Auguste Hamon. Mysticisme et Subconscience. Extrait de la « Revue pratique d’apologétique », (Paris), troisième année, tome VI, 1908, pp. 501-513.

Auguste Hamon. Mysticisme et Subconscience. Extrait de la « Revue pratique d’apologétique », (Paris), troisième année, tome VI, 1908, pp. 501-513.

 

Auguste Hamon (1860-1935). Jésuite (à partir de 1881 ; ordonné prêtre en 1894). – Docteur ès lettres (Poitiers, 1901).
Quelques publications :
Un grand rhétoriqueur poitevin. Jean Bouchet, 1476-1557 ? Paris : H. Oudin , 1901.
— Thérèse est-elle une hystérique ? Extrait de la « Revue pratique d’Apologique », (Paris), deuxième année, tome IV, 1907, pp. 357-366. [en ligne sur notre site]
— Vie de la bienheureuse Marguerite-Marie [Alacoque], d’après les manuscrits et les documents originaux. Paris, Editions Beauchesne, 1907, in-8°, 57 p. – 2ème édition : 1909.
— Les possédées de Loudon et Don Lobineau. « Revue pratique d’Apologétique », tome XXXI, 1921, pp. 33-39.
— Un maître de la vie mystique. Le P. René de Maumigny, de la Compagnie de Jésus. 2e édition. 1921.

[p. 501]

Mysticisme et Subconscience 

Les études mystiques sont toujours en faveur et je crois qu’il en sera longtemps ainsi les problèmes qu’elles soulèvent sont trop difficiles et trop passionnants pour ne pas susciter de nouvelles études et par là même, presque toujours, de nouvelles solutions. Décidément on a reconnu qu’il fallait renoncer à tout expliquer par la névrose ; le matérialisme médical a fait son temps et ce n’est pas le Dr Binet-Sanglé qui le remettra en honneur. Nous ne nous en plaindrons pas. Vraiment il était difficile de concevoir une explication plus antiscientifique les faits n’existaient pas, ou plutôt ils n’existaient qu’à la condition de pouvoir s’adapter à la théorie qui, par hypothèse, était infaillible. Aussi je ne connais pas de caricature plus odieuse des faits mystiques que celle présentée par plusieurs médecins qui ont essayé de les étudier ces hommes de science ne tiennent aucun compte des affirmations les plus nettes et les plus authentiques, ils ne s’occupent même pas quelquefois de ce qu’ont bien pu dire ou écrire ou sentir les sujets dont ils veulent diagnostiquer l’état, ils ramassent, dans des livres dont le moindre défaut est le manque absolu de critique, des calomnies et des histoires à dormir debout; et ils prononcent leur jugement névrose, hystérie, folie ; le problème est résolu.

M. Henri Delacroix, professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Caen, ne procède pas ainsi (1), et c’est bien sincèrement que nous le félicitons d’avoir voulu connaître les mystiques avant de les juger. Il a raison d’écrire (XIX) « il n’y a au fond qu’une méthode historique « ; et il s’agit avant tout, qu’on soit psychologue, théologien et même médecin de respecter l’intégralité des faits. Nous aimons encore à le dire à son honneur, M. Delacroix a étudié sainte Thérèse et Mme Guyon comme aussi le bienheureux Suso, d’une manière aussi objective que possible, et vraiment un théologien informé et critique pourrait signer, presque toujours, son exposé historique. Je dis presque toujours, parce que M. Delacroix, comme tous ceux qui [p. 502) ont une théorie longuement élaborée et à cause de cela trop chérie, n’a pas su toujours l’oublier à propos. On apprend beaucoup à le lire, et à le discuter.

Un mot de sa méthode d’abord. Connaître à fond tout le mysticisme est un rêve irréalisable le mysticisme chrétien seul est déjà une matière trop vaste pour une vie humaine ; M. Delacroix ne peut étudier que certains cas, mais il choisira les plus significatifs. Laissant de côté les premières ébauches historiques du mysticisme chrétien, il estime qu’il suffira, pour le bien connaître, de l’observer dans l’école allemande et flamande du XIIIe et du XIVe siècles, et dans l’école espagnole et française du XVIe et du XVIIe. On pourrait présenter des objections de détail ; d’une manière générale, il a raison. Mais il faut encore tailler dans le sujet ainsi restreint ; il est impossible d’analyser tous les cas. Lesquels choisir ? « Les grands mystiques créateurs et inventeurs, qui ont trouvé une nouvelle forme de vie et qui l’ont justifiée » (III). J’aurais dit simplement, les grands mystiques, les mots qui suivent supposent la théorie de l’auteur. S’il s’en trouve parmi ces grands mystiques qui nous ont livré leurs secrets dans des écrits théoriques et dans des lettres ou autobiographies, voilà ceux qui sont vraiment intéressants, et M. Delacroix, qui pense ainsi, choisit sainte Thérèse, Mme Guyon, Henri Suso. Mme Guyon était-elle vraiment désignée pour représenter le mysticisme chrétien ? L’auteur me répondra qu’il y a un mysticisme chrétien orthodoxe, celui de sainte Thérèse, et un autre qui ne l’est pas, celui de Mme Guyon. J’entends bien ; cela peut se concilier avec sa théorie de la subconscience que nous allons discuter tout à l’heure, mais non pas avec la théorie catholique orthodoxe ; et voilà déjà comment une théorie apparaît déterminante d’un choix qu’une autre théorie ne permet pas d’accepter.

M. Delacroix me permettra d’ajouter — et lui-même le reconnaît — que le nombre de ses observations est bien restreint, trois. J’admets parfaitement qu’il eût été fastidieux de recommencer dix fois, vingt fois, cent fois la même étude historico-mystique, mais enfin l’auteur ne va-t-il pas un peu vite quand il croit pouvoir tirer de trois cas, dont l’un est très discutable et l’autre étudié de façon sommaire, « une généralité psychologique… la forme la plus complète et la plus riche du mysticisme catholique » (VI, VII) ? D’ailleurs, il répète (XVII) qu’il n’en veut tracer que les seules grandes lignes, et cependant, dans son analyse, il décrit des détails assez peu importants peut-être en eux-mêmes, mais très caractéristiques de sa théorie l’ordre, par exemple, dans lequel apparaissent les visions et [p. 503] les paroles dans la vie mystique de sainte Thérèse (p. 99). L’ordre est-il le même dans la biographie des autres mystiques ? Et pour poser une autre question, existe-t-il véritablement un âge de l’extase ? Quelle que soit la réponse, la nature du mysticisme catholique reste la même, mais répondre oui ou non n’est pas sans doute indifférent à la théorie de la subconscience. Et voilà pourquoi, en admettant ce que nous n’admettons pas — que cette théorie s’adapte parfaitement aux trois cas de sainte Thérèse, de Mme Guyon et du bienheureux Suso, il ne faudrait pourtant rien conclure pour les autres mystiques.

Alors M. Delacroix a fait une œuvre inutile. Au contraire, le volume est très intéressant et très sûr dans ses développements historiques, seulement les conclusions dépassent les prémisses, et je dois ajouter que l’explication des phénomènes mystiques donnée par l’auteur ne me semble pas adéquate.

Nos mystiques chrétiens affirment tous, et d’une manière très nette, que les états privilégiés par où ils passent sont l’œuvre de Dieu. Ces états produisent dans l’âme des effets merveilleux qui, parfois, ont leur retentissement dans le corps, sans que la volonté intervienne; manifestation d’une puissance étrangère et supérieure ils sont, dans leur cause et dans leurs effets, œuvre divine. Tout en admettant l’entière bonne foi de ceux qui parlent ainsi, M. Delacroix ne partage pas leur manière de voir. Il reconnaît que la force interne qui dirige le mystique « n’est point sa volonté consciente ; que cette intelligence qui ordonne sa vie n’est point son intelligence réfléchie, ses états dès lors sont bien la manifestation d’une puissance étrangère à sa conscience et supérieure, la réalisation progressive en lui d’un Dieu qui s’empare de lui, le pénètre et le transforme; mais ce Dieu n’est qu’un Dieu intérieur, ce divin c’est le θεὶoν έν ηµὶν ce sont les forces subconscientes, qui peuvent prendre figure divine, au sens religieux du mot, lorsqu’elles unissent et la fécondité créatrice et la richesse morale et la conformité d’une tradition religieuse extérieure » (p. 62). Une question se pose cette subconscience ne pourrait-elle servir d’instrument à l’action divine, de véhicule à une grâce extérieure et transcendante. M. Delacroix pense que la psychologie ne peut répondre, et de fait le problème la dépasse, mais il estime aussi que, les états les plus sublimes du mysticisme n’excédant point les forces de la nature, il est inutile de chercher une explication autre qu’une explication naturelle. Toute bonne science, en effet, a doit opérer par réduction de l’inconnu au semblable déjà connu ». Je le veux bien, mais la question est précisément de savoir si l’inconnu, c’est-à-dire les plus hauts phénomènes mystiques — peuvent ici [p. 504] être comparés au connu, c’est-à-dire à des faits de sommambulisme, d’hypnose, d’hallucinations très souvent incohérentes, d’écriture automatique, de lecture de pensées plus ou moins démontrées (2) ; plus simplement encore, il s’agit de savoir s’il n’y a pas, dans les manifestations mystiques, des phénomènes qui semblent bien dépasser les forces de la nature, et par là, même la subconscience.

Tout le problème est là, il est du plus haut intérêt. Si, comme les mystiques chrétiens l’affirment, c’est Dieu, intimement, présent à l’âme, qui opère les célestes merveilles qui les torturent et les ravissent, ce Maître souverain des créatures voudra, sans doute, donner des marques certaines de son action et la signer pour ainsi dire. L’a-t-il fait ?

Parlant de visions intellectuelles, sainte Thérèse dit que Dieu y instruit l’âme et lui parle sans paroles. « Dieu met alors au plus intime de l’âme ce qu’il veut lui faire connaître… il lui révèle de grandes vérités, de profonds mystères… En un moment l’âme est devenue savante. (3) » « Il m’est arrivé, et il m’arrive encore quelquefois de recevoir la connaissance de secrets plus sublimes (4). » «Un jour, pendant que je récitais le psaume Quicumque vult(5), il me fut donné à entendre de quelle manière il y a un seul Dieu et trois personnes, et cela si clairement que j’en fus remplie d’admiration et de joies (6). » « Je connais une personne qui ne savait pas que Dieu fût en toutes choses par présence, par puissance et par essence, et qui, après avoir été favorisée de la grâce dont je parle (oraison d’union), le crut de la manière la plus inébranlable. En vain, un de ces demi savants à qui elle demanda comment Dieu était en nous, et qui n’en savait pas plus qu’elle avant qu’elle eût été éclairée, lui répondit que Dieu n’était en nous que par grâce elle ne voulut point ajouter foi à sa réponse, tant elle était sûre de la vérité. Elle interrogea ensuite de vrais savants, et comme ils la confirmèrent dans sa croyance, elle en fut extrêmement consolée (7). »

On pourra dire, je le sais bien, que ces connaissances intellectuelles, vagues ou précises, que les mystiques chrétiens [p. 505] attribuent à l’action d’un être supérieur, ne sont que « l’irruption dans la conscience ordinaire d’éléments élaborés dans les régions subconscientes de l’esprit (8) ». On le dira, mais on ne le prouvera pas. Il faudrait expliquer comment une idée aussi nette que celle-ci Dieu est en nous par présence, par puissance, par essence (9) a pu entrer dans la conscience subliminale de sainte Thérèse, et apparaître, lors d’une extase, très nette et toute lumineuse, à son intelligence consciente, sans que jamais cette femme si fine, si perspicace à pénétrer les plus intimes secrets de sa psychologie, ait réussi à découvrir le moindre vestige de son passage. On répondra qu’après tout il n’y a là rien d’absolument impossible, et l’on nous mettra au défi de prouver une telle impossibilité. Il faut bien reconnaitre que nous ne le pouvons pas, mais il semble pourtant que notre position est préférable à celle des défenseurs de la subconscience. Leur hypothèse, surtout si l’on considère tous les cas d’illuminations intellectuelles dont elle est appelée à rendre compte, et chez sainte Thérèse et chez tous les mystiques catholiques, apparait bien débile et vraiment insuffisante; rien au contraire ne dépasse la nôtre. Il est vrai que pour être adoptée définitivement il lui faudra expliquer certains faits où la subconcience ne pourra fournir aucune bonne explication. En existe-t-il ? Il semble que oui.

Les illuminations intellectuelles des mystiques éclairent en effet non seulement des faits passés, des vérités éternelles ou des événements présents, elles dévoilent encore l’avenir. Sainte Thérèse est aussi affirmative qu’on peut l’être : « Que… ces paroles puissent avoir une origine divine, j’en ai des preuves manifestes dans la réalisation par faite et sans exception aucune, d’une foule d’événements qui m’avaient été annoncés deux ou trois ans à l’avance(10). » Voilà qui ne laisse pas d’être fort significatif. C’est une femme très intelligente et d’une loyauté absolue qui parle ainsi. Dirons-nous qu’elle exagère à son insu, qu’il y a eu des exceptions. Je veux bien le concéder pourvu qu’on m’accorde en retour que rien ne justifie pareille hypothèse. Ces exceptions supposées nous laissent libres d’ailleurs d’écrire que des lumières surnaturelles ont montré d’avance, à sainte Thérèse, pendant deux ou trois ans, un bon nombre d’événements qui [p. 506] se sont accomplis réellement comme ils lui avaient été prédits. Ce n’est pas chez la sainte une affirmation isolée. « Il m’est arrivé bien des fois d’hésiter un peu à croire ce qui m’avait été annoncé, dans la pensée que c’était peut-être une chimère — j’entends après un certain intervalle, car au moment même c’est impossible — et longtemps après, j’en voyais de mes yeux la réalisation (11). » « Combien de fois Notre-Seigneur ne m’a-t-il pas prévenu des dangers qui me menaçaient ou qui menaçaient d’autres personnes Combien d’événements ne m’a-t-il pas annoncés trois ou quatre années à l’avance ! Et tous se sont accomplis, j’en signalerai peut-être quelques-uns (12). » « Le 29 septembre, fête de saint Michel, la sainte, après avoir communié avec les autres religieuses, dut s’aliter définitivement. Il y avait alors au monastère d’Albe une enfant de dix ou onze ans, fille d’Antoine Gaytan, que la sainte mère y avait admise par dispense spéciale, et qui porta dans le Carmel le nom de Marianne de Jésus. Ce « petit ange », comme l’appelait la sainte, se tenait souvent auprès du lit de la malade. Un jour que son jeune cœur était en proie à l’inquiétude, dans la pensée que si la mère mourait, on ne la recevrait peut-être pas à la profession, celle-ci, donnant une dernière preuve de sa pénétration des esprits lui passa sa main sur le visage en disant:Ne t’afflige pas, mon enfant. Tu feras profession ici. La prophétie se réalisa plus de quatre ans après (13). » M. Delacroix indique très brièvement, mais très nettement, le caractère prophétique de certaines visions ou paroles de sainte Thérèse. « Elles sont souvent prophétiques et ce qu’elles annoncent se réalise toujours » (p. 91). Mais je n’ai pas trouvé dans son ouvrage comment la subconscience suffisait encore ici à tout expliquer. C’est peut-être qu’elle n’explique plus rien, et qu’il faut dire avec le Dr Grasset, que la divination et la prophétie ne seront jamais scientifiques. (14) La subconscience ne travaille en effet que sur le connu subconscient, elle élabore des données antérieures qu’elle ordonne, qu’elle clarifie, qu’elle dépasse même, si l’on veut, comme le travail conscient dépasse les connaissances sur lesquelles il raisonne; mais, de toute évidence, la subconscience, pas plus que le travail conscient, ne peut déterminer à coup sûr l’avenir, ni ouvrir le livre fermé où pénètre seul le regard de Dieu. Si donc sainte Thérèse a connu l’avenir dans les conditions [p. 507] qu’elle-même indique — et je ne vois pas une raison scientifique d’émettre un doute sur son témoignage il faut, de toute nécessité, attribuer cette connaissance à une cause capable de la produire ; la subconscience y est radicalement insuffisante, reste l’action surnaturelle.

Nous pourrions nous en tenir là. Mais, à mon avis, il est encore bien des cas où l’hypothèse de M. Delacroix ne semble pas rendre compte suffisamment des faits, et, puisque la question est vitale, on me permettra d’insister. Avec beaucoup de finesse et de talent, M. Delacroix étudie le développement des états mystiques de sainte Thérèse et de Mme Guyon. Nous nous occuperons surtout de la première. Son mysticisme ne constitue pas un état « unique, éternel, statique », c’est au contraire une suite d’états « qui s’appellent, se commandent, se transforment » (p. 60) (15) Ils forment comme trois groupes, qui sont les trois étapes de la vie mystique. Au début, selon l’analyse de M. Delacroix, l’âme, sans sortir du premier état, va de la quiétude à l’union, de l’union à l’extase, de l’extase au ravissement, et, dans ce voyage, elle se détache progressivement d’elle-même pour s’unir plus étroitement à Dieu. Ces degrés « abolissent progressivement la conscience personnelle, le sentiment du moi et de l’univers et ils réalisent intérieurement, pour un temps très court, la conscience à la fois affective et intellectuelle de la présence de Dieu » (p. 65) ; dans cet état la contemplation et l’action sont encore distinctes, distincts aussi le divin et l’humain.

Le second état consiste dans une extase douloureuse où l’âme c sent que Dieu, si on peut dire, lui est donné absent » (p. 65). La conscience du moi, qui dans l’état précédent était momentanément abolie pendant l’extase délicieuse, se manifeste de nouveau et devient profondément crucifiante. « L’âme a conscience, à la fois, de la présence de Dieu et d’elle-même, de l’union et de l’obstacle à l’union ; elle sent entre Dieu et elle la vie qui se refuse au divin et elle aspire à la mort qui seule doit rendre possible l’union qui s’offre et se dérobe » (p. 66). En même temps que cette souffrance aiguë, l’âme subit aussi d’autres peines mystiques les grâces précédentes sont oubliées ; dévorée de troubles,, de scrupules, elle vit dans [p. 508] un état de stupeur, d’indifférence, de dégoût qui la rend impuissante à l’oraison et constitue un véritable martyre.

A cette crise, qui peut être très longue, succède la troisième période, désignée par sainte Thérèse sous le nom de mariage spirituel. L’âme est véritablement transformée « par la possession divine continue, permanente, consciente » (p. 67). Identifiée avec Dieu, elle sent que tous ses actes, toute sa vie jaillit du divin ; la contemplation et l’action ne se gênent plus c’est une véritable déification.

Parallèle à ce premier développement mystique, en voici un second. Sainte Thérèse entend dire, au moment où elle reçoit ses premières grâces d’oraison, que l’Inquisition a condamné beaucoup de visionnaires, victimes de leur imagination. Elle s’effraye. Les Pères de la Compagnie de Jésus qui la dirigent lui font faire alors les Exercices de saint Ignace. Quelques-uns de ses directeurs doutent des grâces qu’elle reçoit, elle-même ne sait à quel esprit les attribuer. Sous toutes ces influences il se produit en elle un dédoublement de conscience; elle élabore, à son insu, des paroles, des visions qui se rattachent à son mysticisme intérieur et en deviennent, à ses yeux, la garantie et la justification. Elle voit Notre-Seigneur, la très sainte Vierge, les Saints, elle les entend lui adresser des paroles qui la rassurent.

Par le premier développement, c’est un Dieu interne et confus que la sainte a créé dans son âme ; par le second, c’est un Dieu précis et extérieur, le Dieu de l’Écriture et de la Tradition. La seconde création empêche la première de devenir dangereuse. Le Dieu confus qu’ils s’efforçaient de réaliser n’a-t-il pas entraîné souvent des mystiques imprudents hors du christianisme et même de toute religion ; grâce à la fécondité très orthodoxe de sa subconscience, sainte Thérèse n’est pas sortie de la vérité catholique.

Je n’ai pas ici à discuter l’analyse de M. Delacroix ; il va sans dire que je suis loin de l’accepter. Je la prends pourtant telle qu’il la donne, les états décrits tels qu’il les admire, et je ferai deux simples remarques. Comment la subconscience peut-elle construire un si merveilleux système ? — le schéma que je viens de faire ne donne qu’une faible idée de sa richesse et de son harmonie. — Là où nous pouvons l’observer, son action est presque toujours incohérente et bizarre dans sa nervosité maladive quelques éclairs lumineux y brillent sans doute de temps à autre, mais isolés, et les parcelles de vérité qu’ils dévoilent ne se tiennent pas; en vain on essaierait d’en faire un système. Pourquoi donc, impuissante à peu près partout ailleurs, la [p. 509] subconscience devient-elle, chez les mystiques et seulement chez eux, une force admirablement souple, une raison inconsciente qui dépasse et de beaucoup la raison consciente (16) ? C’est ma première question, voici la seconde.

M. Delacroix, après sainte Thérèse, étudie Mme Guyon. Chez toutes les deux il constate le développement du Dieu interne et confus, mais Mme Guyon n’a pas su ou n’a pas pu élaborer le Dieu extérieur, le Dieu précis de l’Écriture et de la Tradition, et voilà sans doute ce qui l’a entraînée hors de l’orthodoxie. Je le veux bien. Mais pourquoi donc Mme Guyon a-t-elle été impuissante là où sainte Thérèse a réussi ? Quand elle commence à s’adonner à l’oraison, elle est tout aussi orthodoxe que sainte Thérèse, elle éprouve, comme elle, de vives contrariétés, elle a, comme elle, des doutes intimes, et, comme elle encore, elle médite sur Notre-Seigneur qu’elle prend pour époux en 1672. Pourquoi donc sa subconscience ne crée-t-elle pas le Dieu précis qui deviendrait aussi la garantie et la justification de son mysticisme ? Elle était moins bien douée que celle de sainte Thérèse, dira-t-on, et nous voilà bien empêchés d’y aller voir. Mais pourquoi donc encore, très puissante pour élaborer le Dieu confus aussi puissante même que celle de sainte Thérèse, au témoignage de M. Delacroix — la subconscience de Mme Guyon ne peut-elle pas même esquisser le Dieu précis ? J’avoue n’en pas voir la raison.

Il faut aller plus avant. Les états mystiques agissent sur la volonté aussi bien que sur l’intelligence; la subconscience rend-elle suffisamment compte de ce fait nouveau ?

Les paroles divines perçues dans l’oraison sont essentiellement opérantes. La première fois que sainte Thérèse eut un [p. 510] ravissement, elle entendit ces mots a Je ne veux plus que tu converses avec les hommes, mais avec les anges. » Avant cette grâce, les amitiés humaines lui tenaient fort au cœur, et elle ne pouvait se résoudre à briser des liens trop doux. Tout change immédiatement après, il lui devient impossible de trouver le moindre plaisir, sauf avec les personnes qui aiment Dieu et le servent. Parenté, amitié, rien n’y fait (17). « Quand Dieu parle. son discours est parole et œuvre tout ensemble. Ses paroles fussent-elles des paroles de réprimande, et non de bienveillance, dès le premier mot elles disposent l’âme, la rendent souple, l’attendrissent, l’éclairent, la consolent, l’apaisent. L’âme était-elle intérieurement dans la sécheresse, l’agitation, le trouble, ces paroles lui enlèvent tout cela comme avec la main, et bien mieux encore. Au premier mot la voilà toute changée (18). » Ce ne sont point d’ailleurs les seules paroles divines qui opèrent ainsi dans l’âme, c’est le propre de toutes les faveurs mystiques d’y produire de merveilleux effets. Voici ceux qui accompagnent les grâces d’union a L’âme se sent pleine de courage, et si, à cette heure, on la mettait en pièces à cause de Dieu, elle en éprouverait une grande joie. C’est ici que naissent les promesses et les résolutions héroïques, les brûlants désirs, l’horreur du monde, la vue claire de sa vanité. (19) »

M. Delacroix et les défenseurs de la subconscience estiment que cette conversion de la volonté n’est pas consécutive aux paroles, mais qu’elle les accompagne apaisement et paroles seraient le résultat de modifications profondes et d’un long travail ignoré qui feraient tout à coup apparition et comme explosion dans le champ de la conscience. On ne saurait nier l’action très réelle en nous de la subconsciense. Souvent, dans le travail de la mémoire par exemple, a un effort initial met en branle un organisme secret dont le dernier rouage fait surgir le mot désiré, comme s’il venait spontanément. Une maîtresse de piano, raconte Starbuck, après qu’elle avait clairement indiqué à l’élève comment il fallait exécuter un passage difficile, et que l’élève avait essayé en vain, lui disait : « Maintenant n’y pensez plus, cela se fera tout seul (20). Puisqu’il y a dans ce cas un travail subconscient qui finit par émerger, et apparaître dans la conscience, le même travail peut exister et existe dans d’autres cas. Vraisemblablement les mystiques chrétiens ont [p. 511] attribué plus d’une fois à une action surnaturelle ce que les seules forces de la nature suffisaient à expliquer. Sainte Thérèse elle-même à très finement observé, au chapitre XXVe de sa Vie, la différence entre les paroles formées par l’entendement et celles qui viennent de Dieu. J’avoue qu’il n’est pas aussi facile de distinguer les paroles formées par la subconscience, car nous ne pouvons étudier son travail que précisément à l’heure où il cesse d’être subconscient. Cependant est-il tout à fait impossible de lui fixer des limites et de reconnaître une force surnaturelle dans certains effets des grâces mystiques sur la volonté ?

Il faut d’abord remarquer que sainte Thérèse, à qui l’on ne refusera ni l’intelligence, ni l’expérience, considère toujours la grâce mystique comme antécédente à l’effet produit sur la volonté, c’est pour elle une cause. Elle me parait avoir raison dans bien des cas. Nous sommes, vers 1559, la sainte entend déjà des paroles surnaturelles, elle n’a pas encore de visions. Cinq ou six personnes, tous grands serviteurs de Dieu, ont jugé que le démon est l’auteur de ce qui se passe en elle, le P. Balthazar Alvarez n’ose la rassurer, elle est dans le plus grand trouble. Elle entre dans un oratoire, elle y reste, quatre ou cinq heures, torturée par le doute le plus cruel. « Tandis que j’étais dans l’amère affliction que je viens de décrire, ces seules paroles que j’entendis car les visions n’avaient pas encore commencé suffirent pour dissiper ma peine et me mettre dans une tranquillité parfaite : N’aie point peur, ma fille, c’est moi, je ne t’abandonnerai pas, ne crains rien. Dans l’état où j’étais, il eût fallu, ce semble, de longues heures, pour rendre le calme à mon âme, ou plutôt, personne n’y serait parvenu (21). » Je ne crois que, dans le récit de la sainte, on puisse trouver le moindre mot, d’où l’on ait droit de conclure à l’action de la subconscience. Il n’y a pas d’effort initial, aucune excitation nerveuse, aucune influence extérieure, l’âme reste broyée sous la douleur qui ne la quitte pas, aucune diversion quinze mots sont prononcés, tout change. On dira que le seul résultat suffit à prouver cette action. J’entends bien; mais alors n’est-pas un parti pris plus ou moins conscient, subconscient même si l’on veut, de prendre toujours la même de deux causes pouvant rendre compte d’un même effet ? N’est-ce pas la peur instinctive d’une explication surnaturelle qui fait choisir une explication naturelle ? Dans le cas présent, elle ne repose sur rien et semble bien inadéquate ?

Mais nous pouvons aller plus loin, et montrer mieux combien [p. 512] c’est chose précaire dé vouloir expliquer par la subconscience tous les changements de la volonté. Les grâces mystiques font mûrir, dans les Âmes chrétiennes, les fruits surnaturels de la sainteté; par elles la volonté, affranchie de la servitude de l’égoïsme, se dilate et s’épanouit; plus d’animosité, plus de haine, plus même souvent d’antipathie ni de jalousie. Le saint, qu’elles contribuent à créer, qu’elles créent même quelquefois seules, aime tous les hommes, sans excepter ses ennemis; il ne déteste que lui-même, ce qu’il y a de bas, de sensuel et d’étroit dans sa nature, il ne pense qu’à s’immoler corps et âme, pour s’unir à Dieu dans et par la charité affective et effective. Sainte Thérèse décrit souvent ces merveilleux effets sanctifiants des grâces mystiques, elle montre surtout comment elles développent a cette humilité vraie qui rend l’âme indifférente à dire ou à entendre dire du bien d’elle. (L’âme) ne garde rien entre les mains, tout le bien qu’elle possède, elle le rapporte à Dieu. Cette âme est à lui; il l’a prise à sa charge, et c’est lui qui l’éclaire. Sans cesse, semble-t-il, il se tient auprès d’elle pour la préserver de toute offense, il l’assiste, il l’excite à le servir. Lorsque Dieu a conduit une âme jusque-là, il lui découvre peu à peu de très hauts secrets. Tout cela sert à humilier et à fortifier cette âme, à lui faire mépriser davantage les biens de cette vie, à lui montrer plus clairement la magnifique récompense que Dieu réserve à ses serviteurs (22). »

Je voudrais encore insister sur ce fait la vie de nos saints favorisés de grâces mystiques est la mise en pratique des pensées et des désirs surnaturels qu’on lit dans leurs écrits. La remarque est de toute importance. On trouve chez les mystiques non chrétiens des éloges très beaux de la vertu, de vifs désirs de perfection, des élans vrais d’amour de Dieu. Mais on ne peut pourtant donner à une phrase vertueuse la même importance qu’à une vie de vertus. Avant de croire à la force sanctifiante, héroïquement sanctifiante, de la subconscience, je voudrais donc lire non seulement un extrait de journal intime, ou le récit d’une conversion, mais encore une biographie aussi historique et aussi détaillée que possible, afin de pouvoir connaître et juger une sainteté qui s’affirme et grandit pendant de longues années. Les fruits des grâces mystiques ne tombent pas, en effet, avec les saisons, ils mûrissent pour l’éternité, et pour les détacher de l’arbre qui les porte, il faut le souffle de la mort. Je voudrais surtout que la subconscience ne s’arrêtât pas quand elle a mis dans l’âme un certain attrait pour la souffrance [p. 513] et la pauvreté il faut qu’elle produise, elle aussi, les vertus les plus caractéristiques, j’écrirais volontiers, les vertus réservées du mysticisme chrétien, celles qui nous sont le plus antipathiques l’humilité et l’obéissance, surtout l’humilité. Chose curieuse William James bâtissant avec beaucoup d’ingéniosité l’édifice de la sainteté (23) y fait entrer la dévotion, la charité, la force d’Âme, la pureté, l’ascétisme, l’obéissance, la pauvreté ; -l’humilité en est exclue, et cependant l’auteur de toute sainteté a dit :discite a me quia mitis sum et humilis corde(24). Enfin, quand on sera parvenu à nous montrer un saint laïque sanctifié sans trace d’action surnaturelle, sans un effort de volonté, par le seul jeu des forces subconscientes, nous serons encore en droit de douter et de trouver l’affirmation hasardeuse. Il pourrait se faire, en effet, que la subconscience eût été excitée et aidée, il pourrait se faire que, sans que rien ne le révélât extérieurement, elle eût servi d’instrument et de véhicule à la grâce divine. Maine de Biran, étudiant ce très délicat problème, écrivait : ‘La question est de savoir si nous sommes constitués en dépendance de lois inconnues de l’organisme ou de l’action propre et immédiate d’une force divine, ou de l’une et de l’autre à la fois et dans ce dernier cas, comment nous pouvons distinguer l’une et l’autre action. » Et un peu plus loin, dans le même volume de ses Pensées : « C’est par rapport à cet ordre supérieur de sentiments et d’idées que Dieu est à l’âme ce que l’âme est au corps (25). » Il croyait donc devoir ajouter à la spontanéité organique, au travail intellectuel et volontaire, une force interne perfectionnante la grâce divine (26). William James n’est pas aussi affirmatif et pour cause, il admet pourtant sans difficulté qu’à l’action de la subconscience il puisse s’en joindre une autre supérieure. « On peut concevoir que la région subconsciente ait un double rôle. S’il existe au-dessus du monde matériel un monde spirituel qui le domine, on peut admettre que la conscience subliminale constitue un champ plus propice aux impressions spirituelles que la conscience ordinaire, tout absorbée, à l’état de veille, par les impressions matérielles vives et abondantes qui lui viennent des sens. Pour que la voix divine ne fût pas étouffée, il faudrait qu’elle retentît dans une région de notre âme où s’apaise le tumulte grossier du monde sensible. Une force transcendante pourrait s’exercer directement sur l’individu, à condition qu’il possède un organe récepteur [p. 514] approprié, c’est-à-dire une conscience subliminale (27). »  La solution de toutes les questions mystiques par la subconscience paraît donc un peu simpliste même à des philosophes non croyants, et cela, même dans l’hypothèse où la subconscience suffirait à rendre compte de tous les faits. Or, nous pensons avoir montré qu’il en est beaucoup qu’elle explique mal, et quelques-uns — la prophétie en particulier —qu’elle n’explique pas du tout. Nous croyons donc avoir le droit, non pas de la rejeter purement et simplement, au contraire, elle soulève des questions de psychologie excessivement intéressantes, et nous demandons qu’on l’étudie et qu’on la connaisse de mieux en mieux mais de la récuser comme explication suffisante de tous les phénomènes mystiques. A notre avis, :\1. Delacroix, malgré ses qualités brillantes, n’a pas démontré sa thèse,et peut-être même n’est-elle pas démontrable. Benjamin Constant disait « A mesure que la religion se retire de ce que les hommes connaissent, elle se replace à la circonférence de ce qu’ils savent (28). » N’en est-il pas ainsi du mysticisme chrétien? On peut agrandir, par de fécondes recherches et de fines analyses psychologiques, le domaine où règne le naturel, on peut, pour revenir à la comparaison de Benjamin Constant, allonger le rayon du cercle où se meut la subconscience, mais ce cercle aura toujours une limite, le mysticisme se replacera toujours à la circonférence qui le ferme. Si Dieu existe, peut-on lui refuser d’agir directement dans une âme, d’une façon extraordinaire, et le mysticisme est-il autre chose que cela ? Qu’on ait été trop prompt dans bien des cas à crier au surnaturel, voilà qui est évident, et d’une psychologie très humaine; qu’il n’y ait rien de surnaturel dans le mysticisme chrétien, voilà ce qu’on n’a pas prouvé, et, j’ose le dire, sans prétendre au titre de prophète, ce qu’on ne prouvera jamais (29).

A. HAMON. 

Notes

(1) Étude d’histoire et de psychologie du Mysticisme. Les Grands mystiques chrétiens. Paris, Alcan, 1908.

(2) Il est juste d’ajouter que M. Delacroix affirme que la subconscience Intervient « dans les inventions du génie » et qu’elle est « au principe des grandes œuvres de l’humanité, comme de ses aberrations », p. 408.

(3) Œuvres complète. de sainte Thérèse, Retaux, 1907, T. l, p. 339, 34 341.

(4) Id., T. II, p, 102. Cf. p. 207, 244, 317, 320…

(5) C’est le symbole de saint Athanase.

(6) Œuvres complètes de sainte Thérèse, T. 1, p. 139, 140.

(7) Le Château intérieur, 5° demeure, c. I, édit. Bouix, 1859, p. 386-387.

(8) WILLIAM JAMES. L’expérience religieuse, p. 200.

(9) Une pareille précision n’accorde mal avec la théorie de Leuba et de M. Bernard Leroy, qui veut que, dans les visions intellectuelles du mystique, il y ait sentiment de comprendre sans fait de comprendre, parce qu’il il n’y a rien à comprendre. Cf. Études d’histoire et de psychologie du mysticisme, p. 395.

(10) Œuvres complètes. T. 1, p. 312. C’est moi qui souligne.

(11) Œuvres complète. T.1, p. 316.

(12) Ibid., T. I, p. 331. C’est encore moi qui souligne.

(13) Ibid., T. II, p. 342. Cf. T. I, p. 350; T. II, p. 123, 125, 153, 216, 220, 227, 307, 337, 341, 344.

(14) L’occultisme. Revue des Deux Mondes, Ier nov. 1906.

(15) M. Delacroix écrit qu’à la conversion de 1555 « tout le travail antérieur disparaît sous un afflux de passivité ; l’effort cesse (p. 62). Parlant précisément de sa vie mystique à cette époque, la sainte dit : « Il est clair que tout nous vient de Dieu. En ceci cependant, nous pouvons, je crois, nous aider beaucoup nous-mêmes, soit en considérant notre bassesse, notre ingratitude envers Dieu, les bienfaits dont il nous a comblés… Notre-Seigneur veut alors récompenser nos petits efforts. » Œuvres complètes, T. l, p. 135.

(16) Je dois dire, pour être juste, que M. Delacroix s’efforce d’expliquer (p. 410-427) comment la subconscience peut rendre compte de cette systématisation si bien ordonnée. Pour la réaliser, une large vie subconsciente, l’aptitude à l’intuition et à l’automatisme sont les conditions psychologiques nécessaires. « Laissées à elles-mêmes, elles pourraient aboutir à toute espèce de divagations et d’impulsions. Mais elles subissent le contrôle logique d’une intelligence délicate et la direction d’une sorte de plan implicite. Elles sont, en outre, disciplinées par l’ascétisme à la fois moral et intellectuel. Cette combinaison de conditions aboutit à un développement méthodique » (p. 418). Cela, vraiment, suffit-il à rendre compte de tous les cas; y trouverons-nous en particulier une explication suffisante de systématisations aussi dissemblables que celles de sainte Thérèse et de Mme Guyon par exemple; surtout comment allier avec la subconscience « le contrôle logique d’une intelligence délicate et la direction d’une sorte de plan implicite n, donné par la doctrine de l’Église ? Non grands mystiques sont remarquablement intelligents, comment, pendant toute leur vie, auraient-ils dirigé, à la lumière de leur raison et des enseignements de la foi, leur vie mystique, sans le constater jamais? L’explication de M. Delacroix est très ingénieuse, elle ne me parait pas satisfaisante.

(17) Œuvres complètes, T. I, p. 309.

(18) Ibid., T. 1, p. 313, 314.

(19) Ibid., T. 1, p. 329.

(20) WILLIAM JAMES, L’expérience religieuse, p. 174, 175.

(21) Œuvres complètes, T. I, p. 324, 3a5.

(22) Œuvres complète. de sainte Thérèse, T. I, p. 262-270, 271.

(23) L’expérience religieuse, c. VIII.

(24). MATTH., II, 39.

(25) Pensées, 3e édit., 1877, p. 325, 549.

(26) Études d’histoire et de psychologie du mysticisme, p. 414.

(27) L’expérience religieuse, p. 205, 206.

(28) Cf. GRASSET, Les limites de la biologie, p. ,6,.

(29) J’aurais d’autres remarques à faire sur le livre de M. Delacroix, mais j’ai cru devoir m’en tenir à sa thèse fondamentale. Beaucoup d’idées de détail seraient à discuter il n’est pas vrai que l’ascétisme soit la base du mysticisme (p. viii-ix sqq., 358, 359), il n’en est même pas toujours la condition la disparition du moi dans le mariage spirituel (p. x et passim) est très exagérée il n’est pas exact d’écrire que le mysticisme suppose toujours une longue préparation (p. 369, 408) il y aurait bien à dire sur la distinction entre le Dieu chrétien et le Dieu mystique (p. 372), le Dieu ineffable et le Dieu de l’Église (p. 380). On ne voit pas trop encore comment la subconscience de Mme Guyon et celle de sainte Thérèse élaborent des systèmes d’apostolat si différents l’humilité et l’obéissance chez l’une, une obstination indomptable chez l’autre ; pourquoi les prédictions de l’une se réalisent et non pas celles de l’autre, etc. Un détail de rien ; les fautes d’impression sont vraiment trop nombreuses, j’en ai compté cinq dans la page 47. C’est trop.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE