Georges Dubal. L’expression du désir dans les rêves d’angoisse. Extrait de la revue« Schweizerische zeitschrift für Psychologie », (Genève), n°2, Bd. – VII, 1948, pp. 101-117.
Georges Dubal (1909-1993). Psychanalyste et docteur en théologie suisse. Parmi ses très nombreuses publications nous avons retenu :
— Le problème de la connaissance et la psychanalyse (1946)
— Document sur le langage (1966)
— La structure de groupe dévoilée par la psychanalyse (1968)
— Le cheminement vers la pensée scientifique (1968)
— Le grand sorcier – dernier refuge du monde africain (1971-1972)
— Acupuncture et Astrologie – Analyse du Ça et mode de penser para-noïaque (1973)
— Procès ecclésiastique d’une jeune sorcière au XXème (1977)
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images, ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
[p. 101]
L’expression du désir
dans les rêves d’angoisse.
Par G. Dubal, Genève.
La formule philosophique de Spinoza : « Le désir est l’essence même de l’homme » (Éthique lib. Ill/)I) a trouvé son application pratique dans l’interprétation des rêves telle que Freud l’a réalisée dans son ouvrage : « La science des rêves », paru en 1900.
Depuis une cinquantaine d’années, les adversaires de la psychanalyse se sont attaqués au soi-disant pansexualisme du système et, en particulier, au rôle joué dans les rêves par le principe du plaisir. Il est vrai que, sur ce point, l’orientation de la pensée analytique semble difficile à suivre dans les rêves d’angoisse et les cauchemars. Pourtant, si nous tenons compte de cette donnée dans notre interprétation, nous comprendrons facilement certains rêves pour lesquels il est souvent difficile d’obtenir des associations libérées des résistances.
Reprenons à ce propos les idées exprimées dans « La science des rêves » : « Le désir, unique ressort du rêve », « n’est pas synonyme de plaisir », car il peut être en contradiction avec différents désirs qui ne s’accordent pas entre eux. « Une partie d’un symptôme correspond à la satisfaction inconsciente d’un désir, une autre à la réaction contre celle-ci ». Autrement dit, « le rêve est un compromis ; il est au service de deux systèmes —inconscient et préconscient —et accomplit leurs désirs dans la mesure où ils s’accordent » (pages 560, 569).
Actuellement, nous précisons en parlant d’un conflit entre les tendances instinctives du Ça (Es) et le Surmoi. Le Moi en est l’arbitre —juge et partie —car il est mis en question dans la solution qu’il apporte au problème.
Nous savons que derrière tout dégoût se cache un goût jugé coupable par la morale inconsciente. Ainsi, une femme plutôt réservée, tout émue d’avoir rencontré un exhibitionniste, fit ce joli lapsus en voulant me faire part de son dégoût : « ça m’a fait une sale envie. » Une crainte, une phobie sont, comme tout symptôme, un compromis entre le désir qu’elle exprime et son interdiction. Si l’on est dans l’obligation de surmonter une phobie : passer un pont, toucher un objet répugnant ou prendre conscience d’une attitude agressive manifestant un désir insatisfait, il en résulte de l’angoisse. Cette réactivation du conflit nous ramène au moment où le compromis, le symptôme n’est pas encore trouvé. [p. 102]
Le symptôme représenté par le rêve fait penser à cette institutrice en vacances qui, voulant se préserver des voleurs ou de l’homme dangereux, fait installer une double serrure à la porte de son petit chalet et laisse les volets grands ouverts pour avoir la chance de recevoir une visite nocturne. Malgré ses fortes défenses morales, son désir trouve quand même le moyen de s’exprimer : De la main droite, elle ferme bien la porte et, de la gauche, elle ouvre bien ses volets. Si elle était empêchée d’ouvrir ses volets ou de fermer la porte, son désir affectif ou son désir moral ne trouveraient pas d’expression ; elle ferait une crise d’angoisse. « Le rêve aussi peut échouer », lorsqu’on ne trouve plus de compromis, autrement dit, quand la Libido ne peut plus investir une tendance ; c’est alors l’angoisse du cauchemar. Ainsi, nous comprenons qu’un phénomène psychique qui provoque l’angoisse puisse être cependant l’accomplissement d’un désir » (p. 570). Le cauchemar n’est donc plus un « témoin à charge contre la théorie du désir » puisqu’il manifeste une défense trop forte contre un désir trop fort. Le rêve ne pouvant plus se continuer, on se réveille. Pour une fois, la réalité nous paraît plus avantageuse que notre situation nocturne.
La tradition populaire rattache justement le cauchemar au thème de la puissance dangereuse de la mère sur ses enfants. Dans les langues indo-européennes, « cauche » se rattache à cheval et « mar » à mère = le chevauchement par la mère. La racine « Mar » a donné : cheval, mère, marâtre et mort. Chez les Primitifs, la mère des épouvantements est aussi représentée par la mère possessive et phallique. La Mara, la sorcière slave étouffe ses victimes en les chevauchant. Shakespeare a bien vu de quoi il s’agissait dans ces vers :
« C’est la sorcière qui presse les jeunes filles
Qui reposent sur le dos et leur enseigne
A supporter un jour comme épouse les hommes. »
Dans son tableau « La Nuit », Hodler a placé une femme voilée de noir entre les jambes d’un homme terrifié, au milieu de dormeurs gardés dans leur sommeil par leurs rêves.
Hoder – La nuit.
La fonction du sommeil est elle-même sous la dépendance d’un désir narciste profond. Cette régression permise est souvent accompagnée d’une position fœtale qui facilite le retour au Nirvâna. La plongée dans la mer de sommeil et la remontée est bien décrite par Victor Hugo : « Le sommeil est une immersion ; l’esprit tombe au fond du sommeil comme le corps au fond de l’eau. Par degré, les couches du sommeil s’amincissent, le sommeil peu à peu devient diaphane, c’est l’esprit qui remonte. Le réveil, c’est le [p. 103] retour à la surface» {Océan 273). Lorsque nous résistons à la volupté du désistement, nous sommes surpris par une chute désirée et crainte à la fois. Parfois l’insomnie nous tient sur nos gardes par crainte d’être découvert dans nos désirs inconscients. Pour les mêmes raisons, certaines personnes ont de la peine à s’endormir à l’éther lors d’une opération.
L’emprise de la mère est toujours manifeste ou latente dans l’angoisse, car c’est elle qui règne sur le paradis perdu de la petite enfance. La nécessité de s’en libérer est d’abord ressentie comme une malédiction ou la crainte de perdre son amour. « Le désir formateur du rêve » (564/587) (ou l’ensemble des excitations hormoniques formant la Libido) s’exprime d’abord par un besoin narciste de régression vers la mère, mais la recherche du plaisir peut aussi se déplacer sur l’adaptation à la vie adulte. Quoi qu’il en soit, le désir se tire toujours d’affaire pour investir le Ça, le Moi ou le Surmoi, ou encore les trois à la fois.
Nous analyserons maintenant quelques rêves en gardant la lourde spontanéité des récits. Nous commencerons par le thème nettement explicite du choix entre « la mère : la mort, ou la vie ».
L’emprise de la mère.
Une française ayant sacrifié sa vie à sa mère, plus par hostilité que par don d’amour, fait le cauchemar suivant :
Elle entend dire : Rome abdique. Trahison. Encore un coup de couteau à la France., Elle donne ces associations : « La vie m’a trahie. Ma mère m’oppresse. Maman me dit tous les jours qu’il faut mourir. Elle aimerait que je parte avec elle. Je ne sais pas si je veux vivre ou mourir. Je me dis : allons, mourrons… mais non, je veux vivre. »
Les sentiments suggérés par le rêve montrent. bien le désir d’abandonner la partie et de se réfugier comme une enfant dans le sommeil de la mort, et le désir de vivre engageant le Moi à se révolter contre la trahison de la mère. Une autre fois, elle fait ce rêve :
« J’étais obligée de me suicider. C’était au bureau. Comme je ne voulais pas que quelqu’un soit responsable, j’ai écrit : Tout est en règle. Maintenant que je ne veux plus le faire, quelqu’un me pousse. »
Quelle est cette force qui la pousse ? C’est son désir qui a pris une forme agressive. N’osant pas en vouloir à sa mère, son agressivité lui retombe dessus. Derrière tout suicide, on retrouve facilement des désirs parricides ou équivalents.
Un claustrophobe raconte un rêve à répétition :
« Je suis toujours chez quelqu’un où la pièce est trop petite, elle paraît se resserrer. Quand je me réveille, j’ai un brouillard d’angoisse. »
Il se rappelle qu’enfant, il dormait dans une alcôve. Quand il dort chez sa mère, il a toujours peur de ne pouvoir s’échapper, car [p. 104] il n’y a qu’une petite lucarne. Il est pris alors entre deux désirs contradictoire : être toujours dans l’alcôve de son enfance ou sortir de cet étouffoir.
Voici le premier rêve que m’apporte un homosexuel : « Nous étions, ma mère et moi, sur un rocher à pic. Ma mère me dit : Tu vois, c’est comme ça qu’on descend. Elle s’est assise. J’ai senti une sensation dans mes pieds, j’avais les jambes coupées. » Il réagit à ce rêve suivant la pensée magique et primitive, l’interprétant spontanément dans un sens de désir : « Ce matin, je me suis dit : tiens, ma mère va avoir un accident. A force que mon esprit converge dans cette pensée (remarquez le choix de l’expression pour cette chute incestueuse), à un moment d’inattention, ma mère risque de faire une chute qui lui soit mortelle. »
Ce rêve exprime bien son sentiment d’être paralysé par sa mère qui lui coupe les jambes avec ses exigences affectives, et son désir d’en être libéré.
Voici un autre rêve très court, mais qui en dit long sur son désir de considérer sa mère comme jeune fille : « Je me débattais, dit-il, avec le nom de ma mère, me demandant quel nom elle portait, si c’était son nom de jeune fille ou de femme mariée. »
Une femme ayant une légère tendance homosexuelle inconsciente me dit :
« J’étais dans la rue avec une femme grosse, répugnante et vulgaire et j’étais un homme. Je me disais : si je ne cède pas à cette femme, je serai tuée. J’essayais de surmonter ma répugnance, mais je n’arrivais pas. Dans un couloir, nous arrivons devant une porte tournante. Je la laisse entrer et, au moment où la porte s’ouvre, elle se retrouve devant moi. Je lui tourne le dos. A la sortie, nouvelle porte tournante. Il y a deux hommes, ça y est, ce sont eux qui vont me tuer ! Non ! Dans une rue, je tourne à gauche. De nouveau les deux hommes sont devant moi. L’un me demande : vous avez du feu ? A ce moment, il me tue. »
Sans entrer dans les détails, nous constatons que cette femme dégoûtée de la féminité, grâce à la mauvaise éducation infligée par sa mère, essaye de surmonter son dégoût en se mettant dans la peau d’un homme. Elle est poursuivie par son père et son mari qui lui demandent du feu, mais elle en a peur, bien qu’elle en meurt d’envie. Nous devinons que ce dernier ne lui en donne pas et ne lui en demande pas.
Abordons aussi la question de la puissance paternelle.
L’emprise du père
« J’étais dans mon lit, dit une jeune femme —la préférée de son père —et quelqu’un me serrait le poignet très fort. Je hurlais en appelant maman et me libérais de cette emprise en me réveillant. » Mon père, explique-t-elle, avait l’habitude de me serrer le poignet tellement fort et d’une manière tellement crispée ! Dans n’importe quelle situation, j’ai ce sentiment d’oppression. Je ne supporte pas d’être bloquée, pas même par mon duvet ou les montagnes trop proches. »
Cette femme est paralysée par la crainte de perdre l’amour du père. Par culpabilité, elle imagine cette scène brutale, mais le sadisme paternel n’étant quand même pas la forme d’amour qu’elle cherche, elle se réveille en appelant sa mère au secours. [p. 105]
En rentrant du bureau, où elle avait eu une vive discussion sur les origines de l’homme, elle me dit : « Si vous me dites aussi que l’homme descend du singe, je vais me jeter au lac ! » En demandant tout ce qu’éveillait en elle la représentation du singe, elle découvrit l’aspect animal de son père dont elle ne voulait pas être la descendante, mais bien plutôt la compagne. On voit ainsi ce que cache le refus de ses origines. Chez l’homme, ce peut être le désir d’avoir la mère tout à lui.
Une femme peintre se lève au milieu de la nuit avec des battements de cœur.
Elle vient de rêver qu’elle était couchée dans une salle à manger, se coupant du pain pour satisfaire sa faim. Dans la chambre, il y a un autre lit, et quelqu’un vient pour l’attraper : c’est son père. D’après les associations, nous verrons ses difficultés à surmonter la crainte de l’inceste. « Je suis incapable de mettre deux couleurs ensemble. » Nous traduisons : Je suis incapable d’admettre les rapports du père et de la mère, de l’homme et de la femme. » « J’ai peint le soleil, c’est épatant, c’est bien fait, c’est un soleil à la Van Gogh, donc je suis folle. »
En effet, peindre le soleil est une manifestation infantile ou psychopathique. Elle essaye, comme dans son rêve, de regarder son père en face. Elle a si faim d’amour qu’elle coupe un morceau de pain la nuit ; elle se couperait même une oreille pour renoncer à ses prétations [sic] viriles : Demain, je veux envoyer mon oreille coupée ; si j’en suis capable, alors je suis folle. » Ayant fait une crise de jalousie au café, elle se voit entourée d’un cercle noir et croit s’évanouir en voulant crier : « Je suis folle. » Elle s’est rendu compte que, pour échapper à la folie et sortir du cercle de la sorcière, elle devait non pas se mutiler, mais renoncer à sa culpabilité à l’égard de sa mère rivale.
Peu de temps avant la mort de son père, un homme rêve que quelqu’un vient frapper à sa porte pour annoncer la mort de son père. Deux fois il se réveille et va ouvrir. Ses anciens désirs de voir son rival disparaître, longtemps maintenus refoulés par culpabilité, se font sentir d’une façon plus impérieuse et lui font craindre ce qu’il désire inconsciemment —et aussi consciemment, puisqu’humainement ce sera une délivrance.
Toutes tensions entre les tendances instinctives et la morale inconsciente cherchent à se détendre dans un compromis qui rassurera le Moi. Ce désir d’être rassuré, qui est la hase affective de la pensée scientifique comme de la pensée magique, pousse le Primitif et l’enfant à jouer au lion ou au loup-garou pour vaincre sa peur.
Une fillette de sept ans raconte qu’ayant peur d’un loup dans son rêve, elle lui dit : « Viens me manger. — Pourquoi ? lui demande-t-on. — Pour ne plus avoir peur… je n’entends plus rien… il ne vient pas. »
Cette assimilation par l’objet angoissant (identification) supprime toute distance, si bien qu’il n’a plus besoin de venir, le désir défendu est réalisé. C’est comme si l’enfant se blotissait contre son père pour surmonter les craintes qui s’attachent à son désir. [p. 106]
Cette fuite au-devant du danger est caractéristique du refuge dans la maladie ou de l’altitude masochiste.
La fuite dans la maladie
Un jeune homme ayant peur de la vie nous fait part de son appréhension :
« Je rêve que je tombe au fond de l’eau. Il y a des algues. Je me laisse aller. —Est-ce que je me suiciderai ?
La conclusion donnée à son désir de fuite devant la réalité, pour se laisser couler au sein de la mère qui l’attire à elle, montre bien que son agressivité n’ose pas se manifester à l’extérieur, mais seulement contre lui-même. Bien qu’étant solidement bâti, il n’a pas la force de vivre, car son Moi est trop faible.
Un homme se sachant bientôt orphelin rêve qu’il est en manœuvres dans un pays de montagnes :
« C’était l’hiver. Je ne me rappelle plus le village où était mon unité. J’ai marché… Je suis tombé dans la neige. Je me représentais les copains de service qui me trouveraient mort. Ils me plaindraient. » ll se rappelle un livre lu il y a une trentaine d’années. Un trappeur tombé dans la neige essaye d’attraper son chien pour l’éventrer et mettre ses pieds au chaud. Il n’y parvient pas et se représente ses camarades le retrouvant gelé.
Là aussi, nous retrouvons ce besoin d’abandonner la lutte pour se replonger dans des amours infantiles. Il avait été incapable de former une unité avec sa femme, et son unité familiale allait se perdre par la mort des siens. Remarquons toutefois qu’ils n’est pas mort, dans son rêve, et qu’il cherche, pour surmonter son angoisse d’abandon, à forcer la pitié des autres.
Étant à l’hôpital avec beaucoup de fièvre, sans qu’il soit possible d’en déterminer la cause, un jeune officier m’écrit :
« Sitôt que la fièvre est descendue, j’ai commencé à rêver davantage, et voici ; ma mère et moi vendions des journaux, mais il y avait une telle entente entre nous que nous ne formions qu’une seule et même personne. »
Le service militaire étant insuffisant pour fuir les soucis que lui procure sa fiancée, il se plonge dans une maladie sans nom pour enfin rêver qu’il s’unit à sa mère sur un mode infantile. Même la vente de journaux lui semble préférable à la conquête psychique de son amie. Malgré les apparences, ce rêve indique une attitude conquérante, en face de la mère, ce qui lui permit de se détacher d’elle et de ne plus se servir de son image idéale pour critiquer son amie.
Voici un peu le même thème imaginé par un jeune homme ayant émis le vœu d’avoir « quelque chose » d’atteint (castration) pour entrer au sanatorium universitaire et légitimer ainsi ses sentiments d’infériorité. [p. 107]
« Je vais à Leysin avec une copine bulgare. J’y conduisait ma mère. Une paroi de verre nous séparait des tuberculeux. Les malades derrière l’écran sont les non-analysés. »
On voit que, malgré son désir de fuite dans la maladie, il a trop conscience de sa politique intérieure pour y succomber sans résistance. Ce sont les non-analysés qui peuvent se permettre ça. Trop fixé à sa mère, il sépare encore l’amour psychique de l’amour physique. Il a peur d’être pris entièrement par l’amour de sa fiancée. D’un côté il aimerait garder sa mère, l’amour psychique, et de l’autre la Bulgare, l’amour physique.
Le rêve se termine ainsi : « Je suis malade. Je vais au-devant de vaches. L’une veut me courir après. Je la vois dans l’impossibilité de me fuir. » Il se reprend et dit : Je suis dans l’impossibilité de m’enfuir, je suis poursuivi. Elle s’arrête, tombe sur ses jambes. Arrive une autre vache. Elle vient contre moi, me sourit, gambade, ne me veut pas de mal. » « La première, c’est ma mère qui me rend malade. J’ai pitié d’elle. »
Son Moi trouve toutefois la force de la faire tomber et cesser sa poursuite inconsciente. Quant à l’autre, qui n’est pas la Bulgare mais sa fiancée, il n’en a plus peur, c’est à dire qu’il veut l’aimer vraiment. Alors il guérira de ses sentiments d’infériorité.
Ceci nous amène à parler du thème relatif à
l’angoisse devant le mariage et l’amour.
Très fixée à son père, une jeune fille ne voulait pas se marier, estimant n’avoir pas le droit d’être heureuse alors que son père est malade. Elle pensait que ses insomnies l’empêcheraient de dormir ailleurs que dans son lit de jeune fille.
Ces deux rêves situent bien ses craintes :
« Je me promène avec des amies qui prennent un autre chemin que moi. Je les vois qui s’arrêtent intriguées par des plots rouges qui courent dans les prés. C’est l’Ogre. Nous nous sauvons à la maison. Partout nous voyons voler ces plots rouges. Les voisins ne risquent rien, ils ont fermé les volets ; mais chez nous, je n’ai que le temps de fermer les fenêtres et l’Ogre casse tous les carreaux. Devant moi se trouvent beaucoup de militaires. Je vois mes camarades suivre un autre chemin que moi et s’approcher des hommes représentés par ces plots rouges. »
Elle en a peur, parce qu’ils cachent l’Ogre ou son désir refoulé du père. Elle essaye toutefois de surmonter sa crainte-désir de viol en laissant chez elle les volets ouverts. Il n’y a que la vitre à casser. Dans cet effort pour accepter la réalité, elle n’a plus à faire à l’Ogre, mais à des soldats. La puissance de l’homme est encore multipliée, mais peut-être y en aura-t-il un parmi eux qui ne lui fera plus peur.
Le second rêve est plus direct : « Je suis dans un train. Il y a beaucoup de voyageurs inconnus. On s’arrête dans une ville étrangère. Chacun se baisse pour ramasser quelque chose. Je vois que ce sont des alliances. Moi je n’en trouve pas. Moi je pars faire un tour à pied, trouve un endroit qui me plaît, et voilà que je trouve aussi des alliances, mais elles sont trop grosses pour mon doigt. [p. 108]
Sa maigreur lui fait encore craindre Je mariage, mais en fait, elle a trouvé son alliance, elle va se marier.
Un étudiant ayant souvent rêvé qu’il perdait son attribut viril, comme Osiris, fait ce rêve après ses fiançailles :
« Je voyais un lézard dont la queue avait été enlevée et remise en place grâce à une alliance qui soudait les deux parties. »
Ce joli rêve illustrant un complexe de castration surmonté se passe de commentaires.
Après quelques séances d’analyse, une femme d’une quarantaine d’années comprend dans son rêve qu’elle doit s’affranchir moralement de la tyrannie de sa mère qui lui répète à chaque occasion : « Tu sais, ta place vide ici, à la maison, ça me met dans le cercueil ; jamais je n’accepterai que tu te sois mariée. »
« Je suis avec toute une bande en camping. Il manque du vin. Mon père qui n’en boit pas me dit : Va vite chercher une bouteille, ils ne peuvent pas manger sans cela. Ma mère, qui en boit, me dit cependant : on s’en passe. Je sens que c’est par crainte que je ne revienne pas. Je vais la chercher chez moi et je suis accueillie par les bras grands ouverts de mon mari. Qu’ils m’attendent, je n’apporte pas celle bouteille ! J’y suis, j’y reste, je ne repars plus en arrière. Cela se passait pendant que le mari était au service militaire. Elle avait donc moins besoin de se défendre contre l’homme et elle portait son agressivité contre sa mère. Une fois son mari revenu, ses difficulté, se précisent : J’ai rêvé qu’on avait volé mon sac. J’étais en ville avec mon mari et je m’aperçois que j’ai laissé mon sac au magasin, je vais pour le reprendre : —Oh ! il est à vous, dit la patronne, je ne veux pas vous le donner comme ça ; il faudra qu’on appelle un gendarme. —Je peux vous dire tout ce qu’il y avait dans mon sac. J’énumérais exactement en me disant : elle va me le rendre. Son mari intervint et vérifia, mais ils refusèrent de me rendre ce sac. Je voulais appeler moi-même le gendarme à mon secours, mais ne pouvais pas faire le numéro, j’étais impuissante. Je me réveillai, le cœur battant à deux heures du matin. La veille, la femme de son coiffeur s’était fait voler son sac. C’est ce qui lui avait suggéré la forme ou le contenu manifeste du rêve pour y placer le contenu latent de son propre problème. C’est ma mère et mon père qui veulent retenir mon sac, et j’appelle au secours le gendarme, mon mari. —A quoi vous fait penser le sac ? —A ma personnalité qui est encore liée ; c’est ma féminité, ce que j’ai de plus précieux. Mon mari loin, je croyais avoir fait du chemin ; je me rends compte, quand il est là, de l’attraction qu’exercent encore mes parents. »
Le mari se défend mal, aussi serait-il important qu’il accepte de se faire analyser dans un cas semblable.
Une adolescente, partagée entre son désir de rester enfant et ses désirs de femme, exprime ainsi son problème :
« J’étais en bateau avec un jeune homme que j’aime et qui n’a pas l’air de le savoir. C’était comme si je n’existais pas. » Elle continue en disant : « Je me laissais aller à ma solitude. » Ce refuge dans la crainte et la passivité cache évidemment un désir senti comme coupable d’être remarquée et aimée.
A la faveur d’un transfert, elle ose affronter la prise de conscience de ses sentiments et admet que l’homme soit plus fort que ses résistances. « Je me baigne dans une eau très pure. Viennent des Américains en uniforme. On a été à la maison, on a dansé. Ils sont revenus, pour m’arrêter. —L’un d’eux me menaçait avec un pistolet. Je n’ai pas eu peur. Je lui ai dit : —« Tue moi ! » —A qui vous faisait penser l’Américain ?—A vous. » Quelques jours après, elle se voit dans un beau jardin, cueillant des roses avec son ami. [p. 109]
En prenant conscience de ses désirs, elle devient plus libre pour les exprimer, les diriger ou y renoncer.
Si la censure morale est trop forte, l’angoisse peut prendre, comme cela arrive souvent chez l’enfant, une allure nettement érotique ou hystérique.
Une femme seule, souvent sollicitée bien qu’ayant dépassé la cinquantaine, arrive à la satisfaction de ses désirs malgré une forte pression morale :
« Je m’étais cassé une dent ; grande émotion. Une personne sonnait à la porte. En ouvrant, j’ai reconnu un homme âgé, venu une fois chez moi, et de la main, sans rien dire, je le repoussais. Nuit très angoissante se terminant par un orgasme difficile »
Sa dent contre l’homme étant cassée, ses résistances sont affaiblies. Elle- arrive encore à repousser l’homme, mais son émotion est plus forte.
Dans les rêves, la réalité angoissante est intégrée et remaniée par le Moi qui, malgré les défenses morales, cherche à affirmer les désirs vitaux.
Dans la première partie de son rêve, une femme, fiancée à un Américain qui ne lui écrit plus, se promène en sa compagnie ; il est très froid. Dans la seconde partie, les désirs ont vaincu tous les obstacles, il se montre très amoureux.
Comme dans la vie, le rêveur se décharge parfois de sa culpabilité ou de ses craintes sur autrui.
Une jeune fille ayant quelques scrupules, à l’égard de ses parents, à faire un voyage en Italie avec son fiancé, tourne ainsi la difficulté :
« Je suis prête à partir en Italie. Je vois mon fiancé en cage, il ne pouvait pas partir, ses parents le retenaient. » Ainsi l’amour-propre est sauf, et on ne peut pas l’accuser d’être une petite fille trop soumise à ses parents.
Une femme sans nouvelles de son mari qui l’a quittée sans autre forme de procès reçoit, une nuit à trois heures du matin, la visite d’un cousin éméché qui voulait se faire consoler.
Elle le renvoie et rêve qu’elle ne sait pas quel train prendre ; puis, qu’elle est en train de récurer en se disant : « Mon mari sera quand même content. » « Quelqu’un est venu derrière moi, dit-elle, il m’a embrassée très fort. J’ai pensé que c’était mon mari. Non, c’était le cousin. Je l’ai repoussé, navrée et excitée »
A l’état de veille, elle n’a pas réalisé le conflit créé par cette tentation. En rêvant, elle ne sait pas trop quel train prendre, aussi prend-elle son parti de récurer. Par là, elle lave, pour son mari, le péché qu’elle aurait pu commettre avec le cousin et qu’elle réalise à moitié en dormant.
Son mari ayant fait un peu d’analyse, elle put le récupérer après trois ans, l’ayant constamment poursuivi à travers ses rêves dont voici l’un d’eux :
« Mon parrain, aveugle, voulait chercher ses souliers. Je voulais toujours le mener à gauche ; il disait: « non, c’est à droite. » Devant la porte, il dit : « Ah ! oui, [p. 110] tu as raison. » Spontanément, elle associa en disant : « Mon parrain est aveugle comme mon mari. Je dois aider mon mari à retrouver la bonne porte ; il veut toujours aller à droite ; sa mère habite à droite. Chez nous, c’est à gauche. »
Il est question de souliers et de porte, les symboles classiques de la virilité et de la féminité. Le mari, sous la figure du parrain aveugle, cherche sa virilité. Elle lui prête son désir, mais sans se leurrer ; elle le voit attiré par sa mère et se trompe de porte pour, finalement, lui donner raison.
Son mari l’avait quittée pour retrouver sa liberté, ne se doutant pas qu’il était prisonnier de sa mère qui les recevait en disant à sa belle-fille : « Bonjour madame » et, sautant au cou de son fils : « Adieu ma petite chérie … Vous savez, il n’est pas à vous, il est à moi, je vous en prête un petit bout. » Ce tout petit bout qu’elle méprisait tant pour ne l’avoir jamais possédé…
Thème de l’enfant non désiré.
Pour beaucoup de femmes, l’enfant est un refuge contre l’homme ou un moyen de compenser les sentiments d’infériorité.
Une femme mariée contre son gré, pour n’avoir pas eu le courage moral de supprimer sa grossesse, rêve que son fils, placé quelque temps chez sa sœur, est mort. On lui dit qu’il est mort sans souffrances. Le désir de le voir disparaître doit composer avec la culpabilité et la tendresse maternelle : il ne doit pas souffrir.
Dormant habituellement sur le ventre, elle rêve qu’elle a peur de se trouver ainsi et de faire des taches, car ses règles devraient être là. La crainte d’être enceinte se traduit ici par la crainte de faire des taches. Cette angoisse manifeste bien sa crainte de tacher en opposition avec le désir de voir ses règles revenir.
L’angoisse de la trappe.
Être repris par ses difficultés ou être obligé de faire face à des exigences pénibles donne l’impression d’être retenu prisonnier.
Rentrant de France pour travailler en Suisse, une jeune fille s’est assoupie dans le train. Elle se voit prise dans une trappe et, à ce moment, se réveille en entendant parler avec un accent Suisse. La conversation perçue en dormant lui rappelle le but de son voyage et son désir de s’évader ne trouvant pas d’issue, elle se réveille… sans être dans une souricière ; elle réagit alors en s’en prenant à la mentalité suisse.
Thème de la jalousie compensée.
L’intelligence du rêveur est souvent plus subtile que les réactions de la veille ; et il peut imaginer des compensations à ses sentiments d’infériorité auxquels il n’aurait pas pensé à l’état de veille, étant trop absorbé par son ressentiment.
Peu de temps avant l’anniversaire d’une sœur dont elle est très jalouse, une rêveuse la voit ayant reçu beaucoup de lingerie de luxe rose et très fière de montrer ses cadeaux. Elle lui dit : « Tu n’as pas reçu un seul livre ! » Elle, au moins, est satisfaite de ce côté. [p. 111]
« Il ne m’a plus donné signe de vie, me dit une jeune éplorée ; aussi après le dernier courrier, j’ai éclaté en sanglots. »
On aurait pu supposer qu’elle rêverait de le voir ; mais non, après s’être endormie angoissée, elle rêve plusieurs fois qu’il ne vient pas au rendez-vous.
Je lui dis : « Essayez de sentir pourquoi vous avez pu désirer qu’il ne vienne pas au rendez-vous ? —Oh ! ainsi, je n’ai rien gâté, je ne l’ai pas perdu. S’il ne vient pas, c’est un repos pour moi. »
Ses désirs adultes sont mis en échec par sa morale et sa constipation psychique qui l’obligent à refouler ses désirs infantiles de satisfaction immédiate et lui donnent ainsi l’illusion d’avoir un amour absolu qu’elle n’a pas besoin de lâcher pour la relativité de la réalité. Ainsi, elle reste soumise à son père et garde son amour bien qu’elle le déteste. Donc, jusque dans l’abandon, la situation humainement la plus pénible, l’inconscient trouve moyen de satisfaire quelque désir.
L’angoisse de l’examen.
Les rêves d’examen sont, comme Freud l’a remarqué, un moyen de se rassurer puisqu’on ne rêve que d’examen réussi. Toutefois, s’il y a un examen en perspective et une bonne névrose d’échec, cela peut tourner mal sur le plan réalité, comme dans ce cas :
« Je suis en session d’examens. Des travaux écrits se déroulent dans l’immense atelier d’architecture. Mes connaissances se réduisent à néant. C’est la gabegie complète ; il s’ensuit un état de dépression. Le jour suivant, examen écrit sur une autre branche. Cela recommence. De rage, je prends un tabouret et le jette violemment, détruisant de ce fait : bouteilles d’encre, matériel, etc. »
Quelle satisfaction pouvait cacher ce rêve d’échec ? Étant plus âgé que ses camarades, il pouvait spéculer sur son expérience et sa pratique du métier pour se prouver que sa crainte de voir ses connaissances réduites à néant était une impossibilité. D’ailleurs, il se révolte contre ces exigences de la société et prend plaisir à tout envoyer promener. Cet examen, comme la plupart de ceux qu’il avait subis, fut du reste couronné d’échec. Par son rêve et son examen raté, il pouvait satisfaire sur le plan du Ça : la violence de son besoin d’amour insatisfait ; sur Je plan du Surmoi : la nécessité d’être puni pour s’être attaqué au père représenté par les règlements de la société, et sur le plan du Moi : le plaisir de marcher en dehors des chemins battus.
Le rêve du train manqué — arriver en retard.
Le rêve du train manqué exprime aussi le désir de calmer une angoisse :[p. 112]
« J’étais en montagne, je devais partir et faisais mes adieux à tous mes amis ; c’étaient des jeunes filles, à part mon chef, détesté, du bureau. Je pleurais en embrassant tout le monde et j’avais un sentiment de vide, car j’allais être seule. Je crois que je devais chercher une place comme dactylo et je me dépêchais, car j’allais être en retard pour le train. Au réveil, j’étais encore toute crispée. La veille, j’étais très indécise de partir, car j’attendais un téléphone de mon ami. Pendant la journée, j’ai eu un travail pénible et je craignais que mon chef trouve des fautes en revoyant mon texte ».
On voit que la rêveuse aimerait quitter sa place, mais qu’elle craint l’avenir. Elle hésite à prendre le train, car si elle peut dire adieu à tous ses amis, des jeunes filles, elle ne veut pas perdre son ami. Sa culpabilité la retient également.
Dans un autre rêve, elle hésite entre son travail et le désir d’être nourrie ou aimée :
« Je devais prendre le train pour aller travailler. Comme on me préparait à manger, je manque le train. »
Pourtant, une fois, elle arrive juste à attraper son train :
« Je devais prendre le train. Je fais ma valise au dernier moment. Très nerveuse, je ne savais si j’avais oublié quelque chose. Je me dépêchais et traversais directement sur les voies et arrivais, je crois, juste à temps. Je me souviens que je rencontrai ma famille ; mon père passa outre, tandis que maman et ma sœur se sont arrêtées. » « Je veux à tout prix me libérer des miens, cette question m’a travaillée toute la semaine. »
Elle se demande si elle oublie quelque chose, si elle veut rester pour réclamer l’amour qu’elle n’a pas reçu. Ses rivales, sa mère et sa sœur, s’arrêtent, mais elles ne risquent pas de la retenir ; quant à son père, il lui facilite la tâche en passant outre. C’est bien la lutte entre l’affirmation du Moi et la difficulté de sortir de l’enfance. « S’en aller », c’est mourir, mais c’est aussi accepter la vie. Le petit enfant descend dans la rue pour se mêler à la vie des camarades lorsqu’il est en colère contre sa mère. Pour oser vivre, il faut couper le cordon ombilical psychique.
Examinons encore un rêve de ce genre :
« J’étais avec mon père en voyage. On a visité un musée avec des animaux épouvantables : hydre, sangsue gonflée, espèce de grenouille, tête mangée par un triton. J’ai un rendez-vous à Genève, je ne peux pas savoir avec qui : un ami ? une amie ? Il fallait prendre le train, mais quelque chose me retenait. Je n’arrivais pas à quitter ce lieu. Ensuite, je danse avec une femme légère sur un plancher qui flambe en dessous. Il faut que j’aille dans ce feu pour sauver une femme que j’aime., L’association d’idées que lui suggère son rêve se rapporte à un moment précis, mais elle illustre bien son attitude devant la vie : « J’ai un rendez-vous et je voudrais ne pas y aller. »
Le lieu qu’il n’arrive pas à quitter, c’est l’enfance. Il y a un tas de monstres représentant son dégoût ou son goût refoulé de la sexualité. Il est partagé dans ses amours et ne sait pas trop « à, quel sein se vouer ». Il hésite entre le refuge dans l’amitié masculine, l’amour physique représenté par la danseuse, et l’amour psychique représenté par la femme qu’il faut sauver. Il voit qu’il faudrait sauver son âme, mais il préfère encore rester sur ses position. [p. 113]
La peur d’avancer ou de reculer provoque parfois des rêves typiques de régression ou de conversion.
Ne se sentant pas la force de faire la conquête de son chef d’orchestre, une musicienne se voit au théâtre où elle devait jouer :
« Je vois X derrière une barrière. Pendant qu’il me parlait gentiment, une vieille femme passe entre nous, puis une autre. Plus tard, je descends sur scène, mais il me dit que ce n’est pas notre tour… La même nuit, je rêve que je suis dans une eau très profonde, avec une femme je crois. Il y avait de la crème fouettée sur l’eau et nous tâchions de tout prendre. Je me demandais avec crainte si je pourrais revenir jusqu’à la rive, si j’en aurais encore l’énergie. »
En face du sevrage apporté par les difficultés affectives, elle se laisse porter sur une eau profonde couverte de lait maternel. Toutefois, elle se ressaisit, ne voulant pas se laisser couler dans les abîmes des béatitudes maternelles.
N’ayant pas le succès attendu, une jeune fille compose rêve :
« Je marchais en ville avec une ancienne camarade d’école. Par deux fois, je me trouvai auprès d’elle, mais marchant en arrière. Cette camarade travaille dans la même maison.
Sa camarade, plus virile, marche contre elle puisqu’elle-même marche en arrière. Elle la supporte difficilement et se rend compte que cette situation est encore plus pénible que son insatisfaction. Donc mieux vaut encore lutter.
Un grand amateur d’avirons note à la veille de ses fiançailles :
« Je décide de gagner la rive ; je me mets à ramer, mais avec stupéfaction, je m’aperçois que je le fais à rebours et que je m’éloigne de la rive. Immédiatement je commence à ramer correctement et nous approchons d’une affreuse muraille de verdure ; passer à travers est une lutte. »
On dirait que c’est lui qui craint la défloration et que la forêt vierge lui fait peur, cependant il ne s’agit plus de reculer. Il veut se raisonner à travers son rêve.
Avant de commencer l’analyse, une femme rêvait souvent qu’elle avait de la peine à avancer. Elle s’expliquait cela en passant que c’était son duvet qui lui pesait sur les jambes. Voici les idées qui lui viennent à l’esprit pendant l’expérience analytique :
« J’avance à petits pas, j’avance péniblement, je regarde l’horloge ! Il faudrait bien que je puisse avancer plus rapidement, autrement je n’arriverai pas à prendre le train. J’essaye plusieurs manières de lancer le pied en avant, en faisant de grands pas, de petits pas. Soudain, je me tourne, j’ai trouvé… en arrière, en marchant en arrière, direction de la maison paternelle, c’est comme ça que je fais les plus grands pas. Cette solution me séduit quelques secondes. Puis je dois m’être retournée, avançant péniblement. Toutefois je dois quand même être arrivée chez mes parents. Ce qui me frappe, c’est cette marche à, reculons qui me permettait d’aller plus vite. C’est bien compréhensible en somme, j’irais plus vite chez mes parents si je faisais demi-tour dans ma manière de voir. Heureusement que je ne l’ai fait que pour voir si cela allait mieux ; je ne songeais d’abord qu’au moyen d’atteindre le plus rapidement possible le train pour rentrer à la maison. Mais je sais qu’il est inutile de retourner à la maison pour prendre le train qui mène à la jouissance. » [p. 114]
En effet, ce n’est pas en retournant à la maison, qui semble l’attirer encore violemment, qu’elle arrivera à ce qu’elle cherche. Elle aimerait pouvoir concilier la marche vers l’avenir et le retour au passé : faire un pas en arrière et l’autre en avant. Cependant, après avoir épuisé tous les compromis, elle voit mieux où il lui faut orienter ses désirs.
Thème de la castration et de la tête coupée.
Une jeune fille perdant facilement ses affaires nous raconte son rêve :
« Je perdais toutes mes affaires d’école. Je cherchais toujours et je ne trouvais jamais. J’en pleurais. Je me suis réveillée et j’ai essayé de me rendormir pour voir si je pouvais retrouver ce que je cherchais. » « Quand je perds des choses, j’ai le même sentiment que dans le rêve. Je pense que je perds mes affaires parce que je n’ai plus besoin de travailler, c’est les vacances. »
Voilà pour le contenu manifeste en rapport avec les circonstances actuelles. Elle lutte contre son désir de tout perdre pour être en vacances perpétuelles. Cependant le contenu latent a des racines plus profondes dans sa personnalité et la suite des associations nous l’indique :
« J’étais une petite fille et, au fond, je ne cherchais pas un objet scolaire. » Je lui demande à quoi lui fait penser cet objet : ,noix, pinson, cheminée, sac, soleil, danse, liberté, argent. »
Elle avait l’impression que les garçons sont plus libres et elle croyait avoir perdu ce qui pouvait faire d’elle un garçon. Dans son rêve, elle se console en perdant des objets scolaires qui restreignent sa liberté. Au moins, comme ça, elle n’a pas besoin de s’affliger d’avoir perdu l’irrémédiable.
Un étudiant en veut à son père qui ne lui donne pas assez d’argent pour ses études et il n’ose pas le lui réclamer.
« J’ai vu, dit-il, la chambre à coucher de mes parents depuis le corridor ; mon père était couché. A un moment donné, il a eu la tête coupée. Il a marché ainsi, tout en restant entier, à côté, comme dédoublé. Il me semblait que j’étais réveillé et que c’était la réalité. »
Cette situation confuse apparaît déjà lorsque le père est d’un côté entier et, de l’autre, la tête châtrée. Comme dans ces rêves où l’on croit rêver, cette situation intermédiaire entre le rêve et la réalité est une façon de retarder un réveil n’offrant pas plus de consolations que l’échec du rêve. Ce jeune homme avait une excellente occasion de s’attaquer carrément à son père, mais n’osant pas extérioriser son agressivité, il s’est constitué un monde psychopathique à lui, dans lequel ses désirs se payent au prix de symptômes hypocondriaques.
Parfois, nous entendons un déprimé nous dire : « Je me déteste. » Cet aveu assez inquiétant devient compréhensible si nous le [p. 115] traduisons en termes psychologiques. Le Moi n’ose pas toujours prendre conscience de l’agressivité dirigée contre ceux qui l’entravent et la tourne contre lui-même. La tension nerveuse qui a pris la forme d’agressivité devant les manifestations d’amour interdites est facilement culpabilisée et devient de l’auto-punition : Je me punis, je me déteste. Le « Je » représente donc le « Sur-Je» » ou le « Surmoi » et « Me » représente le « Moi ». C’est tout le drame de la lutte des deux hommes en soi. Dans ce conflit, certains voient le salut de l’homme dans l’écrasement du Moi par le Surmoi ou dans le sacrifice de la liberté à la culpabilité. Toutefois, nous savons que plus la culpabilité est forte, plus l’individu fait de mal aux autres ou à lui-même, car c’est la seule voie qui s’offre à lui pour être puni ou expier son sentiment de faute.
Voici le rêve le plus intéressant que j’ai noté sur la dramatique du Moi : (Il s’agit d’un homme très moyen, consciencieux, très fixé à sa mère et manquant d’initiative.)
« Je dirigeais une pièce de tir contre avion. Soudain passe un avion de chasse ennemie et je le descends. En m’approchant, je vois le pilote assis à son poste, le manche à balai entre les mains et la tête coupée net par l’obus. Je me reconnais, c’est moi. »
Il était donc le capitaine et le pilote à la tête coupée. Je lui demande où est son vrai Moi. Après avoir longuement hésité entre le capitaine et l’aviateur châtré, il prit heureusement le parti du pilote, son Moi, contre celui du capitaine, son Surmoi castrateur.
La plupart des hommes semblent avoir beaucoup de peine à choisir entre le désir de punition et le désir de bonheur. Au cours d’un rêve, relaté dans son Journal, Franz Kafka écrit : « Voici en quoi consista le bonheur : la punition arriva et je l’accueillis d’un cri de bienvenue si merveilleusement libre, heureux et comblé de conviction. »
Nous terminerons en relatant brièvement le récit d’un rêve caractérisant la névrose existentielle ou la crainte d’exister.
« C’était un beau jour. A peine avait-il fait deux pas qu’il se trouva dans un cimetière. De loin, il aperçut une tombe fraîchement recouverte. Ce tertre exerçait presque une attraction sur lui et il pensait ne pouvoir jamais y arriver assez vite. Des drapeaux, et une grande joie semblait régner autour de ce tombeau. Il regardait au loin quand il vit le tertre à côté de lui et déjà presque derrière lui. Il trébucha et tomba juste devant la tombe. Deux hommes fichèrent en terre une pierre tombale, un troisième, un artiste, se pencha, car il ne voulait pas marcher sur le tertre et il écrivit en lettres d’or : « Ci-gît… » Se tournant vers K., ils échangèrent des regards impuissants ; il y avait quelque vilain malentendu. K. ne pouvait se consoler de la pénible situation de l’artiste. L’artiste traça la première lettre de ses initiales et frappa furieusement du pied dans le tertre, il n’était plus temps de le retenir. Un grand trou aux parois à pic s’ouvrait immédiatement au-dessous. K. s’enfonça, renversé sur le dos par un léger courant. Or, tandis qu’il plongeait au cœur de cet abîme impénétrable, la nuque encore redressée, son nom se dessina là-haut comme un éclair. Ravi de ce spectacle, il se réveilla. » [p. 116]
Dans une lettre adressée à son père, l’agressivité qu’il n’ose pas manifester apparaît sous forme de culpabilité : « Devant toi j’avais perdu la confiance en moi-même et assumé en retour un sentiment de culpabilité sans bornes. »
Son Moi abdique devant le jugement du Surmoi et il cherche sa jouissance dans le consentement à la mort ; toutefois cette mort incestueuse le replonge dans le sein de la Terre-mère. L’artiste, le double de Kafka, ne parvient pas à se consoler de sa situation d’homme et, plutôt que de répondre à l’appel de la vie, il préfère revenir en arrière et disparaître dans la tombe : sa mère, la fatalité. Cependant, juste avant son suicide, il affirme encore son désir d’exister : là-haut, son nom est frappé en lettres d’or dans un éclair.
Certains philosophes ont essayé de justifier, par une conception du monde, la névrose d’échec. Le « Vouloir vivre », qui est toujours inconsciemment considéré comme une faute, devient consciemment, pour Schopenhauer, le péché par excellence. La vie étant considérée comme un mal, son foyer se trouvant dans l’organe viril, la mort apparaît comme un bien à l’intelligence puisqu’elle fait taire tous les désirs inassouvis. Freud aussi aboutit à distinguer des instincts de vie, expressions de la Libido, et des instincts de mort déterminés par certains désirs du Moi. La notion d’instinct étant fort discutable, nous pouvons ici la remplacer par celle de désir et nous retrouvons ainsi les fondements de l’angoisse humaine dans le désir de Nirvâna s’opposant au désir de vie.
Le plaisir étant l’expression d’un désir ou la détente produite par la réalisation d’une fonction, nous comprenons qu’il soit toujours présent, même dans le flottement de l’angoisse. D’ailleurs, nous savons que l’angoisse est un « plaisir » refoulé comme le dégoût est un goût ou un « désir » refoulé.
Alors que les tendances positives et régressives sont aux prises, le rêve permet aux désirs de s’épancher tantôt à droite, vers l’affirmation du Moi, tantôt à gauche, sous le signe du désir profond représenté par le sommeil, pendant que l’imagination se joue de la réalité.
Dans les cauchemars, le Moi se rebiffe devant un désir mortel et décide de ne plus rêver. Dans les rêves d’angoisse, sans réveil, le Moi trouve une satisfaction compensant les échecs ou les interdictions.
« Il faut, disait Freud , que l’analyse dévoile le sens caché de chaque rêve et en quoi il est la réalisation d’un désir » (p. 135). J’espère avoir montré l’intérêt qu’offrent les rêves d’angoisse dans la compréhension psychanalytique de la lutte pour la vie faite d’avances et de reculs, mais qui est guidée par le désir de [p. 117] rationalité du Moi, lequel engage une lutte à mort contre la culpabilité et les plaisirs trop faciles en affirmant son droit à la vie.
* * *
Résumé : La théorie psychanalytique voyant dans les rêves l’expression d’un désir semble difficilement conciliable avec les rêves d’angoisse et les cauchemars. Cependant dans le rêve encore plus que dans la vie éveillée, l’angoisse résultant du conflit des désirs contradictoires de la morale et des instincts nous révèle le sens humain de la peur.
Le désir se partageant différentes sphères d’influence (instances du Ça, du Moi et du Surmoi) trouve son expression la plus heureuse dans l’affirmation du Moi voulant toujours que la raison finisse par avoir raison.
Summary: As psychoanalytic theory sees in dreams the expression of a ish, it seems scarcely reconcileable with anxiety dreams and night-mares. In the dream, however, even more than in waking life the anxiety resulting from the conflict between the opposing demands of morality and instinct reveals to us the meaning of fear in human life.
The wish, sharing in different spheres of influence ( the instances of the id, the ego, and the superego}, finds its best expression in the confirmation of the ego, always desiring that the rational mind be right in the end.
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