Antoine-Gaspard Boucher d’Argis. Possession. Extrait de « l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers… par Diderot et D’Alembert », (Paris), Tome 13, 1751, pp. 165-169.
Antoine-Gaspard Boucher d’Argis (1708-1791). Avocat et encyclopédiste français.Quelques publications :
— Traité des gains nuptiaux et de survie, qui sont en usage dans les païs de droit écrit, tant du ressort du parlement de Paris, que des autres parlemens, Lyon : chez Duplain Père & Fils, 1738.
— Traité de la cruë des meubles au-dessus de leur prisée, dans lequel on explique son origine, & celle du parisis des meubles ; les pays où la crûe a lieu; leur différens usages sur la quotité ; quels meubles y sont sujets ; quelles personnes en doivent tenir compte ; & plusieurs autres questions qui naissent de cette matière, Paris, Brunet fils, 1741 & Paris, Saugrain, 1768. In-12.
— Code rural, ou Maximes et réglemens concernant les biens de campagne, la chasse, la pêche, les baux, les troupeaux et bestiaux…, Paris, Prault père, 1749 et 1762, 2 vol. in-12 ; 1774, 3 vol. in-12, XLI-387, 392 et 459 p. ; éd. en 1794, 3 vol. in-12.
— Principes sur la nullité du mariage, pour cause d’impuissance, [Londres], 1756.
Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
POSSESSION, s. f.
Possession du démon, (Théolog.) état d’une personne dont le démon s’est emparé, dans le corps de laquelle il est entré, & qu’il tourmente.
On met cette différence entre l’obsession & la possession du démon, que dans la première le démon agit au-dehors, & que dans l’autre il agit au-dedans. Voyez Obsession.
Les exemples de possession sont communs surtout dans le nouveau Testament. Jésus-Christ & ses apôtres ont guéri une infinité de possédés, & les histoires ecclésiastiques en fournissent encore un grand nombre ; mais comme on fait par plusieurs expériences, que souvent on a abusé de la crédulité des simples par des obsessions & des possessions feintes & supposées ; quelques prétendus esprits forts se sont imaginés que toutes ces obsessions ou possessions étoient des maladies de l’esprit, & des effets d’une imagination fortement frappée ; que quelquefois des personnes se croyoient de bonne-foi possédées ; que d’autres feignoient de l’être, pour parvenir à certaines fins ; qu’en un mot il n’y avoit ni possessions ni obsessions véritables ; & voici les raisons sur lesquelles ils se fondent.
Le démon, dit-on, ne peut naturellement agir sur nos corps. Il est d’une nature toute spirituelle, & ne peut par sa seule volonté, remuer nos membres, ni agir sur nos humeurs & nos organes, sans une permission expresse de Dieu. S’il avoit naturellement ce pouvoir, tout le monde seroit plein de possédés & d’obsédés : il exerceroit à tout moment sa haine contre les hommes, & feroit éclater sa puissance & son empire avec tout l’éclat dont son orgueil pourroit s’aviser. Combien ne verroit-on pas tous les jours d’hommes possédés, agités, tourmentés, précipités, étouffés, étranglés, brûlés, noyés, &c. si l’on accordoit au démon le pouvoir dont nous parlons ? Si l’on dit que Dieu modère ce pouvoir, qu’il réprime le démon, & ne lui permet pas d’exercer sa malice contre des pécheurs & des méchans, ne voyons-nous pas au contraire que ce malin esprit obsède ou possède des personnes très-innocentes ? On fait ce qu’il fit souffrir à Job : on voit des enfans possédés & d’autres personnes dont la vie paroît avoir été sans crime & sans désordre.
Pour quoi, ajoutent-ils, ne voit-on des possédés qu’en certains tems & dans certains pays ? Qu’il y a des nations entières où on ne connoît point de possédés ? D’où vient que l’on n’en voit que dans les pays dont les peuples sont superstitieux, & que ces accidens n’arrivent qu’à des personnes d’un esprit peu solide, & d’un tempérament melancolique ? Qu’on examine tous ceux ou celles qui se disent ou qui se sont dits possédés ou possédées, il est certain qu’il ne s’en trouvera aucun qui n’ait quelques-unes des qualités ou des foiblesses dont on vient de parler.
Si l’on suppose, continuent-ils, que le démon arrête ou suspend les opérations de l’âme d’un possédé pour se mettre lui-même eu la place de l’âme, ou même que plusieurs démons agitent & possèdent un même homme, la difficulté sera encore plus grande. Comment concevoir cette âme qui n’agit plus dans le corps qu’elle anime, & qui se livre, pour ainsi dire, au pouvoir du démon ? Comment tant de mauvais esprits peuvent-ils s’accorder à gouverner un seul homme ? Si tout cela se peut faire sans miracle, que deviendra la preuve des miracles pour les incrédules ? Ne diront-ils pas que tout ce qu’on appelle miracles, sont des opérations du démon ? Et s’il faut un miracle pour qu’un homme soit possédé du démon, voilà Dieu auteur, ou au moins coopérateur du démon dans les obsessions & dans les possessions des hommes.
Enfin, disent-ils, on a tant d’exemples de choses toutes naturelles, qui toutefois paroissent surnaturelles, qu’on a lieu de croire que ce qu’on appelle possessions du démon n’est pas d’autre sorte. Tant de gens s’imaginent être changés en loups, en bœufs, être de verre ou de beurre, être devenus rois ou princes ; personne dans ces cas ne recourt au démon ni au miracle : on dit tout simplement que c’est un dérangement dans le cerveau, une maladie de l’esprit ou de l’imagination, causée par une chaleur de viscères, par un excès de bile noire ; personne n’a recours aux exorcismes ni aux prêtres : on va aux médecins, aux remèdes, aux bains ; on cherche des expédiens pour guérir l’imagination du malade, ou pour lui donner une autre tournure. N’en seroit-il pas de même des possédés ? Ne réussiroit-on pas à les guérir par des remedes naturels, en les purgeant, les raffraîchissant, les trompant artificieusement, & leur faisant croire que le démon s’est enfui & les a quittés ? On a sur cela des expériences fort singulieres ; mais quand on les rapporteroit, les partisans des possessions diroient toujours que ces gens-là n’étoient pas possédés ; qu’ils ne nient pas qu’il n’y ait dans cette matiere bien de l’illusion, mais qu’ils soutiennent que parmi ce grand nombre d’énergumènes, on ne peut nier qu’il n’y en ait eu de vraiment possédés. Les autres soutiennent qu’il n’y en a aucun, & qu’on peut expliquer naturellement tout ce qui arrive aux possédés, sans recourir au démon. C’est-là tout le nœud de la difficulté.
Les défenseurs de la réalité des possessions du démon, remarquent que si tout cela n’étoit qu’illusion, J. C. les apôtres & l’Église seroient dans l’erreur, & nous y engageroient volontairement en parlant, en agissant, en priant, comme s’il y avoit de vrais possédés. Le Sauveur parle & commande aux démons qui agitoient les énergumènes : ces démons répondent, obéissent, & donnent des marques de leur présence, en tourmentant ces malheureux qu’ils étoient obligés de quitter ; ils leur causent de violentes convulsions, les jettent par terre, les laissent comme morts ; se retirent dans des pourceaux, & précipitent ces animaux dans la mer. Peut-on nommer cela illusion ? Les prières & les exorcismes de l’Église ne sont-ils pas un jeu & une momerie, si les possédés ne sont que des malades imaginaires ? Jésus-Christ dans S. Luc, c. vij. v. 20 & 21. donne pour preuve de sa mission, que les démons seront chassés : & dans S. Marc, chap. xvij. v. 17. il promet à ses apôtres le même pouvoir. Tout cela n’est-il que chimere ?
On convient qu’il y a plusieurs marques équivoques d’une vraie possession, mais il y en a aussi de certaines. Une personne peut contrefaire la possédée, & imiter les paroles, les actions & les mouvemens d’un énergumène ; les contorsions, les cris, les hurlemens, les convulsions, certains efforts qui paroissent venir du surnaturel, peuvent être l’effet d’une imagination échauffée, ou d’un sang mélancolique, ou de l’artifice : mais que tout-d’un-coup une personne entende des langues qu’elle n’a jamais apprises ; qu’elle parle de matières relevées qu’elle n’a jamais étudiées ; qu’elle découvre des choses cachées & inconnues ; qu’elle agisse & qu’elle parle d’une manière fort éloignée de son inclination naturelle ; qu’elle s’élève en l’air sans aucun secours sensible ; que tout cela lui arrive sans qu’on puisse dire qu’elle s’y porte par intérêt, par passion, ni par aucun motif naturel, si toutes ces circonstances, ou la plûpart d’entr’elles, se rencontrent dans une possession, pourra-t-on dire qu’elle ne soit pas véritable ?
Or, il y a plusieurs possessions où plusieurs de ces circonstances se sont rencontrées. Il y en a donc de véritables, sur-tout celles que l’Évangile nous donne pour telles. Dieu permit que du tems de Jésus-Christ, il y en eût un grand nombre dans Israël, pour lui fournir plus d’occasions de signaler sa puissance, & pour nous fournir plus de preuves de sa mission & de sa divinité.
Quoiqu’on avoue que les vraies possessions du démon sont très-rares, & qu’elles sont difficiles à reconnoître, toutefois on ne convient pas qu’elles soient miraculeuses. Elles n’arrivent pas sans la permission de Dieu, mais elles ne sont ni contraires, ni même supérieures aux lois naturelles. Personne ne recourt au miracle pour dire qu’un bon ange nous inspire de bonnes pensées, ou qu’il nous fait éviter un danger ; on suppose de même qu’un démon peut nous induire au mal, exciter dans nos corps des impressions déréglées, causer des tempêtes, &c. L’Écriture attribue aux mauvais anges la mort des premiers nés de l’Égypte, & la défaite de l’armée de Sennacherib ; elle attribue aux bons anges la pluie de feu qui consuma Sodome & Gomorrhe. Ces événemens sont miraculeux en certaines circonstances, mais non pas en toutes. Dieu ne fait que laisser agir les démons, ils exercent en cela un pouvoir qui leur est naturel, & qui est ordinairement arrêté & suspendu par la puissance de Dieu. On décide trop hardiment sur la nature de cet esprit que l’on connoît si peu.
Voilà les raisons de part & d’autre, telles que les propose dom Calmet dans son dictionnaire de la Bible, & qu’on peut voir traitées avec plus d’étendue dans une dissertation particulière qu’il a donnée sur les possessions & obsessions des démons.
Dans ces derniers tems, à l’occasion des prétendus miracles & des convulsions qui arrivoient à St. Médard, on a beaucoup traité de la réalité des possessions. Dom la Taste, alors bénédictin, & dans la suite évêque de Bethléem, dans ses lettres théologiques aux écrivains défenseurs des convulsions, a prouvé la réalité des possessions par les endroits de l’Évangile qu’indique le père Calmet dans ce qu’on vient de lire. Il y ajoute des preuves tirées de la tradition.
« Nous appuyons, dit-il, ce sentiment d’une maxime non moins conforme à la raison & au bon sens, qu’elle est importante à la religion, c’est qu’une doctrine crue de tous les Chrétiens, dans toutes les nations, & dans tous les tems, ne sauroit être une erreur, mais qu’elle coule infailliblement d’une tradition divine ; c’est la judicieuse remarque de Tertulien, lib. de præscrip. cap. jx. ecquid verisimile est, ut tot ac tantæ in unam fidem erraverint ? cæterum quod apud multos unum invenitur non est erratum, sed traditum. Or en jettant les yeux sur toutes les nations qui professent le Christianisme, Catholiques ou même schismatiques, l’on trouve la croyance de ces démons puissans & malins, même uniformité si l’on remonte de notre siècle jusqu’à celui des Apôtres.
Cette doctrine, ajoute-t-il, est encore appuyée de beaucoup de faits non équivoques, faits de plusieurs sortes ; mais je me borne à réfléchir sur une seule, sur ce qu’opéroient les démons dans les énergumènes. Je dis donc que l’on a vu dans le Christianisme de réelles possessions du démon, accompagnées de merveilles très-considérables. Sulpice Sévere, St. Hilaire, St. Jerôme, St. Paulin nous assurent que l’on voyoit de leur tems des personnes extraordinairement tourmentées par les démons sur les tombeaux ou en présence des saints ».
Un de ses adversaires lui avoit répondu « que ces prétendus énergumènes qu’on voyoit aux tombeaux des martyrs, étoient des épileptiques ou des convulsionnaires qu’on ne manquoit pas de traiter de possédés, selon l’ancienne erreur, qui faisoit donner à ces accidens le nom de maux sacrés, qu’ils conservent encore aujourd’hui parmi les bonnes femmes. Les Peres entraînés par les préjugés de l’enfance & par l’ignorance des causes naturelles, ont parlé comme le peuple ».
Je n’examinerai point, réplique dom la Taste, si « cette ancienne erreur étoit aussi répandue & parmi les Idolâtres, & parmi les Chrétiens que vous le supposez. Mais n’est-on qu’épileptique ou convulsionnaire lorsqu’on s’élève en l’air & qu’on y demeure suspendu, la tête en bas, sans que l’on tienne à quoi que ce soit ? Faut-il être une bonne femme pour ne pas confondre ces phénomènes avec ceux de l’épilepsie & avec de simples convulsions ? Or c’est sur ces phénomènes que les Pères ont décidé que ces personnes étoient possédées. Leur décision n’étoit-donc pas un préjugé & une erreur populaire » ?
« Point du tout, répondoient les adversaires de dom la Taste. Ces choses-là sont vraiment surnaturelles au moins dans la manière dont elles sont opérées ; mais les Pères ont évidemment parlé contre la vérité, lorsqu’en rapportant ces terribles prodiges, ils les ont attribués au démon ; il n’y avoit que le Dieu créateur de toutes choses qui pût les opérer ». Et pour détruire la réalité des faits, ils ajoutent : « ces énergumènes ou convulsionnaires faisoient des sauts & des culbutes comme ceux de St. Médard, & pour en exagérer le merveilleux effrayant, on disoit qu’ils restoient suspendus en l’air. St. Jerôme, St. Hilaire, St. Paulin, Sévere Sulpice & d’autres, l’ont dit de même. Voilà le vrai dénouement de la difficulté ».
« Quelle pénétration ! quels yeux ! quel homme ! s’écrie dom la Taste, du coin de son feu il découvre ce qui se passoit en Europe & en Asie il y a plus de treize siècles, comme s’il y eût été présent, & il est en état de redresser sur de purs faits tous les histoiriens de ce tems-là ».
Ensuite il montre qu’indépendamment du respect que la religion inspire pour eux, c’est une folie que de refuser de les en croire sur ces faits, puisque ce n’est pas pour en avoir entendu parler, mais pour les avoir vus qu’ils les racontent. Voici ce qu’en dit entr’autres St. Paulin :
His potiora etiam, tamen & spectata profabor.
Ante alios illum cui membra vetustior hostis
Obsidet . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . Corpore verso,
Suspendi pedibus spectantem tecta supinis
Quodque magis mirum atque sacrum est, nec in oroe
relapsis Vestibus, &c.
Et Sulpice Sévere, dialog. III. cap. vj. Vidi quemdam appropinquante Martino, in aëra raptum manibus extensis in sublime suspendi, ut nequaquam solum pedibus attingeret. D’où il conclut que les possessions sont réelles, & qu’elles ont le demon pour auteur. Et parce que ses adversaires admettent au-moins celles qui sont mentionnées dans l’Évangile, il en tire avantage contre eux, ou pour admettre toutes les autres, ou pour se jetter dans l’incrédulité ; & en effet, les raisons que nous venons de citer de leur part en approchent fort. Lettres théologiques aux écrivains défenseurs des convulsions, lettre VII. n°. xxxi. & suiv.
Mais comme l’autorité des Pères les gênoit, ils ont tenté de s’en débarasser par plusieurs raisons. « Les Peres, dit l’un d’entre eux, n’avoient-ils pas des préjugés sur la nature & sur les opérations des démons ? 1°. Tous les Pères ont presque tous cru pendant plusieurs siècles, & jusqu’aux derniers, que les démons avoient des corps. 2°. S’ils leur ont donné quelque pouvoir sur les corps, c’étoit par leurs propres forces corporelles qu’ils leur faisoient exercer ce pouvoir ». Mais comme aujourd’hui ces deux suppositions sont démontrées fausses, il s’ensuit que les possessions qu’on fondoit sur ces hypothèses n’ont point été réelles.
Dom la Taste répond, « qu’il est vrai que quelques pères ont pensé que les démons ont de vrais corps, ne regardant néanmoins ce sentiment que comme une pure opinion, ainsi que St. Augustin, l’un d’entre eux, s’en est expliqué, lib. XXI. de civitate Dei ; mais que tous, ou presque tous les pères jusqu’aux derniers siècles, ayent eu la même idée, c’est ce qui est certainement faux. N’est-il pas constant que de ceux qui ont attribué des corps aux démons, plusieurs ne donnoient point au nom de corps le sens que nous y donnons, qu’ils opposoient corporel à immense, comme ont fait St. Jean Damascene, lib. II. de fid. orthod. & St. Grégoire le Grand, lib. II. moral. cap. iij. & que quelquefois ils les appelloient corps, comme une substance revêtue d’accidens ? N’est-il pas même certain que le plus grand nombre des Peres ont enseigné que les démons sont de purs esprits, conformément à la doctrine de l’Apôtre, Ephes. cap. Vj » ? Ainsi la première objection porte à faux.
« La seconde, ajoute-t-il, n’est pas plus solide. On y soutient que si les Peres ont donné quelque pouvoir aux démons sur les corps, c’est parce qu’ils les supposoient revêtus de corps, & que ce n’est que par leurs forces corporelles qu’ils les faisoient agir. Erreur manifeste. Est-ce en les supposant corporels que ceux d’entre les pères qui les croyoient de purs esprits leur attribuoient ce pouvoir sur les corps ? Est-ce par leurs facultés corporelles que les faisoient opérer tant d’autres pères, qui n’osant assurer qu’ils aient un corps, assuroient pourtant qu’ils ont sur les corps un grand pouvoir ? Or il est indubitable que tous ou presque tous les pères sont compris dans ces deux classes. En un mot, beaucoup ont nié que le démon ait un corps, beaucoup en ont douté, & nul n’a nié son pouvoir sur les corps, nul n’en a douté. C’est donc indépendamment de l’idée sur la nature diabolique que les Peres ont reconnu le pouvoir du démon sur les corps, & par conséquent la réalité des possessions ».
Mais, ajoutoient les défenseurs des convulsions, les Peres étoient imbus du platonisme, c’est-là une des sources, & peut-être la principale de leur sentiment sur le pouvoir du démon, & après-tout c’étoit une pure opinion dont il est permis de s’écarter. A cela dom la Taste répond que ni Eusèbe, ni St. Justin, ni Lactance, ni St. Augustin, ni Théodoret, ni St. Épiphane, ni les autres n’ont pas été puiser des principes dans une philosophie qu’ils ont rejettée, méprisée, déclarée fausse, &c. Mais il faut avouer que cette réponse générale ne détruit pas l’objection ; car il passe pour constant que si les Peres n’ont pas été servilement attachés aux idées du platonisme, on en trouve du-moins beaucoup de traces, &, s’il est permis de s’exprimer ainsi, d’assez fortes teintes dans leurs écrits ; mais c’étoit sur l’Écriture qu’ils avoient formé leur langage. Ce qu’il ajoute est beaucoup plus solide, savoir que les Peres ont si peu regardé cette matière comme une chose d’opinion, qu’ils l’ont crue liée à la foi. C’est ainsi du-moins qu’en parle St. Augustin : Addimus, dit-il, lib. XXI. de civitate Dei, cap. vj. per homines dæmonicarum artium & ipsorum per se ipsos dæmonum multa miracula, quæ si negare voluerimus, iidem ipsi cui credimus sacrarum litterarum adversabimur veritati. Lettres théologiques aux écrivains défenseurs des convulsions, lett. XXI. n°. 108. & suiv.
Josephe, Antiquités, liv. VII. c. xxv. a cru que les possessions du démon étoient causées par l’âme des scélérats, qui craignant de se rendre au lieu de son supplice, s’empare du corps d’un homme, l’agite, le tourmente & fait ce qu’elle peut pour le faire périr. Ce sentiment paroît particulier à Josephe, car le commun des Juifs ne doutoit point que ce ne fussent des démons qui possédassent les énergumenes. L’Écriture, dans Tobie, cap. vj. v. 19. & cap. viij. v. 2. & 3. nous apprend que le démon Asmodée fut mis en fuite par la fumée d’un foie de poisson. Josephe raconte que Salomon composa des exorcismes pour chasser les mauvais esprits des corps des possédés, & qu’un juif, nommé Eléazar, guérit, en présence de Vespasien, quelques possédés en leur appliquant un anneau dans lequel étoit enchâssée la racine d’une herbe enseignée par Salomon. En même tems qu’on prononçoit le nom de ce prince, & l’exorcisme dont on le disoit auteur, le malade tomboit par terre, & le démon ne le tourmentoit plus. Ils croyoient donc & que les démons agissoient sur les corps, & que les corps faisoient impression sur les démons. On peut consulter sur cette matière la dissertation du père Calmet imprimée dans le recueil de ses dissertations, à Paris en 1720.
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