Alfred Maury. De l’Hallucination au point de vue philosophique et historique ou examen critique de l’opinion émise par M. Brierre de Boismont, touchant les caractères auxquels on doit reconnaître l’hallucination chez certains personnages célèbres de l’histoire. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), 1845, tome V, pp. 317-338. — Suivi par la Réponse de M. Brierre de Boismont à la critique de M. Maury. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), 1845, tome V, pp. 339-341.
Louis-Ferdinand-Alfred MAURY (1817-1892). Très tôt, dès 1836, il se consacre à l’étude de l’archéologie des langues anciennes et modernes, de la médecine et du droit. Son poste officiel à la Bibliothèque nationale, puis à la celle de l’Institut, lui permet d’être au centre du dispositif de ses recherches. Dès l’origine membre de la Société des Annales médico-psychologiques, bien de non médecin, il sera un contributeur zèlé de celles-ci. Ses travaux sur le sommeil et les rêves, en particulier l’analyse de ses propres rêves, en font un précurseur, sur bien des points, des théories que développa la psychanalyse, ainsi que la neuro-psychologie. Freud y fait d’ailleurs plusieurs fois référence dans son Interprétation des rêves. L’ensemble de ses travaux sur la question sont réunis dans un ouvrage qui connu plusieurs édition : Le sommeil et les rêves. Etudes psychologiques sur ces phénomènes et les divers états qui s’y rattachent, suivies de recherches sur le développement de l’instinct et de l’intelligence dans leurs rapports avec le phénomène du sommeil. Paris, Didier et Cie, 1861. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., VII p., 426 p
Mais ce polygraphe érudit, a couvert un plus vaste champ de recherches et, hors ses très nombreux arroches nous avons retenu ces quelques titres :
— EXTASE. Extrait de la “Nouvelle Encyclopédie, ou dictionnaire philosophique, scientifique, littéraire et inductriel, offrant le tableau des connaissances humaines au dix-neuvièmesiècle par ne société de savans et de littérateurs, sous le direction de P. Leroux et J. Reynad”, (Paris), tome V, EPI-FORC, 1843, pp. 183, colonne 1 – pp. 192, colonne 2. [en ligne sur notre site]
— Recherches sur l’origine des représentations figurées de la psychostasie ou pèsement des âmes et sur les croyances qui s’y rattachaient. Premier article. Article paru dans la « Revue d’Archéologie, (Paris), Presses Universitaires de France, 1ère année, n°1, 15 avril au 15 septembre 1844, pp. 235-249. [en ligne sur notre site]
Ces recherches comprennent 2 articles distribués en 4 parties, comme suit :
— Recherches sur l’origine des représentations figurées de la psychostasie ou pèsement des âmes et sur les croyances qui s’y rattachaient. Deuxième article. Des divinités et des génies psychopompes dans l’antiquité et au moyen âge. Article paru dans la « Revue d’Archéologie », (Paris), Presses Universitaires de France, 1ère année, n°1, 15 avril au 15 septembre 1844, pp. 291-307.
Deux autres articles vient compléter cette première recherche:
— Des divinités et des génies psychopompes dans l’antiquité et le moyen âge. Premier article. Article paru dans la « Revue d’Archéologie, (Paris), Presses Universitaires de France, 1ère année, n°1, 15 octobre 1844 au 15 mars 1845, pp. 501-524.
— Des divinités et des génies psychopompes dans l’antiquité et le moyen âge. deuxième article. Article paru dans la « Revue d’Archéologie, (Paris), Presses Universitaires de France, 1ère année, n°1, 15 octobre 1844 au 15 mars 1845, pp. 657-677.
— De l’Hallucination au point de vue philosophique et historique ou examen critique de l’opinion émise par M. Brierre de Boismont, touchant les caractères auxquels on doit reconnaître l’hallucination chez certains personnages célèbres de l’histoire. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), 1845, tome V, pp. 317-338. — Suivi par la Réponse de M. Brierre de Boismont à la critique de M. Maury. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), 1845, tome V, pp. 339-341. [en ligne sur notre site]
— Sur un miroir magique. Extrait de la « Revue archéologique », (Paris), 2e année, n°1, 15 avril au 15 septembre 1846, pp. 154-170. [en ligne sur notre site]
— Sorcier, Sorcellerie. Article extrait de « Encyclopédie moderne. Dictionnaire abrégé des sciences, des lettres, des arts, de l’industrie, de l’agriculture et du commerce. Nouvelle édition entièrement refondue et corrigée de près du double, publiée par MM. Firmin Didot frères sous la direction de M. Léon Renier », (Paris), vol. XXV, 1847, colonnes 592-596. [en ligne sur notre site]
— Histoire des Grandes Forêts de la Gaulle et de l’ancienne France. Précédée de recherches sur l’histoire des forêts de l’Angleterre, de l’Allemagne et de l’Iatlie, et de considérations sur le caractère des forêts des diverses parties du globe. Paris, A. Leleux, 1850. 1 vol. in-8°, VI p., 328 p.
— De certains faits observés dans les rêves et dans l’état intermédiaire entre le sommeil et la veille. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), 3e série, tome III, avril 1857, pp. 157-176. [en ligne sur notre site]
—Histoire des religions de la Grèce antique, depuis leur origine jusqu’à leur complète constitution. Tome premier: La religion héllénique depuis les temps primitifs jusqu’au siècle d’Alexandre. – Tome II. Paris, De Ladrange, 1857. 3 vol. in-8°, (XII p., 608 p.) + (2 ffnch., 551 p.) + (2 ffnch., 548 p.).
— Fragment d’un mémoire sur l’histoire de l’astrologie et de la magie dans l’Antiquité et au Moyen Age. Extrait de la « Revue archéologique », (Paris), 16e année, n°1, avril 1859 à septembre 1859, pp. 1-24. [en ligne sur notre site]
— La Magie et l’Astrologie dans l’antiquité et au moyen-age ou étude sur les superstitions païennes qui se sont perpétuées jusqu’à nos jours. Paris, Didier et Cie, 1860. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., 450 p. [Plusieurs réédition, augmentées]
— Songe. Article extrait de « Encyclopédie moderne. Dictionnaire abrégé des sciences, des lettres, des arts, de l’industrie, de l’agriculture et du commerce. Nouvelle édition entièrement refondue et corrigée de près du double, publiée par MM. Firmin Didot frères sous la direction de M. Léon Renier », (Paris), vol. XXV, 1847, collines 584 à 592. [en ligne sur notre site]
— Des Hallucinations du mysticisme chrétien. Extrait de la « Revue des Deux Mondes », 2e série de la nouvelle période, tome 8, 1854 (pp. 454-482). [en ligne sur notre site]
— Fragment d’un mémoire sur l’histoire de l’astrologie et de la magie dans l’Antiquité et au Moyen Age. Extrait de la « Revue archéologique », (Paris), 16e année, n°1, avril 1859 à septembre 1859, pp. 1-24. [en ligne sur notre site]
— Croyances et Légendes de l’antiquité. Essais de critique appliquée à quelques points d’histoire et de mythologie. Paris, Didier et Cie, 1863. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., 412 p., 2 ffnch.
— Croyances et légendes du moyen-âge. Nouvelle édition des fées du moyen-âge et des légendes pieuses publiée d’après les notes de l’auteut par MM. Auguste Longnon et G. Bonet-Maury. Avec une préface de M. Michel Bréal. Paris, Honoré Champion, 1896. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., LXII p., 1 fnch., 459 p., portrait de l’auteur.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé quelques fautes de typographie. – Par commodité nous avons renvoyé les notes de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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DE L’HALLUCINATION
AU POINT DE VUE PHILOSOPHIQUE ET HISTORIQUE,
Ou
EXAMEN GRITIQUE DE L’OPINION ÉMISE
par
M. BRIERRE DE BOISMONT,
TOUCHANT LES CARACTÈRES
AUXQUELS ON DOIT RECONNAÎTRE L’HALLUCINATION CHE
CERTAINS PERSONNAGES CÉLÈBRES DE L’HISTOIRE,
par
M. ALFRED MAUTY
(Sous-bibliothécaire de l’Institut.)
La physiologie avait tendu la main à la psychologie, sitôt que, quittant le simple rôle d’une science d’observation et d’analyse des faits sensibles, elle avait cherché à découvrir la cause des phénomènes de la vie et à en formuler les lois. Elle envahit ainsi le domaine que s’était jusqu’alors exclusivement réservé la philosophie, et dans son cadre agrandi prit place tout ce qui [p. 318] touche à l’étude de l’homme, Mais là ne se sont pas arrêtées ses conquêtes. De la vie individuelle elle s’est élevée à la vie sociale ; des actes privés aux événements ; et l’histoire à son tour l’a rencontrée sur son terrain. Ce dernier avènement de la physiologie dans l’histoire est un fait encore bien nouveau, qui a surpris la plupart des esprits et en a même révolté plusieurs ; jusqu’alors il avait semblé qu’entre la constitution des sociétés et le tempérament des individus, il n’y avait que des influences bien lointaines ; l’on n’eût osé avancer, sans crainte de ridicule, que la santé de tel personnage avait exercé une action sérieuse sur les idées, les doctrines d’une époque. Cependant, si 1’on réfléchit que les événements sont presque toujours, sinon amenés ou préparés, du moins accomplis par des volontés isolées et des actes individuels, ou reconnaîtra que les faits historiques peuvent souvent, par ce côté, retomber sous l’empire des lois physiologiques. Il n’y a donc rien de déraisonnable de demander à la physiologie la solution de certains problèmes de la philosophie de l’histoire. C’est ce qui a été reconnu par certains écrivains qui ont poussé dans la voie des applications historiques une science qui semblait, à l’origine, ne devoir jamais sortir des salles d’hôpitaux et des amphithéâtres de dissection. Les faits d’aliénation mentale, et surtout les hallucinations, leur ont fourni le moyen et l’occasion d’opérer cette petite révolution scientifique. Des hommes qui alliaient aux connaissances positives du praticien l’élude de l’histoire et de la philosophie, ont donné, par des exemples choisis, et concluants, la mesure de ce qu’il était possible de faire dans cette voie encore inconnue, et ont enseigné, en quelque sorte, la méthode qu’il fallait suivre dans ces nouvelles explorations.
L’intelligence humaine a ses annales comme la vie politique et sociale, annales où s’offrent également ces alternatives frappantes de puissance et d’atonie, de bon sens et de délire, d’enthousiasme et de réflexion. Ces annales se coordonnent même souvent avec les annales historiques et forment avec elles, un [p. 319] parallélisme intéressant. Leur étude comparée s’éclaire mutuellement. La succession des progrès, des aberrations, des dégradations de l’esprit humain, a des rapports intimes avec la suite d’élévations, de bouleversements, de décadences que nous offrent les fastes des peuples. Et dans la première de ces séries, l’aliénation mentale, les troubles intellectuels, passagers ou permanents, doivent avoir leur place. Peut-on écrire la vie de l’intelligence et passer sous silence les maux auxquels elle est souvent en proie, les maladies qui l’altèrent ou la dénaturent ? Plus les affections cérébrales et nerveuses sont étudiées, plus l’on s’aperçoit de leur multiplicité, de leur extrême influence sur les actes de l’individu, de leur action contagieuse. Ces faits constatés ne peuvent être séparés des conséquences qu’ils font naître. Chez les esprits même les plus éminents, il y a eu des instants de maladie et de perturbation, il a existé des moments où l’activité de leur raison puissante et saine a été suspendue par ces altérations morbides. Quelle part faut-il donc faire à l’influence de ces dernières dans les conceptions et les pensées qui sont sorties des cerveaux qu’elles avaient atteints ? C’était la une question grave, grave en elle-même, grave pour le jugement que nous devons porter sur certains personnages, grave surtout par les conclusions auxquelles sa solution peut amener. Et l’on a compris, nous l’espérons, par l’enchaînement que nous venons d’établir dans nos paroles, comment ce dernier problème où l’élément physiologique se mêle à l’élément psychologique, rattachait la science de l’homme à celle des événements.
Une des premières choses à faire dans cet emploi encore inconnu de la psychologie physiologique, c’était la détermination précise des caractères auxquels devaient être rapportées les différentes maladies mentales. C’était principalement sur ces états intermédiaires entre la plénitude de la raison et sa lésion prfonde, qu’il fallait diriger ses observations ; car c’étaient les résultats auxquels ces études pouvaient conduire qui devaient constituer le fondement de la science nouvelle, Une fois les [p. 320] symptômes du mal bien nettement assignés, la méthode devenait facile à appliquer, C’est M. Lélut qui, le premier, a tenté cette tâche, et il a mené si bien à fin son entreprise, que, depuis la publication de ses premiers travaux, rien d’important n’a été ajouté aux principes qu’il a énoncés, Dans ses Observations sur la folie sensoriale, qui parurent en 1833 , dans ses Recherches des analogies de la folie et de la raison, publiées en 1834, il a posé les bases d’une méthode dont son Démon de Socrate a été la première application. Ce n’est que depuis l’apparition de son livre, que l’hallucination s’est clairement distinguée de la folie pure, dont elle ne fut longtemps considérée que comme un caractère, et que parmi ces illusions intellectuelles, des distinctions, qui sont de véritables découvertes, ont été établies. Aujourd’hui ces idées ont presque pris droit de cité dans le monde médical. Les opinions qu’avait émises M. Lélut se sont vues promptement adoptées par la plupart de ceux que la nature de leurs fonctions appelait à vérifier l’exactitude des faits que ce savant avait pris pour point d’appui. MM. Leuret, Calmeil, Marc, Archambault, Littré, etc., les ont corroborées d’observations et de réflexions nouvelles, qui, en en modifiant parfois quelques détails, n’en ont jamais infirmé les conclusions essentielles. Ainsi, la théorie de l’hallucination avec ses importantes conséquences prit place dans la psychologie et dans la physiologie, et elle vint compléter le magnifique édifice de la nosologie psychologique dont Pinel et Esquirol avaient élevé les premières assises. La voie était définitivement tracée et rien ne masquait plus le but auquel elle conduisait ; il avait été permis aux deux maîtres que nous venons de citer de garder sur les applications de la doctrine de l’hallucination une réserve marquée, et de n’indiquer que timidement les principes historiques qui en découlaient. Il régnait encore trop d’obscurité dans ces questions, lorsqu’ils écrivaient, pour qu’ils pussent se prononcer ex cathedra, surtout quand les jugements devaient être aussi graves, aussi périlleux. Mais une fois le pas fait, une [p. 321] fois le mot lâché, il n’y avait plus à revenir ; il fallait déserter l’école de la médecine psychologique ou adopter les principes qu’elle avait posés. Une réaction provenant de la physiologie elle-même, à l’état où en est arrivée la science, se comprendrait mal, ou pour mieux dire ne se comprendrait pas du tout. Cependant, nous devons le dire, il y a des physiologistes, des médecins, qui ont été eux-mêmes effrayés du pas qui avait été fait, des principes qui étaient proclamés, et dans l’esprit desquels s’est élevée une pensée de résistance à ces tendances si hardiment manifestées. Il était évident, en effet, que les doctrines philosophico-médicales avaient cessé d’être orthodoxes. Rapprochées des cas d’hallucinations que nos hospices et nos maisons de santé nous fournissent de tous côtés, la plupart des visions, des communications divines, des inspirations célestes dont fourmillent les livres sacrés de tous les peuples et les vies de saints, ne devenaient plus aux yeux de nos praticiens, que des phénomènes du même genre, Beaucoup de prophètes, d’envoyés de Dieu, descendaient par là, pour les hommes éclairés et conséquents, du fond du sanctuaire dans lequel les avait placés la crédule vénération des fidèles, pour entrer dans le vaste pandémonium des esprits égarés et des cerveaux malades dont les erreurs et les rêves avaient été reçus comme des vérités sublimes. Quelques médecins ont vu avec peine un résultat si funeste à l’orthodoxie. Leurs plaintes, probablement longtemps comprimées, viennent d’éclater enfin au grand jour, et M. Brierre de Boismont, dans le livre qu’il a publié récemment sur les hallucinations, a été l’organe de ces sentiments de regret et d’amertume. Sauver la médecine psychologique du précipice dans lequel elle était entraînée, maintenir son orthodoxie sans cependant compromettre son existence, tel est le projet avoué de l’école dont ce médecin s’est posé comme le chef. Certes l’intention de notre auteur était fort louable, son but très digne d’une âme élevée. Quand on est convaincu de la vérité d’une doctrine aussi sainte que le catholicisme, employer à sa défense sa science et ses veilles, c’est une Œuvre qui, si elle [p. 322] ne doit pas toujours être heureuse, est au moins très honorable. Pour nous, qui, sans prévention et sans idées préconçues, cherchons simplement le vrai et l’accueillons partout où il se présente, quelque puisse être le drapeau sous lequel il s’abrite, nous sommes loin de blâmer cette tentative. Seulement, comme la tâche nous semble pénible ; comme d’inhabiles défenseurs de cette cause nous paraissent devoir la compromettre plutôt que de la servir ; comme enfin il s’agit de descendre dans une arène et de provoquer des adversaires qui ont, jusqu’à présent, remporté des avantages marqués, nous voudrions que ceux qui se proposent d’engager le combat ne commençassent cette croisade qu’après avoir suffisamment éprouvé leurs forces, s’être assurés de la sûreté de leurs armes, et surtout qu’après avoir acquis l’entière certitude que leurs couleurs étaient précisément celles sous lesquelles on les voyait s’enrôler. Autrement, si, venant au nom du christianisme attaqué dans la pureté de sa foi, ils ne montraient que des esprits incertains de la bonté de leur cause ; si, provoquant leurs adversaires, ils leur faisaient ensuite, bien loin de les terrasser, des concessions qui détruisent tout l’effet de leurs avantages apparents ; si, anathématisant les hérétiques, ils avançaient, pour leur part, des propositions malsonnantes et condamnables, nous regretterions leur inutile audace et les taxerions, à bon droit, de présomption. N’est-il pas blâmable, effectivement, d’aller, de gaieté de cœur, chercher une défaite, plutôt, en gardant une prudente réserve, un silence inoffensif, d’avoir laissé chacun maître de ses convictions, et respecté les intentions de ses confrères ? Pour qui n’est pas mieux préparé au combat,
……. latet abditus agro
Ne populu. extrema toties exoret arena.
C’est à M. Brierre que ces réflexions s’adressent ; car il nous semble qu’il eût peut-être sagement fait de les repasser dans son esprit, avant de donner son livre au public. Ce savant médecin [p. 323] se propose de défendre lui-même l’orthodoxie, et il est lui-même fort hétérodoxe ; il intitule son ouvrage : Histoire raisonnée, et sans égard aucun pour la logique, il accumule les contradictions : il admet des faits dont les conséquences les plus directes et les plus simples vont choit coutre les idées qu’il défend ; il réfute des auteurs et des praticiens, et c’est constamment à leur autorité qu’il fait appel ; non pas qu’il veuille les mettre ainsi en opposition avec eux-mêmes par leurs propres paroles, ce qui eût été une sage tactique de sa part, mais pour corroborer leurs principes et soutenir leurs vues. Est-ce bien là ce que les hommes qui sont en communion d’idées avec M. Brierre devaient attendre de lui ? Ce livre est-il véritablement écrit dans l’intention de faire satisfaction à leurs opinions, ou bien M. Brierre veut-il donner le change au public et le prendre à l’hameçon philosophique avec une amorce orthodoxe ? En vérité on pourrait le croire, si un examen plus approfondi du livre ne faisait comprendre que ces contradictions, ces lacunes de logique, ne sont pas seulement dans les pages de l’ouvrage, qu’elles se trouvaient bien antérieurement dans l’esprit de leur auteur, Celui-ci n’a nullement procédé ab absurdo, comme on pourrait le supposer : il est de bonne foi dans ces opinions mitoyennes, et ces transactions christiano-médicales qu’on rencontre presque à toutes les lignes, ont pris naissance dans son cerveau bien plus que sous sa plume. C’est précisément ce qui imprime à ses principes ce caractère vague, indécis, nuancé entre le catholique et le philosophique qui a si bien chassé de son œuvre l’unité de doctrine et la puissance de déduction qui en eussent fait le mérite. M. Brierre aime sa profession et ses opinions de médecin, il n’est pas moins attaché à sa foi de catholique. Il n’a pas voulu, hardiment rétrograde, rejeter les découvertes que la médecine psychologique a faites depuis un demi-siècle, s’en tenir énergiquement aux vieilles idées et au système supernaturaliste, et d’un autre côté, il a prétendu demeurer orthodoxe ; c’est-à-dire que, bien que la médecine des aliénés eût marché dans des voies [p. 324] peu catholiques, il a cru pouvoir, sans se détacher de l’Eglise, suivre le flot impétueux de la science, plutôt que de remonter aux antiques doctrines avec le remous religieux. C’étaient deux choses difficiles à effectuer : descendre et vouloir remonter à la fois le courant : c’est risquer fort de chavirer, ou tout au moins de rester en panne. Avec un pareil plan, le livre qui en était la réalisation ne pouvait être que le reflet de nombreuses inconséquences et d’incohérentes théories.
Nous venons de dire que M. Brierre se disait orthodoxe. Or, à quoi est consacrée une partie de son ouvrage ? A identifier à des hallucinations, c’est-à-dire à des étais maladifs, bien que très fugitifs parfois, de l’intelligence, une foule de visions, d’extases, de communications divines que l’Eglise a toujours considérées, bien au contraire, comme des effets de la protection, de la faveur manifeste du ciel ; bien plus, qui ont été pour elle des motifs de canonisation, qu’elle a bénies, sanctifiées et proposées, dans les hagiographies publiées sous son patronage, à la dévotion et à l’imitation des fidèles. En sorte que, du premier coup, notre auteur transforme en malades auxquels ses soins n’eussent pas été inutiles, ceux que l’Eglise déclare de hautes et célestes intelligences, des êtres prédestinés dont l’esprit, éclairé des lumières divines, s’est beaucoup mieux porté que ceux des esprits vulgaires qui semblent le plus normalement fonctionner. Nous ne savons si M. Brierre prend cela pour de l’orthodoxie ; mais à coup sûr cela n’en saurait être aux yeux du théologien le moins exercé. Il est vrai que cet auteur fait ses réserves en ce qui touche certains personnages plus sacrés que les autres, plus dignes de respect par la tâche qu’ils se sont proposée ; ceux-là il les lave à peu près du fait d’hallucination. Nous disons à peu près; on va voir tout-à-l’heure pourquoi nous ne sommes pas plus affirmatif. Ainsi, saint Jérôme, saint louis, sont pour lui des hallucinés ; c’est-à-dire que d’après son opinion, ils ont éprouvé de véritables hallucinations. Mais tout ce qui offre M. Brierre le même caractère dans les livres [p. 325] saints, dans la biographie d’autres personnages, il le couvre du voile de son orthodoxie pour le dérober à l’examen et à la discussion. Sans doute l’Eglise saura gré au savant médecin d’avoir témoigné ces égards aux noms les plus saints, respecté plus leur mémoire que d’autres ne l’avaient fait avant lui ; mais elle ne peut se satisfaire de ces seules réserves : elle sent fort bien que la plus naturelle des généralisations ferait étendre à ceux mêmes auxquels l’auteur n’a point touché, le jugement qu’il a porté sur d’autres qu’elle protège également de son égide et de son autorité ; elle n’entend point qu’on fasse incursion aucune dans son domaine et qu’on vienne lui disputer la moindre de ses gloires, Ces caractères par lesquels on prétend reconnaître la présence d’hallucinations chez un saint Jérôme et un saint Louis, ils se retrouvent précisément chez d’autres saints plus grands encore ; et si un homme tel que M. Brierre y constate les symptômes d’une perturbation intellectuelle, il est à craindre, qu’appliquant le même diagnostic, on n’arrive à signaler chez ces derniers de semblables aberrations, et qu’on ne fasse ainsi tomber l’autorité qui avait été attachée à leurs opinions et à leurs croyances. En un mot, l’Eglise, qui est toujours logique, et souvent impitoyablement, ne peut admettre, même avec ces réserves, des principes dont les conséquences, tirées par des esprits plus rigoureux que M. Brierre, seraient funestes à l’esprit de la foi.
L’auteur envisage les possessions démoniaques, si nombreuses, si communes au moyen-âge, comme autant d’hallucinations auxquelles étaient en proie les malheureux qu’on prenait pour des possédés. Ignore-t-il que l’Eglise n’a pas cessé de croire que plusieurs hommes sont abandonnés, pour leurs fautes, à la fureur de Satan ; que cet ange de ténèbres s’empare de leurs sens et les met dans un état qui les fait prendre pour des insensés ! George Pretorius, Scribonius, Thomas Eraste, Ambroise paré, Jean Lange, Félix Plater et la plupart des anciens médecins un peu plus sérieusement orthodoxes que M. Brierre, professaient ces idées, [p. 326] qu’Heinroth même n’avait point entièrement abandonnées. Alors comment douter, une fois que l’on a reconnu l’autorité de l’Eglise, que toutes les possessions dont nous entretiennent les chroniqueurs du moyen-âge ne fussent bien réelles. Comment en douter, quand nous voyons que des prêtres étaient toujours appelés à les constater ? Comment en douter, quand c’est dans la vie des saints qu’elles sont presque toutes consignées ; et que, parmi les miracles de ces hommes pieux, nous voyons sans cesse figurer la répulsions des démons ? Comment en douter enfin, quand l’Eglise a institué précisément un des ordres sacerdotaux pour cette importante fonction de l’exorcisme, et que le pouvoir de conjurer l’ennemi est un des dons de la prêtrise ? M. Brierre pense-t-il donc que l’Eglise abandonne maintenant ces fonctions aux médecins, et qu’elle se démet en leur faveur de tout ce qui regarde les possédés ? Qu’il lise le Manuel de l’exorciste, et il y reconnaîtra tous les caractères qu’il lui plaît d’attribuer aux hallucinations, indiqués comme dénonçant la présence du diable. Ainsi, sur ce point encore, le savant docteur n’est pas davantage orthodoxe, et s’il croit à l’Ecriture Sainte, il semble peu croire à Satan, ce qui pourtant n’est pas moins de stricte orthodoxie. Disons plus : il parle de magiciens, de sorciers, en vérité comme si c’étaient des fous ; et il oublie que les conciles ont, en une foule d’endroits de leurs canons, reconnu la puissance surnaturelle de ces hommes pervers : que loin de les tenir pour des aliénés, les théologiens les regardent comme les agents des puissances infernales, auxquelles ils sont liés par des pactes impies et exécrables ; et la preuve, c’est qu’en maintes occasions, l’Eglise a, par la bouche de ses papes et de ses évêques, ordonné qu’on fit périr dans la flamme ces artisans de corruption. Certes il y a loin de pareilles décisions à l’opinion de M. Brierre, qui propose de les faire enfermer et traiter dans des maisons de santé. Nous sommes fort éloigné, bien entendu, de combattre cette dernière façon de penser : mais ce qui est très évident pour nous, c’est qu’elle est très opposée à [p. 327] celle de l’Eglise. Tout cela nous montre suffisamment que l’orthodoxie de notre auteur est chose fort problématique, et que des théologiens plus habiles que nous y trouveraient bon nombre d’hérésies, sans avoir besoin du verre grossissant dont se sert, pour ce genre d’examen, le tribunal de l’index, à Rome.
Évidemment M. Brierre conserve à son insu une certaine sympathie pour les idées philosophiques qui perce malgré lui, et donne à sa parole une allure d’indépendance. Il s’élève de son livre nous ne savons quelle odeur de rationalisme qui se fait encore respirer à travers les flots d’encens mystique et les parfums bibliques dont il l’a entouré, Le catholicisme de l’auteur ne ressemble pas mal à ce catholicisme de fabrique philosophique dans lequel on avait fait disparaître tout ce qui n’était pas dogme fondamental et où l’on avait laissé la raison librement dévaster le reste, sachant bien que quand les petites pierres sont parties, les grosses facilement s’écroulent. Catholicisme bâtard, où l’on croit aux miracles des premiers siècles, où l’on ne croit plus à ceux actuels ; où l’on nie comme absurde pour le présent ce qu’on admet comme sublime pour le passé. Ce catholicisme-là, c’est apparemment celui de M. Brierre, et l’on n’en saurait douter, quand on le voit s’appuyer sur des passages d’Arnold et d’Hibbert, où cette doctrine contradictoire est formellement énoncée (voy. p. 440, 441), permis encore à ces médecins d’être inconséquents, ils sont protestants et ils ne tendent pas la main à la dure et logique férule de Rome ; mais M. Brierre, qui est catholique ! en vérité, c’est inexplicable. Il n’était pourtant pas difficile de s’apercevoir que le catholicisme, que l’auteur a pris naïvement pour l’orthodoxie, appartenait à ce temps de jésuitisme philosophique où il fallait encore cacher ses plans et recouvrir prudemment d’un faux semblant de religion les système réputés alors les plus téméraires et les plus dangereux. L’Église n’est jamais tombée dans le piège dressé seulement pour un vulgaire qui commençait à désapprendra le catéchisme, elle n’a pas fait ces distinctions, ella a cru aux [p. 328] miracles de l’Évangile, comme à ceux de saint François, parce qu’elle croit aux miracles en générai et ne cherche pas, ainsi que le fait ce catholicisme dont nous parlons, à en croire le moins possible, par égard pour dame raison devenue maîtresse fort impérieuse du logis cérébral ; elle admet les possédés que le Christ a guéris, comme ceux qu’on exorcisait au moyen-âge, parce qu’elle croit aux possessions et au diable, et ne cherche pas à enlever à celui-ci, comme le fait la raison, le plus possible de son rôle et de ses attributions ; elle enseigne qu’il y a des magiciens et des sorciers, c’est-à-dire des gens qui sont en commerce avec le démon et acquièrent par là un pouvoir surnaturel, et elle ne cherche pas à faire passer ces magiciens et ces sorciers pour des fous qui ont pris leurs hallucinations pour des apparitions du démon, été dupes de leurs cauchemars et de leurs onctions. Elle veut enfin, forte des paroles de saint Paul, qui a dit que l’air était l’empli de puissances ennemies agissant sur nous intérieurement et extérieurement, forte de la foi de quinze siècles, qu’on rende à Satan la part qui lui revient dans nos déterminations, et qu’on ne le réduise pas, comme le fait universellement aujourd’hui la masse instruite des fidèles, sinon par ses paroles expresses, au moins par sa manière d’agir, sa façon de raisonner, à n’être plus qu’un personnage muet, un être idéal, imaginaire, une simple personnification des passions mauvaises du cœur humain, Nous renvoyons M. Brierre à la dure discipline de cette église orthodoxe, puisqu’il est catholique ou croit l’être, et nous le prions de ne plus prendre à l’avenir pour de l’orthodoxie, ceci autant pour le salut de son âme que pour le salut de ses lecteurs, ce catholicisme officiel de salon et du monde, tout imprégné de cette détestable philosophie qu’il déserte et qu’il combat.
Maintenant que nous savons à quoi nous en tenir sur la religion de notre auteur, passons à l’analyse de ses idées à lui, de son système philosophico-médical. Ce qui en ressort en première ligne, c’est une réclamation énergique faite au nom du sens [p. 329] commun, contre les qualifications d’aliénés et d’hallucinés qui ont été données à plusieurs personnages célèbres. Il ne veut pas qu’une pareille accusation puisse planer sur la mémoire de ces grands noms. Ainsi, quoi qu’on en ait pu dire, Mahomet, Pierre l’Hermite, Jeanne d’Arc, Luther , Loyola, n’ont point été, il le soutient, des hallucinés ; la raison n’a chez eux nullement été altérée ; la grandeur de l’œuvre qu’ils ont accomplie, l’élévation de leurs vues, la sainteté, ou du moins la gravité de leurs intentions, en sont pour M. Brierre une preuve éclatante. Nous concevons fort bien cette opinion ; mais, pour la faire prévaloir, il eût fallu préalablement réfuter ceux qui avaient prétendu établir sur les témoignages contemporains eux-mêmes et d’après les propres paroles de ces personnages, le fait positif d’hallucinations dont leur intelligence aurait eu à souffrir. Or, c’est ce que notre auteur est bien loin de faire, puisque, au contraire, il reconnaît qu’ils ont pu avoir des hallucinations, qu’ils en ont eu : seulement, il veut que ces illusions aient été d’une autre nature que celles de nos modernes hallucinés, et il pense qu’elles n’ont porté aucune atteinte à l’intégrité de la raison. Il est facile de démontrer que, pour soutenir celte opinion, M. Brierre a singulièrement abusé du droit malheureusement admis par maints philosophes, de se payer de mots, En effet, nous dirons à notre auteur : vous reconnaissez que ces grands personnages dont vous prenez honorablement la défense, ont pu avoir des hallucinations : vous reconnaissez, et l’histoire constate, qu’ils ont pris ces illusions pour des apparitions célestes ou diaboliques, pour des faits réels ; donc vous admettez qu’ils ont été des hallucinés, des aliénés ; car que sont ces derniers, sillon des esprits qui croient à leurs hallucinations comme à des faits sérieux ? Il y a plus : vous avancez : et en cela vous ne faites que répéter ce qu’a constaté l’histoire, vous avancez, disons-nous, que ces hallucinations ont été pour ces personnages des motifs d’agir, des causes déterminantes, l’occasion de grands projets, Ainsi, les illustrations, en question ont [p. 330] eu des hallucinations comme nos hallucinés d’aujourd’hui ; comme eux ils y ont ajouté foi ; comme eux ils ont agi en conséqueuce des sensations imaginaires qu’ils éprouvaient. Quelle différence M. Brierre persiste-t-il donc à reconnaître entre ces personnages et ceux que nous avons sous les yeux ? Pourquoi soutenir que leur raison n’a souffert aucune altération de ces illusions fugitives, puisque nous voyons que des chimères ont été quelquefois le principe qui les a fait agir, que les objets qui les out préoccupés out été des événements qui n’avaient ni réalité, ni certitude ? Que veut dire M. Brierre, en affirmant que ces personnages ont été raisonnables ? Qu’ils aient raisonné, cela est certain ; mais quiconque raisonne est-il pour cela raisonnable ? Et puisque ces raisonnements prenaient leur point de départ dans des sensations imaginaires, des visions fantastiques, peut-on ranger les cerveaux ainsi dirigés par des hallucinations, dans la même catégorie que ceux dans lesquels ne s’élaborent que des idées fondées sur des faits positifs et des sensations sérieusement contrôlées ? Est-ce parce que les causes de leurs hallucinations tenaient à des croyances universellement adoptées autour d’eux ? Eh ! mon Dieu il n’y a pas de doute qu’il faut que ce soit dans les idées qui sont accréditées autour de lui, que l’halluciné puise les éléments de ses illusions. A cette époque, on voyait Dieu, le diable, les anges ; maintenant ce sont des agents de police, des conspirateurs ; pourquoi ? c’est que les intérêts politiques et sociaux nous préoccupent actuellement plus que les pensées religieuses. Mais qu’est-ce que cela fait à l’hallucination en elle-même ? était-elle pour cela d’une autre nature ? faut-il donc reconnaître autant d’espèces d’hallucinations qu’il y a de genres d’images qui peuvent en être le sujet, autant d’espèces d’aliénations qu’il y a de sortes d’idées bizarres, quoique découlant de faits possibles, sur lesquelles le fou peut délirer ? Et suivant que tes idées sont plus ou moins vraisemblables, doit-on alors déclarer la raison pus ou moins saine ? Evidemment non. Peu importe qu’on se soit universellement [p. 331] imaginé que les diables viennent sous formes corporelles tourmenter les fidèles ; si Luther a vu une de ces figures sataniques, s’il la décrit connue l’ayant aperçue comme un être réel, et que ce visage de démon ne soit apparu qu’a son œil halluciné, il n’est pas moins aliéné que celui qui se croit poursuivi par un assassin, un ennemi qui pourrait exister, mais enfin qui n’existe pas et que lui seul entend et distingue.
M. Brierre répond qu’alors tout le monde croyait à la possibilité de ces visions, de ces apparitions, de ces voix célestes, qui constituaient le fond des hallucinations des grands saints du moyen-âge, et que c’était cette opinion qui donnait naissance à ces sortes de phénomènes. Sans doute que ces idées fausses et superstitieuses, si répandues an moyen-âge, ont singulièrement contribué à multiplier ces aberrations intellectuelles ; mais il n’en demeure pas moins constant que les cerveaux qui en étaient le siège se trouvaient dans un état de trouble, de désordre, dans une situation maladive, entretenue ou produite, si l’on veut, par l’influence des superstitions populaires. Qu’on nous permette une comparaison : si, à une époque de contagion, les esprits se laissaient tous aller à la terreur qu’inspire l’épidémie ; si sous l’influence de cette panique, plusieurs hommes se persuadaient être atteints du mal, croyaient en sentir en eux tous les symptômes, se voyaient succomber à son attaque, et si néanmoins ils n’éprouvaient rien ; si leur santé n’offrait aucune altération ; si la vie, loin de les abandonner , ne faiblissait pas, ne faudrait-il pas reconnaître que ces malheureux ont été les jouets de leur imagination ; que la crainte universelle a produit ces hallucinations qui leur faisait croire à une mort prochaine ? Et pourrait-on se refuser d’admettre que leur cerveau a été malade, altéré, qu’ils ont été en proie à une espèce d’’aliénation ! Pourrait-on se croire fondé à dire que bien qu’hallucinés, ces hommes ont conservé une raison intacte, quand, mus par la conviction qu’un mal présent, ils auraient agi en conséquence de leur illusion ? Ces aliénés n’auraient-ils pas besoin du [p. 332] secours des médecins, d’un traitement hygiénique et moral, pour rassurer leur imagination troublée et en chasser les craintes chimériques ? Eh bien ! ces aliénés-là ne sont-ils pas en tout point comparables à nos personnages en question ? Et si l’on refuse aux uns le privilège de passer pour des esprits sains, peut-on le conserver aux autres ? Si l’erreur générale explique l’hallucination de ces grands hommes, elle ne la justifie pas et ne la rend pas pour cela raisonnable. Cette erreur générale, c’est la seule chose qui distingue les hallucinés d’alors de ceux d’aujourd’hui ; qui les distingue, oui, mais sans les en séparer. Actuellement les aliénés trouvent plus rarement chez autrui une crédulité qui nourrisse leurs illusions ; plus rarement, quoiqu’il ne soit pas impossible de rencontrer des exemples du contraire. Swedenborg, Bëhme , Saint-Martin, nous en fournissent qui sont encore peu éloignés de nous. Si, au lieu de rencontrer des âmes enthousiastes et faciles qui vissent en eux des inspirés et des prophètes, ils n’eussent trouvé qu’un froid bon sens et une intelligence éclairée, qui peut nier qu’au lieu de se grandir jusqu’aux proportions de chef de secte, ils n’eussent été regardés et peut-être enfermés comme des fous ?
Les hallucinations que nous avons constatées chez de grands esprits ont pu se concilier avec une raison saine et forte sur d’autres points, avec des actes parfaitement raisonnables toutes les fois que les hallucinations n’en étaient point le principe : c’est ce que la médecine psychologique a constaté et constate sans cesse, Les observations des praticiens nous ont fait connaître des hallucinés très raisonnables, en dehors de la sphère d’idées sur laquelle s’exercent leurs illusions : c’est ce qu’aucun des adversaires de M. Brierre n’a contesté et ce qu’il est lui-même forcé d’admettre. Disons cependant que, sentant combien ce dernier fait ruine tout l’échafaudage de ses spécieuses et factices distinctions, il ne l’admet que comme malgré lui ; la contrainte se décèle dans ses paroles. « Nous avons déjà dit ailleurs, écrit-il p. 433, que les hallucinations pures, [p. 333] sans aucune des complications des formes de la folie, nous paraissaient aussi rares que les monomanies vraies. Pour notre part, nous n’avons jamais rencontré d’hallucinés dont l’erreur fût tellement circonscrite, qu’en leur accordant leur idée, on les trouvât raisonnables sur le reste. Tous ceux que nous avons connus, dont nous avons lu les observations dans les ouvrages des auteurs modernes, présentaient des signes qui dénotaient le trouble de leurs idées, quelque précaution qu’ils prissent pour dérober aux autres l’état de leur esprit, Alternativement inégaux, bizarres, excentriques, sombres, misanthropes, apathiques, d’une gaieté folle, incapables d’exécuter le moindre projet, tenant des discours extraordinaires, ou se livrant à des actions inexplicables, en vain croyaient-ils par d’autres discours, d’autres actions en effet très raisonnables, échapper à l’œil de l’investigateur ; la blessure était toujours reconnue, semblable à ce cercle indélébile du sang noir que l’œil exercé du blanc distingue malgré toutes les transformations. » Et il ajoute : « On citera peut-être quelques faits très rares d’individus qui, avec une idée fausse, ont pu remplir des fonctions assez importantes ; nous ne les discutons pas, nous les admettons même sans contrôle ; mais ceux qui se trouvaient dans cet état, en avaient plus ou moins la conscience ; ils veillaient sur eux, redoublaient de précaution et ne faisaient rien dans le sens de leur idée. » Ces réflexions de M. Brierre en font naître tout de suite d’autres qui viennent rectifier les idées qui y sont présentées. Au moyen-âge les causes, aujourd’hui rares, qui provoquaient les hallucinations sans folie, étaient bien plus nombreuses. M. Brierre affirme que l’hallucine raisonnable veille sur lui, et il oublie que, pour veiller sur soi, il faut être persuadé que l’on a l’esprit malade, égaré par des illusions. Or, il y a huit ou dix siècles, en était-il ainsi ? Tout ce qui s’offre à nous comme des rêveries, des erreurs contre lesquelles nous pouvons nous mettre en garde, dans la persuasion où l’on était que Dieu se communique fréquemment aux hommes, que les auges apparaissent à ceux-ci, [p. 334] ainsi que les démons, on s’y s’y laissait aller, on y donnait du premier coup, on les admettait tout de suite, sans que la moindre objection, due à une incrédulité inconnue alors, vint mettre en doute la réalité de ces sensations, On croyait à ces hallucinations de la veille, comme on croyait alors généralement à celles de la nuit, aux songes que l’on tenait pour des inspirations mystérieuses, de saintes révélations, du moment qu’ils offraient un caractère tant soit peu étrange et frappant. Comment, avec les idées catholiques d’alors, aurait-on opéré cc départ entre la vision divine et la vision imaginaire, entre l’extase mystique et l’extase cataleptique, quand nous voyons qu’elles revêtent de nos jours les mêmes caractères ? Il est donc évident qu’on ne peut appliquer à cette époque ce qui peut être vrai de la nôtre. Le reste de leur conduite dénonce, dit M. Brierre, chez les hallucinés, le trouble et l’égarement de leur esprit. Nous l’admettons. Eh bien ! n’est-ce pas cc qui ressort de toutes les vies des saints ? Ne voyons-nous pas dans toutes ces biographies de solitaires, de religieuses, d’illuminés, les traits de la plus étrange bizarrerie, les contrastes les plus frappants, la mobilité de caractère le moins équivoque ? Il faut que notre auteur, tout bon catholique qu’il se dit, ait bien peu lu de vies édifiantes, pour n’avoir pas remarqué ce trait saillant du caractère des saints, A cette époque, tout cela passait inaperçu, ou, pour mieux parler, était regardé comme la preuve d’un esprit supérieur et divin ; ces excentricités, qu’on nous passe le mot, en distinguant du vulgaire ces saints personnages, étaient tenues pour autant de marques spéciales de l’inspiration céleste,
Le témoignage des anciens est d’ailleurs formel pour nous représenter les caractères de l’inspiration prophétique comme très analogues à ceux de la folie. Platon nous dit, dans son Timée, que la divination se rencontre chez ceux dont la faculté de penser est égarée par quelque maladie. Et l’Orient nous montre encore des fous dont les divagations sont tenues par le vulgaire pour de célestes inspirations. [p. 335]
Ajoutons à ceci une dernière considération : si les idées générales répandues au moyen-âge ont contribué à faire naître ces hallucinations, on ne peut nier qu’à leur tour, ces visions, ces récits d’apparitions, d’extases, n’aient perpétué les croyances qui les avaient enfantés ; qu’ils aient fait plus, qu’ils aient fait regarder comme raisonnables et admissibles certaines croyances étranges qui semblaient confirmer les faits imaginaires dont ces hallucinés avaient été témoins. En sorte qu’il se forma un certain corps de dogmes sur l’autre vie, sur la nature des esprits qui puisaient leur source précisément dans ces hallucinations. On ne peut donc s’appuyer sur ces croyances elles-mêmes pour justifier à leur tour les hallucinations, et on est frappé du cercle vicieux dans lequel tourne M. Brierre, qui, dans sa préface, admet comme possibles et avérées des croyances qui ne le seraient plus si les esprits qui les avaient répandus étaient hallucinés, dupes de quelque illusion, puis qui, lorsqu’il s’agit de savoir si ces hommes pieux étaient hallucinés, se prononce pour la négative, uniquement parce que leurs croyances étaient raisonnables. Et ici nous ne prêtons aucune contradiction supposée à l’auteur ; écoutons-le : « Si toutes les hallucinations, écrit-il p. IV de sa préface, devaient être rangées parmi les produits d’une imagination en délire, les livres saints ne seraient plus qu’une erreur ; le christianisme, puissant mobile du perfectionnement social et individuel, une erreur ; les croyances de nos pères, les nôtres et celles de nos enfants, des erreurs. » Et n’est-ce pas précisément la question ! et n’est-ce pas l’infaillibilité (les livres saints qu’il s’agit de justifier ?
Est-ce à dire que des hallucinés n’aient pu accomplir de grandes choses, et les grands résultats auxquels ils sont parvenus ne prouvent-ils rien centre la réalité de leurs illusions, si, envisagées en elles-mêmes, ces illusions s’annoncent par leurs caractères ? Nous rappellerons à ce sujet des réflexions que nous faisions, il y a trois ans (Essai sur les légendes pieuses du moyen-âge) : « Qu’on ne croie pas que c’est un paradoxe d’admettre [p. 336] que les grandes actions ont pu être l’œuvre d’une raison troublée. Il y a sans doute quelque chose d’humiliant pour l’orgueil humain, de voir que des insensés ont pu accomplit, ce que nous, hommes sensés, nous n’aurions pu faire. Mais en y réfléchissant, on voit que loin d’être contradictoire aux règles ordinaires, ce fait est entièrement d’accord avec elles et s’explique parfaitement. La fixité d’une idée qui caractérise ces dérangements intellectuels ne donne que plus de force pour la mettre à exécution. Souvent on a vu un homme allier une raison altérée à des connaissances étendues. Jérôme Cardan a pu divaguer sur la nature de son génie familier, se complaire dans ses hallucinations et être un grand géomètre. Que l’on compare la force de volonté d’un fou à celle d’un homme jouissant de la plénitude de son intelligence, et qu’on juge de la différence. On reconnaîtra alors que cette assertion est loin d’être un pur paradoxe, Les doutes, les incertitudes, les considérations qui retiennent souvent l’homme sensé, lui font différer l’exécution d’un projet, ne s’offrent jamais à l’esprit du monomane, qui poursuit irrésistiblement la réalisation de sa pensée. » Ces réflexions, nous les reproduisons ici, parce qu’elles nous semblent répondre aux objections soulevées par M. Brierre. Ajoutons que les témoignages historiques établissent d’ailleurs formellement que la santé de plusieurs de ces personnages fameux, objet de cette discussion, avait subi des altérations profondes, altérations qui ont dû puissamment réagir sur leur intelligence. Les caractères de l’hystérie se révèlent de la façon la plus claire chez sainte Gertrude, sainte Thérèse, sainte Rose et nombre de saintes. L’hypochondrie et les affections nerveuses expliquent maints traits bizarres de personnages qui ont été canonisés, Pierre l’Hermite est mort fou, de l’aveu des chroniqueurs, et tout dernièrement M. Lélut a montré, comme on peut le lire dans ces annales (1), l’influence que la santé de Pascal avait exercée [p. 337] sur la nature de son génie et sur l’esprit de ses ouvrages.
Ainsi, malgré les tentatives de l’école pseudo-catholique qui a M. Brierre à sa tête, nous ne sommes nullement ébranlé dans les opinions auxquelles nous avait irrésistiblement conduit la lecture des travaux dont ce médecin s’efforce de repousser les conséquences. La question des hallucinations ne s’est en aucune façon dépouillée à nos yeux de l’importance qu’elle a conquise sitôt qu’elle a été soulevée, et nous avons applaudi à la pensée de l’Académie de médecine, qui en avait fait l’objet d’un concours. Il était très digne, en effet, d’occuper le premier corps de l’univers, ce problème qui rattache la médecine à la philosophie, à l’histoire, à la religion, et dont la solution peut exercer sur nos opinions les plus sacrées et les plus intimes une influence décisive. Le prix est décerné, et nous ne sachions pas que dans le mémoire de M. Baillarger, qui a mérité la couronne, ce médecin ait combattu la doctrine que les premiers auteurs qui s’étaient occupés de cette matière avaient fait prévaloir.
N’enlevons donc pas à la physiologie un de ses plus beaux titres ; laissons entre ses mains le flambeau dont elle éclaire les ténèbres intellectuelles de l’école d’Alexandrie et du moyen-âge. Ne cherchons pas à restreindre avec inconséquence son application, à rendre problématique des faits à l’évidence desquels nous nous rendons aujourd’hui dans la pratique, Assez de contradictions discréditent ailleurs l’esprit humain ; assez de transactions s’opèrent déjà sur d’autres terrains. Maintenons le droit d’être conséquent, au moins dans le domaine intellectuel, droit auquel trop souvent nous font renoncer les petites passions et les mauvais instincts. N’agissons pas comme M. Brierre, qui veut faire intervenir la politique des moyens termes en philosophie : soyons francs et absolus, puisque nous sommes désintéressés. Tel est le jugement que nous portons sur la réaction à laquelle ceux qui liront seulement le titre du livre qui l’annonce, pourraient croire, à laquelle ceux qui ont approfondi [p. 338] son contenu, ne croiront plus, nous aussi nous avons craint un instant d ‘avoir fait fausse route, car nous avions cherché, il y a quelques années, dans notre Essai sur les légendes pieuses du moyen-âge, et dans un long article sur l’extase (2), a corroborer par quelques faits nouveaux les principes de l’école rationaliste ; nous n’étions pas infaillible, et comme nous nous défiions de nous-même, nous avons lu avidement un livre qui pouvait rectifier nos erreurs et nous faire abandonner un jugement précipité. Nous pensions revenir à résipiscence ; il n’en a été rien. Le livre de M. Brierre nous a semblé intéressant ; il contient beaucoup de faits neufs et peu connus, il annonce de l’érudition et de la science, mais voilà tout ; le but spécial qu’il a cherché là atteindre a été manqué, Il a voulu nous démontrer que nous suivions la voie directement opposée à la vérité, il nous a fait abandonner un chemin qui nous semblait court et facile, et il nous en a fait prendre un détourné et tortueux qui, finalement, ramène au même point que le premier; mais qui a l’inconvénient grand, non seulement d’être moins direct, mais encore de s’obstruer en divers endroits et de n’offrir d’issues qu’à des explorateurs aussi exercés que son auteur. Que M. Brierre nous permette de n’être pas de son avis. La théorie de l’hallucination est faite ; il y a dix ans qu’on l’avait prouvé par la démonstration directe : aujourd’hui on nous en fournit une nouvelle démonstration, dans le tableau des contradictions auxquelles sont conduits ceux qui veulent la combattre. [p. 339]
RÉPONSE A L’ARTICLE PRÉCÉDENT
A MM. les rédacteurs des Annales médico-psychologiques.
Messieurs et très honorés confrères, je vous remercie de la communication que vous avez bien voulu me faire de la critique de M. Maury ; je l’ai lue avec toute l’attention qu’elle méritait, et je n’ai été nullement surpris de la trouver mesurée, polie, telle que doivent la faire des hommes bien nés, telle qu’elle convenait surtout à un bibliothécaire du corps savant dont les discussions sont un modèle d’urbanité. Nous ne sommes plus au temps où les Vadius et les Trissotin s’accablaient d’injures ; ou peut aujourd’hui comme autrefois différer d’opinion, mais on se le dit maintenant en très bons termes.
Deux reproches principaux dominent l’argumentation de M. Maury : le premier est de m’être posé au défenseur des doctrines catholiques, renversées depuis dix ans, par la promulgation de la théorie sur les hallucinations ; le second est d’avoir cherché à prouver que Socrate, Mahomet, Luther, Jeanne d’Arc, Loyola et beaucoup d’autres personnages illustres n’étaient point fous ; ce qui est contraire à ce que les médecins d’aliénés ont démontré de la manière la plus évidente.
J’en demande bien pardon à M. Maury ; mais, je n’ai jamais eu l’insigne prétention de me faire le défenseur de la religion catholique. Je ne sais ni assez instruit ni assez présomptueux pour entreprendre une semblable lâche ; j’ai voulu seulement protester contre des principes qui font table rase des livres saints des dogmes, de la révélation, en un mot, de cette religion chrétienne que M. Émile Saisset, dans son remarquable article de la Revue des Deux Mondes sur l’introduction philosophique au christianisme de monseigneur l’archevêque de Paris, [p. 340] proclamait la dernière religion de l’humanité. L’Église n’a nul besoin de mon concours. Une organisation sociale que tous les errons des encyclopédistes, dirigés par Voltaire, secondés par une aristocratie puissante, n’ont pu détruire, que la tourmente de 93 n’a pu faire périr dans des flots de sang, et qui aujourd’hui compte des associations charitables de plusieurs millions d’hommes ; une pareille organisation est assez forte pour se défendre elle-même. Était-ce, d’ailleurs, bien la peine de consacrer la moitié d’un long article à la réfutation de propositions qui occupent au plus cinq ou six pages dans un volume de quarante feuilles ?
J’arrive au second reproche que m’adresse l’auteur de la critique : celui d’avoir voulu prouver, contrairement à l’opinion des médecins respectables qu’il cite, que les grands hommes dont j’ai parlé n’étaient point aliénés. N’en déplaise à M. Maury, cette opinion est aussi celle de presque tous les savants de notre époque, surtout dans les sciences philosophiques (3). Rien de plus affligeant, en effet, que d’attribuer à la folie des doctrines sublimes, des actions héroïques, des entreprises glorieuses. Le point de départ de l’auteur nous paraît, en outre, essentiellement erroné ; ainsi, pour lui, l’hallucination est la cause de l’action, tandis que pour nous elle n’en est que l’auxiliaire. Les hommes illustres qu’il place dans la catégorie des fous commençaient par concevoir, coordonner leurs plans, marqués du sceau du génie, et ce n’était qu’après les avoir médités profondément dans toutes leurs parties que, leur esprit arrivant au plus haut degré d’enthousiasme, le seul mobile des grandes choses, ils voyaient leur propre pensée prendre une forme. Le mot hallucination, dont nous nous servons faute de mieux, n’était pas dans ce cas un symptôme de folie, mais le résultat du dernier période de l’attention. [p. 341]
En définitive, la thèse de M. Maury n’est que la reproduction d’une opinion qui veut expliquer par la maladie les actes intellectuels et moraux de beaucoup de personnages célèbres. Mais, comme l’ont très bien prouvé MM. Cousin et Dupin, dans une séance fort piquante de l’Académie des sciences morales et politiques, cette doctrine est en opposition avec les faits, avec l’histoire, et pour n’en citer qu’un exemple, plusieurs des illustres solitaires de Port-Royal jouissaient de la meilleure santé, et n’en professaient pas moins des doctrines absolument semblables à celles de l’immortel auteur des Pensées. Le grand tort des médecins, ont dit avec beaucoup de raison les deux académiciens déjà nommés, est de prétendre subordonner les doctrines et les croyances, les convictions, à l’état maladif du corps, ce qui peut être vrai du caractère, de l’humeur, mais ce qui est de toute fausseté par rapport à l’âme.
Convaincu depuis longtemps de la vérité de ces propositions, je dirai franchement à M. Maury, malgré tout le mérite de sa critique, que si j’avais eu besoin de nouvelles preuves pour me fortifier dans mes convictions , je les aurais puisées dans les conversations et les lettres des penseurs les plus éminents de l’Académie des sciences morales et politiques. Je garde donc mes opinions, qui sont plus fortement enracinées que jamais dans mon esprit ; mais je me félicite d’avoir lu l’article de M. Maury, parce qu’il m’a donné un vif désir de connaître ses Légendes pieuses du moyen-âge et son Histoire abrégée de l’extase.
M. BRIERRE DE BOISMONT.
Notes.
(1) Voy, Annales médico-psychologiques, t, V, p. 1 et 158.
(2) Inséré dans l’Encyclopédie nouvelle, 43e live. [en ligne sur notre site]
(3) L’Académie de Médecine elle-même a sanctionné cette manière de voir, en approuvant le rapport très bien fait de M. Renaudin, dans lequel il s’élève contre la prétention de ceuxqui veulent faire de Mahomet un aliéné.
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