Au premier essai, après une minute ou deux de la manœuvre connue, ma jeune malade était endormie, l’anesthésie complète, l’état cataleptique évident. A la suite, survint une hyperesthésie extrême, avec possibilité de répondre aux question, et d’autres symptômes particuliers du côté de l’intelligence. La réussite fut complète ; cependant, comme cette jeune fille présentait spontanément et morbidement, pour ainsi dire, tous ces phénomènes, il est évident qu’elle devait être prédisposée.
Dans la même maison, était une autre jeune fille très bien portante ; je la priai de se soumettre à l’essai, et après deux minutes au plus, les mêmes résultats furent obtenus, plus remarquables et plus complets peut-être.
J’ai essayé, fort peu, il est vrai, mais sans succès, les expérience de Braid sur ce qu’il nomme le phréno-hypnotisme ; je n’ai pas vu qu’il fût possible, en pressant certaines parties du crâne, de suggérer les idées correspondantes aux protubérances phrénologiques. Ne croyant guère à la phrénologie, du moins dans l’étal où est actuellement cette science, je n’ai pas été porté vers cette expérimentation ; je l’essayerai bientôt de nouveau. Peut-être pourrait-il en découler quelque résultat important.
Tels sont les principaux phénomènes que j’ai pu observer chez [p. 431] cette hypnotique : c’est la personne qui m’a offert l’ensemble le plus complet ; c’est pour cela que je l’ai choisie comme type. Les phénomènes que j’ai observés le plus souvent chez les nombreux sujets sur lesquels j’ai expérimenté sont par ordre de fréquence, la catalepsie, l’anesthésie, l’hyperesthésie, l’exaltation du sens musculaire, enfin les phénomènes psychiques. Je suis parfaitement convaincu qu’en répétant souvent ces expériences sur des personnes qui n’offrent, en commençant, que les plus simples de ces manifestations, on peut arriver, dans un temps donné, à les produire toutes,
Chez la plupart des sujets, j’ai observé un fait bizarre : en soufflant sur un œil pendant que les membres sont en catalepsie, les membres du même côté tombent immédiatement dans la résolution.
Sur deux sujets, deux femmes, j’ai observé un état singulier qui a succédé à la période de catalepsie : c’est une résolution musculaire complète, absolue, avec conservation entière de l’intelligence ; j’ai vu ces personnes glisser de leur chaise, et leurs muscles relâchés et sans force rappeler l’état du cadavre. Cet état n’a jamais duré plus de quatre ou cinq minutes, et s’est terminé spontanément comme il était venu.
Je montrai ces expériences à un assez grand nombre de médecins : les uns n’y virent qu’une mystification dont j’étais victime, d’autres refusèrent de les voir. Quelques-uns, plus attentifs, en comprirent toute l’importance et furent convaincus, entre autres M. le professeur Gintrac, M. Bazin, M. Parchappe, qui en fut vivement frappé ; M. Ernest Godard (de Paris}) ; M. Albert Lemoine, professeur de philosophie à la Faculté des lettres, aujourd’hui au lycée Bonaparte ; M. Oré, professeur de physiologie à Bordeaux, qui les répéta immédiatement sur plusieurs personnes de sa famille et sur un moine dominicain avec le même succès. Six mois après, M. Bazin parla de l’hypnotisme à la Société de médecine, et cita mes expériences : mais la discussion n’eut pas de suite, et les expériences ne furent répétées par personne. Cependant je continuais mes recherches sur d’autres personnes, et je réussissais souvent. J’étais contraint, par la nature même du sujet, d’agir dans l’ombre comme un coupable, et dans un cercle restreint ; encore en transpirait-il quelque chose, et si mon caractère, heureusement bien connu, ne m’eût mis au-dessus du soupçon, le mot de charlatanisme eût été prononcé. Cependant dans l’asile des femmes aliénées, j’avais expérimenté avec des succès divers, constatant, entre autres choses, qu’une des premières conditions est l’attention du sujet, difficile à fixer chez les aliénés. J’avais constaté aussi que chez les épileptiques, et les [p. 432] hystériques à convulsions, l’attaque était immédiatement provoquée par le strabisme convergent ; ce fait s’est présenté assez souvent à moi, et j’ai dû renoncer à ces expériences, nu moins inutiles sur des malades.
Je ferai à ce sujet une courte digression : je suis convaincu qu’il existe, d’une part entre les phénomènes cérébraux de l‘attaque d’épilepsie ou d’hystérie, et peut-être d’autres états purement physiologiques, et d’autre part le strabisme convergent supérieur, une relation particulière encore inconnue.
Voici sur quoi je me fonde : dans l’attaque d’épilepsie, si l’on ouvre de force les paupières des malades, les yeux sont convulsés en haut et en dedans ;de même dans l’attaque d’hystérie et dans les attaques convulsives des enfants, de même enfin dans le sommeil physiologique.
Or, on l’a vu, on faisant convulser artificiellement les yeux en haut et en dedans, on provoque l’attaque d’épilepsie, l’attaque d’hystérie ; on produit aussi un sommeil non physiologique, il est vrai, mais enfin un sommeil.
Nous avons à l’asile de Bordeaux une jeune épileptique des plus intéressante, Henriette R…, qui nous vient de la Salpêtrière, service de M. Trélat. Quand elle a eu une série d’attaques, elle devient strabique ; après quinze jours ou un mois de repos, ses yeux reprennent leur position normale ; rien qu’en la voyant de loin, nous savons qu’elle a eu ses accès.
Je suis convaincu que la lecture de ces faits va réveiller les souvenirs d’un grand nombre de médecins qui ont observé des phénomènes analogues, et auxquels il ne manquait qu’un lien pour les réunir en faisceau.
M. Piorry a fait depuis longtemps des remarques de ce genre, et adopté une théorie de l’attaque d’épilepsie basée sur les lésions de la rétine.
Mois revenons à nos expériences. J’étudiai avec le plus grand soin ces phénomènes sur plusieurs personnes d’âge et de sexe différents, et je pus me convaincre que, sur beaucoup de points, Braid avait dit la vérité ; que sur d’autres il l’avait singulièrement exagérée ; d’autre part, il me sembla, et la plupart des expérimentateurs sont aujourd’hui de cet avis, que la succession des périodes n’était pas rigoureusement celle que l’auteur anglais avait donnée ; enfin que tout était à vérifier par soi-même.
Il est probable qu’on ne réussit pas aussi souvent sur les hommes que le dit Braid. Voici quelques-uns de ses chiffres : à ;Manchester, en séance publique, il réussit 10 fois sur 14 adultes ; à Rochester, [p. 433] 30 fois en une séance, 16 fois dans une autre, en présence de M. Herbert-Mayo. Je dois dire que j’a réussi, en petite proportion, sur les hommes adultes ; peut-être qu’avec de la patience et par d’autres procédés, on fera mieux que moi.
D’autre part, alors même que le sommeil est obtenu après un temps plus ou moins long, les phénomènes successifs varient en durée et en intensité. D’après Braid, il y aurait une succession presque constante dans l »ordre suivant : excitation, anesthésie, et pendant les deux, catalepsie. J’ai observé le plus souvent l’ordre contraire, et tous les médecins qui à Paris ont répété ces expériences l’ont observé comme moi. Cependant M. Trousseau, chez un petit garçon, a observé l’excitation d’emblée. Cette période existe du reste dans l’anesthésie chloroformique, et ne se montre pas toujours. Je crois que l’anesthésie, son intensité, sa durée même, sont en raison de l’intensité de la contraction des muscles de l’œil. Chez les malades qui sont très rapidement endormis, j’ai observé le plus souvent l’état de somnambulisme complet avec hyperesthésie.
La durée de la période anesthésique peut être très longue. Chez plusieurs malades, elle a duré jusqu’à une demi-heure, sans la moindre fatigue. Des exemples de longue anesthésie ont été observés par MM. Velpeau, Follin, Natalis Guillol, Préterre, etc. Ce profond sommeil, quand on ne provoque pas une catalepsie inutile, est au contraire un repos qui, au dire des sujets (quand ils parlent), ne manque pas de charme,
Au sujet de la période d’insensibilité, qui est la principale au point de vue de l’application pratique, je ferai quelques remarques qui me sont dictées par ce que je vois se passer autour de moi.
En premier lieu, je me défends d’avoir jamais prétendu que l’hypnotisme devait et pouvait remplacer complètement, et dès aujourd’hui, le chloroforme. Quand j’ai apporté à Paris et racnté le résultat de mes expériences sur cette anesthésie, il était constant pour moi qu’elle était applicable aux opérations ; mais il fallait l’étudier, et l’expérience dira les cas dans lesquels elle peut remplacer le précieux mais terrible agent dont on se sert aujourd’hui : le temps montrera si ces cas sont nombreux. Je n’admets pas qu’on puisse se passionner sur ces sortes de choses et juger sans avoir vu ou entendu. Le but est grand et d’une importance singulière, il mérite des recherches sérieuses. Je ne suis pas, grâce à Dieu, enthousiaste par nature, et ne cherche pas tout dans quelque chose ; mais il m’est permis d’espérer pour l’hypnotisme de sérieuses applications.
Ce moyen venant après le chloroforme, il semble qu’il doive être employé dans les mêmes conditions et de la même manière : il [p. 434]semble qu’on n’ait, pour endormir les malades, qu’à remplacer l’éponge ou la compresse par un objet brillant. On ne réussit pas ! faut-il repousser et condamner le moyen ? N’est-il pas plus rationnel de baser un procédé sur la nature, l’essence même de l’agent qu’on emploi ? Ayant pour principale condition l’attention du sujet, le calme d’esprit, l’absence de bruit, l’hypnotisme, on le comprend, peut faire triste figure à l’amphithéâtre, au milieu de nombreux spectateurs, près des instruments, avec l’idée dominante d’une opération. Il faut vraiment que le chloroforme soit puissant et brutal, comme il l’est, pour terrasser les malades dans des conditions pareilles ; encore cela n’arrive-t-il pas toujours.
On comprend ce qu’il y a à faire désormais : hypnotiser le malade plusieurs fois avant l’opération, pour s’assurer de son aptitude et de la durée de la période anesthésique ; ne pas l’avertir du moment, agir dans le calme, éloigner les préoccupations violentes ; enfin il n’est pas un chirurgien qui ne comprenne la conduite à suivre. C’est long, me dira-t-on ; le chloroforme est bien plus commode. Je ne dis pas non ; mais faisons-nous de la chirurgie pour nous ou pour nos malades ?
Il faut également y mettre une certaine persistance, éviter les mouvements de l’objet brillant ; le moindre bruit peut distraire, surtout certains malades, dont le sens de l’ouïe s’exalte immédiatement. Un médecin hypnotisé par M. Verneuil, et qui rend parfaitement compte de la période initiale, affirme que les mouvements de l’objet, ou du bruit même léger, retardent ou empêchent chez lui l’invasion du sommeil.
Du reste, le nombre des hypnotisations faites en ce moment est considérable, et chacun peut déjà contrôler ces données avec sa propre expérience.
L’hyperesthésie hypnotique présente un vif intérêt au point de vue de la physiologie ; elle se montre d’une manière moins constante, quelquefois la première, le plus souvent après la torpeur ; elle porte sur tous les sens, saur la vue, mais surtout sur le sens de la température et sur le sens musculaire, dont elle démontre l’existence d’une manière irréfragable. L’observation citée plus haut nous en offre des exemples remarquables. L’ouïe atteint une telle acuité, qu’une conversation peut être entendue à un étage inférieur ; les sujets même sont très fatigués de cette sensibilité ; leur visage exprime la douleur que leur fait éprouver le bruit des voitures, celui de la voix ; le bruit d’une montre est entendu à vingt-cinq pieds de distance.
L’odorat se développe et acquiert la puissance de celui des [p. 435] animaux. Les malades se rejettent en arrière, en exprimant le dégoût pour des odeurs dont personne ne s’aperçoit autour d’eux. A-t-on touché de l’éther, on fait une autopsie trois ou quatre jours auparavant, les malades ne s’y trompent pas. Quel est le médecin, j’en appelle à M. Briquet, qui n’a observé très souvent ces phénomènes spontanés chez des hystériques ? Si, derrière le malade, à 30 ou 40 centimètres de distance, on présente sa main ouverte ou un corps froid, le sujet dit immédiatement qu’il éprouve du froid ou du chaud, et cette sensation est si forte, qu’elle devient pénible, et que le sujet cherche à l’éviter.
Il en est de même du goût. Le sens musculaire acquiert une telle finesse, que j’ai vu se répété devant moi les choses étranges racontées du somnambulisme spontané, et de beaucoup de sujets dits magnétiques. J’ai vu écrire très correctement en interposant un gros livre entre le visage et le papier ; j’ai vu enfiler une aiguille, très fine dans la même position ; marcher dans un appartement, les yeux entièrement fermés et badés : tout cela sans autre guide réel que la résistance de l’air, et la précision parfaite des mouvements, guidés par le sens musculaire hyperesthésié.
Du reste, si l’on veut y réfléchir, nous sommes entourés d’analogies : le pianiste joue la nuit, sans jamais se tromper de touche : et qui dira l’incommensurable fraction de mètre à mesurer sur la corde du violon entre la note fausse et la note juste, si imperturbablement obtenue par la pression du doigt de l’artiste ? La facile, exécution de la contractilité musculaire dans l’état hypnotique est un des faits les plus faciles à vérifier. Les bras étant dans la résolution (et s’ils n’y sont pas, on obtient cet état par une simple friction prolongée}, on prie le malade de serrer un objet quelconque, un dynamomètre par exemple ; si alors on malaxe les muscles avec les mains, on les sent se roidir, acquérir la dureté du bois, le·sujet développe une force extraordinaire et sans accuser la moindre fatigue.
M. Verneuil a raconté à la Société de chirurgie une expérience faite sur lui-même. En fixant-un objet éloigné en haut et en arrière., il peut se mettre dans un état qui n’est pas le sommeil hypnotique, car la conscience du monde extérieur persiste ; si alors il étend horizontalement le bras, il peul garder cette attitude pendant douze à quinze minutes, presque sans fatigue, et l’on sait que l’athlète le plus vigoureux peut à peine conserver la position dite bras tendu, pendant quatre à cinq minutes. Le médecin brésilien cité plus haut garda cette position dans les mêmes conditions pendant plus de vingt minutes. [p. 436]
Ainsi la fatigue ne paraît plus exister, les muscles s’oublient, leur conscience ordinaire est troublée, et l’équilibre normal de nos sens est rompu par une concentration cérébrale particulière.
Si nous voulions nous laisser entraîner sur le terrain des an analogies, nous écririons de longues pages, mais je dépasserais le cadre que je me suis tracé.
Ne pense-t-on pas comme moi ,par la force du prétendu fluide magnétique et de ses merveilles, de la double vue, etc., etc., est dans ces hyperesthésies et dans cet équilibre du sens musculaire détruit ? Tous ces phénomènes, je l’ai déjà dit, anesthésie, hvperesrthésie, catalepsie, désordres du sens musculaire, se montrent dans les maladies. L’hypnotisme permet de les reproduire artificiellement chez l’homme sain : c’est extraordinaire, c’est vrai ; mais je n’y vois point de merveille, Or, comme un sujet hypnotisé peut conserver toute sa raison, et par suite les idées de fourberie, il pourrait attribuer une double vue on à n’Importe quel agent mystérieux les prodiges que lui permettent de faire des sens singulièrement exaltés. Si les chiens pouvaient parler, ne serions-nous pas très portés à les croire, s’ils nous racontaient que c’est par la puissance d’un fluide mystérieux qu’ils peuvent reconnaître dans la rue les traces de leur· maître, deux heures après son passage ?
Je sais bien que les magnétiseurs disent qu’ils font des choses beaucoup plus extraordinaires ; je ne les ai point vues, on me permettra de garder le silence.
Je crois à ce que je raconte, parce que je l’ai étudié et réétudié et je trouve cela bien suffisant. Du reste, je n’impose ma conviction à personne ; bien au contraire, je demande qu’on ne me croie pas sur parole, et qu’on expérimente comme moi.
Je dirai quelques mots du phénomène de catalepsie : c’est le plus constant, il peut exister avec l’anesthésie comme avec l’hyperesthésie : on éprouve une émotion singulière à voir un cataleptique en hyperesthésie faire des efforts impuissants pour soustraire ses bras au plus léger contact, son oreille an bruit qui l’assourdit.
Le fameux baquet de Mesmer.
Il est le premier qui se produise, et il peut se montrer avant même l’anesthésie. Le fait curieux observé par M. Verneuil sur lui-même démontre combien la contractilité musculaire est sous l’empire de l’état des yeux avant même que l’hypnotisme soit établi. Il peut s’accompagner de contracture partielle : je l’al observé deux fois ; M. Verneuil une fois, chez le médecin cité plus haut. Cet état cataleptique atteint en général tous les muscles du corps, et il est possible de donner aux sujets les poses les plus étranges, sans qu’ils éprouvent aucune fatigue pendant quinze à [p. 437] vingt minutes, quelquefois plus longtemps. Serait-ce à, comme le dit Braid, le secret de la statuaire grecque, qui connaissait le moyen de faire poser d’une façon parfaite d’excellents modèles ? Cela est possible. Il n’est du moins pas douteux que les poses des faquirs n’aient cette origine. Bernier raconte qu’ils arrivaient à cette sorte d’extase en regardant longtemps le bout de leur nez : de même pour les extases des moines du mont Athos, nommés omphalo¬psychiens, parce qu’ils regardaient obstinément leur· nombril. Souvenons-nous des extases de sainte Thérèse, des convulsionnaires de Saint-Médard, des proscrits des Cévennes, etc., etc. M. Pouzin a raconté à la Société médico-psychologique, le fait d’une jeune hystérique de sa connaissance qu’il a trouvée plusieurs fois en catalepsie devant sa glace, dans les poses les plus bizarres ; il se l’explique aujourd’hui.
Les malades peuvent entendre la voix, et l’état cataleptique des muscles du larynx s’opposer à la phonation ; une friction sur la partie antérieure du cou fait cesser cet état, et la. parole reparait. Cette propriété remarquable de la friction ou du courant d’air froid pour faire cesser la catalepsie générale ou locale étonne par la rapidité de son action ; M. Puel l’a découverte il y a quelques années, bien avant Braid, mais il n’était pas probable qu’il eût connaissance des travaux du médecin anglais. Dans son très remarquable travail sur la catalepsie, couronné par l’Académie, il raconte longuement l’observation d’une cataleptique spontanée ; par hasard il découvrit que, par une légère friction, il faisait cesser la catalepsie des mains, puis des muscles des membres et du tronc ; enfin un jour il fit cesser l’accès en frictionnant les paupières, et éveilla la malade. Ce moyen lui servit à a guérir. Chez la cataleptique spontanée qui motivé mes recherches, j’ai observé le même phénomène et pratiqué les mêmes manœuvres avec succès ; mais la catalepsie n’était qu’un des accidents de sa maladie,
Nous avons vu, pendant la période d’anesthésie, le pouls s’abaisser singulièrement, sans cependant descendre aux caractères du pouls syncopal. Dans la catalepsie provoquée, il en est tout autrement : après quatre ou cinq minutes, le pouls s’accélère, les battements du cœur deviennent énergiques ; quelquefois les malades éprouvent de l’oppression ; il est alors prudent de mettre les membres au repos ou de faire cesser l’hypnotisme. Nous verrons tout à l’heure quels sont les phénomènes psychiques que cette catalepsie peut permettre de constater.
J’ai remarqué maintes fois qu’en frictionnant un œil, on fait cesser la catalepsie de la moitié correspondante du corps. [p. 438]
Il est des sujets chez lesquels la catalepsie ne parait pas s’établir d’emblée, c’est-à-dire que les membres ne gardent pas immédiatement les positions données ; il faut alors les prier, si du moins ils entendent, de faire un petit effort pour garder la position, et l’on
voit cet effort devenir en quelque sorte constant et l’état cataleptique du membre élevé se produire. C’est dans Braid que j’ai pris l’indication de cette expérience : sa traduction va paraître, j’y renvoie le lecteur, il y trouvera un très grand nombre d’autres faits non moins dignes d’intérêt. Il arrive souvent que l’état cataleptique ne peut être produit que dans les membres supérieurs.
Un fait curieux est celui-ci : si, pendant cette période, l’opérateur place un doigt sur la main du sujet, l’autre doigt sur la face ou la tête, il se produit dans tout le corps du patient un frémissement douloureux en tout semblable à une vive commotion électrique. J’ai constaté ce fait sur six ou sept personnes, je ne saurais trop engager à l’étudier.
L’action de l’électricité d’induction sur les sujets hypnotisés est un très Intéressant sujet d’études ; je les ai commencées, et j’en publierai les résultats quand mon opinion sera bien établie et mes conclusions arrêtées.
Nous arrivons maintenant au dernier ordre de phénomènes, ceux que je nommerai psychiques. Dans ce sujet délicat, je mettrai de la réserve et ne citerai que ce que j’ai observé, toujours en priant ceux qui me liront de répéter par eux-mêmes avec patience quand ils auront un sujet convenable. J’ajouterai que Braid raconte, dans un chapitre, Intitulé Phréno-hypnotisme, un très grand nombre de faits étranges : j’en ai vérifié quelques-uns ; pour d’autres, je n’ai pas réussi ! il en est d’autres en fin que je n’ai pas contrôlés ; il me manquait, pour diriger mes recherches, une foi plus robuste. Cette partie du sujet est donc· celle qui demande le plus d’études nouvelles ; pour moi, comme pour tous, c’est la plus importante au point de vue psychologique, mais aussi la plus difficile : c’est celle, je le prévois, qu’on étudiera avec le plus d’ardeur.
La plus importante et la plus curieuse des découvertes de Braid, dit M. Carpenter dans l’article Sleep de l’Encyclopédie de Todd, est la démonstration qu’il a faite du principe de la suggestion. Par suggestion, Braid entend ceci : un sujet, dans l’état cataleptique, est placé dans une position donnée exprimant l’orgueil, l’humilité, la colère, etc., immédiatement ses idées seront portées vers ces sentiments, et cela avec une grande force ; son visage l’exprimera vivement, ainsi que ses paroles M. Carpenter s’est convaincu de la vérité du fait ; je l’ai étudié avec le plus· grand [p. 439] soin, et je puis ajouter mon témoignage à celui de l’éminent physiologiste.
Bien plus, l’idée d’une action limitée peut être suggérée : ainsi les mains placées dans la position de grimper, de combattre, de lever un fardeau, de tirer à soi, l’idée de ces actions vient immédiatement et avec force ; bien mieux, les deux bras étant placés dans la situation de porter deux seaux, j’ai vu une personne hypnotisée exprimer une grande fatigue du poids qu’elle disait porter. Je renvoie, pour plus de détails, à l’article de M.. Carpenter et à Braid lui-même.
Les sensations extérieures ont sur les hypnotisés un très grand pouvoir : ainsi la musique provoque la danse d’une manière irrésistible ; une musique douce fait verser d’abondantes larmes. Je n’ai pas eu occasion de vérifier ces assertions.
Le phréno-hypnotisme est, d’après Braid, la démonstration de la phrénologie par l’hypnotisme.
Ainsi il serait possible d’exciter les sentiments particuliers, les goûts, les idées, en pressant fortement sur les protubérances correspondantes du crane du sujet hypnotisé. Braid cite un très grand nombre d’expériences dans lesquelles il a pu donner des idées de vol en pressant l’organe du vol ou de l’acquisivité : de combat, en pressant sur celui de la combativité, etc., et cela sur des sujets qui n’avalent en rien la notion de la phrénologie. Je suis arrivé seulement à amener une excitation du sens de l’odorat en frottant vivement le nez ; mais je n’ai pas vérifié les phénomènes phrénologiques purement intellectuels : j’avoue que l’idée de jouer de l’intelligence comme d’un piano m’a paru étrange !
Tels sont les principaux phénomènes qu’il est possible d’étudier par cette méthode curieuse d’analyse, qui permet de reproduire artificiellement les états pathologiques les plus curieux du système nerveux, et d’examiner les théories philosophiques sur la sensibilité et l’intelligence.
Quels sont les fruits que l’avenir retirera de la résurrection de ces études ? Il est impossible dès aujourd’hui de le prévoir. Si l’on en croit l’auteur anglais, un grand nombre de malades pourraient être guéris par l’hypnotisme : il cite 65 observations de cure des maladies les plus diverses. ll est impossible au médecin sérieux de ne pas reconnaître dans ces faits la complaisance et l’enthousiasme de l’inventeur pour son œuvre : on en jugera en les lisant.
Cependant une méthode qui amène à volonté l’anesthésie, l’hyperesthésie, qui peut contraindre à l’immobilité la plus absolue telle ou telle partie du corps, qui déprime ou excite à loisir la [p. 440] circulation, qui amène un sommeil calme et peut faire cesser, comme M. Puel et moi l’avons vu, la catalepsie spontanée, etc. : une méthode pareille, dis-je, doit avoir un certain avenir thérapeutique, pourvu qu’elle soit expérimentée sans passion, dans le seul but de chercher la vérité.
Ici doit être posée une question importante : L’hypnotisme offre-t-il des dangers ? Je crois que l’abus de ces manœuvres pourrait fatiguée le système nerveux, provoquer des attaques d’hystérie. Je ne crois pas prudent de les cmployer chez les épileptiques, chez ceux qui ont des maladies du cœur. Mais je n’ai jamais rencontré dans ma pratique, et Braid n’a jamais vu dans !a sienne, de vie compromise par l’hypnotisme ; je n’ai même jamais observé de syncope. Du reste, cette méthode ne doit pas sortir des mains des médecins ; eux seuls savent en effet les contre-indications qu’elle peut avoir, et sauraient porter remède aux accidents nerveux qu’elle peut amener.
Tout l’avenir de l’anesthésie chirurgicale hypnotique est dans une expérimentation patiente et bien faite, et les opérations pratiquées aujourd’hui suffisent pour démontrer que l’insensibilité à la douleur peut être réalisée (1). Si cette pratique se généralise, ma joie sera grande d’avoir remis en honneur, en tirant Braid de l’oubli, un moyen qui puisse permettre de remplacer le chloroforme, ne fût-ce que pour les petites opérations.
Je terminerai par quelques remarques. L’imitation sur les phénomènes hypnotiques une influence non douteuse ; ils n’échappent pas à la loi qui régit un grand nombre de manifestations du système nerveux. La contagion du bâillement, celle de l’attaque hystérique, les épidémies de suicide et de démonomanie du moyen-âge, les convulsionnaires, etc., démontrent et au-delà cette singulière loi. Une personne étant en hypnotisme, j’ai pu mettre dans le même état quatre ou cinq autres femmes à la fois, en les priant de regarder attentivement la première. Les magnétiseurs expliquent cela par un fluide ; la contagion et l’imagination suffisent. Tous les médecins ne savent-ils pas que lorsque dans une salle d’hôpital une femme a une attaque d’hystérie, il n’est pas rare d’en voir un grand nombre d’autres prises en même temps du même accident. [p. 441]
Il n’est pas douteux non plus que l’imagination excitée ne joue dans l’hypnotisme un certain rôle, moins grand peut-être que dans le somnambulisme provoqué, mais analogue.
Aujourd’hui, que l’exactitude du fait physique sur lequel est basé l’hypnotisme est reconnue, et qu’on sait l’importance du strabisme convergent supérieur, il surgit une quantité de faits observés en tous temps et en tous lieux, auxquels il ne manquait qu’un lieu pour être réunis en faisceau.
Tels : on Grèce, les mystères d’Isis et du temple de Diane à Éphèse, les pythonisses ; à Rome, les incantations : le sommeil sacré imposé par certains prêtres d’Afrique, sommeil qui n’est autre que l’hypnotisme au moyen d’un poignard ; certains procédés de sorcellerie et de certaines paroles grossières. Chacun a entendu raconter des faits analogues. En Franche-Comté, de tout temps, on a endormi les dindons en leur mettant une paille sur le bec ; un spirituel cultivateur dans une lettre datée de sa basse-cour, a rappelé, ces jours derniers, le fait à M. Velpeau. Dans le Midi, on endort les coqs et les poules par un procédé analogue. On se rappelle l’oiseau de proie, qui, après avoir décrit des cercles au-dessus du gibier, s’arrête, immobile, battant des ailes, à quinze ou vingt pieds, et, après quatre ou cinq minutes, fond sur lui.
On en rapprochera avec raison certaines pratiques du magnétisme : ses adeptes honnêtes et convaincus y verront avec plaisir l’explication d’un grand nombre de phénomènes attribués à un prétendu fluide et à des causes trop extraordinaires,. Le merveilleux descendra ainsi du piédestal où l’ont placé l’enthousiasme irréfléchi des uns et l’industrialisme des autres, et beaucoup de ses phénomènes rentreront dans la science, d’où ils n’auraient jamais dû sortir.
Des faits pathologiques sont déjà venus se rattacher à l’hypnotisme. J’ai cité celui de M. Pouzin, et les idées de M. Piorry : j’ajouterai celui-ci, très bizarre : Un des jeunes littérateurs les plus éminents de l’époque, devenu spontanément strabique, éprouvait une telle fatigue à fixer un point rapproché, que tout travail prolongé était devenu impossible. Le hasard lui fait découvrir qu’en couvrant un œil, il peut travailler de longues heures.
Je ne terminerais pas cette communication, si je citais tous les faits qui surgissent autour de nous, pour s’aller ranger autour de l’hypnotisme. Aujourd’hui la question est sur son véritable terrain : l’étude est faite par des hommes consciencieux et éclairés, les expériences sur l’homme et les animaux se comptent par centaines, les tentatives chirurgicales se multiplient, et même, pendant que [p. 442] s’imprimera ce mémoire, un grand nombre de faits nouveaux surgiront sans doute pour attesté l’importance et la vérité de ceux que j’ai racontés.
L’hypnotisme est-il le dernier mot de la science sur cette question ? Je ne le pense pas. S’il est jusqu’ici le meilleur moyen de provoquer le sommeil nerveux chez un certain nombre de personnes, il n’agit pas indistinctement sur toutes. Il est à espérer qu’on découvrira un moyen sûr ou des moyens variés de provoquer chez tous ce sommeil, qui est encore dans l’ordre des faits physiologiques.
Nous l’avons dit plus haut, tous les états nerveux, qu’ils soient spontanés on provoqués, physiologiques ou pathologiques, sont connexes, et l’hypnotisme est venu démontrer cette liaison aux yeux les moins clairvoyants. Le sommeil physiologique a pour pendant le somnambulisme spontané ; celui-ci, le somnambulisme provoqué. La catalepsie et l’extase, reléguées parmi les curiosités médicales, l’hypnotisme les reproduit à souhait ; les hyperesthésies, les anesthésies, l’exaltation de la force musculaire, observées chez les hystériques, on les retrouve chez les hypnotisés de tout âge et de tout sexe, on retrouve chez eux la reproduction des phénomènes pathologiques étudiés dans ces derniers temps comme des lésions de la conscience musculaire. Le sens musculaire exalté, chez l’hypnotisé, nous rend compte de certaines merveilles du somnambulisme spontané ou provoqué,
El il n’est pas douteux pour nous que de même qu’il existe un somnambulisme naturel, dont les phénomènes sont reproduits par le somnambulisme artificiel, il existe un hypnotisme naturel, c’est· à-dire des états pathologiques qui réunissent la plupart des phénomènes de l’hypnotisme. La jeune cataleptique qui a provoqué mes recherches en est un exemple frappant. La malade de M. Puel, madame D…, qu’il a guérie par un procédé emprunté, sans le savoir, à la pratique de l’hypnotisme, en est un autre. Confusément rangés jusqu’à ce jour, sous le titre hystérie, tous ces états nerveux doivent être aujourd’hui séparés ; une seule chose est vraie, c’est que cette maladie propre aux femmes est le champ qui convient le mieux à leur développement naturel ou artificiel.
Aujourd’hui l’hypnotisme démontrant leur existence, ils doivent quitter leur rang et leur nom de curiosités morbideset se classer dans la physiologie.
Je me suis souvent préoccupé des différences qui pourraient exister entre le sommeil hypnotique et le sommeil magnétique. Citez l’hypnotisé, on obtient une exaltation ou une dépression de la sensibilité [p. 443] ou du sens musculaire, pendant que l’intelligence reste à peu près à son état normal ; chez les somnambules spontanés ou provoqués, l’intelligence peut être hyperesthésiée, pour ainsi dire, et certaines de ses fonctions, la mémoire par exemple, acquérir une puissance considérable ou avoir des dépressions subites.
Ce fait, je le dirai en passant, a aussi sa reproduction pathologique. Je rappellerai l’histoire bien connue d’une jeune fille âgée de vingt ans, hystérique et somnambule spontanée, qui parlait latin dans ses attaques. Or c’était une paysanne absolument ignorante, et comme les phrases qu’elle disait étaient empruntées à la liturgie, on criait au miracle. Un pèlerinage s’était même organisé, lorsqu’un médecin crut reconnaître dans ce latin des phrases du bréviaire ; il chercha dans les antécédents de la jeune fille et il eut la certitude qu’à l’âge de douze ans, elle avait été placée chez un vieux curé qui avait l’habitude de lire tout haut son bréviaire devant elle. Ce latin n’était qu’une évocation étrange d’un souvenir ordinairement effacé. M. Broca m’a cité un jeune somnambule qui, chez un pasteur protestant, parlait, disait-on, hébreu, probablement de la même manière. On comprend les étranges résultats que peut amener cette exaltation de la mémoire.
Or, si les magnétiseurs les reproduisent, cela ne tiendrait-il pas à ce que leurs procédés s’adressent plus particulièrement au moral qu’au physique ? Ils frappent l’imagination et Imposent leur prétendue puissance : aussi leur faut-il des sujets prédisposés, des malades impressionnables et croyants.
L’hypnotisme, au contraire, qui agit sur la généralité des gens par un procédé d’abord physique ou mécanique, produit plus particulièrement des phénomènes sensoriaux d’un ordre moins élevé : comme il agit moins sur l’intelligence, celle-ci est appelée à jouer un rôle moins marqué dans les phénomènes hypnotiques.
Je considère donc la différence des procédés comme devant amener une différence dans les états obtenus ; c’est une raison de plus pour moi de croire qu’on finira par trouver un moyen commode et facile d’agir sur tous les hommes et à volonté, sur l’intelligence comme sur les sens : il me semble que l’étude de l’hypnotisme y conduira.
De même que l’alchimie et ses pratiques ont été le berceau de la chimie, la thaumaturgie, la magie, les sciences occultes enfin, apportèront à la physiologie et à la philosophie une source précieuse d’études nouvelles dont il est impossible de prévoir l’étendue.
Note
(1) La Société de chirurgie a reçu déjà un certain nombre de communications relatives à l’hypnotisme appliqué à la chirurgie ; elle a nommé une Commission qui devra lui présenter le résumé des résultats obtenus. On rappellera certainement, à cette occasion, les résultats obtenus par Esdaile.
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M. Baillarger rapporte les deux faits suivants, à l’occasion de la communication de M. Azam : [p. 444]
Un enfant était atteint de vertiges épileptiques, et son père les reproduisait à volonté en lui faisant fixer de très près un objet quelconque. —M. Baillarger a de plus donné des soins à un jeune homme d’une éducation distinguée, qui ne pouvait fixer longuement un objet rapproché, les caractères d’un livre par exemple, sans voir se reproduire les attaques d’épilepsie auxquelles il était sujet. Rapprochant ces faits de ceux que M. Azam vient d’exposer, il pense qu’il y aurait lieu de rechercher l’effet de l’hypnotisation chez les épileptiques, et de voir si les pratiques de l’hypnotisme n’auraient pas pour effet de provoquer, chez les individus prédisposés, des attaques d’épilepsie.
M. Michéa a expérimenté sur les gallinacés les moyens d’obtenir le sommeil cataleptique indiqués, dans l’ouvrage de Braid, et il a observé des effets très marqués d’anesthésie et de catalepsie.
Addition à la séance du 12 décembre 1859. – Présidence de M. TRÉLAT.
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