Louyer-Villermay. Magie, s. f., magia, ars magica, magice. Article du « Dictionnaire encyclopédique des Sciences médicales Panckoucke. », (Paris), volume 29, LON — MAH, 1818, pp. 454-459.
Jean-Bartiste Louyer-Villermay (1776-1838) fut élève brillant de Philippe Pinel et soutint sa thèse de médecine en 1802 (An X) sous le titre Recherches historiques et médicales sur l’hypocondrie isolée, par l’observation et l’analyse de l’hystérie et de la mélancolie, Cette thèse eut une audience importante, tant auprès de ses confrères que du public et servit de ferment à son ouvrage intitulé Traité des maladies nerveuses ou vapeurs, et particulièrement de l’hystérie et de l’hypocondrie, qui connut deux éditions successives, la première en 1816 et la seconde en 1836. Il signa plusieurs articles dans le Dictionnaire Panckoucke comme : hypocondrie, Hystérie, Mémoire, Nymphomanie et Somnambulisme.
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Magie, s. f., magia, ars magica, magice. Ce mot a diverses acceptions ; suivant la plus générale, la magie était l’art de produire, contre l’ordre le plus ordinaire de la nature, des effets surprenans ou paraissant tenir du prodige. On appelle aussi magie l’illusion que causent sur nos sens les arts d’imitation, ex. la peinture, la sculpture, etc. On dit également [p. 455] la magie du style, de la poésie, pour exprimer les sensations extraordinaires qu’opèrent en nous certains chefs d’œuvres, ou certains morceaux de littérature. Dans les temps d’ignorance, la magie fut une prétendue science qui consistait spécialement à produire, aux yeux de la multitude, des phénomènes plus ou moins étonnans par des moyens toujours naturels, mais qui, fréquemment, étaient supposés surnaturels. De là vint la distinction de magie blanche ou naturelle, et de magie noire, diabolique ou surnaturelle ; distinction ridicule et qui ne saurait être maintenue de nos jours, puisque tendant à faire admettre comme réalités des choses absurdes imaginaires, elle servirait à propager l’erreur.
La magie, dans les siècles de ténèbres et de barbarie, servit merveilleusement les différens fourbes, et contribua singulièrement au succès de leurs premiers pas, comme à celui de leurs entreprises les plus vastes et les plus audacieuses. Elle fut de tout temps une arme toute-puissante, un prisme enchanteur qui fascinait les yeux de la multitude grossière. Ses auxiliaires, les plus constans furent l’ignorance, la crédulité, la superstition, le fanatisme, la pusillanimité, enfin l’obscurité, ou les ombres de la nuit. Ses principaux mobiles ont été fréquemment l’esprit de vengeance ou une animosité cupide. Il est facile de sentir que, chez les nations étrangères à toute civilisation ou au progrès des lumières, chez les personnes dont l’imagination est facile à exalter, les idées superstitieuses relatives à la magie et aux sortilèges durent exercer un très-grand empire : les femmes, surtout, montrèrent une ferveur particulière pour ses rêveries bizarres qui piquaient vivement leur curiosité. Aussi ne doit-on pas s’étonner si on en trouve un grand nombre parmi les apôtres ou les prosélytes du mess des risques et du magnétisme.
Mais la confiance dans la magie s’est beaucoup affaiblie depuis que les idées erronées et fanatiques ont elles-mêmes perdues singulièrement de leur crédit, depuis que l’instruction est devenue plus générale. Nul doute aussi que le goût plus répandu et l’avancement des chances positives, de la physique éthique et plus spécialement des mathématiques, ne puissent revendiquer une bonne part dans cet heureux résultat. Que ne doit-on pas attendre de l’impulsion communiquée de nos jours à toutes les classes de la société, des avantages bien reconnus, et du besoin généralement senti d’une bonne éducation, également éloignés du matérialisme et de la superstition ? Quels services ne rendra pas à la jeunesse ou plutôt à la société, à l’humanité tout entière, cet argument mutuel si avidement accueilli par les hommes de bonne foi, et si aveuglement décrié et repoussé par l’ignorance ou la duplicité : « dernières tentatives des hommes [p. 456] avides de domination, et qui, sans l’appui de l’ignorance, ne saurait satisfaire leur cupidité (Minerve, tom. II) ? »
Au nie des bienfaits de la raison, les progrès des lumières : cependant on croyait autrefois ou sorciers, à la magie, au revenans ; aujourd’hui, Sir Denis ajoute foi où l’on aurait dupe. Lors des premières années du XVIIIe siècle, on brûlait encore les individus accusés ou infatués de magie ; maintenant leurs jours sont respectés. On plaint les aliénés ; jadis on les chargeait de chaîne et on les traitait comme des bêtes féroces. On s’efforce de prévenir l’invasion de la rage ou de soulager les malheureux qui en sont atteints ; dans les temps plus reculés, on les étouffait. Il y a cent ans, les hommes les plus respectables attestaient les miracles du diacre Pâris (en 1724 et 1730) ; aujourd’hui, l’opinion mieux éclairée préviendrait ce scandale du fanatisme ou de la superstition. Deux siècles ne sont pas écoulés depuis le temps où l’on provoquait publiquement l’assassinat d’un bon roi, et où Rome fêtait un pareil attentat, dont l’idée, au XIXe siècle, fait frissonner tout homme sensé et avis de la liberté. Ajoutons en outre que l’abolition de la traite des nègres est un fruit de la philosophie, que la tolérance religieuse à remplacer les proscriptions et les tueries en masses, les bûchers de l’acquisition et les dragonnades, et enfin partout des formes constitutionnelles semblent devoir succéder aux gouvernements despotiques. Néanmoins nous ne craignons pas de rappeler qu’il fut un temps où des accusations de magie et de sortilège, couvrant un but de vengeance ou de jalousie la plus vile comme la plus féroce, et reconquérir d’innocentes victimes, ou des hommes puissants ceux déshonorèrent en faisant servir la religion à l’heure insidieuse et coupable malheur. Transmettons à la postérité le souvenir de la prétendue possession des religieuses de Louviers, des ursulines de Loudun ; l’assassinat juridique d’Urbain Grandier (en 1634) ; le supplice de l’infortunée Jeanne d’Arc (en 1431) ; celui de la maréchale d’Ancre (en 1617) ; enfin, la condamnation de Galilée (en 1633). Vouons au mépris et à la peine publique les moteurs de ces lâches atrocités, et les plumes, assermentées à la bassesse, qui ne rougir pas d’en faire l’apologie. Puisse nous souvenir de ces temps d’horreur, dont nous préservent les progrès de la raison, ainsi que ceux des idées de justice et de tolérance, convaincre les incrédules et confondre les apôtres du bon vieux temps :
Vrai siècle de fer.
Voltaire.
Ulysse une juste, une heureuse et générale indignation de venir pour jamais de semblables forfaits, le désespoir des [p. 457] familles, la honte de l’humanité et l’éternel opprobre du méchant ! Toutefois, quelques vérités consolantes peuvent diminuer l’horreur d’un pareil tableau. Des prêtres, distingués par leur piété et leur bonne foi, entre autres M. Languet, curé de Saint-Sulpice ; des magistrats, l’honneur de la toge, tel que le célèbre d’Aguesseau, apparurent comme pour réconcilier les hommes vertueux est censés avec le genre humain, en conseillant de renvoyer les personnes infatuées de magie aux médecins, dont les soins seuls devaient être réclamés. Citons aussi, à la gloire de la médecine, le rapport de Marescot, Riolan et Duret sur la possession de Marthe Brossier : la conclusion de leur mémoire en était en même temps le résumé :
Nihil dæmone, multa ficta, à morbo pauca.
Malgré ces autorités, les opérations prétendues magiques exercèrent encore pendant longtemps une forte influence sur l’esprit de la multitude.
Tant sur l’esprit humain ont toujours de pouvoir
Les spectacles frappants qu’il ne peut concevoir.
C’est ainsi qu’un curé, grand magicien, voulu produire une impression plus profonde sur l’esprit de son auditoire, conjurait la foudre, au milieu de son serment, de tomber du ciel, et aussitôt des menaces enflammées sillonnaient la voûte de l’édifice. Un jour, au moment de la véhémente invocation, on entendit une voix enfantine de crier :M. le curé, je n’ais plus d’étoupes ? à l’effroi général succéda une disposition toute contraire.
Mais les moyens magiques ont été parfois dirigés avec le plus de franchise et vers un but plus utile : on a, dis-je, dans le traitement de certaines maladies nerveuses ou mentales, retiré un parti avantageux de la magie ou de l’application de moyens qui passaient pour surnaturel. Ainsi on aguerrit certains mélancoliques qui se croyaient sous l’influence du démon, en les exorcisant à l’aide de cérémonies religieuses ou d’une intervention simulée de la puissance divine. C’est par un procédé analogue que les Zacutus Lusitanus a dissiper la monomanie d’un de ses malades, qui désespérait obtenir jamais la rémission de ses péchés. Au milieu de la nuit, le médecin fit apparaître un ange qui, tenant un glaive d’une main, de l’autre une torche enflammée, ouvrit les rideaux du lit, et, appelant trois fois le malade par son nom, lui annonça le pardon de ses fautes. Le monomaniaque, enchanté, racontait partout sa guérison miraculeuse. Cet exemple, entre beaucoup d’autres analogues, suffit pour diriger les médecins qui auraient à traiter quelques esprits faibles et crédules. [p. 458]
Nous arrêtons ici nos considérations sur cet objet, renvoyant ceux qui voudront l’approfondir davantage, aux sources suivantes : Bodin (jean), Pistor (Jean), etc., etc. ; le Dictionnaire infernal, et les mots convulsionnaires et démonomanie du Dictionnaire des sciences médicales. Il est sans doute, quelque analogie entre cet article et ce consacré aux mots précédents ; mais nous avons évité de rapporter les mêmes faits et de la même manière. Nous nous félicitons, du reste, de nos êtres rencontrés en conformité d’opinions, du moins en général, avec deux confrères auxquels nous portons une très grande estime. Voyez chiromancie.
(Louyer-Villermay)
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MAGlCIEN, MAGICIENNE, s., magus, saga ; celui qui prétend posséder l’art de la magie, ou qui est réputé en possession de cette prétendue science. L’étymologie de ce mot vient de mage : les mages étaient des prêtres, qui, dans l’Orient, et particulièrement en Perse, passaient pour devins. Du temps de Pline, si l’on en croit quelques historiens, on admettait une grande différence entre les magiciens et les sorciers : les premiers étaient regardés comme des enchanteurs respectables, tandis qu’on supposait le second des malheureux vendus aux puissances de l’Enfer. Aujourd’hui, les magiciens, les sorciers et les charlatans, peuvent aspirer au même degré d’estime et de considération.
Sur leurs tréteaux montés, ils rendent des oracles,
Prédisent le passé, son cent autres miracles.
Voltaire.
Cependant, le métier de magicien ne fut pas toujours honoré ou profitable ; car, il fut un temps où tout individu qui se disait magicien, ou qu’on supposait entaché de magie, était brûlé vif. Il paraît que Ie besoin de juger, ou plutôt de condamner, fut, même a cette époque, pour certains juges, un heureux passe-temps : Toutefois, si ces importunités eussent été de véritables sorciers, ils auraient trouvé le moyen d’échapper au fatal bûcher, et, puisqu’ils ne pouvaient se soustraire aux condamnations et aux supplices, ils n’étaient donc, tout au plus, que des aliénés ou des fourbes ; or’, le délit n’emportait pas la peine capitale. Comment des magistrats ont-ils pu, pendant de longues années, envoyer au supplice un aussi grand nombre de victimes ; comment, dis-je, leur conscience ne les éclairait-elle pas sur l’iniquité et l’atrocité de leurs jugements ? Le cri de l’humanité révolté était étouffée par la prévention ou la haine.
Ah ! félicitons-nous de vivre dans un siècle où l’on ne croit ni aux sorciers, ni aux magiciens. Si leur profession n’est pas honorée, du moins, de nos jours, ne sont-ils pas dévoués aux bûchers et aux échafauds ; si la crédulité des personnes faibles et non éclairées est leur espoir, la risée des hommes instruits, ou de bonne foi, est leur salaire le plus assuré. Nous renvoyons, pour ce qui regarde la prétendue science magique, au mot MAGlE.
(LOUYER-V1LLERMAY)
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