Vladimir Granoff. Peut-on parler d‘orthodoxie en psychanalyse ? Article parut dans la revue « Recherches et débats du centre catholique des intellectuels français » (Paris), Librairie Arthème Fayard, Cahier n°21, novembre 1957, pp. 59-67.
Vladimir Alexandrovitch Granoff (1924-2000). Psychiatre et psychanalyste d’origine strasbourgeoise. Poursuivant ses études de médecine à Lyon et Paris il se spécialise en psychiatrie. Ayant découvert la psychanalyse directement par lecture de Freud, il entreprend une analyse avec Marc Schlumberger. Il sera l’élève de Maurice Bouvet et bénéficiera de l’influence de Jacques Lacan, tout en suivant un contrôle avec Francis Pasche. Membre de ce qu’on l’on nommé la « troïka » avec Serge Leclaire et François Perrier, la fronde débouchera en 1953 à sa scission, et donne naissance à la Société française de psychanalyse. Lui même fit sécession de cette association en fondant l’Association psychanalytique de France en 1964. Quelque temps après il se retira de toute de implication institutionnelle. Nous avons retenu quelques publication :
— Filiations. L’avenir du complexe d’Œdipe. Paris, Minuit, 1975. 1 vol. Dans la collection « Arguments ».
— L’occulte, objet de la pensée freudienne. Traduction et lecture de Psychanalyse et télépathie de Sigmund Freud. Paris, Presses Universitaires de France, 1983. 1 vol.
— La pensée et le féminin. Paris, Minuit, 1976. 1 vol. Dans la collection « Arguments ».
— Avec François Perrier. Le désir et le féminin. Paris, Editions Aubier. 1979.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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Peut-on parler d‘orthodoxie en psychanalyse ?
per Vladimir Granoff.
A entendre parler ceux qui sont aujourd’hui des savants, nul doute semble-t-il, ne peut exister. On en parle. On ne parle même que de cela. Une psychanalyse classique, un psychanalyste orthodoxe, non, lui n’est pas très orthodoxe etc., etc. ? Qu’est donc cette doctrine par rapport à laquelle il est si aisé de distinguer les orthodoxes de ceux qui ne le sont pas ? Et quel est le critère d’aussi parfaites évidences ? C’est aussi la démarche de celui qui pèse, juge et tranche, qu’il nous faut ici questionner.
Sachons, ne serait-ce que pour changer, être non avertis et ne pas cacher notre surprise. Elle sera celle de tout un chacun fût-il clerc ou non. Comment se fait-il que pareille question se soit posée avec son cortège de terrifiantes conséquences, dans la psychanalyse, où ne devrait régner que la froide raison, où, comme en toute science, le ton du débat « objectivement scientifique » devrait toujours prévaloir ?
La psychanalyse n’a-t-elle pas acquis droit de cité dans la médecine d’aujourd’hui ? Elle ne compte plus ses succès, les médecins lui confient leurs malades en nombre sans cesse croissant. Elle a depuis longtemps perdu cette auréole inquiétante de nouveauté équivoque. Le corps des psychanalystes s’est solidement constitué. Pourquoi ce déchaînement de passions ?
Il semblerait a priori naturel qu’en psychanalyse les choses aillent du train où elle vont dans les sciences médicales. L’unanimité comme en toutes matières y est fort rare. Diverses théories s’y partagent l’opinion. Souvent elles divergent, parfois elles sont contradictoires. Le jugement dépend de la sanction des faits, ou est suspendu dans leur expectative. C’est l’épreuve du traitement, de l’évolution, de l’examen de laboratoire. C’est l’attente du recul statistique suffisant. Et l’on voit mal pourquoi, alors qu’en psychanalyse aussi, l’on guérit ou l’on échoue, la même discipline ne règne pas dans le débat.
Mais à y regarder de plus près, l’on s’aperçoit rapidement qu’en médecine également des controverses s’élèvent au terme desquelles des interdits sont prononcés, et l’histoire de la médecine dans son passé récent nous montre à l’aube de l’ère pastorienne à quelle extrémité les hommes de science se sont trouvés portés. Cet exemple est du reste caractéristique. Car il est en ces occasions un facteur qui constamment se retrouve. Dans l’occurrence « une forte personnalité » autour de laquelle, pour ou contre, se déchaînent les passions.
C’est précisément la situation que nous trouvons en psychanalyse. Car lorsqu’il est dit d’un psychanalyste qu’il est orthodoxe, le sous-entendu est orthodoxe freudien.
Il n’y a qu’à voir la fortune diverse des termes « classique » et « orthodoxe » en psychanalyse. Si la plupart des auteurs semblent avoir à juste titre, quelque vergogne à utiliser la notion de classicisme par rapport à un exercice assez récent et assez divers, il n’en est guère qui se sentent embarrassés pour juger la plus ou moins grande orthodoxie des cures, des écrits, des personnes. Car ils jugent par rapport à l’œuvre de Freud. Telle qu’ils la comprennent à travers leur propre recherche ou plus souvent l’enseignement qu’ils en ont reçu. Il y aura donc des chapelles, voire une église. Si l’on défiait l’appartenance à une orthodoxie dans le domaine dont il est ici question, comme étant l’adoption dans sa totalité d’une doctrine promulguée d’une façon originale par un homme, il découle de l’application de cette notion qu’il y a dans ce domaine même des hérésies.
Est-ce le cas ? L’orthodoxie, allant de pair avec l’intangibilité de la doctrine, laquelle garantit sa valeur, l’hérésie ne saurait être assimilée à une simple différence ou à un vice mineur. Elle sera au contraire la doctrine pervertie. Donc totalement perdue. Cela peut-il être, sinon objectivement du moins vraiment ? Et, dans ce cas, par rapport à quelle vérité ?
Avant de tenter de donner à ces questions leur réponse, si tant est qu’elle puisse être donnée sans réserve, il convient au préalable de tourner son regard vers ce qui en fait se passe dans le sein de la population psychanalytique.
Là du moins peut-on espérer trouver quelque lumière et des données plus simples à apprécier. En effet, après que les œufs de cane aient été rejetés ou soient eux-mêmes tombés hors du nid du vivant même de Freud, on peut considérer que les psychanalystes freudiens sont depuis lors « restés entre eux ». La stabilité de leurs institutions dont le développement et la complication vont en croissant pourrait en faire foi.
Or le protocole des débats auprès des instances qui légifèrent et l’expérience quotidienne montrent l’évidence des plus graves dissensions dont le bruit franchit même les murs vainement érigés autour du lieu des débats. Certains de leurs échos en France même sont encore dans beaucoup d’oreilles. Et si l’on se reporte à l’histoire même du mouvement psychanalytique l’on s’aperçoit qu’en dehors des grands schismes il en fut toujours ainsi. A cette différence près que, de son vivant, le recours à l’initiateur en personne était possible. Et la présence ou l’absence de ce dernier confère tout son sens à la situation.
Car en effet le problème de l’orthodoxie freudienne n’est à proprement parler apparu qu’au lendemain de la mort de Freud. De son vivant c’est bien plutôt d’obédience freudienne qu’il convenait de parler. Pour que le nom de Freud soit invoqué comme il l’est présentement, il fallait que d’abord Freud meure. En son nom aujourd’hui des interdits sont jetés, des anathèmes prononcés, des révocations décidées. En son nom des enseignements sont déclarés néfastes, des maîtres déclarés sans foi ni loi. Lorsque les circonstances s’y prêtent, privés de leur habilitation d’exercer la psychanalyse. Là encore, se marque la différence irréductible qui sépare cette discipline, des disciplines médicales.
Car si en médecine des praticiens peuvent être suspendus, c’est en général pour des manquements à la discipline au sens restreint du terme, et non à une orthodoxie.
Pour comprendre cet état de choses, c’est à l’histoire du mouvement qu’il faut se reporter. Il ne saurait ici être question de l’envisager dans son ensemble. Une seule de ses facettes est ici à considérer.
Freud, et lui seul, est l’invention de la psychanalyse. Il est seul à l’avoir menée au point de son développement que nous lui connaissons aujourd’hui et il demeure seul responsable de la totalité de sa démarche. D’autres auteurs ont suffisamment mis l’accent sur le caractère radicalement novateur de son invention pour qu’il soit nécessaire ici d’y revenir. Qu’il suffise de dire que si sa théorie plonge ses racines dans la science de son temps, elle s’en différencie autant que la fleur du bulbe dont elle est issue et que sa portée révolutionnaire en fit une des aventures les plus totales et les plus authentiques de l’esprit humain.
Considéré de l’extérieur, son développement apparaît sinueux. La ligne inflexible de son progrès n’apparaît qu’à l’étude de l’œuvre de Freud. Elle vit le jour dans un climat hostile. Elle fit contre elle l’unanimité. Il fallait une volonté de fer et une obstination sans pareille pour persévérer. Il fallait certes du courage, beaucoup de confiance et de dévouement à Freud en personne pour être de ses disciples. Le résultat fût d’un genre qui rend plausible sa comparaison avec un « commando ».
Et l’on sait que Freud ne fut pas lui-même sans céder quelque peu, pour un temps, à l’attrait quasi-romanesque de cette épopée. Si le rêve d’une confrérie unie par un pacte secret ne pouvait qu’être déçu, l’on peut cependant noter au passage que dans l’esprit de Freud qui le conçut, ce n’était pas un jeu d’enfant. Il en avait du reste bien passé l’âge. C’est dire que dans cette épopée que fut l’analyse, les choses ne sont jamais allées sans passion.
L’histoire de l’analyse montre précisément que sa substance fut d’une part faite de l’élaboration de la doctrine freudienne, d’autre part du cours plus ou moins tourmenté de l’adhésion des élèves à l’œuvre du maître. Ce dernier, de son vivant, encore avait par rapport à l’agora adopté une attitude légèrement en retrait. Et l’on ne peut se défendre de l’impression que si Freud se sentait le gardien de son invention, il estimait inévitable qu’autour d’elle des luttes se déchaînent dans une relative incompréhension de son œuvre. L’on ne peut dire que le génie de Freud apparaisse jamais totalement dévoilé. Le sentiment demeure qu’il n’a pas dit « son dernier mot ».
Ceci était bien propre à entretenir sa suite dans une relative incertitude, propre à engendrer toutes les interprétations. C’est ainsi que l’on voit les doyens du mouvement fonder sur leur connaissance personnelle passée du maître de Vienne, des prises de position parfois très divergentes.
La situation se trouve compliquée par surcroît du fait que 1’œuvre écrite est entre toutes paradoxale. Et comme telle se prêtant admirablement à l’exégèse. Pour les uns, elle est d’une clarté limpide et ses fragments à la limite impénétrables, à écarter pour n’en pas compromettre la simplicité et le côté opérationnel. Pour d’autres plus prudents ou plus respectueux, c’est dans ce paradoxe que réside son unité même, de laquelle rien ne saurait être amputé sous peine de ruiner tout l’édifice.
Dans les fragments les plus difficiles, spéculatifs dit-on parfois de manière péjorative, ils voient la clef de voûte de tout l’ouvrage. Le méconnaître résilie radicalement tout titre à y entendre quoi que ce soit. Et rappelons que sur le problème cardinal dit du dualisme instinctif, les avis restent totalement divisés.
Aucun faisceau de circonstances ne semble a priori plus impropre à fournir des bases aux jugements radicaux sur l’orientation doctrinale des psychanalystes. Or c’est le contraire qui semble manifeste.
Ce n’est qu’en essayant de comprendre la situation par le biais même de la méthode analytique, que l’on parvient à se rapprocher de son explication.
Par rapport à la psychanalyse Freud a occupé et occupe une place que personne n’a songé ou ne songe à lui contester. Posons cet élément du problème comme donnée initiale et supposons pour l’instant, et par commodité, que rien ne soit depuis venu amender cette proposition. Dès lors tout appel à l’arbitrage freudien était du temps de son vivant, une référence à un dire possible, à un non-encore dit, de Freud. Depuis sa mort l’invocation de son nom se réfère à quelque chose qui, du moment où il ne l’a pas dit est son dire possible, qu’il ne dira jamais. Ainsi l’on peut lui faire dire n’importe quoi. L’on se trouve, toutes proportions gardées, dans quelque chose qui n’est pas très différent du surmoi freudien précisément. Qui justement, et c’est sa destination même, ne dit rien. Et à ceux qui font jouer l’absence réelle de Freud dans la conjoncture de cette manière, l’on peut dire que bien des éléments dans la doctrine de Freud ne disent plus grand’chose.
Est-il possible de porter un jugement sur cet état des choses ? Était-ce évitable ? Peut-être. Mais l’on ne voit guère comment on aurait pu l’éviter.
Irréductible à quelque discipline médicale existante, la psychanalyse est pétrie d’une philosophie qui se donne malaisément.
Hors d’elle, la psychanalyse reste inapprochable et incompréhensible. Étant cependant une médecine, elle figure aussi, au registre des sciences qui jusqu’à hier et parfois aujourd’hui faisaient, pourrait-on dire profession d’afficher ouvertement leur éloignement de toute philosophie. Et c’est dans les rangs des médecins que la psychanalyse a recruté la plupart de ses adeptes. De plus l’envergure de son promoteur semble dépasser tellement celle de ses élèves et la portée de son message, la compréhension de ceux qui lui ont succédé, que l’on ne peut s’étonner ni du pessimisme avoué de Freud quant à la valeur de l’effectif humain du mouvement, ni du fait que c’est toujours à son œuvre que les psychanalystes doivent faire retour, œuvre qui du reste n’a certainement pas encore dévoilé toutes ses richesses. Enfin son style même, bien que d’une magistrale clarté formelle, est modulé par la cadence spéciale de l’enseignement freudien qui réduit à néant tout espoir de facilité qu’un optimisme irréfléchi pourrait concevoir à une lecture superficielle. Remettant sans cesse en mouvement les éléments au fur et à mesure de leur acquisition, elle maintient le tout dans un frémissement vivant et continu, bien peu fait pour donner à l’esprit des assises tranquilles ou confortables. Une paraphrase dantesque pourrait véritablement imiter ceux qui se proposent l’étude de la psychanalyse, à déposer sur son seuil toute nostalgie de confort.
Il est certain que cette situation a sécrété son remède, tant sur le plan de la valeur surmoïque de Freud, qu’au niveau de l’inconfortable philosophie de son enseignement. La question serait plutôt de savoir si le remède n’est pas pire que le mal. Il n’est que trop clair que la complication n’existe que dans la mesure où l’on accepte d’en prendre son parti. Aussi certains courants modernes ont-ils décidé de simplifier, au point de créer une psychanalyse que l’on pourrait dire aérodynamique. Quant à l’autorité de Freud, elle s’est trouvée en fait rejetée sur les points litigieux, bien qu’apparemment sauvegardée quant au reste. L’invocation de Freud devient alors purement formelle et équivalente à ce que les anglo-saxons appellent « lip-service ». La bouche prononce des paroles que la tête ne pense pas. Sous forme de rajouture ou d’amputation, se forme ainsi une doctrine néo-freudienne. Toutes apparences étant sauvegardées, elle se réclamera d’une stricte orthodoxie freudienne. Cette néo-formation doctrinale est en psychanalyse un surgissement caractéristique de notre époque.
Est-ce à dire pour autant, à la lumière de ce bilan que la notion même d’orthodoxie en psychanalyse soit à rejeter en bloc, tel un fardeau importun aux néfastes conséquences ? Certes non. Freud, de son vivant avait déjà été témoin des suites, malheureuses parfois, qu’entraînaient l’expansion de la psychanalyse et l’organisation de ses institutions. Il s’y est opposé avec colère souvent, mais finalement avec une certaine noblesse, comme si un désintérêt subit l’avait frappé à l’endroit de la créature dont son esprit avait accouché. Ni l’âge ni la maladie vers la fin de ses jours n’expliquent cette attitude de la part d’un homme resté jusqu’à la fin aussi fécond. Il semblerait plutôt qu’il se soit agi en l’occurrence d’une certaine résignation à ne pas pouvoir influer sur ce qui, dès lors que c’était révélé, échappait à son pouvoir. Et peut-être cette sévérité des passions surgies est-elle à tout prendre un moindre mal garantissant l’œuvre contre une dilution complète, déjà entreprise du reste de son vivant, contre l’abandon de toute discipline théorique ou technique et répercutant dans ses conflits mêmes, les conflits psychiques de l’étude desquels elle est née.
Si donc, il est difficile de dire qui détient cette orthodoxie, où elle est et où elle n’est pas (nous excluons naturellement les élaborations d’où la doctrine freudienne est quant à l’essentiel évacuée), il est possible d’affirmer qu’elle est nécessairement quelque part et que c’est même dans cet affrontement des contradictions qu’elle est peut-être réellement.
De la difficulté à la définir, peut-être est-il possible d’extraire ce qu’elle n’est pas, à coup sûr. En aucun cas cette orthodoxie freudienne ne peut être réduite à son côté formel. Ni sur le plan théorique ni sur le plan technique.
L’enseignement de Freud avait des points de référence extra-analytique d’une part, analytiques de l’autre. Or il ne faut pas oublier que si les premiers sont marqués de l’empreinte de son temps, les seconds se rapportent à une science en devenir, non révélée entièrement et comme telle en mouvement constant.
Aujourd’hui les références extra-analytiques ne peuvent que se ressentir du point actuel de l’évolution des sciences et de la pensée contemporaine. La permanence et l’exclusivité des références internes au domaine de la psychanalyse stricto sensée, ne peut être un gage de solidité doctrinale, car il s’agit alors d’un mouvement en circuit fermé. La psychanalyse étant prise comme doctrine achevée. Rien n’est plus contraire à la démarche de Freud et à l’ébranlement continu auquel tout y est soumis. Ce freudisme quiet ne ferait que tirer de la non-définition de ses prémisses, le fruit de sa tranquillité.
L’orthodoxie freudienne ne peut guère davantage se réduire à une standardisation du procédé technique. De cela Freud avait suffisamment averti. Si dans l’ensemble l’on constate empiriquement une certaine ressemblance de surface dans le procédé, d’un point à l’autre du globe, cela tient à la nature propre du dialogue. Il reste que chacun y prend part à sa façon. Et les enquêtes plus ou moins adroites qui ont percé le mur d’une considérable réticence chez les interrogés, font apparaître de vastes divergences. Ce n’est pas le style du divan ou la couleur du fauteuil qui pourront servir de repère. Ni rien de ce que des esprits vétilleux, se seront un jour complus dans ce domaine à codifier pour se soustraire le lendemain aux exigences même de leur codification.
Il semble au contraire, qu’au lieu de regarder par le gros bout de la lorgnette, qu’au lieu de tenter de poser comme étalon une analyse type et ses constituants, il faille procéder dans l’ordre inverse. Et prendre comme indication de l’orthodoxie freudienne, ce qui chez Freud se laisse le moins facilement définir, circonscrire, étiqueter, cataloguer. Son souffle, dans toute son amplitude. En un mot son style. Riche, serré jusqu’à en être touffu certes mais aéré, ouvert. D’abord couper les barbelés. Après le grand angulaire, le téléobjectif, mais après seulement. Pour s’apercevoir dans le cœur de la mise au point que suivre Freud garantit la psychanalyse contre tous les traquenards où l’on s’acharne à la faire tomber.
Et tout d’abord celui de lui faire transgresser ses limites, tout en l’empêchant de bien exploiter l’aire qu’elles délimitent. L’analyse n’est pas un système du monde et elle n’en donne pas l’explication, pas plus qu’elle ne lui permet un avenir meilleur. Elle n’est pas une thérapeutique sociale. Elle n’est pas un exercice d’adaptation. L’on ne peut rien en elle trouver pour alimenter un certain optimisme sans vergogne où les psychanalystes trouveraient un alibi, ou l’excuse de leur ségrégation.
Elle n’est rien d’autre qu’une méditation ardue et sans cesse remise en question sur le discours des sujets. Une oreille ouverte aux paroles qu’ils adressent au delà du fauteuil à quelqu’un qui n’est pas là. Discours dans lequel et absence par laquelle les paroles des sujets particuliers, retrouvent leur insertion dans le discours universel. C’est là, le seul ressort de la cure. Qu’elle ne puisse pas tout guérir, Freud nous en avait lui-même averti.
Dr Vladimir Granoff
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