Paul Dermée. Aristote avait raison. Article paru dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 178-180.
Paul Dermée (né Camille Zéphirin Janssen) (18886-1951). Ecrivain, poète et critique littéraire d’origine belge. Licencié ès-sciences et ès-lettres. Comme on verra dans cet article il rétend avoir rencontré Freud en 1913. Ce qui reste peu crédible.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
[p. 178]
ARISTOTE AVAIT RAISON.
On discute Freud ? Ce siècle impitoyable se refuse à toute foi. N’en est-on pas venu à remettre en question les preuves de l’inexistence de Dieu !…
Et moi, plus que tout autre, je suis démolisseur d’Eglises. Celle de Freud, je la connais depuis l’avant-guerre, alors qu’elle ne pariait qu’allemand et anglais !
J’ai vu Freud à Vienne, en 1913, et ne lui ai pas baisé la mule. Pourtant, j’avais entrepris de traduire son Évangile, lorsque le 1′ » août 1914 …
Depuis, j’ai suivi curieusement la vogue étonnante du Freudisme, en France, vogue qui n’eut d’égale que celle du Bergsonisme, environ 1910. Je me suis réjoui honnêtement des âneries de toutes sortes qui ont été écrites et des réactions individuelles sous la morsure des acides sexualistes. J’ai oublié de relire ces livres qui m’avaient tant captivé dans leur prime nouveauté. Je vais les reprendre demain, car Freud confirme Aristote, patron de tous les esthéticiens passés, présents et à venir.
Ne soyons pas bégueules : la sexualité est le grand moteur de tout ce qui vit. Les vieux manuels donnent deux racines à la biologie : l’instinct de reproduction et l’instinct de conservation. Or, celui-ci meurt souvent lorsque le premier a rempli sa mission. La mante religieuse, le scorpion et l’araignée mâles sont dévorés après les noces. Reste comme racine mère la sexualité, d’essence divine, qui travaille sans relâche à l’ accomplissement d’un grand œuvre, qui n’est peut-être qu’un [p. 179] grand leurre. Mais nous glissons vers la métaphysique…
Comment toutes les passions et les tendances les plus impérieuses, et les appétits les plus brutaux se développent en frondaison touffue sur le tronc vital ainsi raciné, voilà qui s’explique lumineusement. Mais la contrainte sociale intervient qui refoule en nous nos instincts de brutes lascives et conquérantes. Oh ! ils ne sont pas si profondément enfouis que leur tumulte ne fasse trembler souvent notre carcasse, ou que parfois ils ne débordent en une lave ardente !…
La contrainte sociale provoque le refoulement. Mais il faut des soupapes d’échappement à toute machine à feu. Ces soupapes de sûreté sont pour nous : les rêves, les mythes, les religions, les légendes, l’aveu, la confession… mais surtout l’art, tous les arts, musique, danse, poésie lyrique et dramatique, peinture… Ajoutons-y la menuaille : jeux de mots, calembours, contrepetteries, distractions. Enfin, toute expression symbolique de nos aspirations, de nos désirs inconscients. Le symbolisme, qu’on y prenne garde, est le langage le plus ancien et encore aujourd’hui le plus profondément entendu. Les personnes « intelligentes » seules ne le comprennent pas.
Mener une danse guerrière, c’est faire la guerre encore, mais petit, avec une économie de moyens.
Créé le personnage de Phèdre, pour un dramaturge, c’est assouvir sans danger une tendance à l’amour passionné qui braverait même les dieux. [p. 180]
Frémir, s’exalter et souffrir aux grands accents tragiques de Phèdre pantelante, c’est, pour le spectateur, vivre quiètement pendant quelques heures une existence héroïque et périlleuse, pour quoi il était peut-être fait.
Aristote avait raison : la tragédie — comme aussi tous les arts en proportion de leur dignité — nous purge de nos passions et de nos impulsions « condamnables ». L’Art permet à la Société de se maintenir en dépit de tout ce qu’il y a d’antisocial au dedans de chacun d’entre nous. Il est utile le rôle des poètes dans une République, et Platon en a parlé comme un étourneau.
Aristote avait raison qui, semonçant Alexandre sur son goût naissant pour la femme, lui remontrait qu’un héros doit avoir toujours le contrôle de soi.
Mais, un jour, si l’on en croit les écoliers du moyen-âge, Alexandre ne fut pas peu interdit en surprenant le sage Aristote chevauché par une belle courtisane nue et faisant l’âne à quatre pattes pour avoir du foin,
PAUL DERMÉE,
MARCEL PROUST (La Prisonnière) :
« Je l’interrogeais à brûle-pourpoint : « Ah ! à propos, Albertine, est-ce que je rêve, est-ce que vous ne m’aviez pas dit que vous connaissiez Gilberte Swann ? » « Oui, c’est-à-dire qu’elle m’a parlé au cours, parce qu’elle avait les cahiers d’histoire de France, elle a même été très gentille, elle me les a prêtés et je les lui ai rendus aussitôt que je l’ai vue. »
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