Jean Paulhan. Réserve sur un point. Article paru dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 181-184.
Jean Paulhan (1884-1968). Ecrivain, critique littéraire et éditeur bien connu. Animateur de la Nouvelle Revue Française (NRF) de 125 à 1940. Fils du philosophe Frédéric Paulhan (voir article sur notre site], il étudie la psychologie dans le sillage de Pierre Janet de Georges Dumas. Il participe à de nombreuses revues, dont la Revue Philosophique de la France et de l’Etranger. Quelques publication :
— Sur un défaut de la pensée critique (1929)
— Sa série des Causes célèbres, 1946, 1947, 1950.
[p. 181]
RÉSERVE SUR UN POINT.
Si Freud ne voulait être qu’un moraliste (ou bien un guérisseur, cela revient au même), je supporterais mieux certaine déception que me donne sa doctrine : c’est où il s’agit du mouvement propre de la pensée.
L’obsession d’une jeune fille consiste à empêcher un grand soin l’oreiller de toucher au bois de son lit. Or, Freud remarque d’abord que le bois est, pour cette jeune fille, mâle et l’oreiller femelle – puis que le bois lui représente son père et le réveiller sa mère – enfin, qu’amoureuse en secret de ce père, elle se figure en séparant l’oreiller du bois accomplir une action magique, propre à empêcher ses parents de s’unir.
Bien. Près de cependant révèle à la jeune fille, ou l’amène à découvrir cette pensée : inceste, jalousie. Aussitôt l’obsession disparaît ; son obscurité seule la maintenait.
(J’admets sans réserve, pendant qu’il en est temps, que la psychanalyse guérit. Pourtant, il me semble que la docilité soit ici sujette à des modes ; et l’attachement enfin des malades à leur manies ou obsessions – cet attachement que Freud s’est d’écrire – pourrait les conduire, d’ici peu, à découvrir contre cette psychanalyse un système de défense précis et aussi universel que les [p. 182] singuliers mots symboliques dont ils usent tous ne les ayant pas appris.)
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Tel est, à peine simplifié, le cas quitte de l’observation freudienne. Que pouvait-il ? Que l’oreiller, le bois de lui, dit Freud, s’explique par la pensée antérieure de l’inceste ; ils sont le langage que tient cette pensée refoulée.
Cependant, observons à présent la jeune fille et Freud avec le même détachement que Freud faisait la jeune fille. Cette jeune fille sans doute, traité suivant la méthode psychanalytique, arrive peu à peu à composer l’idée de son amour incestueux. Cette idée, chez Freud abstraite et formée par avance, ce n’est qu’un sensiblement qu’elle l’extrait de son obsession et la forme des matériaux de cette obsession. Il ne s’agit point d’inceste en général, mais de son inceste à elle et tel qu’ils lui rendent compte d’abord de sa gêne, de son horreur, du bois de lit et de l’oreiller. Il s’agit d’un inceste qui est un progrès de ce bois et de cet oreiller, qui les suppose, qui est expliqué parole, loin qu’il les explique. Quand Freud cependant dit que c’est par l’idée de l’inceste que tout a commencé, que fait-il, que placer dans la jeune fille son idée à lui-même, savante et abstraite – et vouloir une démarche réelle de la pensée ressemble à l’explication qu’en découvre un savant. [p. 183]
D’ailleurs, pour découvrir cette idée ? « Dans l’inconscient », répond Freud. C’est dire peu. Du point de vue de la pensée qui se connaît et se pense (faut-il devoir parler ainsi ?), l’oreiller explique l’inceste, non l’inceste l’oreiller. Et les serpents, ballons, au coutelas de rêve, pourraient bien rendre compte de la verge, non pas la verge des serpents, ballon au coutelas.
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— Mais, dit le psychanalyste, la jeune femme guérie ?
— Et ne peut-on guérir aussi bien par le progrès d’une idée actuelle que par le retour d’une idée cachée ?
— Mais puisque tant de rêves et de délire expriment les mêmes préoccupations ?
— Le tout est de savoir s’ils les expriment au sens où l’on dit qu’un mot exprime une chose, ou bien au sens où l’on dit qu’il exprime une pensée. L’on a pu admettre qu’une tension artérielle basse disposait au remords – et, si l’on veut, que le remords traduisait cette tension artérielle : il n’est pas fallu en conclure que ce dissimulait quelque part dans l’esprit une idée de la tension artérielle. Qu’un jeu de mots ne nous trompe pas.
— Mais s’il était utile à la guérison que la jeune fille reconnaisse avoir eue, pour commencer, l’idée de l’inceste ?
— Sans doute. Si Freud ne veut être que moraliste, au guérisseur, je me tais. D’ailleurs, je me défends [p. 184] bien de choisir entre les deux explications. Seulement, elles sont toutes deux possibles, je suis inquiet de voir que Freud ne les aperçoit pas ; je préférerais qu’il ne tint pas obstinément ces malades pour des savants dévoyés.
Enfin l’on pense aussi supposer, sans invraisemblance, que l’idée impartiale et complète de la verge ou de l’amour incestueux est la chose du monde la moins partagée, qu’il est difficile à l’homme de se représenter cet amour qu’un oreiller, et cette verge que les serpents, ballons, couteaux et autres objets de même forme, que le monde nous prête.
Jean PAULHLAN
Jean-Jacques Rouseau (Confessions) :
« Comme Mlle Lambercier avait pour nous l’affection d’une mère, elle en avait aussi l’autorité, et la portait quelquefois jusqu’à nous infliger la punition des enfants quand nous l’avions mérité… Mais après exécution, je la trouvai moins terrible à l’épreuve que l’attente ne l’avait été ; et ce qu’il y a de plus bizarre est que le châtiment m’affectionnant davantage encore à celle qui me l’avait imposée… Car j’avais trouvé dans la douleur, dans la honte même, un mélange de sensualité qui m’avait laissé plus de désir que de crainte de l’éprouver derechef par la même main. »
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