A propos de l’activité de l’esprit dans le rêve. Par Frédéric Pauhlan. 1894.

PAULHAN REVE0001Frédéric Pauhlan. A propos de l’activité de l’esprit dans le rêve. Article parut dans la « Revue de Philosophie de la France et de l’Etranger », (Paris), tome XXXVIII, juillet à décembre 1894, pp. 546-548.

Cité par Freud dans son ouvrage La Science des rêves.

Frédéric Pauhlan (1856-1931]. Philosophe, grand lecteur depuis le plus jeune âge, il collabore d!s 1877 à la Revue philosophique de Théodule Ribot, Libre-penseur et dreyfusard, probablement franc-maçon, il laisse un très grand nombre de travaux. Parmi cette oeuvre importante nous avons sélectionné ::
— Les phénomènes affectifs et les lois de leur apparition : essai de psychologie générale. Paris, Félix Alcan, 1887.
— L’activité mentale et les éléments de l’esprit
— Le nouveau mysticisme. Paris, Félix Alcan, 1891.
— La fonction de la mémoire et le souvenir affectif. Paris, Félix Alcan, 1904.
— La double fonction du langage.Paris, Félix Alcan, 1929.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 546]

A PROPOS DE L’ACTIVITÉ DE L’ESPRIT DANS LE RÊVE

Dans sa note sur la durée du temps dans le rève (l), M. Le Lorrain émet des doutes sur la signification généralement admise des observations qui montreraient dans certains songes une rapidité extraordinaire de la pensée.

Tout d’abord je suis absolument de l’avis de M. Le Lorrain en ce qui concerne la confiance exagérée, accordée à beaucoup d’opinions de nos devanciers qui peuvent se transmettre presque sans qu’on s’en aperçoive. Notre savoir est encombré de préjugés, de là naissent bien des erreurs, bien de mauvaises orientations de l’esprit. Aussi, alors même que la critique de M. Le Lorrain ne serait pas absolument juste, ce qui, après examen, me semble être ici le cas, elle pourrait toujours être utile, en entretenant l’habitude de l’examen minutieux.

Il s’agit de savoir si plusieurs psychologues, dont je suis, n’ont pas admis trop facilement comme exactes les observations de Maury et quelques autres, en particulier celle où la chute de la flèche d’un lit aurait déterminé tout un rêve dont l’impression directement éveillée par elle aurait formé la conclusion.

Qu’on me permette de commencer par ce qui me concerne personnellement. « J’ai bien vu, dit M. Le Lorrain, ce rêve reproduit une douzaine de fois, et présenté invariablement en exemple de la fulgurante rapidité des images, pendant le sommeil, ainsi que de l’altération singulière de la notion de temps. » Il est assez curieux de trouver ici, dès le début de la note de M. Le Lorrain, une illusion fondée sur la persistance et la généralisation des premières impressions, c’est-à-dire une erreur assez analogue à celles qu’il combat. Si, en effet, M. Le Lorrain veut bien relire les pages 101 à 103 de mon Activite mentale, c’est-à-dire le passage où je cite le rêve en question, il se convaincra que je n’avais nullement en vue la « fulgurante [p. 547] rapidité des images pendant le sommeil, ni « l’altération singulière de la notion de temps ». Je voulais simplement montrer comment une impression en arrivant à la conscience pouvait s’y faire accompagner ou même précéder d’images ou d’idées qui la préparent ou s’y asso­cient logiquement (2).

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Georges Planck (1917)

Venons maintenant au fond même de la question. J’ai été, moi aussi, inquiété parfois par cette extrême rapidité apparente de la pensée dans le rêve et dans certains états spéciaux. Cependant la précision de certaines observations, celles de Maury qui savait observer, d’autres que cite Taine dans une note à la fin du premier volume de l’Intelligence ne permettent guère, à mon avis, de repousser complètement le fait, à moins d’avoir une explication très probable et fondée sur des faits bien acquis et suffisamment spéciaux, de l’illusion prétendue. On ne peut se fonder uniquement sur des considérations a priori touchant la vitesse exagérée qu’on supposerait aux molécules nerveuses ou les expériences qui ont permis de mesurer la vitesse de la pensée, car d’une part nous ignorons le rapport du mouvement des molécules nerveuses à l’imagination, de l’autre nous ne pouvons assurer que les expériences des savants aient fait connaitre avec une suffisante précision les conditions essentielles et immuables de la pensée. L’hypothèse contraire est même beaucoup plus vraisemblable.

Cependant j’ai souvent pensé qu’il pouvait y avoir une certaine déformation, ou plutôt reformation du rêve dans le souvenir. Tout en admettant comme vraisemblable, au moins jusqu’à présent, que la rapidité de la pensée peut, dans certains cas mal définis et mal compris, s’exagérer singulièrement, je me trouverais donc d’accord, dans une certaine mesure avec M. Le Lorrain. La tendance systématisante de l’imagination pourrait fort bien achever après le réveil ce qu’elle a ébauché pendant le sommeil. De la sorte, la rapidité réelle de la pensée serait augmentée en apparence par les perfectionnements dus à l’imagination éveillée.

Ceci n’est encore qu’une hypothèse. Elle se fonde cependant sur des faits bien fréquents. On peut se surprendre soi-même en train de coordonner vers le réveil des impressions confuses déjà éprouvées. D’autre part, il est fréquent de s’apercevoir que les images du rêve n’étaient pas, en un sens « réelles », qu’il n’y avait pas harmonie entre J’image et l’impression éprouvée, le sentiment ou la croyance. Aussi faut-il considérer le cas, très possible, de l’illusion partielle sur la rapidité du rêve, mais surtout sur la parfaite coordination et le parfait achèvement des images qui s’y pressent, comme une forme particulière d’un fait très général. Il me parait très vraisemblable que, bien souvent, le rêve n’a pas été, réellement, ce qu’on croit, je veux dire [p. 548] que les images qui l’ont constitué, ne répondaient pas, comme elles auraient dû le faire dans l’état de veille aux sentiments et aux idées qui les accompagnaient. On prend très souvent, dans le rêve, une chose pour une autre. Comme le dit très bien M. Le Lorrain, « on y machine des complots que l’on croit machiavéliques et qui ne sont que des calinotades, on y prononce des discours que l’on juge admirables et qu’au réveil on reconnait d’une stupidité notoire ». Il est très possible qu’en certains cas l’illusion persiste au moins partiellement après le réveil, et nous trompe sur la vraie nature non de nos sentiments, mais de nos images. M. Le Lorrain nous dit : « J’ai vu en rêve des femmes comme aucun concours de beauté n’en a jamais reçues. Leur charme n’a pas ébranlé que la partie physiquement sensuelle de mon être, il en a touché, il en a saisi le côté sentimental. Je les aimais avec les génuflexions qu’on a pour une idole, je leur psalmodiais les adorations pieuses qu’enfant l’on balbutie à la Vierge. » Je me demande si dans ce cas, et les cas analogues, il n’y a pas quelque erreur sur la beauté réelle de l’image féminine. L’image persiste-t-elle après le réveil ? Peut-on revoir visuellement la femme rêvée, ou bien, ce qui est bien différent, a-t-on seulement l’impression d’avoir vu une femme très belle ? Des observations précises pourraient éclaircir ce problème. Il y aurait intérêt à ce que M. Le Lorrain, qui parait rêver beaucoup, avoir des rêves curieux et s’y intéresser, nous donnât le résultat de ses observations. Les recueils de rêves bien recueillis sont trop rares. De nouveaux documents aideraient efficacement la psychologie. Ils pourraient être une occasion de soulever ou de résoudre certains problèmes abordés incidemment par M. Le Lorrain, par exemple le rapport du développement cérébral avec la fréquence et la netteté des rêves.

Il y a certainement plusieurs types de rêveurs, qu’on pourrait distinguer d’après la quantité et la qualité des rêves et qu’on connait encore assez mal. Il me semble probable aussi que l’on emploie dans le rêve des procédés assez particuliers. Le symbolisme y change d’apparence, la substitution des phénomènes psychiques, si elle ne s’y fait pas selon des lois spéciales y prend au moins des aspects assez nouveaux et qu’il serait intéressant d’examiner.

Fr. PAULHAN.

NOTES

(1) Revue philosophique, septembre 1894. De la durée du temps dans le rêve. Article parut dans la « Revue Philosoohique de la France et de l’Etranger », (Paris), dix-neuvième année, toe XXXVIII, juillet-décembre 1894, pp. 275-279. [en ligne sur notre site]

(2) Je suis heureux d’ailleurs de voir M. Le Lorrain se placer généralement pour considérer les phénomènes psychiques au point de vue adopté dans l’Activité mentale.

 

 

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1 commentaire pour “A propos de l’activité de l’esprit dans le rêve. Par Frédéric Pauhlan. 1894.”

  1. fouillet isabelleLe mercredi 11 novembre 2015 à 11 h 04 min

    Intéressant