Arnulphe Aumont. Délire. Extrait de « l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers… par Diderot et D’Alembert », (Paris), Tome 4, 1751, pp. 785-788.

Arnulphe Aumont. Délire. Extrait de « l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers… par Diderot et D’Alembert », (Paris), Tome 4, 1751, pp. 785-788.

 

Arnulphe d’Aumont (1721-1800). Médecin français et collaborateur de l’Encyclopédie.
On se rappelle de cet auteur avec cette publication :
— Mémoire sur une nouvelle manière d’administrer le mercure dans les maladies vénériennes et autres. 1762.

DÉLIRE, s. m. (Medecine.) est un genre de lésion des fonctions animales. L’étymologie la plus vraissemblable de ce nom vient, selon plusieurs auteurs, du mot lira, qui signifie un fossé en ligne droite que l’on fait dans les champs, qui sert à diriger les sillons ; ainsi d’aberrare de lirâ, s’écarter du principal sillon, a été fait le mot delirus, appliqué par allusion à un homme qui s’écarte de la regle de la raison, parce que le délire n’est autre chose que l’égarement, l’erreur de l’esprit durant la veille, qui juge mal des choses connues de tout le monde.

L’âme est toujours dans le même état, elle n’est susceptible d’aucune altération ; ce n’est donc pas à elle à qui il faut attribuer cet égarement, cette erreur, ce défaut de jugement, qui constituent le délire, mais à la disposition des organes du corps, auquel il a plût au Créateur de l’unir ; cela est hors de doute.

En effet les idées, en vertu de l’union des deux substances, sont attachées aux changemens qui se font sur la surface extérieure ou intérieure de la fibre médullaire du cerveau, aux impressions de mouvement qu’elle est susceptible de recevoir ; & selon que ces vibrations sont d’accord entr’elles ou ne le sont pas, l’ame qui est affectée d’une maniere semblable ou dissemblable par les idées, les unit ou les sépare ; & après en avoir jugé, elle s’y attache plus ou moins fortement, selon que cette consonnance ou dissonnance est plus ou moins grande, à proportion de la longueur, de la grosseur, & de la tension de la fibre. Voyez Ame, Cerveau, Sensation.

De ces trois qualités les deux premieres éprouvent rarement quelque altération ; il y a même lieu de douter si cela arrive jamais. Elles ne sont différentes que respectivement aux différens sujets, dont les uns ont le tissu des fibres en général plus fort, plus roide ; les autres plus foible, plus lâche, avec des combinaisons presqu’infinies. Pour ce qui est de la tension, elle est susceptible d’augmentation ou de diminution dans cet état naturel & contre-naturel, c’est-à-dire lorsqu’il y a excès.

Tant que les fibres du cerveau, dit M. de Sauvages dans son livre des nouvelles classes de maladies (1732) jouissent de l’harmonie que l’auteur de la nature a formée entr’elles par une tension proportionnée, les idées & les jugemens qui résultent du changement qu’elles éprouvent par les causes externes ou internes, sont sains & naturels, conformes à leurs objets ; mais dès que cet accord est dérangé, que les fibres deviennent trop tendues, trop élastiques, comme dans la phrénésie, la manie (voyez Manie, Phrénésie) dans lesquelles maladies toutes les fibres qui servent aux fonctions de l’ame, ont le même défaut : dans la mélancolie, la démonomanie, où il n’y en a que quelques-unes de viciées de la même maniere (voyez Démonomanie, Mélancolie) ; dans des cas au contraire où elles sont trop relâchées, comme dans la léthargie, la stupidité (voy. Léthargie, Stupidité) : alors les idées & les jugemens, qui ne sont que la comparaison que l’esprit fait de ces idées, sont à proportion plus fortes ou plus foibles que l’impression des objets ; & comme ses opérations sont finies, les plus fortes occupant toute la faculté de penser, fixant toute son attention (voyez Attention), il n’apperçoit pas les autres : de-là vient qu’il n’en sauroit porter un jugement sain & naturel. Cet effet est commun à toutes les maladies qui viennent d’être citées, & à plusieurs autres à-peu-près semblables, dans lesquelles les fibres pechent par excès de tension, soit en général, soit quelques-unes en particulier ; elles constituent donc ces différentes especes de délire, puisque dans toutes ces différentes affections il y a erreur de l’esprit dans la veille, il se présente des idées qui ne sont pas conformes à leurs objets.

On distingue deux sortes principales de délires ; savoir le délire universel, dans lequel toutes ou un très-grand nombre de fibres du cerveau sont viciées de la maniere qui vient d’être dite ; & le délire particulier, dans lequel il n’y a que très-peu de fibres qui soient dérangées.

On observe aussi différens degrés de délire ; car quelquefois ce changement, cette altération qui se fait dans l’organe des sensations, c’est-à-dire le sensorium commune, par une cause interne, sont si peu considérables, qu’ils font une plus legere impression que ceux qui sont produits par les causes externes qui agissent sur les sens : dans ce cas les idées qui sont excitées par cette legere impression s’effacent aisément, & cedent à celles qui viennent par la perception des sens : c’est-là, en quelque façon, le premier degré de délire ; lorsque les malades croyent appercevoir certain objet par la voie des sens, & qu’étant avertis par les assistans, ils voyent aisément qu’ils se sont trompés.

Mais lorsque l’action de la cause interne sur l’organe des sensations est si forte qu’elle égale & qu’elle surpasse même l’impression qui se fait par le moyen des sens, on ne peut pas persuader aux malades que la cause de ce qu’ils sentent n’est pas hors d’eux mêmes, sur-tout s’ils ont eu autrefois de semblables idées à l’occasion des objets extérieurs : car alors ils se persuadent absolument que les mêmes causes externes les affectent, & ils se fâchent contre leurs amis qui osent nier des choses qui leur paroissent évidentes ; c’est qu’alors l’impression qui s’est faite par la cause interne, cachée dans l’organe des sensations, est si efficace qu’elle est supérieure à toute autre impression qui pourroit s’y faire. L’idée qui en résulte est toûjours présente à l’esprit, & ne peut être corrigée par aucun raisonnement : cependant les organes eux-mêmes qui servent aux jugemens sains ne sont pas entierement dénués de leurs facultés ; car s’il arrive quelque accident subit & imprévû qui attire une forte attention de la part du malade, cette nouvelle impression l’emporte sur la précédente ; ils paroissent pour le moment s’occuper de ce qui se passe réellement hors d’eux ; ils raisonnent juste en conséquence : mais la cause de cette derniere attention venant à cesser, celle qui dominoit auparavant produit son effet, & ils retombent dans leurs fausses idées comme auparavant.

Tout ce qui se passe en nous, qu’on appelle jugement, dépend de l’intime faculté de penser, qui compare ses idées : ainsi un homme qui est dans le délire se persuade que les idées qui lui sont représentées à l’occasion de la cause interne qui les excite, sont vraies, parce qu’elles sont aussi vives & lui paroissent semblables à celles qu’excitoient autrefois en lui les objets externes.

Toutes les idées qui naissent en nous, représentent un objet agréable, ou desagréable, ou indifférent. On se détermine en conséquence à agir pour se procurer la continuation de ce sentiment agréable, ou pour éloigner celui qui déplaît, ou on ne fait pas d’attention à ce qui est indifférent.

Ainsi lorsqu’il survient à ceux qui sont dans le délire quelques-unes des idées des deux premieres especes, qui sont propres à exciter de violentes affections de l’ame, ils s’agitent beaucoup, ils blessent les assistans qui veulent les contenir, ils renversent tous les obstacles qui se présentent, pour parvenir à se procurer les choses qu’ils desirent, ou à éloigner celles qu’ils craignent : telles sont les délires qu’Hippocrate appelle φερίοδες ; dans lesquels ni les menaces, ni les dangers, ni la raison, ne peuvent retenir les malades qui en sont attaqués, ni les empêcher de nuire à eux-mêmes & aux autres. Il les compare à des bêtes sauvages, selon la signification du mot grec ci-dessus : mais lorsqu’ils ne sont occupés que d’idées qui n’ont rien de bien attrayant ni de déplaisant, il ne s’ensuit aucune agitation du corps, aucun mouvement violent, ils n’en sont cependant pas moins dans le délire ; tels que ceux dont Hippocrate dit dans son liv. I. des prédictions : « Les délires obscurs accompagnés de legers tremblemens des membres, & dans lesquels les malades cherchent à palper quelque chose en tatonnant continuellement, sont très-phrénétiques ». Ainsi les Medecins se trompent quand ils ne croyent pas dans le délire leurs malades, qu’ils ne sortent du lit, qu’ils ne s’agitent violemment, & ne fassent de grands cris. Ces délires obscurs sont de très-mauvais augure, & il est très-nécessaire de les connoître : car, comme dans toute sorte de délire il y a toûjours une portion de la substance médullaire affectée, dans le cas dont il s’agit il peut y avoir un très-grand danger, quoiqu’il ne paroisse pas de grands troubles.

Si le changement qui se fait dans l’organe des sensations par la cause morbifique interne, donne lieu à ce qu’il naisse une idée d’un objet que l’on n’a jamais vû & dont il ne s’est jamais fait aucune représentation à l’esprit, l’ame est toute occupée à le considérer, & elle en est troublée ; le malade paroît comme frappé d’étonnement, ses yeux sont ouverts, sa bouche béante, & peu de tems après il est attaqué de convulsions d’autant plus violentes que l’objet de la crainte est plus grand : c’est ce qui arrive aux épileptiques qui sont affectés dans les paroxismes de différentes couleurs, de différentes odeurs, de différens goûts, &c. qu’ils ne peuvent rapporter à aucune sensation connue ; les simples songes représentent même quelquefois des choses que l’on n’a jamais ni vûes ni imaginées. C’est sans doute sur ce fondement qu’Hippocrate a dit dans les Coaques, « que dans les fievres, les agitations de l’ame qui ont lieu, sans que le malade dise mot, quoiqu’il ne soit pas privé de la voix, sont pernicieuses ».

De tout ce qui vient d’être dit, il résulte qu’il y a bien des différens genres de délires, que l’on peut cependant réduire aux trois suivans : 1°. lorsqu’il s’excite par la cause interne cachée différentes idées simples seulement, qui sont plus ou moins vives, selon que l’impression est plus ou moins forte : 2°. lorsque de ces idées il suit un jugement, c’est un autre genre de délire : 3°. lorsque ces idées sont présentées à l’ame comme plus ou moins agréables ou desagréables, & sont accompagnées d’agitations du corps, de mouvemens plus ou moins violens ; ce qui établit une troisieme différence de délire.

Les suites de toutes ces sortes de délires sont différentes, selon que cette passion ou telle autre sera excitée. Les changemens apparens du corps ne sont pas les mêmes pour les idées accompagnées de plaisir, & pour celles qui sont accompagnées de tristesse, de crainte. C’est ce qui a fait dire à Hippocrate dans ses aphorismes, que « les délires dans lesquels les malades semblent de bonne humeur, sont moins dangereux que ceux dans lesquels ils paroissent sérieux, fortement occupés ». Comme aussi dans les Coaques, il regarde comme très-funestes les délires dans lesquels les malades refusent ce qui leur est le plus nécessaire, comme les bouillons, la boisson, dans lesquels ils sont très-éveillés par la crainte des objets qu’ils se représentent.

Le délire est essentiel ou symptomatique, idiopatique ou sympathique. Voyez ces termes. Il est encore maniaque ou mélancholique, avec fievre ou sans fievre, habituel ou accidentel, aigu ou chronique.

Après avoir expliqué la nature du délire, & avoir exposé ses principales différences, d’après lesquelles on peut aisément se faire une idée de toutes les autres, il se présente à rechercher les causes du délire d’après les observations les plus exactes.

Dans le délire il s’excite des idées par la cause interne cachée, qui change la disposition du cerveau : ces idées sont semblables à celles qui sont naturellement excitées par l’impression des objets extérieurs : conséquemment il se réveille différentes passions dans l’ame ; ces passions sont suivies de différens mouvemens du corps, par conséquent la cause du délire agit sur l’organe des sensations, duquel naissent sans division & sans interruption tous les nerfs de toutes les parties du corps qui tendent aux muscles & aux organes des sens ; & comme les injections anatomiques nous ont appris que toute la substance médullaire du cerveau est vasculeuse, puisqu’elle est une suite de sa corticale que l’on démontre n’être qu’un composé de vaisseaux, & que les petits canaux qui composent celle-là contiennent & servent à distribuer le fluide le plus subtil du corps, ils peuvent donc être sujets aux mêmes vices qui peuvent affecter les gros vaisseaux remplis d’un fluide grossier. Ces canaux, tous déliés qu’ils sont, peuvent être obstrués, comprimés : par conséquent tout ce qui peut empêcher le cours libre des fluides dans leur cavité, peut produire le délire. On sait que dans tous les autres visceres, il faut que les liquides qui se meuvent dans les solides dont ces visceres sont composés, ayent une vitesse déterminée, & que les fonctions de ces visceres sont troublées par un mouvement trop rapide ou trop rallenti. On peut dire la même chose du cerveau. Le délire survient à plusieurs dans les fievres intermittentes, par la seule agitation des humeurs mûes avec trop de vîtesse pendant la violence de l’accès, & l’on voit ce délire cesser dès que le trop grand mouvement des humeurs diminue.

Le délire peut donc être produit par toutes les causes de l’obstruction, de l’inflammation, par tout ce qui peut augmenter ou retarder le cours des fluides en général, & par conséquent ceux du cerveau ; plusieurs causes peuvent par conséquent donner lieu au délire : mais toutes celles dont il vient d’être fait mention, ont leur siége dans le cerveau. Cependant plusieurs autres causes qui n’y agissent pas immédiatement, mais qui affectent d’autres parties du corps, peuvent affecter la substance médullaire de l’organe des sensations, comme si c’étoit une cause physique préexistante dans le cerveau même, quoiqu’elle en soit bien éloignée. C’est-là une chose très-importante dans la pratique, & qui, comme on voit, mérite beaucoup d’attention.

Les anciens medecins avoient déjà observé dans les autres différentes parties du corps, les changemens qui s’y faisoient, comme pouvant servir de signe du délire prochain. C’est ainsi qu’Hippocrate a dit dans ses prognostics, que « s’il y a un battement dans un des hypocondres, cela signifie ou une grande agitation, ou un délire. Les palpitations que l’on ressent dans le ventre, sont suivies de trouble dans l’esprit, &c. » Il est constant par l’histoire des plaies, des douleurs, des convulsions, de la manie, de l’épilepsie, de la mélancholie, &c. que l’organe des sensations peut être affecté par le vice de différentes parties du corps, même des plus éloignées.

On observe aussi particulierement que le délire, comme symptome de fievre, est occasionné par la matiere morbifique qui a son siége dans la région épigastrique, laquelle étant emportée par quelque moyen que ce puisse être, la fievre cesse, quoiqu’on n’employe aucun remede dont l’effet se fasse dans la tête même. Hippocrate avoit dit à ce sujet, dans son livre des affections, que « quand la bile émûe se fixe dans les visceres qui sont près du diaphragme, elle cause la phrénésie ».

On sait combien influe sur le cerveau l’action de bien des remedes, & celle des poisons sur l’estomac, lesquels étant emportés, le mal cesse. C’est la puissance d’une partie éloignée sur une autre, que Vanhelmont appelloit assez à-propos action de subordination, actio regiminis. Cette correspondance se manifeste assez par ce qui se passe dans les parties où il y a concours d’un grand nombre de nerfs qui se distribuent à plusieurs autres parties, comme dans l’orifice supérieur de l’estomac, dont les irritations occasionnent des desordres dans tout l’organe des sensations ; la cause de l’irritation ôtée, le calme suit. La raison de ces effets ne se présente pas aisément ; mais il suffit que le fait soit bien observé, pour qu’on en puisse tirer des indications salutaires pour diriger les opérations dans la pratique. On peut voir ce qui regarde plus particulierement les différentes causes de délire, dans les articles des différentes especes de cette maladie, comme Manie, Mélancholie, Phrenesie, &c. Ce qui vient d’être dit convient au délire proprement dit, que l’on observe dans la plûpart des maladies aiguës, sur-tout dans les fievres. C’est aussi de cette derniere espece de délire, que les signes qui la font connoître vont être rapportés : « car, comme dit Hippocrate, celui qui par les affections présentes juge de celles qui peuvent survenir, est en état de conduire parfaitement le traitement d’une maladie ».

Comme le délire a différens degrés, & qu’il est accompagné de symptomes très-funestes, sur-tout quand il parvient à celui de sa plus grande violence par les fortes passions de l’ame qu’il fait naître, & par les mouvemens & les agitations extraordinaires qui les accompagnent, il est très-important d’en connoître les moindres principes, pour pouvoir en prévenir l’accroissement & les suites : ce qui demande beaucoup d’application. Galien use à ce propos d’une comparaison qui est très-ingénieuse : il dit « que comme il n’y a que les habiles jardiniers qui connoissent les plantes, & les distinguent les unes des autres lorsqu’elles ne font que sortir de terre, pendant que tout le monde les connoît quand elles sont dans leur force ; de même il n’y a que les habiles medecins qui apperçoivent les signes d’un délire prochain ou commençant, tandis que personne n’en méconnoît les symptomes, lorsque le malade s’agite sans raison apparente, se jette hors du lit, devient furieux, &c. »

C’est l’importance de cette connoissance des signes du délire, qui les a fait observer si soigneusement à Hippocrate tels que nous allons en rapporter quelques-uns. Il dit dans ses prognostics, que « c’est un signe de délire ou de douleur de quelque partie de l’abdomen de se tenir couché sur le ventre, pour celui qui n’est pas accoutumé de se coucher dans cette attitude en santé ». Il dit aussi dans le même livre, que « le malade qui grince des dents, n’ayant pas eu cette habitude depuis son enfance, est menacé de délire & de mort prochaine ». On y lit encore, que « la respiration longue & profonde signifie aussi le délire ; lorsqu’il y a battement dans les flancs, & que les yeux paroissent agités, on doit s’attendre au délire ». La douleur aiguë de l’oreille dans une fievre violente, la langue rude & seche, la langue tremblante, le visage enflammé, le regard féroce, le vomissement des matieres bilieuses, poracées, les urines rougeâtres, claires, & quelquefois blanches, ce qui est bien plus mauvais, sont tous des signes d’une disposition au délire. Mais ce qu’Hippocrate regarde comme le plus sûr indice d’un délire prochain, c’est que le malade s’occupe des choses auxquelles il n’étoit pas en coûtume de penser, ou même contraires : c’est à ce signe général que se rapportent les signes particuliers suivans, comme une réponse brusque de la part d’un homme ordinairement modéré, une indécence de la part d’une femme modeste, & autres choses semblables. Galien avoit éprouvé sur soi-même, que de regarder ses mains, de paroître vouloir ramasser des flocons, de chasser aux mouches, sont des signes de délire ; s’en étant apperçû par les assistans qu’il entendoit le remarquer, il demanda du secours pour prévenir la phrénésie dont il se sentoit menacé. Le délire obscur que l’on prendroit presque pour une léthargie, se distingue par un pouls dur, quoique très languissant. On trouve dans Hippocrate beaucoup d’autres signes diagnostics du délire. On se borne à ceux qui viennent d’être rapportés, pour passer aux prognostics. Extrait de Van. Swieten, comment. aph. Boerh.

Les délires qui ne sunsistent pas continuellement & donnent quelque relâche, sont les moins mauvais, sur-tout ceux qui ne durent pas long-tems, & qui ne sont accompagnés d’aucun mauvais signe : ils occasionnent plus de crainte que de danger ; comme dans les fievres intermittentes où ils paroissent dans la violence de l’accès, & se terminent avec elle, pourvû que les forces du malade suffisent à supporter la violence du mal.

Cependant aucun délire n’est regardé comme un signe de sécurité dans les maladies, ni comme un signe de mort certaine par lui seul ; non plus qu’on ne doit pas fonder une espérance assûrée sur la seule liberté de l’esprit.

Quelquefois pendant que subsistent les symptomes les plus violens, s’il survient un délire subit, c’est un signe d’une hémorrhagie ou d’une crise, selon Hippocrate dans les Coaques. L’urine fort chargée, qui donne beaucoup de sédiment, annonce la fin du délire, dans le VI. livre des épid. Une bonne sueur, si elle se fait abondamment & avec chaleur à la tête, le reste du corps suant aussi, termine le délire ; cela arrive encore quelquefois par une hémorrhagie, par les hémorrhoïdes, par de violentes douleurs, qui surviennent aux aines, aux cuisses, aux jambes, aux piés, aux mains : ce qui se fait alors par un transport de la matiere morbifique des parties plus essentielles à la vie, dans celles qui ne le sont pas.

C’est aussi un très-bon signe lorsque le sommeil calme le délire (Hipp. sect. II. aphor. 2.) pourvû que le sommeil soit tranquille : c’est le contraire s’il est agité ; c’est un signe mortel, aphor. 1. sect. II. Il faut aussi distinguer le sommeil des maladies soporeuses qui dénotent mal, quand elles succedent au délire. Lorsqu’il est accompagné de foiblesse, il est mortel, parce qu’il acheve d’épuiser le peu de force qui reste.

Si la perte de la voix qui survient dans la fievre par convulsion dégénere en délire obscur silentieux, c’est très-mauvais signe : le tremblement dans le délire violent procede de la convulsion, & la mort la suit.

Les fréquens changemens de la tranquillité à l’agitation sont pernicieux : le délire accompagné de défaut de mémoire, d’affaissement, de stupidité, est un signe de mort évident, parce qu’il indique un relâchement de toutes les fibres du cerveau qui ont perdu leur ressort ; effet toûjours funeste après la chaleur contre nature, qui avoit fait naître le délire : si le froid ou la roideur des membres s’y joint, la perte du malade est inévitable ; comme aussi dans le cas où ayant les yeux ouverts il n’y voit rien ; dans celui où les yeux se ferment à la lumiere, répandent des larmes involontairement, sont inégalement entr’ouverts, sont rouges ou teints de sang.

Les palpitations, le hoquet, la langue rude, seche, sans soif, la perte de la voix, l’inquiétude, les sueurs froides de la tête, du cou, des épaules, les moiteurs par tout le corps, les urines aqueuses, blanches, claires, les déjections blanchâtres, abondantes, sans calmer le délire, les abcès dont la matiere rentre dans l’intérieur, & les éruptions cutanées qui disparoissent, les douleurs dans les membres qui cessent bien-tôt, la difficulté de respirer, le pouls petit & languissant, & l’horreur pour les alimens & la boisson : tous ces accidens sont très-funestes, chacun pris séparément, toûjours d’après notre grand maître Hippocrate ; à plus forte raison, si plusieurs & la plûpart sont réunis avec le délire.

Les trois derniers sur-tout sont d’un grand poids dans quelque maladie que ce soit pour annoncer une fin prochaine, & les signes opposés à ceux-là sont aussi importans pour dissiper la crainte du danger. Extrait de Prosper Alpin, de præsag. vita & morte.

Tel est l’abregé des signes prognostics qui peuvent trouver place ici pour servir à juger des événemens dans l’affection dont il s’agit, qui est extrémement variée par sa nature & ses symptômes : il reste à dire quelque chose de sa curation.

On ne peut guere donner de méthode universelle de traitement dans une affection dont les causes sont si différentes ; mais les remedes doivent être variés à proportion : car dans les inflammations du cerveau auxquelles donne lieu un sang épaissi qui s’arrête dans ses vaisseaux, & cause le délire : il faut en employer de bien différens de ceux qui doivent être employés dans le cas de délire qui provient d’un épuisement à la suite d’une longue fievre. Mais vû que le délire considéré comme symptôme de fievre, est presque toûjours déterminé par une trop grande vélocité dans le mouvement circulatoire du sang ; il s’ensuit que tout ce qui peut contribuer à diminuer la masse des humeurs, à en détourner l’effort vers quelqu’autre partie plus résistante, à corriger ou à diminuer l’irritation, à délayer & atténuer les humeurs & à en calmer l’agitation, convient très-bien dans ce cas.

La saignée au pié plus ou moins répetée, le rétablissement ou l’accélération du flux hémorrhoïdal, menstruel, par le moyen des relâchans ; les lavemens, les vomitifs ; les purgatifs placés à propos, selon les différens besoins, la diete, satisfont à la premiere indication.

Les bains de piés, l’application des sangsues aux temples, des vesicatoires à la nuque, entre les deux épaules, aux mollets des bras, des jambes ; celles des fomentations émollientes, sur la tête, sur le ventre, à la plante des piés ; les frictions des extrémités, peuvent servir à remplir la seconde indication.

Pour les autres on peut employer les décoctions farineuses, légeres, savoneuses ; les boissons adoucissantes, rafraîchissantes, acidules ; les tisanes, les aposèmes antiphlogistiques, desobstruans ; les calmans, les anodyns légers, placés dans les commencemens du délire, & après les évacuans ; dans la suite les narcotiques prudemment administrés, les ténebres, le repos.

Avec ces différens moyens on peut parvenir à détruire la cause du mal ; cependant souvent l’effet reste après elle ; les violentes impressions faites sur l’organe des sensations ne s’effacent pas tout de suite.

Il faut quelquefois avoir recours aux expédiens extraordinaires & singuliers, comme les instrumens de musique, le chant, la danse, les bruits éclatans, les bruits reglés, la lumiere, &c. pour substituer de nouvelles idées plus fortes, mais plus conformes à leur objet, à celles qui constituent le délire, en opposant toûjours des affections contraires à celles qui sont dominantes. Voyez la curation du délire dans Van. Swieten, dont on a extrait la plus grande partie de cet article. (d)

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