À propos de quelques rêves symboliques. Par Bernard-Leroy [Eug!ne-Bernard Leroy] 1908.

Masque humbaba.

Masque humbaba.

Bernard-Leroy. À propos de quelques rêves symboliques. Suivi d’une discussion. Article paru dans le « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), cinquième année, 1908, pp. 358-365.

Eugène-Bernard Leroy (1871-1932). Nous n’avons trouvé aucune donnée biographique sur ce médecin, pourtant important. Nous nous contentons donc, provisoirement de citer quelques unes de ses publications :
— Dépersonnalisation et fausse mémoire. « Revue philosophique de la France et de l’étranger », (Pris), 1898
— Sur l’illusion dite de « dépersonnalisation ». « Revue philosophique de la France et de l’étranger », (Pris), 1898.
— Sur les relations qui existent entre les Hallucinations du rêve et les images langage intérieur. Article parut dans la « Revue philosophique de la France et de l’étranger », (Paris), vingt-sixième-année, LI, janvier-juin 1901, pp. 241-248. [en ligne sur notre site]
— Étude sur l’illusion de fausse reconnaissance (identificirende Erinnerungstauschung de Kraepelin) chez les aliénés et les sujets normaux. Thèse pour le doctorat en médecin de la Faculté de Médecine de Paris. Paris, Henri Jouve, 1898. 1 vol. – Edition de librairie sous un titre différent : L’Illusion de Fausse Reconnaissance: Contribution A L’étude des conditions psychologiques de la reconnaissance des douvenirs. Paris, Félix Alcan, 1898. 1 vol. [en ligne sur notre site]
— Sur le mécanisme intellectuel du rêve. Extrait de la Revue Philosophique, 1901, t. LI, pp. 570-593. Paris, Félix Alcan, 1901. 1 vol
— Le langage. Essai sur la psychologie normale et pathologique de cette fonction. Paris, Félix Alcan, 1905. 1 vol. Dans la « Bibliothèque de Philosophie Contemporaine ».
— Interprétation psychologique des « visions intellectuelles » chez les mystiques chrétiens. In Annales du musée Guimet. Revue de l’histoire des religions, (Paris), 1907. Et tiré-à-part : Paris, Ernest Leroux, 1907.
— Kleptomanie chez une hystérique ayant présenté à différentes époques de son existence des impulsions systématiques de diverses natures. XVIIe congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, Genève-Lausanne, 1-7 août 1907 / E. Bernard-Leroy / Genève 1908.
— Sur l’inversion du temps dans le rêve. Article parut dans la « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), trente-cinquième année, LXX, juillet-décembre 1910, pp. 65-69. [en ligne sur notre site]
— Stendhal psychologue. Extrait du Journal de Psychologie normale et pathologique, 1920. Paris, 1920. 1 vol. in-8°, pp. 266-288. Tiré-à-part.
— Les visions du demi-sommeil. Paris, Librairie Félix Alcan, 1926.
— Sur quelques variétés de souvenirs faux dans la rêve. Journal de psychologie. 1927.
— Confession d’un incroyant. Document psychologique recueilli et publié avec une introduction. Paris : Impr. Lefebvre, 1933.
— La Franc-Maçonnerie jugée objectivement. Paris, le Symbolisme , 1934. 1 vol.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.– La note de bas de page a été renvoyée en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. . – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 358]

Bernard-Leroy

À propos de quelques rêves symboliques.

I

La question des rêves symboliques n’est certes pas nouvelle : pour ne parler même que des travaux menés avec quelque apparence de méthode [p. 359] scientifique, dès 1840, était paru l’ouvrage si singulier du Dr G.-H. de Schubert intitulé Die Symbolick des Traum ; aussi peut-on s’étonner et regretter que, jusque dans ces derniers temps, la question n’ait pas retenu l’attention des psychologues autant qu’elle l’eût mérité. Mais récemment, M. Maeder a publié dans les Archives de Psychologie un travail qui certes ne lui vaudra pas le même reproche ; bien souvent il arrive que des passionnés d’investigation scientifique arrivent à voir partout l’objet de leurs recherches favorites ; tel voit partout des silex taillés ou dégrossis, tel autre, de prétendus stigmates de dégénérescence, et, à une certaine période de leur évolution, Bouvard et Pécuchet ne voyaient partout que phallus ; M. Maeder parait obsédé quelque peu par la continuelle recherche des symboles : il en découvre dans les pensées les plus fugitives de la vie quotidienne, il en voit également dans des rêves où des observateurs moins ingénieux, peut-être, ne verraient rien du tout. Prétendant en effet mettre en œuvre les théories de Freud, il se livre à de curieux exercices d’interprétation ; pour lui, semble-t-il, c’est surtout sous forme de symboles que se traduisent en rêve nos préoccupations latentes, nos tendances instinctives inavouées. Ces symboles qui, le plus souvent, restent incompris du sujet lui-même, n’en sont pu moins faciles à déchiffrer (paraît-il) pour un observateur averti et désintéressé ; M. Maeder, d’ailleurs semble leur attribuer une certaine fixité. Une maison dans un jardin, par exemple, c’est un symbole obscène : M. Maeder cite à l’appui de cette interprétation un passage du Cantique des Cantiques qu’il semble comprendre d’une façon bien hasardeuse, et… une chanson qualifiée par lui de « méchante chanson du boulevard », chanson où il est question d’un cabaret dans une forêt, bref, la « Chanson du Navet ». Voici d’après N. Maeder, un fragment de rêve fait par une jeune fille, et que je cite textuellement : « Ida doit dessiner un paysage, elle dessine trois étoiles, et ne sait pas compléter, elle est très ennuyée. Pierre survient qui dessine une barque du Léman et tout est bien, elle est contente et remercie. » Je donne en même temps, tels qu’on les trouve reproduits dans l’article de M. Maeder, les dessins de la jeune fille et du jeune homme. Cela ne vous dit rien ? Cela n’évoque pas pour vous des images obscènes ? C’est que vous n’avez pas songé à ceci : les étoiles ne peuvent symboliser autre chose que la femme, ou mieux, le sexe féminin ; la preuve en est, d’après M. Maeder, qu’on dit couramment : « une étoile du corps de ballet », ou bien « un ver de terre [p. 350] amoureux d’une étoile ». Quant à ces blanches voiles du Léman que tant d’âmes sensibles ont comparé aux ailes des mouettes et que, sans doute, vous vous représentez légèrement obliques et sensiblement courbes, M. Maeder n’y voit que des objets pointus dressés vers le ciel, — vers les étoiles, veux-je dire, — et je n’ose pas préciser quelles images elles évoquent dans son esprit. Je pourrais citer encore le fragment de rêve où la même jeune fille rêve d’un jardin (symbole des plus obscènes : c’est presque une forêt, avec ou sans cabaret !) dans ce jardin, il y a un jardinier, il tient une lance d’arrosage (« lance, symbole, dit M. Maeder, au même titre que l’épée et le poignard et tout objet pénétrant », c’est-à-dire encore symbole phallique) et de cette lance, comme de juste, il arrose le jardin. Ici, j’abandonne M. Maeder, pour ne pas passer de la pornographie à scatologie, mais vous voyez que je n’avais pas tout à fait tort d’évoquer tout à l’heure le joyeux souvenir de Bouvard et de Pécuchet : nous sommes bien près des sympathiques héros mis en scène par Flaubert.

J’avoue que, pour interpréter les rêves selon celle méthode, je ne me sens pas de force : j’attendrai patiemment la Nouvelle Clef des Songe. que certes H. Maeder ne peut manquer de nous donner un jour. Dans les rêves symboliques dont je veux vous entretenir, le symbole est compris du sujet pendant le rêve même, et d’une façon immédiate ; ma tâche sera donc bien simple : presque exclusivement descriptive.

Willem Drost Le songe de Daniel (1650) Musée Staatliche, Berlin.

Willem Drost Le songe de Daniel (1650) Musée Staatliche, Berlin.

Il

Depuis fort longtemps cette remarque a étè faite que, dans le rêve, des objets quelconques sont quelquefois considérés comme représentant, signifiant, symbolisant des idées. Dès 1851, Charma, entre autres, en avait rapporté au moins trois cas fort curieux, et j’ai moi-même, dans une communication faite à cette Société en collaboration avec Mlle Tobolowska le 5 juillet 1901, présenté une observation assez étrange dans laquelle tout du long d’un rêve assez compliqué, l’honneur d’une jeune fille était apparu au dormeur sous l’aspect d’une tour gothique en ruine ne reposant plus qu’en porte-à-faux, sur un seul pilier. Plusieurs personnes ayant lu cette communication m’ont dit avoir observé le même phénomène, mais, ainsi qu’il arrive presque toujours quand il s’agit du rêve, il n’a été possible de recueillir qu’un petit nombre de faits précis ; en voici trois que je classe par ordre de complexité croissante. Les trois récits m’ont été donnés par des personnes présentant toutes les garanties possibles de sincérité; quant à leurs qualités d’observatrices, et en particulier, d’« onirocriticistes », j’en ai pu juger pleinement, vu que chacune d’elles m’a fourni, à différentes reprises, plusieurs autres récits de rêves fort minutieusement et fort intelligemment notés.

Voici d’abord un court extrait d’un rêve fort long (au moins en apparence) et fort compliqué, noté peu de temps après le réveil : [p. 361]

Mme Ase rêve que sa fille est mariée avec un jeune homme qu’elle connaît ; après diverses péripéties, elle croit être avec lui auprès du lit de sa fille malade qu’elle ne voit pas ; ici, je lui cède la parole : « Le jeune homme est triste, dit-elle, et moi aussi : je sens que ma fille va mourir. A la place du lit de ma fille (ceci est tout à fait cocasse), je vois un bol rempli de lait : pour moi, c’est ma fille, c’est du lait qui tremblote et j’ai peur qu’il se renverse, qu’il lui arrive quelque chose, et c’est ma fille ! Cela ne m’étonne pas du tout ; je sens ma fille parler à son mari de ce qu’elle souffre, de ce qu’elle a peur de mourir, mais c’est encore moi qui parle, comme inspirée par ma fille, et j’observe toujours le bol de lait qui, pour moi, certainement, représente ma fille. »

Cet épisode présente, en somme, une ressemblance assez frappante avec le rêve de la tour en ruines auquel je faisais allusion tout à l’heure : dans l’un comme dans l’autre, l’image symbolique représente à la fois une idée et une personne, dans un cas, c’est à la fois la jeune femme et sa santé compromise, dans l’autre à la fois la jeune fille et sa réputation chancelante, — ou, en d’autres termes, dans les deux cas, ce qui est représenté, c’est la personne considérée à un point de vue spécial. Mais ce qui me parait caractériser plus particulièrement le rêve d’Ase., c’est la ressemblance des « impressions émotives » impliquées par l’image symbolique et par l’idée symbolisée : on trouve en effet, de part et d’autre, la même impression de fragilité, d’instabilité, liée à l’idée de « quelque chose » (objet ou personne) qu’il importe de traiter avec ménagements.

Voici maintenant le récit d’un épisode beaucoup plus complexe et dans lequel le symbolisme parait constituer, au lieu d’un simple accident, le rfond même du rêve :

« Nuit du 24 au 25 juin 1901. — J’ai lu très tard dans l’Officiel, écrit. M. G. T., les débats sur la loi relative aux associations. Tout à coup, en dormant, je vois un objet de cuivre poli à l’excès ; c’était une sorte de boite à section carrée, de soixante centimètres de long environ sur cinq ou six de haut et autant de large ; elle était munie, à chacune de ses extrémités d’une boule ornementale en cuivre également poli : cela ressemblait aux cuivreries d’un charlatan aperçu vers six heures du soir.

« J’avais conscience que quelqu’un tenait cet objet les bras écartés et une extrémité dans chaque main ; je voyais vaguement le bras mais la personne ne m’intéressait pas ; mon attention était attirée tout entière sur l’objet lui-même ; on le faisait osciller lentement au bord d’une table, comme si on était indécis quant à la position qu’il devait occuper dessus ou dessous cette table. Ce dessous était très obscur, et ressemblait à un coffre ouvert, une trappe de cave, etc. ou toute autre ouverture par laquelle on puisse faire disparaître quelque chose.

« Or, cet objet en cuivre poli, c’était l’amendement Guérin en discussion au Sénat. Et il ne s’agissait pas d’une comparaison, d’un simple rapprochement ; c’était l’amendement Guérin qu’on avait bien astiqué pour [p. 362] le faire adopter. Mais après plusieurs oscillations, il disparut sous la table : « Il est repoussé », me dis-je, et je m’éveillai. »

Ce cas rappelle évidemment le précédent en ce que l’ensemble de la représentation symbolique paraît y avoir été accompagnée d’une impression générale convenant très exactement aux idées représentées : les sentiments d’attente et d’incertitude de M. G. I. devant l’appareil de cuivre oscillant au bord de la table semblent bien avoir été comparables en tous points à ceux qu’il avait pu éprouver en lisant le compte-rendu des débats. Ce que nous voyons ici de plus que dans le rêve du bol de lait, c’est l’ébauche d’une évolution du symbole à travers diverses péripéties, évolution traduisant une évolution parallèle des idées représentées. Cette évolution toutefois apparaîtra bien plus nettement dans le troisième exemple, que voici maintenant :

« Cela se passait dans un lieu indéterminé et à une heure indéterminée ; il y avait là au moins deux autres personnes, mais je ne les voyais pas tout le temps ; je crois même n’en avoir vu qu’une, et encore, d’une façon vague, comme une ombre grisâtre ; sans distinguer ses traits. Il était question de l’œuvre de Victor Hugo, encore vivant ; je disais que tout ce qu’il y avait de « lamartinien » dans cette œuvre, de laiteux, de clair (dans le sens de peu intense, de peu épais), ne « resterait » pas, serait négligé par la postérité : mon idée était que lorsqu’on faisait abstraction de cette partie de son œuvre, le reste « s’épaississait » d’autant ; on disait cela, je voyais l’œuvre de Victor Hugo comme une sorte de cylindre en zinc plus ou moins oxydé, muni en bas d’un ajutage par lequel s’échappait le liquide qu’il contenait : on pouvait apprécier la quantité de liquide restant, par une ouverture ronde, de diamètre compris entre celui d’une pièce de deux francs et celui d’une pièce de cent sous. D’ailleurs, ajoutai-je, c’est bien l’opinion de Théophile Gautier, seulement il n’ose pas le dire, parce qu’il est critique officiel ».. En même temps, je voyais Théophile Gautier, ou plutôt l’œuvre de cet écrivain (son œuvre critique, à laquelle seule je pensais à ce moment) comme un tube de zinc, du diamètre d’un doigt, long de cinquante à soixante centimètres, faisant avec l’horizontale un angle de trente-cinq degrés ; l’extrémité supérieure qui était à la fois tournée vers la gauche et plus éloignée de moi, était reliée à un robinet de cuivre par une portion de tube souple de cinq centimètres de long environ ; ce tube souple était parfaitement noir. Par l’autre extrémité, libre, s’écoulait abondamment un liquide clair comme de l’eau ; c’était là la production régulière de Théophile Gautier critique, feuilletonniste. Il y eut, je crois, d’autres paroles échangées à ce sujet, mais je ne me les rappelle plus. Puis, mon attention se reporte vers le cylindre-Hugo ; le liquide, par l’ajutage, s’écoule abondamment ; je sais (et peut-être je dis, ou on me dit) que l’écoulement s’arrêtera quand la partie trop lamartinienne sera éliminée et que le niveau ne dépassera plus la hauteur du trou rond ; il le dépasse encore, mais le liquide, pourtant, s’écoule à peine par trou ; je [p. 363] vois seulement une fine nappe, un peu plus qu’un suintement qui en découle ; à ce moment, une des personnes présentes (je la vois à ma gauche comme ube ombre vague, el c’est pour moi Flaubert), s’efforce d’Introduire dans le cylindre, par son extrémité supérieure largement ouverte, un bouquet d’herbes à demi sèches : c’est exactement un bouquet de vétyver comme ceux que l’on vend en charrettes (cette comparaison ne s’est pas présentée à mon esprit, pendant le rêve) ; il plonge ce bouquet la queue en l’air : cela fait monter le niveau du liquide ; je pense que ces herbes épaissiront l’œuvre, en augmenteront l’ « intensité » ; néanmoins je dis : « Est-ce que ce qui s’écoule, ce « ne serait pu au contraire les hrtbrd ? » Ce qui, pour moi, signifiait « la partie robuste de l’œuvre », le contraire de la partie laiteuse ; regardant par le trou rond, je vis que le contenu du cylindre avait l’aspect de thé un peu fort et bien limpide, ce qui me paraissait tout à fait satisfaisant. Mais une personne autre que Flaubert, une personne que je ne voyais pas, apportait et mettait dans le cylindre des paquets d’herbes fraîches, je me rappelle avoir vu très nettement un de ces paquets ; je dis alors : « Mais il ne faut pas mettre d’herbes fraîches ! Il n’en faut mettre que de sèches, sans cela, cela donnera de l’âcreté » (ce ne sont pas les paroles rigoureusement exactes). A quoi l’on me répondit que cela ne faisait rien : fraîches ou sèches, les plantes contiennent les mêmes principes ; je ne fus pas convaincu, il me semblait que le dessèchement devait amener des modifications, produire une sorte de « maturation »… La personne invisible continuait cependant à apporter des plantes, et je vis avec une netteté particulière une touffe de chèvre-feuille en fleurs qu’elle ne mit d’ailleurs pas dans le cylindre ; à ce moment, j’entendis la sonnerie du réveille-matin qui me réveilla.

« Le cylindre pouvait être de la contenance de cinq ou six litres ; tous les appareils (je m’en rends compte maintenant) rappelaient un peu, par l’aspect général, ceux qui sont employés dans les laiteries, notamment pour le refroidissement du lait pasteurisé. »

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III

Je ne crois pas qu’on puisse refuser l’épithète de « symboliques » aux hallucinations des rêves que je viens de citer ; évidemment. il peut arriver que, par hasard pour ainsi dire, dans un rêve quelconque, telle image apparaisse en même temps que telle idée abstraite, sans qu’il y ait pour cela symbolisme à proprement parler : il peut m’arriver de rêver que je me promène dans la campagne tout en réfléchissant à des Idées philosophiques ou autres, et ce serait un étrange abus que prétendre voir dans les arbres, la verdure, les troupeaux, des symboles correspondant à ces mêmes idées ; pour qu’une hallucination du rêve puisse être légitimement considérée comme symbolique, il faut autre chose qu’une simple coïncidence, [p. 364] il faut à mon avis, que se trouve réalisée au moins une des trois conditions suivantes :

1o L’image qui apparaît dans le rêve en même temps que l’idée, symbolise déjà à l’état de veille, d’une façon plus ou moins habituelle chez le sujet considéré, la même idée ; tel était le cas pour la tour en ruine dans le rêve que j’avais publié en 1901.

2° L’image hallucinatoire et l’idée persistent pendant un certain temps simultanément et évoluent ou se modifient d’une façon parallèle ; c’est ce qui s’est produit nettement dans le troisième rêve (Victor Hugo), et aussi dans le deuxième (amendement Guérin).

3° Enfin, il y a en quelque sorte « unité d’émotion », l’image supposée symbolique étant de nature à déterminer les mêmes émotions que déterminerait l’idée seule ; c’est ce qui apparaît surtout dans le rêve du bol de lait, et dans celui de l’amendement Guérin.

Ceci posé, je ne crois pu que les rêves symboliques soient à proprement parler rares ; pour ma part, j’en ai eu un certain nombre dont je n’ai malheureusement gardé qu’un souvenir plus ou moins confus : le symbolisme d’ailleurs constitue une forme de pensée extrêmement commune et les hallucinations symboliques peuvent, je crois, se rencontrer dans tous les délires, même si l’on fait abstraction de celles où l’on ne doit voir qu’un faux symbolisme dû à une interprétation faite par le malade après coup, ainsi qu’il arrive souvent chez les délirants systématiques et chez les mystiques.

DISCUSSION

PIERON. — Je sais aussi que ces rêves sont fréquents, mais les conclusions que donne M. B. Leroy me paraissent un peu trop générales. Il s’agit d’une série d’idées qui coïncide avec une série d’images qui ne s’y appliquent pas purement et simplement.
C’est un fait très général dans le rêve ; je ne crois pas qu’on puisse parler ici réellement de symbolisme.

BERNARD-LEROY. — Je crois avoir répondu par avance à cette objection. Dans deux au moins des exemples que j’ai cités, il y a véritablement un développement continu et parallèle des hallucinations et des idées, et dans ce développement parallèle, il est impossible de voir une simple coïncidence. En d’autres cas, le symbolisme est non moins certain parce que l’image qui apparaît dans le rêve en même temps que l’idée, constitue pour le sujet à l’état de veille, un symbole habituel de cette même idée. Je crois avoir déjà donné ces raisons et d’autres encore ; d’ailleurs, je le répète encore, il ne s’agit pas ici (comme par exemple dans les cas rapportés par Maeder) d’une interprétation plus ou moins artificielle proposée par un psychologue plus ou moins ingénieux, mais d’une conception s’imposant au sujet lui-même, dans le rêve même : pour le rêveur, les idées sont alors représentées par des hallucinations d’une façon aussi incontestable qu’elles pourraient l’être par des mots, à l’état de veille.

DUMAS. — Ce n’est pu du symbolisme abstrait ; c’est une sensation qui représente une idée. Il y a des analogies de rythme dans les deux [p. 365] phénomènes ; il y a surtout identité dans les émotions qui les accompagnent.

PIERON. — Le mot de symbolisme me paraît un peu fort. Dans la plupart des rêves, il y a des associations fortuites à propos desquelles on pourrait aussi parler de symbolisme.

DUMAS. — Il est surtout dans l’attitude et dans l’émotion. Il a dû y avoir beaucoup de rêves symboliques au moment où on cherchait une explication et un sens aux rêves.

 

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