Marie Bonaparte. Des Autoérotismes agressifs par la Griffe et par la Dent. Articlé parut dans la « Revue française de psychanalyse », (Paris), tome VI, n)2, 1933, pp. 192-216. Et tiré-à-part sur lequel nous avons étable le etxe mis en ligne : Marie Bonaparte. Des Autoérotismes agressifs par la Griffe et par la Dent. Paris, Les éditions Denoël et Steele, 1933. Dans la Bibliothèque psychanalytique. 1 vol. in-8°, 27 p.
Nous ne présenterons pas la Princesse Marie Bonaparte (1882-1962) bien connue, entre autre, pour avoir permis à Freud de s’exiler à Londres après que sont pays fut passé sous le joug nazi. Nous renvoyons aux biographies existantes et particulièrement à celle de Célia Bertin.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original mais avons corrigé des fautes d’impression. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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Des Autoérotismes agressifs
par la Griffe et par la Dent
par Marie BONAPARTE
1° Des autoérotismes en général et de leur différenciation d’avec les toxicomanies, les actes obsessionnels èt les tics du point de vue libidinal.
2° Des rapports de l’agression avec les tics, les actes obsessionnelles toxicomanies et les autoérotismes.
3° Cinq groupes d’autoérotismes agressifs par la griffe et par la dent.
4° Du sens des autoérotismes agressifs par la griffe et par la dent.
5° De la fonction sociale des autoérotismes agressifs par la griffe et par la dent.
Des autoérotismes en général et de leur différenciation d’avec les toxicomanies, les actes obsessionnels et les tics du point de vue libidinal.
Je n’entends pas ici traiter des autoérotismes en général. Ce sont ces actes conscients qu’en dehors même de l’acte onanistique génital proprement dit, autoérotisme suprême, un sujet entreprend sur son propre corps, et dont la racine profonde instinctuelle, libidinale, se trahit par un caractère d’irrésistibilité, et d’insatiabilité : tel l’acte si universel de fumer satisfaisant, par le contact du cigare, de la cigarette ou du tuyau de pipe, et le fait de les sucer et d’aspirer et rejeter la fumée, l’érotisme oral du fumeur.
II est vrai que ce cas, que j’ai cité en premier à cause de sa quasi-universalité, n’est pas pur : il s’y mêle un élément, et non pas des moindre, de toxicomanie. La toxicomanie, par ailleurs, pourrait être qualifiée d’autoérotisme sur une grande échelle : le sujet, en effet, y satisfait sa libido sans recourir à quelque objet d’amour [p. 4] humain extérieur, par le simple détour d’une substance chimique, qu’il incorpore, par un acte personnel, à son propre organisme. Mais ce n’est pas des toxicomanies que nous avons à traiter ici, c’est des autoérotismes purs, où le sujet se satisfait, sans même le secours à la chimie, à des intoxications stupéfiantes ou enivrantes, par l’excitation d’une zone de son propre corps entreprise par lui-même. Le fait, par exemple, de sucer et mordre du chewing-gum, tels les Américains, est lui un autoérotisme autrement pur.
Les autoérotismes peuvent être de modes très, variés et de plus aussi nombreux que les zones du corps humain, bien que semblant affecter celles-ci dans une fréquence proportionnelle à leur érogénéité. Mais on sait que n’importe quelle partie du corps peut être érogénéisée : de là les infinies modalités que peuvent revêtir les autoérotismes de l’homme.
Tentons à présent de tracer les limites séparant les autoérotismes des actes obsessionnels, (ou compulsionnels). Avec les actes obsessionnels, les autoérotismes ont de commun la compulsion, l’impossibilité à leur résister, comme la tendance quasi éternelle à les renouveler. Un mangeur de chewing-gum, par exemple, doit en mâchonner avec la même irrésistibilité et la même insatiabilité qu’un névrosé obsessionnel laveur doit se laver. C’est le promoteur instinctuel commun, biologique à ces deux sortes d’actes, la poussée libidinale profonde, et toujours renouvelée, telle une source cachée intarissable, qui leur confère ce caractère d’irrestibilité comble de durée. Mais, par ailleurs, des différences profondes séparent l’autoérotisme de l’acte obsessionnel.
Ces différences sont de deux ordres. D’abord, dans les mécanismes formateurs de l’autoérotisme, différents de ceux du symptôme obsessionnel. Ce dernier malgré son alliage constant avec une pulsion agressive, est toujours le résultat d’une fuite devant une tentation libidinale, fuite commandée par la morale et tellement intensive que le refoulé condamné, lorsqu’il ressurgit sous le refoulant condamnant, ce qui est d’ailleurs de règle, y doit, pour pouvoir reparaître à la conscience, s’y soumettre à un déguisement tel qu’il peut passer, — trompant la censure, — devenu méconnaissable. Un laveur obsessionnel, qui en réalité se « purifie » ainsi de ses tentations de masturbation manuelle refoulées, tout en les satisfaisant sur ce mode détourné, n’a pas la moindre idée des raisons qui le poussent vers la savonnette et le robinet, et dans la plupart [p. 5] des symptômes obsessionnels, actes, paroles ou pensées, le déplacement est bien plus grand encore et choisit de préférence, pour y abréagir les affects refoulés, les plus insignifiants détails.
Au contraire, les autoérotismes sont une persistance fort peu déguisée, des autoérotismes primitifs sous leur forme réelle. Le mangeur de chewing-gum, par exemple, ne fait pas grand chose d’autre que le nourrisson lorsqu’il a commencé à sucer et mâcher la sucette : ils sucent et mâchent tous deux du caoutchouc avec la langue, la gencive, la dent. Le seul et simple déplacement consiste à avoir remplacé, dans ces deux cas, par du caoutchouc le pouce du bébé ou le mamelon de la mère.
De là dérive sans doute aussi la différence d’affect qui précède et accompagne les deux sortes d’actes. Le névrosé obsessionnel, quand la compulsion le saisit, est obligé d’accomplir son acte sous peine d’un pire châtiment : l’angoisse ; un surmoi moral sadique le domine et le commande. Mais en l’accomplissant il n’y trouve pas grand plaisir : ce n’est pas une satisfaction épanouie, pour le laveur obsessionnel, que de se passer les mains à l’infini au savon sous le robinet. Tout au contraire, le sujet soumis à un autoérotisme trouve à l’exercer un très grand plaisir actuel ; l’autoérotisme resté tout près de l’instinct est capable de livrer, à, qui s’y abandonne, le plaisir que donne un instinct directement satisfait, et que laisse plus ou moins en repos la morale.
D’autre part, l’autoérotisme pur non satisfait (je ne parle pas du désir du tabac toxique) n’engendre pas tension aussi vivement angoissante que l’acte obsessionnel auquel on résiste : certes, le désir en peut devenir, par son intensité, désagréable et même teinté d’angoisse, tel celui de l’Américain se trouvant démuni de chewing-gum. Mais la compulsion émanée du surmoi moral fait ici défaut ; l’autoérotisme temporairement non satisfait n’engendre pas une angoisse comparable au plaisir que sa satisfaction produit, tandis que l’acte obsessionnel accompli ne procure pas à l’obsédé un plaisir de grandeur mesurable à l’angoisse que sa non-satisfaction engendre : les rapports dans les deux cas sont invertis. Et à ce propos se vérifie une fois de plus cette grande loi régnant au domaine des instincts que plus une pulsion instinctuelle reste près de sa forme originelle, plus sa satisfaction peut engendrer de plaisir, comme si, au cours de la transformation des instincts, une part de l’énergie libidinale se dégradait vraiment en route. [p. 6]
Entre l’acte obsessionnel et l’autoérotisme la différence la plus profonde ne saurait trop être soulignée : elle dérive directement de l’attitude différente du surmoi moral envers l’une ou l’autre sorte d’actes. Avec l’acte obsessionnel, le moi n’est pas d’accord, il proteste, il trouve l’acte absurde, inepte, voire répulsif, tout en devant cependant l’accomplir. L’acte obsessionnel n’est pas « conforme au moi ». Les divers autoérotismes, au contraire, le sont le plus’ souvent : le moi, d’ordinaire, ne les condamne pas, les agrée, dans leur apparente innocence. Ceux qui s’y livrent, sont même plutôt irrités, en général, de ce que les autres, autour d’eux, en soient agacés ; qu’est-ce que cela peut bien leur .faire, aux autres, pense le mangeur de chewing-gum, si je mâchonne du caoutchouc toute la journée ? Et qui mâche du chewin-gum se justifie par le plaisir innocent qu’il y prend et le calme bienfaisant qu’il en retire.
D’ailleurs, plus d’une activité socialement utile a pour qui s’y livre, en même temps la valeur d’un autoérotisme. Je crois, par exemple, que c’est le cas, sur le mode manuel, du crochet et du tricot, et ceci d’autant plus que crocheter et tricoter est devenu plus automatique. De là, en grande partie, la valeur calmante de ces modestes activités pour les ménagères. ‘
Ainsi l’acte obsessionnel, issu d’un conflit entre les pulsions instinctuelles et le surmoi, voit s’éteindre de ce fait le plaisir; l’autoérotisme, au contraire, issu du ça et conforme au moi, livre à l’être qui s’y abandonne un « plaisir préliminaire » infini. Et c’est cette non-conformité au moi des actes obsessionnels, et la conformité au moi, par contre, des autoérotismes, qui commande, par ailleurs, non seulement cette seconde, mais la première des différences entre les’ deux sortes d’activité : d’une part déguisement extrême de la pulsion primitive, d’autre part expression directe de celle-ci.
Mais il nous reste à comparer l’autoérotisme au tic. On sait ce qu’est un tic au sens le plus courant : un mouvement convulsif que certaines personnes accomplissent de temps à autre en dehors de leur vouloir. (Laissant de côté les tics toniques, je me limite ici aux tics cloniques, seuls comparables, par leur activité, aux autoérotismes toujours actifs.)
Les tics ont été décrits, avec leur grande variété, dans l’ouvrage classique de Meige et Feindel (1) (Ferenczi en a traité du point de [p. 7] vue psychanalytique (2). Le tic semble une réaction qui survit, s’attarde, même après que l’excitation actuelle qui lui donna naissance a disparu : tel celui de ces gens qui relèvent convulsivement leur cou, comme pour se libérer d’un col dur, — qui les gêna effectivement en son temps, —alors que depuis longtemps ils ne portent· plus que des cols mous.
Meige et Feindel, dans leur ouvrage précité, confondent d’ailleurs souvent les tics avec les actes obsessionnels, tels dans la description du cas type qui ouvre leur travail, celui de M, O…, lequel semble avoir été, en plus d’un tiqueur, un grand obsédé avec cérémoniaux. Du temps préanalytique, où ils écrivaient, cette confusion était presque fatale. De plus, la distinction entre les autoérotismes et les tics ne pouvait être pressentie par eux, les autoérotismes n’ayant pu être isolés et définis avant l’établissement de la théorie freudienne des instincts, en particulier avant la reconnaissance de l’importance et de l’extension de l’érotisme. Le public, d’ailleurs, de nos jours encore, désigne plus ou moins les autoérotismes du nom de tics: Il qualifiera volontiers de tic, par exemple, l’habitude de mâchonner du chewing-gum et pourra dire à qui s’y livre : quand serez-vous enfin délivré de ce tic ?
Or, cette confusion populaire n’est pas tout à fait infondée, bien que le tic et l’autoérotisme se différencient. D’abord par la durée, dans le temps prolongé de l’exécution de l’acte autoérotique opposé à l’instantanéité ‘quasi explosive du tic clonique. Ensuite, plus profondément, par le caractère de « conformité au moi » de l’un mais d’« exclusion du moi » de l’autre. Dans le tic, le moi n’est pas consulté, le tic s’accomplit par lui-même, semble-t-il, en dehors de la participation du moi, souvent même contre sa volonté. Il y a là quelque chose de ce qui a lieu dans le symptôme hystérique, dont le, tic se rapproche par plus d’un côté, avec leur caractère commun de conversion somatique. Du tic se différencie par contre la « stéréotypie », menu acte accompli toujours dans le même ordre, sans angoisse mais pourtant un peu compulsionnellement : tels ces gens qui se lissent de la main les cheveux, la moustache ou les vêtements, toujours de même manière. La stéréotypie semble se trouver à mi-chemin entre l’autoérotisme et l’acte obsessionnel, car, la [p. 8] fouille-t-on analytiquement, on y découvre, tout au fond quelque trace de pratique magique tendant à conjurer le sort ou à se le rendre propice.
Le tic supprimé par une contrainte extérieure engendre de l’angoisse, de même que l’acte obsessionnel auquel il est résisté, que la toxicomanie à laquelle on met obstacle, ou même parfois que l’autoérotisme simple trop longtemps insatisfait. Cependant, je crois que, dans cette petite revue des souffrances par abstinence, la palme de l’angoisse revient à l’acte obsessionnel et à la toxicomanie, à 1’un de par sa complicité avec les impératifs catégoriques du surmoi ou du ça, à l’autre de par son alliance profonde avec la physiologie.
Quant au plaisir autoérotique que le tiqueur retire de son tic, malgré les ennuis sociaux qu’il lui attire, je crois qu’il est incontestable. Il suffit de lire pour s’en convaincre l’observation, rapportée par Meige et Feindel, de M. O…, qui, à côté d’autres symptômes présentait incontestablement des quantités de tics typiques.
Mais le tic n’en est pas moins beaucoup plus « étranger au moi » que l’autoérotisme.
On pourrait, se résumant, dire que l’autoérotisme dont la toxicomanie semble une grande province avoisinante annexée, est toujours plus ou moins « conforme au moi », que l’acte obsessionnel est par contre toujours plus ou moins « non conforme au moi », tandis que le tic reste, lui, toujours plus ou moins « étranger au moi », qui l’admettrait cependant assez bien si le milieu ne s’en moquait.
Je me rends d’ailleurs parfaitement compte de ce que ces différenciations ont de délicat, et de ce que les frontières entre ces diverses sortes d’actes ont parfois de flottant et de difficile à tracer, sauf pour les toxicomanies, où le poison fait la limite.
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Des rapports de l’agression avec les tics,
les actes obsessionnels,
les toxicomanies et les autoérotismes.
Il y a, de plus, entre certains tics, certains actes obsessionnels, certaines toxicomanies et certains autoérotismes un rapport d’une autre nature : ils peuvent tous quatre exprimer, chacun à sa façon, [p. 9] non seulement des pulsions appartenant au grand groupe des instincts érotiques, mais en même temps des pulsions relevant du groupe non moins important des instincts agressifs. Dans le tic clonique, l’agressivité apparaît sous une forme motrice ; non seulement le tic, comme l’a si bien vu Ferenczi, s’édifie sur un terrain particulièrement narcissique, terrain favorable à l’expression de l’autoérotisme du sujet, mais il exprime encore bien souvent l’agression de celui-ci sur un mode moteur symbolique : défense active de Ferenczi, son deuxième groupe des tics.
Le tic, en effet, est l’expression motrice symbolique d’une réaction de défense contre une attaque du monde extérieur. Meige et Feindel écrivaient déjà : « Brezler a fait remarquer que les mouvements des tiqueurs, eux aussi, étaient souvent des mouvements de défense, et il croit qu’on peut considérer la maladie comme une « névrose de défense » liée à’ une excitabilité exagérée des centres psychomoteurs. Cette théorie rappelle celle que Breuer et Freud ont proposée pour l’hystérie, et comme les mouvements se rapportent surtout à la mimique, Brezler propose en outre le nom de mimische Krampfneurose (3). »
Or, cette réaction de défense peut se manifester, ainsi que Ferenczi l’a montré, et sur un mode passif de fuite, et sur un mode actif de contre-attaque, et dans un retournement de l’agression contre le sujet. La contre-attaque active est d’ailleurs, à mon avis, dans le tic, le mode le plus fréquent, et qui s’intrique le plus souvent jusqu’aux deux autres modes. Rappelons à cet égard un exemple considéré d’ordinaire comme un simple tic-fuite.
Au monde extérieur appartient le col dur contre lequel le tiqueur continue à se défendre, même alors qu’il ne porté plus que des cols mous, par un mouvement brusque de fuite par relèvement du cou. Cependant, je crois que, dans ce mouvement, il y a, non seulement fuite, mais défense, contre-attaque inhibée. Le tiqueur, au début aurait en effet voulu mettre en pièces le col dur qui le gênait, mais il devait le garder, le supporter, lié à lui de par toute son éducation de devoir vestimentaire. Et c’est en cette agression inhibée que le tic a puisé sa violence motrice, mais c’est en n’en faisant qu’un tic que la morale, force inhibitrice, civilisatrice, joue son rôle dans la genèse au tic. [p. 10]
Des considérations analogues peuvent s’appliquer au bégaiement, tic convulsif du langage, édifié sur une agression verbale extrême et rentrée.
Dans la genèse des actes obsessionnels, le rôle de la contrainte morale est peut-être plus évident encore pour qui sait voir. Depuis les travaux de Freud, on sait ce que signifie l’acte, par exemple, d’un obsédé qui déplace compulsionnellement une branche morte d’un sentier pour empêcher, croit-il, quelqu’un de tomber (4). Tout aussi compulsionnellement il pourra revenir accomplir le second temps de son acte si régulièrement décomposé en deux temps, et la remettre là où elle sera le plus susceptible de faire tomber les passant, tout en rationalisant ce temps second par des formules morales compliquées qui en voilent à lui-même l’intention hostile. A la base de l’acte, de la parole, de la pensée obsessionnels, il y a toujours, d’une part, l’agression réelle tournée contre le monde extérieur à laquelle s’oppose le sadisme du surmoi moral, qui tient en échec cette agression première : d’où l’acte obsessionnel en deux temps émanant l’un du ça alloagressif ; l’autre du surmoi moral autoagressif.
Ainsi, tandis que le tiqueur projette au dehors par le tic une agression motrice inhibée quant au but, l’obsédé retourne plus simplement la plus forte partie de son agression, de son sadisme, contre soi, dans l’autotourment du symptôme. Tous deux réussissent d’ailleurs à agacer parfois au maximum leur entourage et, par là, leur agression réelle se satisfait en dépit d’eux-mêmes.
Autre est le mode sur lequel le toxicomane use de l’agression. Là, l’agression est presque tout entière liée a l’érotisme, retournée contre le sujet. C’est lui-même qu’en silence, le plus souvent, le toxicomane détruit, dans les délires faciles, autoérotiques, du poison, comparables à ce long plaisir préliminaire, s’épuisant sans culmination terminale, qu’est l’orgasme alimentaire du nourrisson (5).
Enfin, aux autoérotismes proprement dits, à ces actes restés, eux, le plus près de l’instinct, sans les déguisements symptomatiques [p. 11] propres aux actes obsessionnels, ni même aux tics, ces sortes d’ « autoérotismes hystériques », sans le recours à la chimie qui caractérise les toxicomanies, aux autoérotismes aussi peut s’allier l’agression. Mais si elle est dans ce cas toujours retournée contre le sujet, par tendance sans doute d’abord biologique, par alliance profonde et primitive, peut-être, entre l’autoérotisme et l’autodestruction, par ce masochisme que l’on peut qualifier d’originel (Freud) qui habite tout ce qui vit, une superstructure morale secondaire imposante conditionne souvent pour la plus grande part le retournement du sadisme du sujet contre soi-même dans les autoérotismes agressifs.
Cinq groupes d’autoérotismes agressifs par la griffe
et par la dent
Je rappellerai d’abord ces cas de masochisme autoérotique extrêmes où les sujets ne parviennent à l’excitation ou même à l’orgasme génital que par des manœuvres autoagressives : les femmes ou les hommes féminoïdes, — car le masochisme érotique fait partie du courant passif, féminin des êtres, — qui se lacèrent, se coupent, se piquent plus ou moins profondément les organes génitaux, ou d’autres parties du corps, dans un but érogène. Une part, déguisée, transférée, sublimée, si l’on peut dire, de cette attitude érogène, doit d’ailleurs se retrouver dans les porteurs de cilices ou de bracelets à clous, passifs envers Dieu le Père.
Le mélange des deux attitudes du masochisme moral et du masochisme érogène devait aussi être le fait, de ces ascètes qui, pour martyriser leur chair, imaginaient des instruments creux remplis de clous dont ils coiffaient leur chair rebelle.
Cependant, ce ne sont pas ces grands autoérotismes masochiques qui forment le sujet central de ce petit essai, mais des autoérotismes plus courants, plus modestes, que nous pouvons tous observer autour de nous quotidiennement.
Il est des enfants, des adultes, qui ont l’habitude fâcheuse de se tirer à l’infini les « envies » qu’ils ont au coin ou au pourtour des ongles. Si l’on appelle populairement « envies » ces petits lambeaux de peau cornée qui peuvent se soulever à cet endroit, cela n’est pas sans cause et se réfère sans doute à l’« envies » qui prend, à ceux [p. 12] qui en sont porteurs, de les tripoter, de les arracher. Mais cet autoérotisme atteint à sa véritable constitution, à sa vraie amplitude, lorsque le sujet, non content de jouer avec les « envies » occasionnelles que le destin lui confère, trop rares à son gré, s’en constitue exprès, en soulevant lui-même, à l’aide de ses ongles, des petits fragments de peau cornée. Observons-le cependant : fût-il enfant ou adulte, son être semble à ce moment tout entier tendu vers l’acte symptomatique, et son regard intériorisé reflète une sorte d’angoisse surchargée de volupté.
Il en est d’autres chez qui l’autoérotisme « par la griffe » se manifeste sur un autre mode, plus pur. Non seulement l’ongle, la griffe, est, comme dans les cas précédents, le sujet agissant, mais la griffe, l’ongle lui-même, et non plus la peau cornée qui l’entoure, y est l’objet de l’agression. Les enfants ou les adultes de cette classe s’arrachent par petits fragments les ongles, qu’ils se cassent et tirent tour à tour, jusqu’à parvenir à la chair saignante. Le sang n’est d’ailleurs pas pour effrayer ceux qui s’adonnent à ces autoérotismes agressifs.
Il n’effraie pas davantage ceux qui accomplissent l’acte autoérotique mixte par la griffe et par la dent qu’est l’onychophagie.
On sait par ailleurs le caractère rebelle aux efforts des éducateurs de cette fâcheuse habitude chez les enfants (je ne parle pas pour commencer des adultes chez qui elle subsiste) : menaces, flatteries, promesses, châtiments, n’y font souvent pas grand chose, pas plus d’ailleurs qu’aux deux sortes d’autoérotisme « par la griffe » que nous avons commencé par citer.
Cependant l’onychophagie, par exemple, après avoir sévi pendant les années de l’enfance, vient-elle à disparaître, disons à la puberté, la disparition du symptôme semble souvent aussi spontanée qu’avait été son apparition. Nous verrons plus loin ce qui, dans ce cas, doit l’avoir favorisée.
Tandis que, dans l’onychophagie, le sujet est la dent, et la griffe l’objet de l’agression, il est d’autres sortes d’autoérotiques « par la dent » qui s’y prennent autrement. Ceux-ci se mordent sans cesse la lèvre. (Je laisse ici de côté ces autres oraux qui se là sucent de façon tout aussi rédhibitoire, et qui n’entrent pas absolument dans mon sujet.)
Et je mentionnerai pour finir, un dernier groupe : celui des grinceurs de dents. Il est des personnes, en effet, qui, de nuit, en dormant [p. 13] ou somnolant, grincent des dents au point de s’user l’émail du bord des dents. II en est même qui le font à l’état de veille. Chez eux, ce qui se réalise est comparable, avec la dent, à ce que font, avec la griffe, les gens qui se tirent des morceaux d’ongle avec les ongles. Ils attaquent en effet la dent avec la dent.
Ainsi cinq grands groupes se dessinent parmi ceux qui se livrent à des autoérotismes « par la griffe » et « par la dent » :
Sujet attaquant Objet de l’agression
griffe + peau (ceux qui s’arrachent les peaux du pourtour des ongles).
griffe + griffe (ceux qui s’arrachent les ongles avec les ongles).
dent + griffe (les onychophages).
dent + peau ou muqueuse (ceux qui se mordent les lèvres).
dent + dent (les grinceurs de dents).
Bien entendu, d’autres variantes peuvent se présenter : il est des personnes, par exemple, qui, avec les dents, se rongent, non pas les lèvres, non pas les ongles, mais les « envies » au pourtour de ceux-ci ; d’autres qui, avec les ongles, et non pas avec les dents, s’arrachent la peau des lèvres ; d’autres encore qui, avec les ongles, s’attaquent un point ou l’autre du corps et s’arrachent à l’infini, soit des poils, soit des fragments de peau, soit des croûtes formées sur les petites plaies ainsi créées. Dans les cas extrêmes, on peut voir des gens s’entretenir ainsi des ulcères pendant plusieurs années.
Il y a aussi, les gens qui se servent d’instruments, canifs, ciseaux, et., au lieu de leurs dents, de leurs ongles, pour s’attaquer eux-mêmes. Certaines personnes se coupent ainsi sans cesse les ongles, compulsionnellement, avec des ciseaux, jusque dans le vif de la chair. Ici, l’instrument ne fait que prolonger, multiplier la force de la main, de la griffe, fidèle en ceci à sa mission historique, et même préhistorique, alors que l’homme, ne se contentant plus de ses griffes et de ses dents, tailla le premier silex, ancêtre de la, hache de bronze, puis de fer.
Mais ce ne sont ni ces cas extrêmes, ni ces cas dérivés, qui nous occupent, ici.
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[. 14]
Du sens des autoérotismes agressifs
par la griffe et par la dent
Ce sont surtout les onychophages qui ont attiré, jusqu’à présent l’attention des médecins. L’onychophagie a été considérée, bien entendu, au temps où l’idée de « dégénérescence » dominait les tableaux psychiatriques, comme un symptôme par excellence de cette entité. Les onychophages étaient des « dégénérés », c’était un grave stigmate de « dégénérescence » que d’être l’un d’eux. A l’appui de cette thèse, on citait la fréquence, certes réelle, de l’onychophagie chez les idiots et chez les débiles mentaux.
Les idées psychiatriques à ce sujet se sont, heureusement, modifiées, et un enfant affecté d’onychophagie n’est plus, de nos jours, marqué inévitablement et irrémédiablement de l’étiquette de « dégénéré ».
Les psychanalystes doivent regarder ces faits encore sous un autre jour. Pour eux, l’onychophagie, comme tous les autres actes apparentés par la griffe et par la dent, sont des autoérotismes. Et ils savent que de tels phénomènes isolés, comme d’ailleurs tout symptôme névrotique isolé, n’autorisent en rien à porter un diagnostic de débilité mentale ou de « dégénérescence » sur leur porteur. Le concept de dégénérescence est d’ailleurs en général passé de mode.
A quel stade de l’évolution libidinale, nous demanderons-nous à présent, ressortissent les divers autoérotismes par la griffe et par la dent ?
L’élément dent, tout d’abord, doit évidemment relever de l’érotisme oral. Tandis que les gens qui se sucent les lèvres (ou la paroi intérieure des joues, variante fréquente) ont gardé en ceci une survivance substitutive de l’acte de succion propre au nourrisson dans la première des deux phases du stade oral, ceux qui se les mordent sont restés fixés à la seconde de ces phases, la « cannibale », où le nourrisson, pourvu de ses premières dents, mordait le sein qui le nourrissait.
Si, des dents, nous passons aux griffes, aux ongles, les phénomènes nous apparaîtront un peu plus complexes. Le doigt, en effet, peut avoir, dans ces érotismes, essentiellement deux fonctions : une passive et une active. Les gens, par exemple, qui se sucent ou se mordent les doigts, les enfants qui sucent ou mordent, à défaut de [p. 15] leurs doigts, leur porte-plume ou leur crayon, agissent, à l’instar des suceurs ou mordeurs de leurs propres lèvres, avec simple changement quant à la zone, non pas agissante, mais agie. Les doigts ici ne jouent qu’un rôle passif, et ne font que permettre la continuation, sur le mode suceur ou cannibale, de l’activité orale du nourrisson, privé du sein, qui se suçait le pouce.
Mais, dès que la main, avec ses griffes, entre en jeu à titre actif, nous sommes obligés de rechercher dans un autre stade les points de fixation. Il fut un temps, en effet, où la main de l’enfant fut dûment érotisée : celui où il découvrit, sur son propre corps, la masturbation phallique, Or, cette masturbation, réprimée ou non par les éducateurs, ne saurait sombrer intégralement lors de la période de latence ; elle laisse de toutes parts, dans notre sexualité, dans notre caractère, ses traces. Et je crois que l’une de ces traces-là survit dans les autoérotismes actifs par la griffe.
Les gens qui jouent continuellement avec les envies, les peaux de leurs doigts, reproduisent sur ce mode le jeu mano-phallique de leur enfance, Ceux qui jouent digitalement avec les peaux de leurs lèvres ne font pas grand chose de différent, — on connaît le déplacement classique des symptômes et des symboles de bas en haut.
Mais ces autoérotismes-là ne font pas halte au jeu inoffensif, ils vont toujours jusqu’à une certaine autodestruction de la substance : les suceurs de lèvres ou de joues se les sucent souvent jusqu’au sang, les joueurs avec les envies de leurs doigts se les arrachent jusqu’au vif de la chair, les auto érotiques mordeurs se mordent les lèvres, l’intérieur des joues, les doigts, se rongent les ongles, se rongent les dents, et avec la griffe il en est qui s’arrachent la griffe. Pourquoi ?
Je croîs que nous nous trouvons ici en présence d’une intrication très intense, bien qu’en miniature, de l’autoérotisme, avec, d’une part, le masochisme, érogène, et d’autre part, le masochisme moral.
L’élément autoérotique est représenté par le fait de jouer avec une partie de son propre corps ; l’élément masochique érogène par le plaisir, à dose certes homéopathique, de l’autodestruction ; l’élément masochique moral par le: retournement, contre le sujet lui-même, d’une agression dirigée d’abord contre le monde extérieur. Ces trois éléments doivent, bien entendu, dans chaque cas, se retrouver dans des proportions différentes, [p. 16]
L’observation des conditions dans lesquelles les gens affectés de ces autoérotismes agressifs s’y adonnent est très instructive. En effet, on peut observer qu’ils y recourent, le plus souvent, lorsqu’ils sont agacés par quelqu’un ou par quelque chose. Il y a là, en un domaine voisin, un peu de ce que. M. O…, le tiqueur si bien doué pour l’autoobservation de Meige et Feindel, avait lui-même noté : « Chaque fois, écrivent ces auteurs, qu’il rencontre quelque obstacle, quelque difficulté, son impatience s’exagère encore ; il s’irrite, s’emporte, entre dans de violentes colères ; son langage devient véhément, brutal même ; ses, gestes sont de plus en plus vifs et menaçants : Alors, dit-il, j’éprouve une furieuse envie de frapper. Tous mes tics se déchaînent, mais j’ai beau leur donner libre cours, cela ne me satisfait pas. Il me faudrait taper, cogner de toutes mes forces… »
Meige et Feindel signalent ensuite, chez le même malade, des idées fugaces d’homicide et de suicide.
Or, un cas d’autoérotisme agressif griffe-peau, que je connais bien, révèle une analogie très grande avec ces mécanismes. Le sujet dont il s’agit, une femme, a gardé, depuis l’enfance, sans grande modification, cet autoérotisme ; il s’est seulement atténué au cours des années. Quand elle était enfant, c’était surtout en présence de son père qu’elle s’y livrait. Son père, en effet, était tout particulièrement exaspéré par la vue de l’arrachage des petites peaux, et tapait sur les doigts de sa fille. Mais plus il tapait, plus l’enfant « s’arrachait les doigts ». Elle ne le faisait pas absolument exprès, elle y revenait en vertu d’une persistance imperturbée du désir.
Or, l’analyse de cette femme, plus tard, le montra : la petite fille, ce faisant, obéissait à trois grands courants instinctuels. En premier lieu, elle recourait par là à un autoérotisme de consolation, analogue à celui des enfants qui, privés de tout l’amour qu’ils’ voudraient, se masturbent pour se consoler, s’aimant ainsi du moins eux-mêmes, puisque les autres ne les aiment pas assez. Son père, en effet, le caractère assez froid, et lui-même « neurasthénique », ne l’aimait à son gré pas assez.
En second lieu, elle sollicitait pat là l’amour de ce père lui-même, lui montrant par ce geste les caresses qu’elle eût voulues de lui : l’arrachage des petites peaux constituait par là un autoérotisme de sollicitation.
En troisième lieu, la fureur de n’être pas comprise, d’être repoussée, [p. 17] mobilisait contre le père aimé une agression profonde, mais moralement inhibée quant au but. L’enfant, dans l’inconscient, eût voulu griffer, blesser, voire châtrer le père ; alors, ne le pouvant pas, elle se mutilait à sa façon les doigts, dépouillant de sa peau, parfois, son pouce jusqu’à la première phalange. C’était là l’élément agressif de cet autoérotisme, dans lequel le masochisme moral trouvait à s’allier au masochisme érogène féminin primitif.
Ce cas peut nous apprendre d’ailleurs davantage encore. Cette petite fille, devenue femme, ne perdit pas complètement son autoérotisme digital agressif : il renaissait dans toutes les circonstances où elle se heurtait, dans le monde extérieur, à quelque obstacle, en particulier quand ses désirs étaient frustres d’amour.
Mais l’exercice de cet autoérotisme pouvait se diviser lui-même en deux temps distincts, dans le premier, celui où les petites peaux cornées étaient soulevées à l’aide de l’ongle, il n’y avait que volupté. Mais le jeu avec la petite peau soulevée se poursuit. Alors, la compulsion à s’y livrer devient un peu pénible, et pénible parce que le sujet le sent bien : tant que la petite peau sera là, sollicitant les autres doigts et l’attention, la libido n’est pas libre de se porter pleinement sur les objets extérieurs. Ce sentiment pénible correspond à la protestation de l’alloérotisme progressif contre l’autoérotisme régressif. Aussi, lorsqu’une petite peau a été soulevée, lors d’une conversation prenante, en présence d’une personne aimée, à qui toute l’attention voudrait se consacrer, la petite peau est-elle ressentie comme un trouble-fête. Par suite, la dame en question porte toujours sur elle des petits ciseaux permettant, en tranchant la peau, de mettre fin à l’autoérotisme trouble-fête et de rendre la libido au monde extérieur. Les petits ciseaux ne sont pas, dans ce cas, fonction de l’autoérotisme, mais le moyen d’y mettre fin.
Une seule circonstance est particulièrement, de ce point de vue, périlleuse : les promenades au clair de lune, que la dame en question aime tout particulièrement. Alors, comment rendre à l’astre, dûment abimé comme le transfert de la mère qu’il est, la libido engagée dans l’autoérotisme si une petite peau vient cependant à être soulevée dans la nuit, peu favorable aux ciseaux ?
Pour la même raison, la dame ne peut supporter d’avoir les ongles longs, d’autant moins que son père les portait d’une longueur démesurée. Les ongles longs, dit-elle, lui « font mal aux dents », comme si se traduisait ainsi la parenté originelle profonde [p. 18] entre la griffe et la dent, la tentation rentrée, d’agression, indifféremment, par l’une ou par l’autre (6).
Les efforts volontaires ne peuvent d’ailleurs rien, comme il est de règle, contre cet autoérotisme. Mais le désir, la tentation de soulever les petites peaux cessent d’eux-mêmes chaque fois où la dame en question a sa libido dûment accaparée au dehors par une occupation très prenante ou par la présence vraiment satisfaisante d’un être aimé, et aimant.
Sur l’exemple de ce cas, même succinctement rapporté, on peut voir l’alternance vicariante des investissements allo ou autoérotiques, démonstratifs du caractère autoérotique des arrachages de peau par l’ongle.
Et c’est ce qui permet de comprendre comment les autoérotismes de l’enfance, onychophagies ou autres, peuvent venir à disparaître, spontanément, à la puberté, époque où la libido du sujet va puissamment investir les objets du monde extérieur et devient pour la plus grande part alloérotique. C’est aussi pourquoi les idiots, les débiles d’esprit, les schizophrènes, se rongent si souvent les ongles de façon si persistante, en vertu du caractère régressif de leur libido demeurée ou redevenue autoérotique.
Par ailleurs, même chez les sujets dits normaux, une part de la libido reste toujours narcissique, voire, plus régressivement encore, autoérotique. Avec ce reliquat qui n’a pas fait tout le chemin jusqu’à la pleine génitalité, qui n’y a pas été harmonieusement incorporé, se constituent nos divers autoérotismes. Mais, l’un peut venir en remplacer un autre, et par là vouer le premier à la disparition :
tel fut le cas chez ce petit garçon qui, jusqu’à six ou sept ans onychophage par crises, sous la pression des éducateurs qui lui tapaient sur les doigts cessa de l’être, mais bientôt commença à sucer avec frénésie des bonbons, tout en adoptant aussi pour objet de succion la première phalange de son index ; ces autoérotismes ayant décliné il se mit à gober des semiatchki (il était russe, et ce sont des sortes de petites graines enfermées dans leur coque, qu’on mange en Russie) ; il perdit enfin ces autoérotismes, successifs le jour où, à quinze ans, il devint le fumeur de cigarettes invétéré qu’il est resté (7). [p. 19]
Dans, un autre cas (8), une femme onychophage perdit tout a fait la compulsion à se ronger les ongles, du jour où elle remplaça cet autoérotisme agressif par un autre : celui de se brûler le bras avec sa cigarette, s’y faisant de multiples eschares.
La curabilité respective des autoérotismes agressifs, des auto-érotismes plus purs, des actes obsessionnels, des tics et des toxicomanies nous reste à envisager ici d’un point de vue comparatif.
Il semble que, parmi ces divers phénomènes, la palme de l’incurabilité revienne d’abord aux tics ; puis aux autoérotismes, aux agressifs en particulier. Les toxicomanies, pourtant si rebelles aux efforts thérapeutiques, guérissent elles-mêmes parfois mieux que, les autoérotismes, et surtout que les tics. Quant aux actes obsessionnels, tout analyste sait qu’une analyse, toujours assez longue il est vrai, peut en venir à bout.
On peut se demander pourquoi ces différences. Je crois qu’il faut aborder ce problème par trois faces. D’abord par celle de la conformité, ou non, au moi. Lorsque le moi, en effet, est d’accord avec le symptôme, il n’entreprendra pas de lutte contre lui. Or, dans les actes obsessionnels, le moi conscient n’est jamais d’accord avec le symptôme, il en souffre toujours : il est donc prêt à le combattre en alliance avec le thérapeute, malgré par ailleurs les éléments de complicité névrotique inconsciente avec le mal.
Dans les toxicomanies, le pronostic est en grande partie dépendant de l’attitude du moi. Celui-ci est-il tout entier subjugué par les délices autoérotiques du poison, le combat ne saurait être entrepris : les intoxiqués fuient toute tentative de cure. Le moi, au contraire, a-t-il gardé assez d’indépendance pour souffrir de sa sujétion au poison, les espoirs sont permis (ce sont là les gens qui demandent la culte d’internement et de servage), et je connais au moins deux cas certains de toxicomanie (cocaïne; morphine) guéris radicalement, depuis plusieurs années, par la psychanalyse seule, sans internement et sans rechutes.
Par contre, les autoérotismes, même les agressifs, ont le plus souvent un visage trop innocent pour que le moi s’insurge contre eux violemment. Ils semblent insignifiants, à bon marché calmants, satisfaisants, et on les accepte un peu comme une femme qui s’ennuie accepte de tricoter.
Quant aux tics, leur « étrangeté au moi » les rend, souvent presque inaccessibles. Tout analyste qui a eu à analyser un tiqueur sait combien est ingrate sa tâche.
Mais la seconde face par laquelle il convient d’aborder le problème de la curabilité respective de ces divers phénomènes n’est pas moins large. En effet, ils semblent pouvoir guérir dans la mesure même où ils sont susceptibles de ce que j’appellerai « la cure par l’objet ». Dans la proportion, en effet, où la libido autoérotique peut être rendue, par l’attrait d’un objet extérieur, objectale, les phénomènes autoérotiques peuvent disparaître. C’est pourquoi la palme de la curabilité appartient aux actes obsessionnels, de tous dès l’origine les moins autoérotiques.
Des délices faciles et solitaires des poisons, par contre, il est difficile de sevrer un intoxiqué et c’est ici que gît la cause la plus profonde de l’insuccès fréquent de ces cures et des rechutes des toxicomanes. Enfin, les autoérotismes comme les tics sont restés tout près des satisfactions les plus primitives, les plus autoérotiques de l’instinct : d’où leur résistance à la cure, même psychanalytique.
Les agressifs, parmi les autoérotismes, sont parmi les plus résistants. Et c’est ici que s’offre à nous la troisième face par où aborder notre problème de la curabilité. Les autoérotismes agressifs sont en effet constitués par un alliage de l’érotique à l’agressif retourné contre soi-même. Dans la proportion où l’agression est en eux liée par l’érotisme, elle peut alors suivre les destins de celui-ci et passer de l’autoérotisme à l’érotisme objectal {cure par l’objet. Mais ces autoérotismes, restés tout près des origines, gardent tout au fond, le plus souvent, comme un « précipité d’agression ».
Or, l’agression, dans nos sociétés civilisées, qu’en peut-on faire ?
La femme dont je citais plus haut le cas ne peut tout ne même pas, quand l’envie lui en prend, aller griffer les hommes. Et, comme l’agression ne se refoule ni ne se sublime, elle ne sait que se retourner contre le sujet. Là réside peut-être la racine la plus profonde de la ténacité des autoérotismes agressifs.
Le même « précipité d’agression », insoluble dans l’érotisme, doit d’ailleurs conditionner l’incurabilité si fréquente des tics. Comme aussi la résistance si· grande à toute cure, même psychanalytique, du bégaiement, cette sorte de tic clonique, convulsif, du langage, tout basé qu’il est sur la répression d’une agressivité verbale excessive. [p. 21]
Dans l’acte obsessionnel, voire dans la toxicomanie, l’agression est, bien davantage liée par l’érotisme, sans former de « précipités ». Dans l’autoérotisme simple, sa part peut sembler même s’évanouir, comme chez le petit garçon suceur de bonbons cité plus haut. Tandis, que chez le tiqueur, à agressions motrices mal réprimées, et chez les gens à autoérotismes agressifs persistants, le « précipité d’agression » est constitué par les formes les plus archaïques de l’agression, certes retournée contre soi : celles par le muscle, la griffe ou la dent.
On peut enfin, en terminant cette petite étude comparative du sens des autoérotismes agressifs, se demander quels rapports présentent les autoérotismes par la griffe et par la dent à l’autotomie, cette tendance biologique si bien vue est isolée par Ferenczi (9). On s’en souvient ; c’est la pulsion instinctive qui pousse le crabe ou le lézard à abandonner sa patte ou sa queue quand elles sont coincées, à se séparer ainsi d’une partie, douloureuse du corps, dangereuse à conserver pour l’ensemble de l’organisme. La même tendance jouerait, mais à titre plutôt velléitaire que réalisée, quand nous nous grattons un endroit qui nous démange, parfois jusqu’au sang.
Or, dans les autoérotismes agressifs, en particulier dans ceux par la griffe et par la dent, il est certain que quelque chose de la tendance à l’autotomie biologique doit jouer. Certes, la charge libidinale, orale ou digitale, quand elle atteint un certain degré, peut faire appel au grattage, au mordage, et les onychophages, comme les arracheurs, les mordeurs de peau des lèvres ou des doigts, paient ainsi leur petit tribut à la tendance générale à l’autotomie biologique qui pousse les vivants à se débarrasser, fût-ce avec la partie du corps qui les porte, des tensions libidinales, quand, trop intenses, elles appellent la décharge,
Cependant, il est dit dans l’Evangile : « Que si ton œil droit te fait broncher, arrache-le et jette-le loin de toi… Et si ta main droite te fait broncher, coupe-la et jette-la loin de toi : car il vaut mieux qu’un de tes membres périsse, que si tout ton corps était jeté dans la géhenne. » Et voilà qui, équivaudrait, pour qui réaliserait cette injonction, non plus à une simple autotomie biologique, mais à une autotomie par moralité, calquée sur le type de la castration culturelle, [p. 22] mais où le sujet et l’objet seraient une seule et même personne.
Je laisse ici de côté les actes « autotomiques » des idiots ou simples d’esprit, plus simplement biologiques. Je reprends le cas cité plus haut de la petite fille qui s’« arrachait les doigts » en présence de son père, quand elle éprouvait envers lui des sentiments amoureux repoussés. Ce faisant, non seulement elle se débarrassait d’une tension pulsionnelle digitale, libidinale et agressive à la fois, mais elle se punissait, pour ainsi dire, les doigts, de vouloir griffer son père, en les griffant à leur tour : elle s’appliquait à dose homéopathique l’injonction de l’Evangile.
Or, je crois que cet élément autopunitif n’est pas rare dans les autoérotismes par la griffe et par la dent. « On grince des dents » quand on voudrait mais ne peut pas mordre, ce qui n’est pas, si trop fréquemment répété, pour ces dents elles-mêmes sans dommage. « On se mord la langue » quand on doit réprimer une envie d’agression verbale contre quelqu’un. « »On s’en mord les doigts » quand on a commis une maladresse insigne, laquelle nous a fait nous heurter à quelque obstacle extérieur contre lequel notre agression, impuissante, voudrait mais ne peut se déchaîner.
***
De la fonction sociale des autoérotismes agressifs
par la griffe et par la dent
Et ceci’ nous amène à étudier la fonction sociale des autoérotismes agressifs par la griffe et par la dent.
L’érotisation de la griffe comme de la dent qui se manifeste dans ces symptômes n’est pas, du point de vue social, leur attribut principal. Avant d’être érotiques, et bien que l’érotisme soit un attribut diffus de tout le corps, la griffe, ou l’ongle, et la dent sont les instruments par excellence différenciés, de l’agression-extérieure.
Le système musculaire, certes, porte l’agression tout entière, c’est lui qui en est d’abord l’exécuteur, lui qui permet le mouvement vers les diverses proies, ce mot pris ici dans le sens le plus large, et qui permet de les frapper. Mais les armes naturelles de l’homme, comme de la plupart des mammifères, sont la griffe et la dent, et [p. 23] c’est d’agression d’abord que griffe et dent sont chargées, — en
quelque espèce animale, voire non mammifère, qu’elles apparaissent (dents des poissons, serres des oiseaux rapaces).
Cependant, dans nos sociétés évoluées, l’homme n’a plus droit à se servir agressivement de ses griffes ou de ses dents, Quand la guerre nationale ou civile elle-même est revenue mettre en pratique et en honneur l’agression, ce n’est ni la griffe ni la dent, insuffisantes, dépassées, démodées, qui sont d’ordinaire employées : c’est la mitrailleuse ou le canon, les gaz ou bien même le couteau de tranchée. Un homme qui, dans la vie civile, au lieu de tuer d’un’ coup de revolver, mode de meurtre relativement élégant, tue en étranglant sa victime de ses mains griffues ou en lui enfonçant dans le gosier ses dents, excite l’horreur universelle : tels certains sadiques, Kürten ou Haarmann, Ce sont d’ailleurs les s’adiques, ces grands instinctifs agressivo-libidinaux primitifs, chez lesquels se voit le plus nettement la régression aux modes réels primitifs de tuer par la griffe ou par la dent. »
Mais, dans notre vie quotidienne, de civilisés inhibés, ce n’est pas seulement l’agression par la griffe ou par la dent, c’est l’agression tout court qui est gênée. Sous ce fardeau de l’agression rentrée, nous, civilisés, nous ployons tous plus ou moins et nous souffrons (9). Car l’agression inemployée au dehors doit cependant trouver à s’appliquer quelque part, et elle se charge de nous tourmenter — tout en faisant de nous des civilisés — en venant constituer notre conscience morale, toujours plus ou moins torturante, par retournement contre nous, sous la pression de nos éducateurs qui ferment à l’agression humaine son issue normalement primitive au dehors »
Cependant, toute l’agression ne peut être muée en conscience morale : l’agression, dès qu’elle s’est alliée à l’érotisme, ce qui est toujours plus ou moins la règle au psychisme humain, est susceptible de subir tous les destins de la libido, et non seulement de l’agression en soi, laquelle à l’état théoriquement pur, n’en peut connaître que deux orientations vers le dehors, reflux vers le dedans.
C’est ainsi qu’une part de l’agression peut être refoulée sous [p. 24] forme de sadisme ; une autre, se sublimer par exemple dans la lutte économique ou la recherche scientifique ; enfin, le sadisme peut se retourner en masochisme et venir renforcer le masochisme primaire de tout organisme vivant (10).
Mais ce dernier mécanisme rejoint celui du retournement de l’agression contre son propre sujet qui, en passant sur le plan moral, sous la pression des éducateurs, a constitué notre conscience morale.
Cependant l’expérience montre que ces divers destins de l’évolution des instincts n’arrivent pas à les épuiser, et rien n’illustre mieux ce fait que la persistance, chez tant d’adultes civilisés, de ces autoérotismes par la griffe ou par la dent qui constituent le thème de cet essai.
Dans ces autoérotismes, nous retrouvons, en effet, sous sa forme la plus primitive, la plus physique, l’agression humaine du temps des cavernes et des forêts, c’est-à-dire l’emploi direct, dans un but agressif, de la griffe et de la dent. Mais, sous la pression séculaire de la civilisation, cette agression a changé de direction : elle s’est retournée contre le sujet. L’observation clinique d’ailleurs le confirme toujours : c’est lorsque le sujet est particulièrement agacé, irrité, c’est-à-dire lorsque son agression, contre quelque chose ou quelqu’un, est au maximum mobilisée, qu’il se livre le plus furieusement à son autoérotisme favori. II y a là non seulement, sur le plan libidinal, équivalent de la masturbation consolatrice de l’enfant, mais, sur le plan agressif, emploi direct, libérateur, de l’agression, sur un mode à l’abri de la répression sociale ou des reproches de la conscience, puisqu’on ne s’attaque qu’à soi-même.
Mais la modification à laquelle dut se plier l’agression, primitivement dirigée vers le dehors, ne se borne pas à ce changement d’orientation. Toujours plus ou moins-liée à l’érotisme, cette agression, retournée contre soi-même, est devenue plus ou moins masochisme, capable de livrer un plaisir préliminaire sans terminaison orgastique, mais prolongé et certain.
Cependant, pour en jouir, le sujet est soumis aux limitations mêmes que doit s’imposer le masochiste : il ne peut pas, sous prétexte de satisfaire au plaisir d l’agression par la griffe ou par la [p. 25] dent, aller par exemple jusqu’à s’étrangler lui-même. Le masochisme est toujours plus modéré que son frère jumeau, le sadisme érogène, comme Freud l’a rappelé (11). Cela dérive donc de la force des choses.
Aussi l’autoérotisme par lequel il se manifeste, bien que sur un mode physique, direct, agressif, doit-il se contenter d’une expression pour la plus grande part velléitaire, symbolique. C’est u simple échantillon d’autoagression, pour ainsi dire, qu’on s’offre.
Ainsi, ni la dent ni la griffe, ces nôtres armes primitives qui préexistaient au premier silex éclaté, à la première, pierre lancée, à la première branche brandie, ne se laissent parmi nous tout à fait détrôner, apportant par là leur témoignage à la grande loi qui veut que rien de ce qui fut, au domaine biologique, ne s’efface sans traces. L’enfant qui se ronge les ongles ou s’arrache les peaux des doigts est ainsi le témoin, certes dégradé jusqu’au grotesque, mais le témoin vénérable cependant, du temps lointain où nos ancêtres attaquaient leurs proies ou leurs ennemis par la dent et la griffe.
Et l’onychophage réalise peut-être au mieux la neutralisation de ces deux grands modes d’attaque à la fois : la dent, dans son cas, n’y vient-elle pas neutraliser, supprimer la griffe, épuisant dans un long et persistant effort sa propre agression ? C’est ainsi qu’un enfant qui se ronge les ongles satisfait, sur un mode d’apparence absurde certes, mais pourtant réel, aux conditions de non-agressivité de la civilisation.
Une grande part de l’immense agression humaine peut d’ailleurs, chez les autoérotiques agressifs, demeurer libre, et l’on voit parmi les délinquants, les criminels, beaucoup, parait-il, de rongeurs d’ongles. Mais il n’en reste pas moins que la partie d’agression qui se satisfait sur le mode innocent du rongeage d’ongles, ou de tout autre autoérotisme par la griffe ou par la dent, constitue un très résistant reliquat des pulsions d’attaque archaïques les plus primitives.
Un simple coup d’œil sur les animaux nous confirmera dans notre opinion. Les chats se font les griffes sur divers objets ; les chiens, les dents sur tout ce qu’ils trouvent : nos meubles, nos tapis rongés, [p. 26] nos pantoufles dévorées, en fournissent maint témoignage. Il y a des chiens qui mâchonnent des pierres, il y a ceux qui grincent des dents, ceux-ci peut-être par agression rentrée. On a même cité chez le chien des cas d’automutilation par la dent allant fort loin, et renouvelant l’exploit du Catoblépas, lequel, comme on sait, se mangeait les pattes sans s’en apercevoir (13).
Cependant, ce qui différencie te mieux les autoérotismes agressifs de l’homme de ceux que l’on peut soupçonner chez les animaux, c’est que les autoérotismes agressifs humains se teintent souvent de morale. Aussi mainte mère, qui se désespère et s’emporte devant les ongles rongés jusqu’à la chair de son enfant, devrait-elle être un peu plus indulgente, puisque c’est peut-être là l’un des tributs culturels payés pour la relative, parfois très relative, douceur de l’enfant à la maison.
Il est commode, et au sein de nos civilisations inhibitrices et inhibées, socialement avantageux, et certes moins dangereux, de passer sa colère ou son mécontentement sur ses ongles ou les petites peaux à leur pourtour, plutôt que, de tuer, mutiler, ou même simplement frapper, mordre ou griffer son prochain.
De plus, l’autoérotisme n’est jamais, en nous, tout à fait absorbé par l’amour objectal. Quels que soient dans ce sens les succès de l’évolution libidinale par la vie, ou par l’analyse, une part de notre libido demeure toujours en le grand réservoir primitif subjectal : narcissisme et même autoérotisme aux composantes libidinales éparses. Alors, sur nos doigts, sur nos dents, en vertu des vestiges de l’autoérotisme primitif, est resté comme un appel aux régressions [p. 27] ultérieures. Et les autoérotismes agressifs par la griffe et par la dent peuvent ainsi satisfaire à la fois, sur leur mode aisé et ultra-archaïque, et la libido si souvent déçue aux objets extérieurs et l’agression physique à tout jamais, elle, interdite en nos sociétés culturelles.
C’est en quoi les autoérotismes agressifs sont si résistants à tous les efforts extérieurs, éducation, ou traitement, et sont en partie justifiés à l’être. Ils sont une des solutions sociales et de l’insatisfaction libidinale et de l’insatisfaction de l’agression qui semblent plus ou moins inhérentes à nos civilisations. Il faudrait mieux, certes, trouver d’autres dérivations à nos instincts coincés, mais celle-ci a du moins le mérite de n’être pas très dangereuse aux autres : elle ne sait que les irriter, satisfaisant par là à son tour un peu de l’agression vers l’extérieur d’où elle était issue.
Les symptômes névrotiques, eux, satisfont à une mission semblable, quand ils servent à la fois la conscience morale refoulante et les instincts refoulés et ressurgis du fond de l’inconscient du sujet. Mais ils sont toujours d’une structure infiniment complexe et compliquée : les symptômes obsessionnels, en particulier, qui ont, eux aussi, pour utilité sociale de lier l’agression, sont protéiformes et hautement différenciés. Plus simples sont les autoérotismes, plus près des origines archaïques.
C’est ainsi qu’il y a, dans les autoérotismes en général, et dans ceux agressifs par la griffe et par la dent en particulier, une tentative, parfois assez réussie, d’adaptation au milieu culturel oppresseur, où nous sommes contraints de vivre et de souffrir, davantage peut-être encore que de notre sexualité bridée, de nôtre agressivité rentrée. Aussi faut-il donner presque raison à nos patients quand ils s’obstinent à garder en dernière analyse leurs petits autoérotismes agressifs personnels, malgré les succès par ailleurs de la cure, autoérotismes qui leur permettent, à si bon marché, de passer à l’occasion leur fureur contre un milieu, il faut bien l’avouer, souvent véritablement haïssable.
NOTES
(1) Les tics et leur traitement. Paris, Masson et Cie, 1902.
(2) « Psychoanalytische Betrachtungen über den Tic », 1921, dans Bausteine zur
Psychoanalyse, Internationaler Psychoanalytischer Verlag, 1927, vol. 1.
(3) L. c. p. 463.
(4) « Bemerkungen über einen Fall von Zwangsneurose », 1909, Ges. Schr. Bd. VIII. « Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle », trad. franç. par M. Bonaparte et R. Loewenstein, Revue française de Psychanalyse, 1932, n°3.
(5) Voir SANDOR RADO : « Die psychischen Wirkungen der Rauschgifte Versuch einer psychoanalytischen theorie der Süchte » « Les effets psychiques des stupéfiants. Essai d’une théorie psychanalytique des toxicomanies ». Intern. Zeitschrift für Psychoanalyse, XII, 1926, fasc. 3.
(6) La même parenté se manifeste quand, à entendre scier des pierres (la scie étant un substitut agrandi de la griffe), on éprouve « mal aux dents ».
(7) Cas à moi cité par le Dr Loewenstein.
(8) Cas du D’ Borel.
(9) « Versuch einer Genitaltheorie », (« Essai d’une théorie génitale »), Internationaler psychoanalytischer Verlag, 1924.
(10) Voir Freud, « Das Unbehagen in der Kultur » Internationaler psychoanalytischer Verlag, 1930, (« Malaise dans la civilisation »), trad. Ch, et I. Oclier, à paraître chez Denoël et Steele, Paris.
(11) Freud, « Triebe und Triebschicksale », lnternationale geischrift für ärtrtlische Psychanalyse, 1915, reproduit dans Gesammelte Schriften, vol. V.
(12) « Das ôkonomische Problem des Masochismus », Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse, 1924, reproduit in Gesammelte Schriflen, vol. V, (« Le problème économique du masochisme », trad. Ed. Pichon et H, Hoesli, Revue française de Psychanalyse, 1928, fasc, 2).
(13) Voir Recueil de Médecine -Vétérinaire (publié par le Corps enseignant de l’Ecole d’Alfort, Paris, Vigot frères, du 15 décembre 1906 et du 15 septembre 1909. Aussi ibid. Tome XCVII, 1921, n° 17, p, 498, et n° 22/24, pp, 433 et 475 ; Tome XCVIII, 1922, n° 6, p. 140 et n° 17, p, 493 ; Tome ClV, 1928, p. 877), où se trouvent rapportées des observations de G. Petit et de L. Marchand relatives à des cas d’automutilation et d’autophagisme, chez l’hyène et surtout chez le chien, toujours liés, d’après ces auteurs, à la méningo-encéphalite, ce qui est constesté [sic] par Cocu, Ces animaux se seraient dévoré une patte ou la queue en quelques jours. On peut se demander si de semblables faits, que les auteurs rapprochent des phénomènes d’automutilation et d’autophagisme qui s’observent parfois chez les idiots et les déments, ne seraient pas parfois en rapport avec la tendance à l’autotomie, isolée’par Ferenczi, et dont il a été question plus haut. En tout cas, l’affaiblissement des facultés supérieures du cerveau, sous des influences toxiques ou autres, libérerait sous une forme aberrante les instincts agressifs « cannibales » de l’animal ou de l’idiot, qui se retourneraient alors aveuglement contre lui. Abraham dans une réunion de la Société de psychanalyse, à Berlin, aurait été le cas d’un bébé de six mois qui se serait dévoré là moitié d’un pouce, (D’après le Dr Odier),
Alençon, -.Imp, Corbière & Jugain
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