Anthelme Richerand. Le sommeil et la veille — Songes, somnambulisme. Extrait des « Nouveaux élémens de physiologie – neuvième édition », (Paris), tome second, 1825, pp. 223-240.
Anthelme Louis Claude Marie, Baron von Richerand (1779-1840). Chirurgien et physiologiste, membre de la l’Académie de médecine.
Quelques publications :
— Nouveaux élémens de physiologie, Pais, 1801. 2 vol.
— Des Erreurs populaires relatives à la médecine, Impr. de Crapelet (Paris), 1810. 1 vol. — Deuxième édition 1912.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription des articles originaux établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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CLVIII. Sommeil et veille. Les causes d’excitation auxquelles nos organes sont soumis durant la veille tendent à en accroître progressivement l’action ; les battemens du cœur, par exemple, sont bien plus fréquens le soir que le malin, et ce mouvement, graduellement accéléré, seroit bientôt porté à un degré d’activité incompatible avec la conservation de la vie, si le sommeil ne modéroit chaque jour cette force d’action, et ne la [p. 224] ramenoit au terme convenable. La fièvre naît des veilles prolongées ; et dans toutes les maladies aiguës, l’exacerbation survient vers le soir : le sommeil de la nuit rabaisse les forces trop exaltées ; mais cet état de l’économie animale, si salutaire et si désirable dans toutes les affections sthéniques, est moins utile que pernicieux dans les maladies dont un extrême affoiblissement constitue le principal caractère. L’adynamie se déclare presque toujours le matin dans les fièvres putrides, et les pétéchies, symptôme d’une grande débilité, paroissent durant le sommeil. Il favorise aussi l’établissement et les progrès des gangrènes ; et c’est un fait de clinique bien observé : dans tous les cas que nous venons de citer, le sommeil n’améliore pas l’état des malades ; chose facile à concevoir, puisqu’il ne fait qu’ajouter à la débilité accidentelle, caractère essentiel de la maladie, l’affoiblissement, qui fait aussi son principal caractère.
Le sommeil, cette interruption momentanée dans la communication des sens avec les objets extérieurs, peut être défini le repos des organes des sens et des mouvemens volontaires. Pendant le sommeil, les fonctions intérieures ou assimilatrices s’exécutent ; la digestion, l’absorption, la circulation, la respiration, les sécrétions, la nutrition, s’opèrent, les unes, comme l’absorption et la nutrition, avec plus d’énergie que pendant la veille, tandis que les autres sont manifestement ralenties. Durant le sommeil, le pouls est plus [p. 225] lent et plus foible, les inspirations sont moins fréquentes, la transpiration insensible, les urines et toutes les antres humeurs émanées du sang sont séparées en moindre quantité. L’absorption est, au contraire, fort active ; de là le danger de s’endormir au milieu d’un air insalubre. On sait que les effluves marécageux qui rendent si malsaine la campagne de Rome, occasionnent presque infailliblement des fièvres intermittentes lorsqu’on y passe la nuit, tandis que les voyageurs qui la traversent sans s’y arrêter n’en ressentent aucune atteinte.
Le corps humain présente assez bien l’image des forces centripètes et centrifuges de l’ancienne physique. Le mouvement de plusieurs des systèmes qui entrent dans sa structure est dirigé du centre à la circonférence ; c’est une véritable exhalation qui pousse an dehors les produits de la destruction perpétuelle des organes ; telle est l’action du cœur, des artères et de toutes les glandes sécrétoires. D’autres actions se dirigent, au contraire, de la circonférence vers le centre ; et c’est par leur moyen que nous puisons sans cesse dans les alimens qui sont introduits dans nos voies digestives, dans l’air qui pénètre dans nos poumons et enveloppe la surface de notre corps, les élémens de son accroissement et de sa réparation. Ces deux mouvemens, à direction opposée, se balancent continuellement, dominent tour à tour, suivant l’âge, le sexe, le sommeil ou la veille. Pendant le [p. 226] sommeil, les mouvemens se portent de la périphérie vers le centre (1) ; et si les organes qui nous mettent en rapport avec les objets du dehors se reposent, les parties intérieures travaillent avec plus d’avantage (2). Un homme âgé de quarante ans, atteint d’une sorte d’imbécillité, séjourna pendant environ dix-huit mois à l’hôpital Saint-Louis pour la curation de quelques glandes scrofuleuses. Pendant ce long espace de temps, il restoit constamment au lit, dormant les cinq sixièmes de la journée, tourmenté par une faim dévorante, et passant à manger ses courts instans de veille : ses digestions étoient toujours promptes et faciles ; il conservoit de l’embonpoint, quoique l’action musculaire fût extrêmement languissante, le pouls très-lent et très-foible. Dans cet individu, qui, pour parler le langage de Bordeu, vivoit sous l’empire de l’estomac, les affections morales étoient bornées au désir des alimens et du repos. Dominé par une paresse insurmontable, ce n’étoit jamais sans de grandes difficultés qu’on parvenoit à lui faire prendre le plus léger exercice.
La veille peut être considérée comme un état d’effort et de dépense considérable du principe sensitif et moteur, par les organes de nos sensations et de nos mouvemens. Ce principe eût été bientôt épuisé par cette effusion non interrompue, [p. 227] si de longs intervalles de repos n’eussent favorisé sa réparation. Cette interruption dans l’exercice des sens et des mouvemens volontaires présente une durée relative à celle de leur exercice. Nous avons déjà dit qu’il est des fonctions tellement essentielles à la vie, que leurs organes doivent avoir des momens de repos très-courts ; mais ces intervalles sont tellement rapprochés, que le temps se trouve partagé en deux moitiés presque égales, dont l’une appartient au repos, tandis que l’autre répond à l’état d’activité. Les fonctions qui entretiennent nos rapports avec les objets qui nous environnent doivent être capables de persister pendant un certain temps dans un état d’activité soutenue ; car on prévoit suffisamment combien eussent été imparfaites des relations à chaque instant interrompues : leur repos, qui constitue le sommeil, est également continu et prolongé.
La durée du sommeil est généralement du quart au tiers de la journée ; on ne dort guère moins de six heures et plus de huit. Les enfans dorment néanmoins davantage, et d’autant plus qu’ils sont plus près du terme de leur naissance ; les vieillards, au contraire, ne jouissent que d’un sommeil court, léger interrompu ; comme dit à ce sujet Grimaud, si, selon l’idée de Stahl, les enfans pressentoient que, dans la longue carrière qu’ils doivent parcourir, ils ont assez de temps pour déployer librement les actes de la vie, et que les vieillards, près de leur fin, sentissent la [p. 228] nécessité de précipiter la jouissance d’un bien qui leur échappe.
Si le sommeil de l’enfant est si long, si profond et si tranquille, cela doit être attribué à la prodigieuse activité des fonctions assimilatrices, et peut-être à l’habitude qu’il a du sommeil, puisque cet état est celui dans lequel il a passé les neuf premiers mois de sa vie, ou tout le temps qui a précédé sa naissance. Dans un âge avancé, les fonctions intérieures languissent ; leurs organes n’appellent point l’attention du principe de la vie : le cerveau est d’ailleurs tellement surchargé d’idées acquises, qu’il est presque toujours éveillé par elles. Les animaux carnivores dorment plus longtemps que les herbivores, parce que, dans les instans de veille, ils exercent plus de mouvemens, et peut-être encore parce que les substances animales dont ils se nourrissent contenant plus de particules nutritives sous le même volume, ils ont besoin d’un temps moins long pour dévorer leurs alimens et pourvoir à leur subsistance.
Le sommeil est un état essentiellement distinct de la mort, à laquelle quelques auteurs l’ont faussement assimilé (3) : il ne fait que suspendre cette [p. 229] portion de la vie dont le but est d’entretenir avec les objets du dehors un commerce nécessaire à notre existence. On peut dire que le sommeil établit la division la plus naturelle des phénomènes de la vie ; et l’on a lieu de s’étonner que les physiologistes aient si long-temps suivi l’ancienne division des fonctions vitales, animales et naturelles, tandis que l’état de sommeil leur en fournissoit une analyse à la fois si simple et si exacte. Les organes des sens et des mouvemens, las d’agir, se reposent par le sommeil ; mais plusieurs circonstances favorisent cette cessation de leur exercice. Si l’on excite continuellement les organes des sens, on les entretiendra dans une veille constante : l’éloignement des causes matérielles de nos sensations tend donc à nous plonger dans les bras du sommeil ; c’est pourquoi on le goûte mieux dans le silence et dans l’obscurité des nuits (4). Nos organes s’endorment successivement ; l’odorat, le goût et la vue sont inactifs, lorsque l’ouïe et le toucher nous [p. 230] transmettent encore de faibles impressions. Les perceptions confuses finissent par disparoître ; les sens intérieurs cessent d’agir, aussi-bien que les muscles destinés aux mouvemens volontaires, dont l’action est entièrement subordonnée à celle du cerveau.
Le sommeil est un état, sinon tout-à-fait passif, au moins dans lequel l’activité du plus grand nombre des organes est singulièrement diminuée, et celle de quelques-uns complétement suspendue. C’est donc à tort que certains auteurs ont considéré cet état négatif comme un phénomène actif, et l’ont envisagé comme une fonction de l’économie vivante ; ce n’est qu’un mode ou manière d’être. Vainement a-t-on prétendu qu’il falloit, pour dormir, un certain degré de force. Les fatigues excessives n’empêchent le sommeil que par le sentiment douloureux qu’elles laissent dans tous les muscles, sentiment qui devient une nouvelle cause d’excitation pour le cerveau, qu’il tient éveillé jusqu’à ce que le repos l’ait complétement dissipé.
On a voulu assigner la cause prochaine du sommeil. Les uns ont dit que cet état tenoit à l’affaissement des lames du cervelet, qui, selon eux, sont redressées pendant la veille ; et ceux-là s’appuient sur l’expérience, qui consiste à comprimer le cervelet d’un animal vivant pour le faire aussitôt dormir. Ce sommeil, comme celui que procure la compression de toute autre partie de la masse [p. 231] cérébrale, est un état vraiment maladif : il n’est pas plus naturel que l’apoplexie. D’autres, croyant sans doute le sommeil analogue à cette dernière affection, le font dépendre du transport des humeurs vers le cerveau pendant la veille. Cet organe, disent-ils, comprimé par le sang qui obstrue ses vaisseaux, tombe dans un véritable engourdissement. Cette opinion est aussi peu fondée que la précédente. Tant que les humeurs se dirigent eu abondance vers l’organe cérébral, elles l’entretiennent dans un état d’excitement qui n’est point du tout favorable au sommeil. Ne sait-on pas qu’il suffit d’être fortement occupé de quelque idée, d’être vivement affecté d’un objet quelconque pour qu’on ne puisse en goûter les douceurs ? Le café, les spiritueux, pris en petite quantité, causent l’insomnie en excitant les forces circulatoires, en déterminant vers le cerveau un afflux de sang plus considérable. Tout ce qui peut, au contraire, détourner ce fluide vers un autre organe, comme les saignées abondantes, les bains de pieds, les purgatifs, la digestion, la copulation, un froid extérieur très-vif , ou qui diminue la force avec laquelle il y est poussé, comme l’ivresse, la débilité générale, influe puissamment sur le sommeil ; aussi observe-t-on que la masse cérébrale s’affaisse pendant sa durée ; preuve que la quantité du sang qui s’y porte se trouve notablement diminuée.
Les organes des sens, successivement endormis, s’éveillent de la même manière ; les sons et la [p. 232] lumière produisent des impressions, d’abord confuses, sur les yeux et sur les oreilles ; bientôt ces sensations deviennent plus distinctes ; nous flairons les odeurs, nous goûtons les saveurs, nous apprécions les corps par le toucher. Les organes de nos mouvemens se préparent à entrer en action , puis nous transportent où notre volonté les dirige (5). Les causes du réveil agissent en déterminant une plus grande affluence du sang vers le cerveau ; elles embrassent tout ce qui peut émouvoir les sens, comme le retour du bruit et de la lumière, avec le lever du soleil : elles agissent quelquefois au dedans de nous. C’est ainsi que les urines, les matières fécales et les autres liqueurs accumulées dans leurs réservoirs les irritent par leur présence, et propagent vers le cerveau un ébranlement qui concourt à dissiper le sommeil. L’habitude a encore sur ce phénomène, comme sur toutes les actions qui se passent dans le système nerveux et sensible, la plus remarquable influence. Plusieurs personnes goûtent le repos au milieu d’un bruit éclatant, qui d’abord les empêchoit de s’y livrer. Quelque besoin qu’il eût de dormir plus long-temps, un homme qui a fixé l’heure journalière de son réveil, se réveille chaque jour à la même heure. Il est également subordonné à la puissance de la volonté ; il suffit de le vouloir [p. 233] fortement, pour s’arracher au sommeil à une heure déterminée.
CLIX. Songes, somnambulisme. Quoique le sommeil suppose le repos parfait des organes des sensations et des mouvemens, il est assez rare d’en jouir dans toute sa plénitude : l’homme qui dort du sommeil le plus calme et le plus, profond se réveille rarement dans la position qu’il avoit au moment où il s’est endormi ; il en a changé plusieurs fois dans son sommeil, ce qui suppose qu’excité par des sensations obscures, il a exécuté divers mouvemens tout-à-fait comparables à ceux qu’exécute le fœtus au sein de sa mère. Plus souvent encore plusieurs fonctions intellectuelles s’exerçant, divers mouvemens volontaires s’accomplissent ; ce qui établit des états intermédiaires entre le sommeil et la veille, de véritables sensations mixtes, qui tiennent plus ou moins de l’un ou de l’autre. Supposons, par exemple, que l’imagination reproduise dans le cerveau (6) des sensations qu’il a autrefois éprouvées, l’intellect travaille, associe et combine des idées, souvent disparates, et quelquefois naturelles ; enfante des monstres horribles, bizarres et ridicules ; nous fait éprouver la joie, l’espérance, la tristesse, la surprise ou [p. 234] 1’effroi ; et toutes ces idées, toutes ces passions se représentent quand nous sommes éveillés et laissent après elles un souvenir plus ou moins distinct, qui ne nous permet pas de douter que le cerveau n’ait réellement agi pendant le repos des sens et des organes moteurs. On a donné le nom de songes à ces phénomènes. Quelquefois nous parlons en rêvant, et cet état nous rapproche un peu plus de la veille, puisqu’à l’action du cerveau se joint celle des organes de la voix et de la parole. Enfin toutes les fonctions relatives peuvent s’exercer, à l’exception des sens extérieurs. Le cerveau n’agit et ne détermine l’action des organes et des mouvemens, de la voix et de la parole, qu’en conséquence des impressions antérieures ; et cet état qui ne diffère de la veille que par l’inactivité des sens, se nomme somnambulisme.
On raconte à ce sujet des choses surprenantes.
On a vu des somnambules se lever, se vêtir, sortir de la maison en ouvrant et en refermant soigneusement toutes les portes, bêcher au jardin, tirer de l’eau d’un puits, tenir des discours raisonnables et suivis, retourner au lieu de leur repos, puis se réveiller, sans conserver aucun souvenir de tout ce qu’ils avoient fait et dit pendant leur sommeil. Cet état est toujours bien dangereux ; car, ne se conduisant que d’après les impressions reçues durant la veille, les somnambules ne sont point avertis par leurs sens des choses qui menacent leur existence ; ils ne peuvent éviter aucun des [p. 235] dangers qui se trouvent sous leurs pas. Aussi les voit-on fréquemment se jeter par les fenêtres de leur appartement, ou tomber des toits sur lesquels ils montent, sans être pour cela plus habiles à s’y tenir, comme le croit le vulgaire, toujours ami du merveilleux. Toutefois ce préjugé populaire est loin d’être dépourvu de tout fondement. L’ignorance du danger donne aux somnambules une assurance qui les préserve des accidens, lesquels arriveroient infailliblement s’ils étoient éveillés. L’homme dont la tête est la plus forte, c’est-àdire, la moins sujette aux étourdissemens, ne pourra rester un moment au bord d’un précipice et y fixer ses regards que bientôt il ne se trouble, chancelle et tombe’: tous les observateurs parlent des graves inconvéniens qu’il y a de réveiller un somnambule lorsqu’il est mis dans une situation périlleuse.
Quelquefois un organe des sens reste ouvert aux impressions des corps qui l’affectent : l’on peut alors diriger à volonté le travail intellectuel. C’est ainsi que l’on fait converser sur telle ou telle matière celui qui parle en rêvant, et qu’on lui arrache l’aveu de ses plus secrètes pensées. Ce fait peut être donné en preuve des erreurs des sens, et du besoin que nous avons de les corriger les uns par les autres.
La disposition des organes influe sur la nature des choses dont on s’occupe pendant les songes. La surabondance de la liqueur séminale suggère [p. 236] des songes licencieux; dans les cachexies pituiteuses, les malades rêvent à des objets dont la teinte ressemble à celle de leurs humeurs. C’est ainsi que l’hydropique ne voit qu’eaux et fontaines, tandis que, pour l’homme atteint d’une affection inflammatoire, tous les corps paroissent teints en rouge, c’est-à-dire, de la couleur du sang, qui est l’humeur prédominante.
La digestion difficile trouble le sommeil. Que l’estomac trop plein d’alimens empêche l’abaissement du diaphragme, la poitrine se dilate avec peine ; le sang, qui ne peut traverser les poumons, stagne dans les cavités droites du cœur, de là naît un sentiment pénible ; il nous semble qu’un poids énorme accable la poitrine et va nous suffoquer ; nous nous réveillons en sursaut pour nous soustraire à un si pressant danger : c’est ce qu’on nomme l’incube, affection qui peut reconnoitre d’autres causes, un hydrothorax, par exemple, mais qui dépend toujours du passage difficile du sang à travers les poumons.
Les facultés intellectuelles exercées pendant les songes peuvent nous conduire à certains ordres d’idées auxquels nous n’avions pu atteindre durant la veille.
C’est ainsi que, des mathématiciens ont achevé pendant leur sommeil les calculs les plus compliqués, et résolu les problèmes les plus difficiles. On conçoit que, dans le sommeil des sens externes, le centre sensitif doit être tout entier aux [p. 237] combinaisons des idées, et les opérer avec plus d’énergie. Il est rare que l’influence de l’imagination sur les organes génitaux durant l’état de veille soit portée au point de provoquer seule l’émission de la semence ; rien n’est plus commun pendant le sommeil, dans les songes érotiques.
L’espèce humaine n’est pas la seule qui pendant le sommeil éprouve ce genre d’agitations que l’on comprend en général sous le nom de rêves : ces phénomènes s’observent aussi chez les animaux, qui y sont d’autant plus soumis, que leur nature est, plus irritable et plus sensible. Ainsi le chien et le cheval rêvent plus que les humains ; le premier aboie, le second hennit quelquefois pendant le sommeil. Les vaches qui allaitent leurs veaux expriment par des mugissemens sourds leur sollicitude maternelle ; les taureaux et les beliers paroissent tourmentés de désirs, qu’ils expriment surtout par des mouvemens particuliers de leurs lèvres.
D’après ce que nous avons dit du sommeil et des songes, il ne sera pas difficile d’expliquer pourquoi le premier répare si peu les forces, lorsque nous sommes, pendant sa durée, tourmentés par des rêves effrayans. Souvent on se réveille extrêmement fatigué des inquiétudes et des mouvemens que l’on s’est donnés pour échapper à des périls imaginaires.
Nous avons vu les relations de l’homme avec les objets du dehors établies au moyen d’organes [p. 298] particuliers qui, par le moyen des nerfs, vont tous aboutir à une partie centrale, siège essentiel et principal de la fonction qui fait l’objet de ce chapitre. Comme les phénomènes des sensations s’accomplissent par l’entremise d’un agent inconnu, et qu’analogues à ceux de l’électricité et du magnétisme, ils ne paroissent point obéir aux lois ordinaires du mouvement et de la matière, ils ont fourni le champ le plus vaste aux vaines suppositions de l’ignorance et du charlatanisme. C’est pour les expliquer qu’ont été imaginées les théories les plus nombreuses et les plus folles.
Le 23 décembre, on ne dit pas de quelle année, un médecin de Lyon, M. Petetin, est appelé auprès d’une jeune dame de dix-neuf ans, sanguine et robuste. Elle était cataleptique. Le docteur met en usage divers remèdes, et prend un jour le parti de renverser la malade sur son oreiller ; il tombe à moitié penché sur le lit, et cela le conduit à la découverte du transport des sens dans l’épigastre à l’extrémité des doigts et des orteils. Je copie ici les termes fastueux et peu français dont il se sert pour annoncer sa découverte. Là, notre docteur raconte sérieusement que, mettant de la brioche sur l’épigastre de la malade, elle en percevoit le goût, puis exerçoit des mouvemens de déglutition ; s’il faut l’en croire, elle entendoit, flairoit, goûtoit, voyoit et touchoit par-là, les sens externes étant pour lors complétement endormis. Afin de rendre la chose plus croyable, il ajoute [p. 239] qu’elle voyoit l’intérieur de son corps, devinoit ce que renfermoient les poches des assistans, en faisoit l’inventaire, ne se trompait point sur le nombre des pièces de monnoie contenues dans leur bourse; mais le miracle cessoit de s’opérer dès qu’on enveloppoit les objets d’une étoffe de soie, d’une couche de cire, ou que l’on interposoit tout autre corps aussi peu conducteur de l’électricité. Enfin, pour exercer tout-à-fait la foi de ses lecteurs, M. Petetin s’écrie : « O prodige inconcevable ! formoit-on une pensée sans la manifester par la parole, la malade en étoit instruite aussitôt (7). » Il est inutile de raconter avec plus de détails une histoire aussi invraisemblable.
Je me serois tu sur le livre de M. Petetin , et l’aurois laissé dormir en paix à côté des innombrables brochures enfantées par le mesmérisme, si le professeur Dumas n’avoit été la dupe de cette mystification, et n’en avoit pris occasion d’écrire un long chapitre sur les transports ou déplacemens de la sensibilité.
Dans le cas où les amis du merveilleux nous reprocheroient de pousser trop loin le scepticisme, nous leur répondrons que M. Petetin est le seul témoin du miracle (8) ; qu’il est impossible, d’après [p. 240] sa narration, de dire en quelle année et sur quelle personne se sont opérés les-prodiges qu’il raconte, et que cet auteur enthousiaste pourroit bien avoir inventé ce conte pour confondre les incrédules qui se permettoient de tourner en dérision son système sur l’électricité du corps de l’homme.
NOTES
(1) Motus in sommo intro vergunt. Hipp.
(2) Somnas labor viceribus. Id.
(3) Dire que le sommeil est l’image de la mort, que les végétaux dorment sans cesse, c’est se servir d’expressions qui manquent de justesse et d’exactitude. Comment les plantes, qui n’ont ni cerveau ni nerfs, qui manquent des organes des sens, des mouvemens et de la voix, peuvent-elles jouir du [p. 229] sommeil, qui n’est aure chose que le repos d’organes dont elles sont complètement privées ?
(4) Le tissu des paupières n’est pas tellement opaque, que nous ne puissions, à travers leur épaisseur, distinguer la lumière des ténèbres ; c’est ce qui fait qu’un flambeau allumé dans un appartement nous empêche de nous endormir. Par la même raison, le jour qui succède à la nuit est une cause du réveil, car, malgré la clôture exacte des paupières, la lumière peut encore agir sur le globe de l’œil.
(5) Voyez au chapitre des Mouvemens, art. CLX.
(6) Les songes ne forment des choses en dormant que dans le moule que les pensée ont fait en veillant. (Voyages de Chardin, Description des sciences, ch. 12, de la Morale.)
(7) Électricité animale, 1 vol. in-8°. Lyon, 1808.
(8) Je ne croirai à un miracle, disoit Voltaire, que lorsqu’il, se sera opéré en plein midi, devant l’Académie des Sciences de Paris, ou la Société royale de Londres, assistées [p. 240] d’un régiment aux gardes pour écarter la foule des fanatiques et des imbécilles. En pareil cas, le parti le plus sage est d’adopter cette belle maxime du président Dupaty : « Entre des hommes qui disent, Telle chose est, et la nature qui dit, Telle chose n’est pas, il faut en croire la nature
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