Albert Pitres. Du rôle des phénomènes psychiques inconscients et des rêves dans la pathogénie et la curation des accidents hystériques. Extrait de la « Revue de l’Hypnotisme expérimental et thérapeutique – 1894-1895 », (Paris), 9e année, n° 5, novembre 1894, pp. 129-133 et 164-169.
Albert Jean Marie Marcel Pitres (1848-1928). Médecin neurologue, élève de Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière, puis de Déjerine. Il fut doyen de la faculté de médecine de Bordeaux. Il fut avec Emmanuel Régis fondateur de l’École Neuro-psychiatrique de cette même ville. Parmi de très nombreux travaux disséminés dans les revues de l’époque, nous avons retenu, en premier lieu, la publication qui réunit les plus importants :
— Leçons cliniques sur l’hystérie et l’hypnotisme faites à l’hopital Saint-André de Bordeaux. Ouvrage précédé d’une lettre-préface de M. le Pr Charcot. Paris, Octave Doin, 1891. 2 vol.in-8°, (X p., 1 fnch., 531 p.). + (2 ffnch., 551 p.).
Mais également :
— Recherches sur les lésions du centre oval des hémisphères cérébraux étudiés au point de vue des localisations cérébrales. Thèse de Paris n°191. Versailles, Cerf et fils, 1877. 1 vol. in-4°, 2 ffnch., 153 pp + 2 pl.ht.
— Les suggestions hypnotiques. Leçons recueillies par le Dr. Davezac, Feret & Fils. 1884. 1 vol.
— (avec Jean-Martin Charcot). Les centres moteurs corticaux chez l’homme. Paris, Rueff, 1895. 1 vol.
— Les obsessions et les impulsions. Paris, Octave Doin, 1902. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., 434 p.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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DU RÔLE DES PHÉNOMÈNES PSYCHIQUES INCONSCIENTS
et des rêves dans la pathogénie et la curation des accidents hystériques,
par M. le professeur A. Pitres.
Leçon du 9 juillet 1891, recueillie par M/ E. Vénot, interne du service (clinque de M. le professeur Pitres. — Hôpital Saint-André de Bordeaux.
Messieurs, vous m’avez vu, dans ces derniers temps, m’arrêter souvent et longuement auprès de la femme Louise G…, occupant le lit 20 de la salle VII. Craignant que νous n’ayez pas saisi tout l’intérêt d’expériences cliniques très nombreuses, pratiquées au jour le jour, parfois sans liens logiques apparents, je désire, avant de signer l’exéatde cette malade, νous raconter son histoire et vous faire connaître les faits, très instructifs ce me semble, que nous a révélés son étude.
I
Louise G…, Âgée de 37 ans, est entrée dans notre service le 20 février1894.
Ses antécédents héréditairesont excellents : Pèreet Mèrevivants et bien portants ; grands-parentsmorts de vieillesse ; oncles, tantes, cousinset cousinesexempts de toute maladie nerveuse.
Dans ses antécédents personnels, nous notons une rougeole à 5 ans et une fièvre de typhoïde a 17 ans. Elle a été réglé à 10 ans et demi, sans accident. Mariée a 16 ans, elle a eu neuf enfants à terme (dont quatre sont encore vivants) et trois fausses-couches. Toujours nerveuse, facilement irritable, très émotive, elle n’avait jamais eu d’attaques de nerfs avant 1887. C’est à cette époque(elle avait alors 30 ans) qu’elle fit son entrée dans l’hystérie à l’occasion d’une émotion morale violente quelle ressentit dans les circonstances suivantes : [p. 130]
Elle résidait à Marseille. En février 1887, un tremblement de terre se fit sentir sur le littoral méditerranéen. Louise G… était à ce moment au lit. La maison qu’elle habitait fut violemment secouée. Tous les locataires s’enfuirent épouvantés en criant : « Sauve qu’il peut ! » Louise G…, affolée de terreur, saisit dans ses bras ses deux enfants, et, tout en chemise, elle descendit dans la rue. —Là, qu’a-t-elle fait ? Que s’est-il passé ? Elle n(en sait rien ; elle n’en a aucun souvenir. Il y a dans son esprit une lacune à partir de ce moment, et une lacune qui dure trois mois ; trop béant dans son existence, dont elle n’a aucune notion, ni à l’état de veille, ni à l’état d’hypnose provoquée, quelle ne soupçonne par ce qu’on n’a pu lui en dire.
Ce qui s’est passé pendant trois mois, son mari nous l’a raconté : Louise G… était en proie un délire aigu entrecoupée par de grandes convulsives. La malade de passer son temps a bercer, a emmailloter et à démailloter, à allaiter une poupée qu’on lui avait donnée, à la place de son enfant. Ses crises étaient de grandes crises convulsives, dans le cours desquelles se reproduisait toute la scène du tremblement de terre. Elle ressentait la secousse, avait une peur effroyable, prenait sa poupée dans ses bras, l’embrassait, et s’écriait : « Sauvez-vous, sauvez-vous, la maison s’écroule. »
Au bout de trois mois, après une crise plus violente que les autres, la raison lui revint subitement. Elle repoussa la poupée avec laquelle elle s’amusait précédemment. Elle réclama son enfant ; elle reprit conscience. À partir de ce moment, les attaques convulsives devinrent de plus en plus rares ; elles survinrent tous les trois ou quatre jours, puis tous les mois, puis à rares intervalles, à l’occasion de contrariétés accidentelles.
Tel est le premier épisode morbide qu’à présenté notre malade. Il est intéressant en ce qu’il nous montre une émotion morale violente déterminant une forme particulière de délire aiguë, distincte des délires vésaniques ordinaires, car les malades atteints le délire vésaniques purs, de manie aiguë classique, ce souviennent, après leur guérison, de ce qu’ils ont fait et dit durant leur maladie, tandis que Louise G… ne se rappelle de rien, absolument rien, de ce qu’il lui est arrivé pendant les trois mois qui ont suivi le tremblement de terre 1887. L’amnésie est au contraire de règle dans les accès de délire hystérique aigu, et sa constatation nous permet de faire [p. 131] rétrospectivement le diagnostic des accidents qu’a présentés notre malade : elle a été atteinte d’un accès de manie hystérique.
II
Guérie de cette accès de manie hystérique, Louise G… jouit une bonne santé jusqu’à la fin de 1893. Entre-temps, elle avait quitté Marseille et était venue résider à Bordeaux, où exerçait, dans les faubourgs, la profession de marchande des quatre saisons. Le 20 décembre 1893, Elle était allée au marché acheter des légumes. Elle conduisait elle-même sa petite voiture. Sur le banc, à son côté, était assis le plus jeune de ses enfants. Le cheval trottait sans précipitation, sur le boulevard du Médoc. Dans les environs, on tire un coup de fusil ; l’animal prend peur, ce cabre et s’emballe, entraînant, a une allure précipitée, voitures, légumes et gens. Dans un heurt, plus violent que les autres, de la roue contre le trottoir, l’enfant, projeté en avant, disparais entre le cheval et la voiture. Quelques mètres plus loin, c’est la mère qui tombe à son tour ; mettre ne songeant qu’à « son petit », on se relève aussitôt, Elle voit qu’on emporte l’enfant chez un pharmacien, Elle arrive aussi vite que possible dans l’officine, et là, tombe évanouie. Une heure après, elle reprend ses sens et demande son enfant. On tarde un peu à le lui montrer ; elle est anxieuse, elle crie, elle pleure. Sûrement il est mort, écrasé, broyé, et on lui cache le cadavre. Enfin, on lui rend ; il est vivant : il n’a que quelques contusions sans gravité.
Elle rentre chez elle, et trois jours après éclate brusquement une grande crise convulsive. C’est le commencement d’une nouvelle série d’accidents hystériques. Les crises se multiplient. Elle en a sept, huit, par jour ; et le 20 février 1894, Elle rentre salle VII. Nous l’examinons alors, et nous constatons un état actuel que je vais vous tracer en quelques mots.
Louise G… est une forte femme ayant toutes les apparences de la santé. C’est grandes fonctions organiques s’accomplissent normalement. Sa sensibilité cutanéeoffre des particularités suivantes : A la piqûre : hémianesthésie du côté droit, sauf à la paume de la main et à la plante du pied ; au contact, même distributions de l’anesthésie ; il en est demain à la température. Abolition, du même côté, de la sensibilité musculaireet de la sensibilité osseuse. Les diverses muqueusesdu côté droit présentent également des trouble sensitifs ; hypoesthésie de la [p. 132] conjonctive droite ; analgésie de la pituitaire droite. Enfin hypoesthésie des muqueuses labiale, buccale et linguale du côté droit.
Les sensibilités spécialessont conservées, la sensibilité tactile est cependant un peu diminuée à droite, et il y a un léger rétrécissement concentrique des champs visuels pouah
Pas de trouble de la motilité ; les différents réflexes sont normaux. Notons enfin : anesthésie ovarienne à droite, hyperesthésie à gauche ; sensibilité épigastrique normale. Pas de zone hystérogène.
La malade se plaint d’une hyperhydrose palmairetrès intense caractérisée par de grosses gouttes de sueur perlant continuellement à la surface de l’épiderme. Elle a encore d’autres petites misères, sur lesquelles je reviendrai dans un instant : douleurs précordiales, palpitations de cœur, ciphelée, etc.
Elle est facilement hypnotisable par la un simple fixation du regard. En quelques secondes c’est paupières se ferment et elle se trouve en état somnambulcide, sans hyperexcitabilité cutano-musculaire. Dans cet état, Elle répond parfaitement aux questions qu’on lui pose, mais elle est fort peu suggestible, ou, pour être exact, Elle n’accepte pas les suggestions dans le sommeil hypnotique, tandis que exécute est assez bien celles qui doivent être réalisées après le réveil.
Les attaques convulsivessont très fréquentes est très violentes. Elles se passent toujours de la même manière. Elles débutent par une tristesse morne (aura psychique) et sensation de strangulation. Puis surviennent des convulsions épileptoïdes très courtes, suivies, pendant cinq minutes environ de grandes convulsions classiques. Enfin, le délire éclate. Il a toujours pour objet l’accident du 20 décembre. La malade revoit son enfant tombant sous la voiture. Elle le croit mort . Elle prononce des mots entrecoupés de sanglots et de soupirs : « Ah ! mon enfant… Sauvez-le… le pauvre petit… Mon Dieu ! il est mort… il est mort ! » Puis, le délire cessant, elle revient à son état normal, ne se souvient ni de son attaque, ni de son délire, et a parfaitement conscience que son enfant est vivant et bien portant.
Il est évident que pendant ce délire, elle revit la scène de l’accident avec mes sentiments et les angoisses qui l’ont agitée à ce moment. Briquet disait que le délire des hystériques était un délire réminiscence, ce qui est parfaitement exact. Mais il est a remarqué, dans le cas actuel, qu’à l’état de veille aussi bien qu’à l’état d’hypnose provoqué, la malade sais très bien [p. 133] que son enfant est vivant, qu’il n’a eu aucun mal. Quand elle raconte comment s’est passée l’accident, elle le fait sans émotion. Elle avoue qu’elle a eu très peur, qu’elle a craint un instant pour les jours de « son petit » ; mais elle ajoute aussitôt que ces inquiétudes n’étaient pas justifiées puisque ni son fils ni elle n’ont été sérieusement blessés. Et cependant, le choc émotionnel à creuser dans l’inconscient une empreinte si profonde que, dans certaines circonstances pathologiques, sa reviviscence rappelle toute la série des événements psychiques il se sont succédés au moment de sa production, en dépit du témoignage de la conscience qui en comprend et en apprécie le mal fondé pouah
Les choses se passent comme si une image connue, émergeant tout à coup des profondeurs de l’inconscient, annihilait le jugement et la volonté et se dérobait devant la conscience, momentanément incapable de réaction, en évoquant toutes les émotions antérieures associées à la perception de cette image.
Je vous disais tout à l’heure que Louise G…, quoique très facilement hypnotisable, était cependant fort peu accessible aux suggestions sensasorielles, mais qu’elle exécutait bien les suggestions post-hypnotiques.
Profitant de cette circonstance, je cherchai à modifier, par suggestion, le délire consécutif à ses attaques. « Vous savez bien, je lui dis-je un jour, après l’avoir hypnotisé, que votre enfant n’a pas été grièvement blessé dans sa chute de voiture. Eh bien, désormais, quand vous penserez à l’accident qui vous est arrivé, vous songerez tout de suite qu’il n’a eu aucune conséquence grave ; vous verrez votre enfance sain et sauf ; vous ne serez plus émue comme vous l’avez été quand vous avez cru qu’il était mort. »
Le résultat de ce mode d’intervention dépassa mes espérances. Dans les attaques suivantes, le délire de post-convulsif changea complètement de caractère. La malade songeait bien à la scène de l’accident. « Mon Dieu, s’écriait-t-elle, mon enfant est tombé. C’est affreux, c’est affreux » ; puis aussitôt, Elle ajoutait : « Ah ! le voilà, mon cher petit. Il n’a pas de mal. Quel bonheur ! » Quelques jours après, le souvenir de l’accident ne se présentait même plus du tout à la fin des attaques et le délire post-convulsif roulait sur les petits événement qui, dans la journée, avaient frappé l’esprit de la malade. En même temps, les attaques devenaient moins fréquentes, Les convulsions moins violentes ; il y avait en somme, une amélioration notable.
(A suivre).
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DU RÔLE DES PHÉNOMÈNES PSYCHIQUES INCONSCIENTS
et des rêves dans la pathogénie et la curation des accidents hystériques,
par M. le professeur A. Pitres.
Leçon du 9 juillet 1891, recueillie par M/ E. Vénot, interne du service (clinque de M. le professeur Pitres. — Hôpital Saint-André de Bordeaux.
(Suite et fin)
III
Sur ces entrefaites, je fus conduit, parle d’une observation accidentelle, à porter mon attention sur les rêves de notre malade.
Un matin, à la visite, ses voisines de lit nous ayant raconté il s’était beaucoup agitée dans la nuit, qu’elle avait crié et qu’elle avait dû avoir un mauvais cauchemar, nous la priâmes de nous dire à quoi elle avait rêvé. « Je n’ai pas rêvé, répondit-elle » ; et comme ses voisines maintenaient fermement exactitudes de ce qu’elles avaient avancé : « Non, dit-elle non, je n’ai pas rêvé. Si j’avais rêvé je m’en souviendrais et je le dirais ; mais je n’ai pas rêvé, je vous l’assure. » [p. 165]
Je l’hypnotisai alors, et lui ayant posé la même question que tout à l’heure, elle répondit aussitôt qu’elle avait rêvé toute la nuit ; ensuite, que, revenant chez elle, Elle trouvait son mari avec une autre femme qui se sauvait en l’apercevant. Réveillée de nouveau, elle ne se souvenait de rien de ce qu’elle venait de nous dire et affirmait qu’elle n’avait rêvé ni à sa mère, ni à son mari.
Pendant plusieurs jours de suite nous fîmes des constatations identiques et pûmes nous assurer que la malade se souvenait à l’état hypnotique des rêves qu’elle avait fait la nuit et dont elle n’avait aucun souvenir à l’état de veille.
Il en faut conclure que certains rêves ne laissent aucune trace dans la mémoire à l’état de veille, bien que leur souvenir soit très précis dans l’état de hypnose. Ces rêves ont-ils lieu dans le sommeil naturel ou dans une des nombreuses variétés du sommeil hypnotique ? Je n’en sais rien. Le fête en lui-même n’en est mais pas moi fort curieux.
Ayant bien constaté cette particularité, l’idée me vint de faire quelques expériences sur les rêves. On s’est déjà, depuis longtemps, qu’on peut suggérer des rêves pendant l’hypnose provoquée. Voulant le vérifier une fois de plus, j’endormis, un matin, Louise G… par la fixation du regard ; et, comme notre chef de clinique M. le Dr Sabrazès, avait pratiqué la veille, dans le service des cautérisation ponctives, sur le visage d’une jeune fille atteinte de lupus, je dis à notre malade : « Vous rêverez cette nuit à M. Sabrazès ; il viendra auprès de vos avec un thermo-cautère, des bistouris, des ciseaux, du chloroforme, pour vous enlever la petite cicatrice disgracieuse que vous avez au cou. » Le lendemain matin, à l’état hypnose, elle nous raconta avec force détails qu’elle avait eu un bien vilain cauchemar : M. Sabrazès était venu vers elle, armé d’instruments de chirurgie ; il voulait à toute force lui cautériser la cicatrice qu’elle avait au cou ; elle avait résisté, mais elle avait eu très peur. A l’état de veille, elle avait aucun souvenir d’avoir rêvé.
À ce moment, il se produisit en fait très important sur laquelle j’appelle tout particulièrement votre attention :
M. le Dr Sabrazès entrait dans la salle : en le voyant, Louise G… étant parfaitement éveillé, se retourna dans son lit, elle eut une sorte de mouvement de recul dont elle ne put se défendre ; ses traits exprimèrent comme de l’angoisse, de la peur. On lui en demanda la raison ; elle refusa de répondre. [p. 166]
On assista ; elle dit alors : « Ah ! c’est M . Sabrazès, il me fait une drôle d’impression, ça m’est désagréable de le voir. » et pourquoi ? lui demande-t-on. « Je ne sais pas, ajoute à Louise G…, je l’aimais bien pourtant, il ne m’a jamais fait que du bien, et, maintenant, je ne l’aime plus. Il me fait peur. »
Ainsi, Messieurs, voilà un rêve ignoré à l’état de veille, et qui a eu pour effet de modifier tellement les sentiments de notre malade, qu’au lieu de l’amitié et de la reconnaissance qu’elle devrait avoir et qu’elle avait pour M. Sabrazès, Louise G… n’a plus pour lui que haine et répugnance.
Ce résultat qui n’était pas cherché, auquel je ne songeais pas en faisant l’expérience, m’a frappé énormément. Il appelait une nouvelle série d’observations. La malade avec une douleur dans le genou gauche, nous lui surggérâmes, toujours dans l’état hypnotique, que M. Escande, externe du service, oui apparaîtrait en rêve la nuit suivante, et que, sous prétexte de soigner son genou, il la tiraillerait et tellement colline de lui faire du bien, il ferait au contraire beaucoup de mal. Le lendemain, à l’état de veille, ignorant complètement son rêvé, elle eut, à la vue de M. Escande, le même mouvement de recul qu’elle avait eu la veille pour M. Sabrazès. Endormie, elle nous raconta à avoir rêvé que « ce maladroit M. Escande était venu lui faire mal à son genou. » Mais, lui dit-on, il venait avec de bonnes intentions pour vous faire du bien. » —« Oh ! dit-elle avec un mouvement d’humeur, il pouvait bien resté où il était, ce maladroit. »
Et non seulement elle ne peut plus voir M. Escande, ni même en entendre parler sans manifester ses sentiments à son égard, mais encore elle éprouve, dans le genou, une douleur si forte, qu’elle peut remuer sa jambe ; second effet de ce rêve qui devient ainsi pathogène.
Voilà pour les rêves de mauvais. Nous avons largement réparé cela par la suite. Si un rêve peut ainsi faire du mal, ne peut-il pas faire du bien ? S’il est pathogène, ne peut-il être curateur ? Telles sont les questions qui se présentaient à notre esprit et qu’il furent résolues de la façon suivante : je vous ai dit, déjà, que Louise G… avait un certain nombre de petites misères : douleurs précordiales, douleurs dans la gorge, maux de tête très violents, palpitations, douleurs dans le genou, etc., dont elle se plaignait souvent. A plusieurs reprises, nous avions essayé de l’en débarrasser par la suggestion direct, soir à [p. 167] l’état de veille, soit à l’état hypnotique, et, jamais, la suggestion directe n’avais pu modifier ces phénomènes.
Nous avons alors fait intervenir l’auto-suggestion par le rêve. Un jour, nous disons à la malade endormie : « vous rêverez, cette nuit, que M. Venot viendra avec un flacon d’onguent précieux ; il vaut frictionnera la poitrine et votre douleur au cœur s’en ira aussitôt. » Le lendemain, elle était débarrassé de sa douleur précordiale. La nuit suivante, M. Bernard vint, de la même façon, nuit badigeonner la gorge avec un pinceau, et les douleurs de gorge disparurent de la même manière. Seulement, Elle se plaignait d’une petite douleur au niveau de la voûte palatine, parce que le manche du pinceau l’avait un peu écorché en cet endroit. « Mais ce n’est rien, ne dit-elle » ; et le lendemain elle la sentait plus.
Les douleurs de tête et du genou furent encore guéries de la même manière par M. Venot. Moi, je me chargeai des palpitations et je les guéris également dans un rêve suggéré.
Telles sont les principales observations que nous avons faites. Je passe sous silence d’autres petites expériences secondaires qui sont venues confirmer les premières.
VI
Les études que nous avons faite sur Louise G… comportent, ce me semble, des conclusions intéressantes.
Elle montre tout d’abord l’influence des actes psychiques inconscients sur la production de certains accidents hystériques. Le délire de l’attaque roulant sur un événement antérieur et amenant la reviviscence de toute la série des états émotifs qui se sont succédé au moment de sa production, —bien que dans l’état de veille et dans l’état d’hypnose provoquer la malade sache parfaitement que ces états émotifs sont injustifiés — constitue déjà un fait curieux. A la vérité il n’a rien de très étonnant. Il rentre — au moins par analogie — dans la série des phénomènes qui ce passent dans les suggestions post-hypnotique. Entendit un sujet endormi : « Tel jour, à telle heure, vous ferez telle chose » et qu’au jour et l’heure indiqués ce sujet quitté brusquement ses occupations pour exécuter l’ordre, si absurde qu’il soit, qui lui a été donné, sans en apprécier les motifs ni les conséquences, il se produit évidemment une annulation momentanée de la conscience, Analogue, sinon identique à celle que nous avons constatée dans le cours de délire des attaques de notre malade. M. Pierre [p. 168] Janet a d’ailleurs étudié quelques faits de ce genre dans ces belles recherches sur l’état mental des hystériques.
Beaucoup plus intéressants sont les phénomènes d’auto-suggestion par le rêve, dont nous avons été témoins. Provoquer ou faire disparaître par un rêve suggéré des troubles morbides reconnus préalablement inaccessibles à la suggestions directe, cela est tout à fait dehors du cadre actuel de nos connaissances. On pouvait légitimement soupçonner l’influence auto suggestive des rêves. Autrefois, dans les temples d’Asclépiade, c’est par l’intermédiaire des songes que le dieu communiquait avec les malades et accomplissait les cures merveilleuses dont témoignent les stèles récemment découvertes dans les ruines des Asclipicia, d’Athènes et d’Épidaure (1)
On trouve également dans les autobiographie de quelques hystériques célèbres du moyen âge, le récit de guérisons miraculeuses opérées par le même mécanisme. Sœur Jeanne des Anges guérit ainsi subitement d’une maladie que le message du couvent, le sieur Fanton, considéré comme une pleurésie des lus graves et pour laquelle il avait pratiqué des saignées et ordonné divers autres remèdes. Le cas paraissait désespéré. La malade avait reçu les derniers sacrements. Le médecin déclarait qu’elle n’avait plus de vie que pour une heure de en plus. Elle s’endormit cependant et vit en rêve Saint-Joseph « en forme et figure d’homme, ayant le visage plus resplendissant que le soleil, avec une grande de chevelure et une majesté bien plus que humaine. » Il était accompagné d’un ange « d’une rare beauté, et Ayant la forme d’un jeune homme de dix-huit ans…, une chevelure longue et brillante…, un vêtement blanc comme neige…, tenant en main un cierge blanc fort grand et fort gros et fort allumés. » Saint-Joseph appliqua la main sur le « côté droit » de la mourante et y fit une onction. Après quoi, la malade ce réveillant et se trouvant entièrement rétablie, C’est cria : « Je n’ai plus de mal, je suis guérie par la grâce de Dieu ! » Elle demande à ses habits, se leva à l’instant et alla rendre grâce au Saint-Sacrement (2) [p. 169]
Ces faits démontraient bien l’affluence auto suggestive des rêves, mais la démonstration expérimentale de cette influence manquait absolument. L’observation de Louise G… nous la fournit avec toutes les garanties désirables. Elle prouve même que l’auto-suggestion parle rêve est quelquefois plus efficace que les autre modes de suggestion.
Elle prouve, en outre, et cela a bien son importance, que le rêve, d’où dérives l’auto-suggestion, peut avoir tous ses effets, bien qu’il reste ignoré par la conscience des sujets. Bien plus, ce rêve inconscient peut croiser dans l’esprit des traces profondes et avoir pour conséquence des modifications dans le sentiment conscient des sujets à l’état de veille. Cette particularité fournit probablement l’explication de la mobilité bien connue du caractère des hystériques. Les malades de ce genre sont, on le sait, extrêmement changeantes dans leurs affections. Elle détestent aujourd’hui ce qu’elles aimaient hier. Sans motifs apparents, sans cause appréciable, du jour au lendemain, elles brûlent ce qu’elles adoreraient, ou poursuivent dans leur haine ceux qu’elles avaient obsédés de leur tendresse. Est-ce que la cause de cette mobilité de résiderait pas tout simplement dans les rêves inconscients qu’elles font ? L’observation de Louise G… prouve certainement qu’il en est ainsi, au moins dans quelques cas.
Notes
(1) Voyez à ce sujet : Auguste Gautier : Recherches historiques sur l’exercice de la médecine dans les Temples chez les peuples de l’Antiquité. In-12, Paris, 1844.
Paul Girard. — L’asclépicion d’Athènes d’après de récentes découvertes. Th. de doct. de la Faculté des lettres de Paris. 1881.
Salomon Reinach. — La seconde stèle des guérison miraculeuses découvertes à Épidaure. Revue archéologique, 3esérie, T. V, 1885, p. 263.
Diehl. — Excursions archéologiques en Grèce. Paris, 1890, chap. IX, p. 311 à 335.
(2) Sœur Jeanne des anges, supérieure des Ursulines de Loudun. Réédition annotée et publiée par M. M. Gabriel Légué et Gilles de la Tourette. Paris, 1886, p. 194 et suivantes.
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