Georges Sand. Le délire hallucinatoire. Extrait de la « Revue de psychiatrie et de psychologie expérimentale », (Paris), 4ème série, 2ème année, tome IX, 1905, pp. 476-477.
George Sand est le pseudonyme d’Amandine Aurore Lucile Dupin, baronne Dudevant (1804-1876). Écrivaine, dramaturge, romancière bien connue.
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LE DÉLIRE HALLUCINATOIRE D’APRÈS GEORGE SAND (1)
La fièvre amène dans le cerveau de chaque individu une illusion plus ou moins pénible. Les uns s’imaginent que l’angle formé par les murailles de l’appartement se rapproche d’eux, en se [p. 477] rétrécissant, jusqu’à leur presser et leur écraser la tête. Ils sentent peu à peu l’angle se desserrer, s’élargir, les laisser libres, retourner à sa place, pour revenir encore, se resserrer de nouveau, et recommencer continuellement la même alternative de gêne et de soulagement. D’autres prennent leur lit pour une vague qui les soulève, les porte jusqu’au baldaquin, et les laisse retomber, pour se soulever encore et les balloter obstinément. Le narrateur de cette véridique histoire subit la fièvre sous la forme bizarre d’une grosse ombre noire qu’il voit se dessiner horizontalement sur une surface brillante au milieu de laquelle il se trouve placé. Cette tache d’ombre, nageant sur le sol imaginaire, est dans un continuel mouvement de contraction et de dilatation. Elle s’élargit jusqu’à couvrir entièrement la surface brillante, et tout aussitôt elle diminue, se resserre, et arrive à n’être plus qu’une ligne déliée comme un fil, après quoi elle s’étend de nouveau pour se développer et s’atténuer sans cesse. Cette vision n’aurait rien de désagréable pour le rêveur, si, par une sensation maladive assez difficile à faire comprendre, il ne s’imaginait être lui-même ce reflet obscur d’un objet inconnu flottant sans repos sur une arène embrasée par les feux d’un soleil invisible : à tel point que lorsque l’ombre imaginaire se contracte, il lui semble que son être s’amoindrit et s’allonge jusqu’à devenir l’ombre d’un cheveu, tandis que, lorsqu’elle se dilate, il sent sa substance se dilater également jusqu’à figurer l’ombre d’une montagne enveloppant une vallée. Mais il n’y a rien dans le rêve, ni montagne ni vallée ; il n’y a rien que le reflet d’un corps opaque faisant sur un reflet de soleil le même exercice que la prunelle noire du chat dans son iris transparente ; et cette hallucination, qui n’est point accompagnée de sommeil devient une angoisse des plus étranges.
Nous pourrions citer une personne qui, dans la fièvre, voit tomber le plafond à chaque instant ; une autre qui se croit devenue un globe flottant dans l’espace ; une troisième qui prend la ruelle de son lit pour un précipice, et qui croit toujours tomber à gauche, tandis qu’une quatrième se sent toujours entraînée à droite.
Mais chaque lecteur pourrait fournir ses observations et les phénomènes de sa propre expérience, ce qui n’avancerait point la question, et n’expliquerait pas plus que nous ne pouvons le faire, pourquoi chaque individu durant toute sa vie, ou tout au moins durant une longue série d’années, retombe, la nuit, dans un certain rêve qui est le sien et non celui d’un autre, et subit, à chaque accès de fièvre, une certaine hallucination qui lui présente toujours les mêmes caractères et le même genre d’angoisses. Cette auestion est du ressort de la physiologie, et nous pensons que le médecin y trouverait peut-être quelques indications, je ne dis pas sur le siège du mal patent, lequel se révèle par d’autres symptômes non moins évidents, mais sur celui d’un mal latent, provenant, chez le malade, du côté faible de son organisation, et qu’il est dangereux de provoquer par certains réactifs.
Note
(2) La Comtesse de Rudolfstadt, 1845 ; T. 1, p. 252. Charpentier Ed.
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