Henri Claude & Raymond de Saussure. De l’organisation inconsciente des souvenirs.Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), dix-neuvième année, 1924, pp. 360-369.
L’article doit plus à l’observation de de Saussure qu’à celle d’Henri Claude. – Nous renvoyons à nos articles en ligne sur notre site, pour les bibliographies de chaque auteur.
Charles Jules Henri Claude (1869-194). Médecin neurologue et psychiatre. Après avoir été initié à la médecine par Charles Bouchard il de vint l’assistant de reudulgence Raymond à la Salpêtrière et occupa la chaire de clinique des maladies mentales de 1922 à 1939 à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Il œuvra au développement des théories psychanalytique en France, malgré de sérieuses réserves, et créa la premier Laboratoire de psychothérapie et psychanalyse à la Faculté de Médecine de Paris. Il laissera son nom à plusieurs syndromes en neurologie.
Raymond de Saussure. Né et mort en Suisse, à Genève (1894-1971). Il est le fils du très célèbre linguiste Ferdinand de Saussure, dont Jacques Lacan reprendra les principaux travaux en les développant dans sa pensée. Après avoir entrepris des études de lettres et de psychologie, il s’oriente vers les études médicales et devient médecin confirmé à Zurich, il poursuit sa formation de psychiatre en France, à Paris, puis à Vienne, et enfin à Berlin. Il est analysé par Freud, puis par Franz Alexander. Elève de Théodore Flournoy, il a été un des fondateurs de la Société Psychanalytique de Paris, et un zélateur efficace pour la psychanalyse en France et en Suisse romande. Ses recherches et ses travaux restent très influencés par ceux de son père, en particulier, ses développements sur le langage, comme celui que nous proposons ici. Pour les publications retenues nous renvoyons aux autres articles sur note site.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé de nombreuses fautes de composition. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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De l’organisation inconsciente des souvenirs
par
Le Professeur Henri Claude
et R. de Saussure
Depuis plus de dix ans, Maeder, de Zurich, a attiré l’attention des psychologues sur la fonction téléologique du rêve. Notre éminent confrère pense que le travail onirique a pour but de préparer des solutions aux conflits qui nous occupent, en d’autres termes de mâcher la besogne de notre activité consciente.
Pour notre part nous ne saurions partager ce point de vue finaliste. Cependant, nous sommes prêts à reconnaître que la théorie du psychiatre zurichois repose sur une observation juste et intéressante, à savoir que l’organisation inconsciente de nos souvenirs précède souvent la solution consciente de nos conflits. Nous avons eu l’occasion d’étudier dans une série de rêve d’une même malade ce travail de l’activité onirique.
Mademoiselle Val… entre dans le service libre de Sainte-Anne (service du professeur Henri Claude) en mars 1924, âgé de trente-six ans. Institutrice de profession, elle vient consulter pour des crises de nature vraisemblablement hystériques qui se manifeste de façon irrégulière depuis dix-sept ans. Ces grises débutèrent en 1916 par un tremblement du bras droit qui s’est progressivement étendu à tout le corps et qui à l’époque avait été pris pour de la chorée. Nous avons tout lieu de croire qu’il s’agissait déjà en 1907 d’une manifestation hystérique, car, au cours d’un entretien, le 14 avril 1924, le bras de Val… se mit à trembler et par l’énergique contresuggestion nous avons été en mesure d’arrêter ce phénomène immédiatement.
Val… est né dans le Dauphiné, d’un père alcoolique et d’une mère saine. Il n’y a pas d’hérédité pathologique à signaler du côté de la mère tandis que du côté paternel il y a plusieurs cas d’éthylisme.
Notre malade s’est montré, dans son enfance, une fillette docile et affectueuse, assez bien douée et d’un tempérament gai. Jusqu’en 1907 elle a joui d’une santé excellente, cependant, soit physiquement soit intellectuellement elles se fatiguaient très rapidement. À l’âge de quatre ou cinq ans, elle se mit à se masturber et à se faire masturber par des garçons et des filles de son âge a qui, du reste, elle rendrait le même service. Ce fut surtout avec sa petite sœur, que plus tard elle se livra à ces pratiques [p. 361] onanistes. Au moment de sa première communion, elle comprend que ce qu’elle faisait était mal, elle en en a de très vifs remords, particulièrement à l’égard de sa jeune sœur. Cela est important à noter, car c’est ce repenti qui a déterminé sa vocation d’institutrice. Depuis cette époque, tout son désir a été de pouvoir à éclairer et faire épanouir de jeunes en. La sollicitude avec laquelle elle entoura sa jeune sœur, âgée de sept ans de moins qu’elle, développa de façon précoce son instinct maternel. Elle ne rêvait que d’enfant. Elle prétendait en avoir douze et dans le village on la plaisantait sur sa nombreuse postérité imaginée.
Malgré ce désir ardent d’être mère, une série d’événements devait la tenir écartée du mariage. Sa mère, malheureuse en ménage, s’était réfugiée dans les consolations de l’église. Elle avait rêvé de faire de son fils André un prêtre. Elle l’envoya au séminaire. André était très lié avec Val… ; tous deux, à cet âge avait la même nature ardente et mystique. Notre malade entrevoyait déjà toute une vie de dévouement aux côtés de son frère. Elle l’aiderait, prendrait à sa charge les soins du ménage et se dépenserait dans les diverses œuvres de la paroisse. Le rêve était été bon, mais vers 1906, André renonça à sa vocation de prêtres. Cependant, pour faire plaisir à sa mère, il continua d’aller au séminaire pendant un an, dans l’espoir de sentir renaître en lui la vocation ecclésiastique.
Sur ces entrefaites, vint s’établir dans le petit village du Dauphiné qu’habitait Val… et sa famille, un nouvel appelé, M. X. Celui-ci devint rapidement un habitué de la maison. La mère de notre malade, un peu superstitieuse, pensait que c’était un second fils que lui envoyait le bon Dieu, puisque son propre fils voulait quitter la prêtrise. Elle le reçut à bras ouverts, si bien qu’après quelques semaines, il embrassait aussi bien la mère que les sœurs de Val… Celle-ci était du reste loin de s’en plaindre. Deux personnes cependant regardaient l’abbé d’un mauvais œil, c’était André et notre malade. Celle-ci était si profondément attachée à son frère qu’il lui répugnait de voir toute sa famille accueillir un étranger à sa place. Un sentiment de révolte lui faisait détester cet intrus. À l’encontre de ses sœurs, elle avait toujours refusé d’embrasser ou de se laisser embrasser par lui et cette attitude n’avait fait qu’accroître son intimité avec son frère.
Les choses en seraient restées là, lorsqu’un jour elle fit un long pèlerinage à pied. En rentrant, l’abbé lui dit combien il était peiné de l’attitude hostile qu’elle promet à son égard et il lui demanda d’accepter un entretien où il pût s’expliquer franchement avec elle (avril 1907). Revenant d’un pèlerinage, elle ne voulut pas commettre un acte d’inimitié et accepta. Dans cette entrevue, l’abbé lui rappela qu’il l’avait vu deux ou trois fois avant qu’il entra au séminaire. Il lui confia qu’elle lui avait fait une impression profonde, qu’il l’avait toujours aimé. Il lui demanda de faire son possible pour abandonner son attitude d’hostilité dont il souffrait tant. Elle promit, mais ne se sentit nullement attirée vers lui. [p. 362]
Elle quitta son village natal pour passer ses examens et s’occuper de ses premiers élèves, en sorte qu’elle ne le vit que rarement. Elle rentra chez ses parents, à la fin de décembre 1907, pour ces vacances de Noël.
Le 30 décembre de la même année, au moment où elle écrivait à son frère, elle fut prise d’un tremblement du bras droit. Elle en rit d’abord, puis, voyant que cela ne cessait pas, son entourage et elle-même commencèrent de s’inquiéter.
Le tremblement l’obligea à laisser inachevée la lettre qu’elle écrivait, elle monta alors dans la pièce au-dessus où se trouvait sa famille et l’abbé devenu prêtre : là, pour la première fois, elle l’embrassa.
Au cours de décembre 1907, Val… semble avoir transféré inconsciemment sur le prêtre l’affection que jusqu’ici elle portait à son frère. Cette évolution a dû être douloureuse, puisqu’elle était en désaccord complet avec l’attitude qu’elle avait adoptée jusqu’ici. Mais, sans nul doute, c’est dans ce transfert que résida le conflit qui a engendré sa maladie.
Ce tremblement s’étendit à tout le corps, il était accompagné de secousses brusques. Il disparut pendant les règles de Val… Puis revint. Ces phénomènes sa s’amendèrent pendant le cours de février pour revenir en mars et atteindre leur paroxysme en avril 1908. À ce moment, notre balade était alitée, elle fit plusieurs tentatives de suicide. Quand elle prenait du chloral, elle devenait méchante, brisait des objets et se mettait en colère pour des riens. En mai, il y eut une légère amélioration. En 1909, le tremblement disparu progressivement. Pendant sa maladie Val… avait souvent vu M. X. En 1910, elle fit même un petit voyage avec lui. Des baisers, ils en vinrent aux caresses, des caresses à l’acte coupable. Et la surprit, elle se révolta, elle fut vaincue. Elle en eut un grand dégoût, mais X. lui fit tant de promesses qu’ils continuèrent de se voir, essayant de réaliser un amour purement mystique. Si bouleversante que fût pour Val… cette agression brutale elle ne fut suivie d’aucun phénomène pathologique.
En décembre 1914, réapparaît le tremblement. Il semble qu’à ce moment notre malade ait été très affecté par une proposition de mariage. Elle sentit renaître son instinct maternel et le besoin d’assouvir ses désirs sexuels éveillés par la scène de 1900. Tout cela la poussa à quitter X. Et, d’autre part, elle se sentait moralement liée à lui qui attendait qu’elle eût atteint l’âge canonique pour la prendre chez lui. Elle refusa l’offre, mais le conflit fut assez violent pour faire réapparaître ces mouvements involontaires ; ceux-ci durèrent de façon intermittente jusqu’en été 1915
En août 1916, l’évêché ayant surpris une lettre du prêtre adressée à son ami, il interdit à celui-ci de revoir Val… La séparation fut complète pendant un an et demi. Cependant dans le village, on faisait courir le bruit qu’elle était enceinte. La séparation, les émotions, tout cela déclencha à nouveau le tremblement. En novembre 1917, elle revoit X… [p. 363] et elle guérit peu de temps après. Tout va bien jusqu’en 1920. À ce moment qu’elle vient habiter le même village que sa sœur aînée, qui est connu pour son caractère détestable. Celle-ci, jalouse, lui fait des scènes épouvantables. Les phénomènes pathologiques reviennent une fois de plus et se poursuivent jusqu’en février 1921, où elle rompt définitivement avec X. Celui-ci s’était montré incapable de tenir sa promesse d’un amour platonique. Il avait fait diverses propositions a Val… qui a dégoûtèrent ; cependant, elle ne ne se sent pas assez forte pour prendre seule la décision de rompre. C’est à ce moment qu’elle avait fait la connaissance de son amie Isabelle. Celle-ci lui faisait des piqûres que le médecin lui avait ordonnées. Après avoir échangé quelques confidences, Isabelle obligea son ami à rompre ses relations avec X.
Elle acquit par là un ascendant remarquable sur notre malade la guérit. Il n’y eut plus aucun phénomène pathologique jusqu’en 1923, si ce n’est une certaine asthénie qui dure surtout depuis 1919. Val… Et certainement épuisé par les longues périodes de tremblements qu’elle a traversées.
Examinons maintenant quelles furent les préoccupations qui firent éclater les crises de décembre dernier :
1° En été 1923, notre malade apprend que sa sœur cadette s’est établi depuis plusieurs mois chez le prêtre. Cette idée provoque chez elle une certaine jalousie, des désirs et, plus encore, des remords. Elle se souvient qu’enfant, c’est elle qui a initié sa sœur à la sensualité, cela réveille ses scrupules. Elle voudrait pouvoir arracher sa sœur à l’influence de X. Et, d’autre part, elle ne veut pas rentrer en relation avec ;
2° En été 1923, elle apprend qu’un homme de son village, pour qui elle avait beaucoup d’estime, a perdu sa femme. Elle sent que si elle était dans un meilleur état de santé il y aurait eu là pour elle une possibilité de mariage. Elle en veut au prêtre qui a détruit sa santé et gâché sa vie ;
3° Peu de temps avant ces crises, Isabelle son seul soutien, lui fait une scène. Elle lui reproche d’être trop passionnée dans son amitié, trop sensuelle, trop « embrassante ». Val… se justifie en disant que c’est le seul moyen pour elle de se satisfaire physiquement, que ce n’est pas elle qui a créé sa nature ardente et que, d’ailleurs, tant qu’elle n’en arrive pas à des actes plus graves, elle ne voit pas le mal qu’il peut y avoir à cela. Cependant cette ombre dans sa meilleure amitié la tourmente beaucoup ;
4° La mère de V… voudrait voir sa fille revenir habiter leur maison natale dans le Dauphiné. Val… qui habite depuis dix ans avec son ami Cécile, à qui elle doit beaucoup, ne veut pas l’abandonner. Elle lui fait son ménage.
Cet ensemble de préoccupations semble avoir engendré les manifestations [p. 364] pathologiques de décembre dernier. Elles s’arrêtèrent instantanément lorsque Isabelle passa sa bague au doigt de notre balade. Val… viens nous consulter pour que nous prévenions le retour de nouvelle rechute et que nous agissions contre son asthénie. Nous avons eu l’occasion de la voir environ vingt-cinq fois. Nous avons pratiqué avec elle la méthode psychanalytique. Il ne peut être question de rapporter ici le détail de nos conversations. Ces premiers rêves nous ont placé en face de son désir de se marier.
À ce propos, elle se souvient que l’incident qui fit éclater ses crises en décembre dernier était le suivant :
Elle était à l’église, elle vit un prêtre officier, elle crut reconnaître X. Elle fut prise violent désir de le revoir.
En mars, au contraire, un mois après sa guérison, elle nourrit un sentiment de haine très vite à l’égard du prêtre. Elle sent qu’il est un obstacle à son mariage. Le seul homme qu’elle pourrait épouser connait X. Val… ne veut pas lui avouer tout ce qui s’est passé et c’est ce qui l’éloigne de lui. Aussi, chaque fois qu’elle parle du prêtre, c’est avec peine et dégoût. Elle est obsédée par l’idée qu’il lui a gâché sa vie.
Nous prions le lecteur d’excuser ce long préambule, mais cette anamnèse détaillée était nécessaire pour saisir la suite de ce travail. Nous allons voir que du 22 mars au 10 avril s’opère chez Val… une transformation tendant à changer le dégoût qu’elle éprouve pour X. en de l’indifférence. Tant que notre malade nourrissait une haine violente, elle était sans cesse préoccupée du prêtre, il lui remontait à l’esprit une foule de souvenirs pénibles. Au contraire, depuis que sa répulsion est tombée, elle ne pense plus à lui, elle arrive à objectiver ses sentiments. Ce que nous vous devrions faire ressortir ici, ce sont les processus inconscients par lesquels elle se détache de tout ce qui concerne le prêtre. Nous voudrions montrer par une série d’images oniriques de quelle façon les souvenirs se déforment et s’organisent en vue d’atténuer la charge affective désagréable qu’ils comportent.
Premier rêve. – « Je me trouve dans un endroit que je ne puis pas bien préciser. Je crois que c’est à Paris. Ma mère est avec moi. Je reçois une lettre de ma sœur cadette à laquelle je ne prête pas attention. Avec elle se trouve une lettre du prêtre. Je ne veux pas d’abord la lire, puis, par hasard, je vois qu’il ne s’agit que de la description de son presbytère. La lettre commence par « ma chère petite fille ». Je ne puis me souvenir de la fin de la lettre, je garde l’impression que même en rêve je n’ai pas pu la lire ; elle était comme effacée. Sur la lettre se trouvait encore un dessin. Je reste indifférente à cette lettre, elle ne provoque en moi ni répulsion ni désir. Ma mère, au contraire, est tout heureuse d’avoir des nouvelles du prêtre. »
Les associations que Val… nous donne au sujet de ce rêve sont très nombreuses. Nous nous contenterons le relevé celles qui peuvent nous [p. 365] intéressé au point de vue de l’organisation inconsciente des souvenirs.
« Dans le rêve, la lettre me parvient sous une enveloppe écrite par ma sœur, car je ne m’ouvre plus les missives du prêtre, et je ne les lis plus depuis que j’ai rompu avec lui. » (Ici la malade nous raconte en détail toutes les circonstances qui l’ont amenée à ne pas ouvrir la dernière lettre que le prêtre lui a adressée en réponse à la lettre de rupture quelle avait écrite).
« La missive du prêtre commence par « ma chère petite fille », c’est ainsi qu’il m’écrivait en 1907, avant qu’il y ait eu quoi que ce soir entre nous. La description du presbytère n’est pas celle du presbytère qu’il habite. Il s’agit d’une maison de mission au Japon. Le dessin qui est sur la lettre représente également un site japonais. Un missionnaire m’a montré ces mêmes paysages en 1906. En 1908 je lui ai écrit pour lui raconter mes sentiments pour X. Il me répondit de rompre immédiatement. Je ne l’ai pas fait. ». (Suit la description des circonstances dans lesquelles elle fit la connaissance de ce missionnaire.)
« En 1919 les premiers temps que je repris la correspondance avec le prêtre, après l’interdiction de l’évêché, je lisais à mon amie Cécile toutes les lettres qu’il m’écrivait. Bien entendu les derniers paragraphes de nos missives devinrent trop intimes et je les cachais à mon amie. » (Suit la description des circonstances dans lesquelles elle renoua la correspondance avec le prêtre.)
De ces quelques associations ressort le désir très net d’éloigner dans le temps et dans l’espace des souvenirs concernant le prêtre. Il y a une tentative de dépasser toutes les choses pénibles qu’elle a vécues avec cet homme. L’en-tête de la lettre (ma chère petite fille) nous reporte à l’époque où elle était indifférente à X. Le presbytère est transporté au Japon. Le prêtre lui-même est en partie identifié avec un saint homme. Enfin, de la correspondance, le rêve n’évoque que la partie la plus banale, celle que Val …pouvait lire sans arrière-pensée à son amie ; la partie la plus intime est effacée. De toutes ces années écoulées où Val… a connu des sentiments d’amour et de haine si violents, le rêve n’évoque que les incidents insignifiants. Il est comme un filtre qui ne laisse passer que les événements dépourvus d’affectivité, ceux qui ne sont pas nocifs. La conclusion même du rêve est intéressante, elle nous montre dans quel sens l’inconscient de Val… tend à s’organiser. « Je reste indifférent à cette lettre, elle ne provoque en moi ni répulsion ni désirs. Ma mère au contraire, est heureuse d’avoir des nouvelles du prêtre. » Cette dernière phrase demanderait un long commentaire, mais elle l’intéresse pas le but que nous poursuivons.
Deuxième rêve. – « Je me promène sur un chemin, je vois une jeune femme enlisée jusqu’à la poitrine dans un étang. Je poursuis mon chemin et je vois un pré rempli de fleurs blanches et de Marguerite. Je veux les cueillir, lorsqu’arrive une dame, qui ressemble à la mère [p. 366] Isabelle. Je lui demande la permission de cueillir ces fleurs, elle ne me répond pas, mais elle n’empêche pas de les prendre. »
Associations résumées. – « La jeune femme, ce doit être moi. Je me souviens qu’un jour Isabelle m’a dit : il me semble parfois t’avoir retiré d’un puits dans lequel tu étais enlisé. Les fleurs blanches sont l’emblème de la pureté ; je me souviens que, lorsque j’étais enfant, nous allions en cueillir le dimanche des Rameaux. Les marguerites étaient mes fleurs préférées. Ah ! J’étais pure dans ce temps-là ! Je me souviens que dans le rêve il y avait à côté du pré fleuri une petite ferme entourée de barrières J’aimais la campagne autrefois. Puis, lorsque j’ai rompu avec le prêtre, je n’aimais plus que la ville, aujourd’hui, je m’attache de nouveau à la campagne.…
« La mère d’Isabelle est bizarre et sauvage, elle ne veut voir personne. Ce n’est pas une vie pour mon amie, qui a quarante ans, de vivre aussi isoler. Je suis la seule personne que cette vieille dame agréée parfois. C’est pourquoi je pense que dans mon rêve, elle me laisse cueillir des fleurs. »
Dans ce rêve, nous voyons les souvenirs pénibles s’enliser et disparaître pour faire place aux symboles de la pureté. Le pré de fleurs rappelle l’enfance heureuse. Faire appel à une époque bénie de sa vie, c’est une façon d’effacer une période triste. Nous ne nous débarrassons d’un souvenir quand le remplaçant par un autre qui nous intéresse davantage. Nous verrons que dans plusieurs rêves, Val… se retrouve au temps de son adolescence, qui pour elle symbolise la pureté et la joie de vivre. Mais le pré de fleurs c’est aussi la campagne rêvée où elle voudrait aller habiter avec Isabelle et Cécile. Le rêve réalise son désir. Il substitue à l’image pénible de ses souvenirs (en glissement) une image de pureté et de bonheur. Par là, il tend à rendre le fond mental de Val… moins morose, moins déprimé. Il est certain que si de façon continue son inconscient tend à transformer ces souvenirs pénibles en impression agréable, l’humeur générale de la malade doit s’en ressentir. C’est à ce point de vue qui nous paraît particulièrement intéressant d’étudier l’organisation inconsciente des souvenirs.
Troisième rêve essaie de dessiner le presbytère, mais celui-ci est situé au sommet d’une rue. Chaque fois qu’elle dépend d’entreprendre le dessin, elle s’aperçoit qu’elle encore une maison à dessiner qui se trouve placé – « Je me trouve avec ma mère et Isabelle dans le Dauphiné. Une de mes élèves apporte à ma mère un tableau à encadrer. Le centre du tableau représente une ferme ; au-dessus je trouve l’image d’une sainte vierge qui tient par la main une fillette, dont la figure est laide. Sur le bord du tableau encadrant cette image centrale, se trouvent diverses scènes qui ne sont pas très nettes. J’ai l’impression que même dans mon rêve, je n’ai pas pris connaissance de ce qu’elle représentait, mais je savais qu’elle concernait le prêtre. Ma mère dit à Isabelle : vous vous y connaissez mieux que moi, que pensez-vous de ce tableau ? Isabelle sans répondre prend le tableau, efface les scènes du bord, puis veut effacer la vierge en disant : « je ne peux pas l’avoir sous ces traits-là ». [p. 367] je proteste en disant : « il ne faut pas faire trop de peine allez les. » Isabelle se range à mon avis et le rêve finit ainsi. »
Associations résumées. – Val… interprète d’elle-même le rêve : « le tableau c’est ma vie que ma mère aurait dû encadrer. Elle ne la pas fait. Elle m’a livré aux prêtres par son l’imprudence, par son aveuglement. Elle donne le tableau à Isabelle pour qu’elle l’estime ; c’est mon désir qu’elle rende hommage à la valeur morale de mon amie. Isabelle efface de ma vie tous ceux qui y rappellent le prêtre. C’est ce qu’elle a fait en réalité. La vierge, c’est moi, mon désir d’être vierge, de ne pas avoir été violé, mon idéal de pureté. Isabelle veut l’effacer, ceci fait allusion au côté sensuel de mon amitié (voir plus haut). Dans le rêve, elle comprend, elle cède à mon désir. La petite fille, c’est ma petite sœur que j’aurais voulu pouvoir protéger par la pureté depuis ce que je lui ai fait dans mon enfance. Hélas ! Aujourd’hui elle est chez le prêtre. La maison entourée de barrières, c’est la demeure protégée contre les impuretés, c’est la vie même à la campagne. »
Ici le rêve use de nouvelles images pour effacer tous les souvenirs pénibles et rétablir Val… dans la pureté de son adolescence (image de la vierge). Le souvenir désagréable est refoulé et le rêve se termine par l’image de l’idéal à atteindre.
Ce rêve est particulièrement intéressant par son caractère synthétique. Il fait allusion à toutes les préoccupations de Val… Et, en même temps, une solution à tous ces conflits : sa mère, qui a toujours témoigné d’une grande incompréhension à l’égard d’Isabelle, rend hommage, dans le rêve, à ses qualités de jugement ; les souvenirs concernant le prêtre sont effacées. Val… a retrouvé sa virginité et conduit sa seule dans le chemin de la pureté ; Isabelle se montre indulgente à son égard ; enfin toutes ces scènes se passent autour d’une maison de campagne rêvée.
Quatrième rêve. – « Je me trouve avec ma mère lorsque arrive le prêtre. Il nous dit qu’il va partir pour un couvent de trappistes. Il nous fait ses adieux. Je sens qu’il y a chez lui un vrai repentir. Je lui donne la main et le laisse aller. »
Association résumée. – « Mon oncle m’a invité en séjour pour que je puisse être à la campagne ; il est prêtre lui-même et habite non loin de M. X. Je ne veux pas y aller, cela me rappellerait trop de souvenirs et puis ce serait me jeter dans la gueule du loup. Si X. n’habitait plus le pays, ce serait autre chose. Il m’est bien devenu indifférent mais je ne sais ce qui pourrait se passer si je le revoyais. Je me suis défaite de tous les objets qu’il m’avait donnés ; je les ai vendus et avec le produit de la vente, j’ai fait dire des messes pour lui. Je voudrais être sûr que lui aussi s’est repenti. »
Ici l’image du prêtre apparaît dans le rêve, mais c’est un prêtre transformé qui ne provoque plus de répulsion. Elle ne trouve pas non plus d’attrait pour lui puisqu’elle ne laisse partir. Elle est indifférente et ses [p. 368] associations nous permettent même de voir son désir qu’il quitte la contrée. Désormais un couvent séparera pour toujours leurs deux vies. Telle est la solution qu’elle imagine à son conflit.
Cinquième rêve. – « Je me retrouve sur la pelouse devant le presbytère du prêtre. Une table est posée entre ma mère, mes deux sœurs et peut-être d’autres personnes encore sont présentes. Ma sœur cadette va-et-vient dans la maison, elle semble parfaitement à son aise. J’en conclus qu’il n’y a pas de relation coupable entre elle et le prêtre. Je dis à ma mère : « si tu veux continuer à le voir, je ne veux pas être un obstacle pour toi. Va demeurer chez lui, je n’irai pas te voir, mais tu seras toujours la bienvenue quand tu voudras chez moi. » Là-dessus le prêtre s’en va. Il embrasse tous les assistants, se penche vers moi pour faire de même. Je me raidis. Il comprend et part. Puis ma sœur cadette part à son tour. Elle embrasse tout le monde sauf moi. J’en suis très affecté et je sors mon bras qui commence à trembler. Je suis alors transporté dans notre maison natale. J’ai pris mon journal, tandis que dans la chambre au-dessus ma famille cause avec le prêtre. »
Il ne peut être question ici d’exposer tout le contenu latent du rêve, nous ferons seulement remarquer la progression que cette image onirique marque dans l’objectivation des sentiments de Val… à l’égard du prêtre. Tout en refusant tout compromis avec lui (refus du baiser), elle cherche à réduire sa rancune et la culpabilité du prêtre au minimum. La fin du rêve représente une scène souvent vécue. Elle reporte notre malade au temps où elle était indépendante de sa famille, où elle était détachée du prêtre et où elle cultivait de belles pensées en rédigeant son journal intime.
Pour des raisons de clarté d’exposition, nous n’avons considéré que le développement des sentiments Val… concernant le prêtre. Mais nous trouverions une organisation analogue si nous poursuivions les autres préoccupations de notre malade.
Partout se manifeste cette tendance à l’objectivation et à la désaffectivation les sentiments. Les premiers rêves déforment beaucoup la réalité au profit du désir, tandis qu’à mesure que V… devient plus consciente de ses préoccupations, les rêves tentent d’adapter le désir au réel, comme cela a lieu dans l’activité consciente des normaux. Enfin ces processus de refoulement dont témoignent les images oniriques nous semblent intéressants au premier chef. Chaque fois que le rêve évoque un souvenir pénible concernant le prêtre, nous voyons l’image s’obscurcir et s’altérer (presbytère du Japon, femme enlisée, celle du tableau effacé par Isabelle, fin des lettres illisible, prêtre redevenu repentant et trappistes). Nous aurions pu citer encore ce fragment de rêve entre ou V… essaye de dessiner le presbytère, mais celui-ci est situé au sommet d’une rue. Chaque fois qu’elle veut en entreprendre le dessin, elle s’aperçoit qu’elle a encore une maison à dessiner qui se trouve placée entre celle [p. 369] qu’elle vient d’exécuter et le presbytère. Le rêve s’achève avant qu’elle ait pu atteindre son but.
Un second point important à noter est que le rêve ne se termine jamais sur l’image refoulée ; celle-ci fait toujours place à une image heureuse rappelant les désirs et les aspirations de Val… Nous faisons allusion ici au pré fleuri, à l’image de la vierge, à la maison natale, etc.
Les rêves préparent en quelque sorte une atmosphère agréable, heureuse qui aide au malade à sortir de son humeur triste et de ses souvenirs pénibles. Ils créent un fond mental qui tend à l’euphorie. Ces processus ne se rencontrent probablement pas dans les rêves seulement, mais aussi dans toute l’activité qui échappe à notre contrôle conscient. Les images oniriques naturellement ne revêtent cette forme que lorsque le malade est en voie de guérison.
En résumé, le phénomène sur lequel nous voulions attirer l’attention est celui-ci : dans l’amélioration progressive d’une névrose, l’effort volitionnel conscient ne représente qu’une partie du travail de restauration ; au-dessous de cet effort, l’activité inconsciente concourt au même but avec des processus qui lui sont propres et que nous avons tenté de mettre au jour dans un cas particulier.
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