Recherches expérimentales sur le rêve. De la continuité des rêves pendant le sommeil. Par Nicolas Vaschide. 1899.

VASCHIDERECHERCHES0003Nicolas Vaschide. Recherches expérimentales sur le rêve. De la continuité des rêves pendant le sommeil. Article parut dans les « Comptes-rendus hebdomadaires des séances de l’académie des sciences », (Paris), tome cent vingt-neuvième, juillet ) décembre 1899, pp.183-188.

La première publication de Nicolas Vaschide sur les rêves. Il s’adjoindra pour un grand nombre des suivantes, Henri Piéron. Cité par Freud dans La Science des rêves.

Nicolas Vaschide (1874-1907). Psychologue d’origine roumaine, élève et proche collaborateur de Alfred Binet. Nous avons retenu parmi plus de dizaines de publications celles sur le sommeil et les rêves :
— Appréciation du temps pendant le sommeil (Résumé des recherches personnelles). in « Intermédiaire des biologistes », (Paris), tome I, 1898, pp. 228 et pp. 419.
— Recherches expérimentales sur les rêves. De la continuité des rêves pendant le sommeil. In « Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’académie des sciences », (Paris), tome cent vingt-neuvième, juillet-décembre 1899, pp. 183-186.
— Vaschide Nicolas et Piéron Henri. Prophetie dreams in Greek and Roman Antiquity. in « The Monist », (Chicago), vol. XI, n° 2, January 1901. p. 161-194.
— Projection du rêve dans la veille. in « Revue de Psychiatrie », (Paris), nouvelle série, 4e série, tome IV,  février 1901, p.38-49.
— Le rêve prophétique dans les croyances et les traditions des peuples sauvages. In « Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris », (Paris), Ve série, tome 2, 1901, pp. 194-205.
— De la valeur séméiologique du rêve. In « Revue scientifique », 30 mars et 6 avril 1901.
— Contribution à la séméiologie du rêve. In « Bulletins de la Société d’anthropologie de Paris », (Paris), année 1901 Volume 2 Numéro 2 pp. 293-300.
— Le rêve prophétique dans la croyance et la philosophie des arabes. In « Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris », (Paris), 1902, pp. 229-244.
— De la valeur prophétique du rêve dans la philosophie et dans les pensées contemporaines. Paris, V. Giard & E. Brière, 1902. 1 vol. in-8°, 40 p.
— La Psychologie du Rêve. Paris, J.-B. Baillière et Fils, 1902. 1 vol. in-8°, 95 p.
— La valeur du rêve prophétique dans la conception biblique. in « Revue des Traditions Populaires », (Paris), vol. 16, n° 7, juillet, 1901, pp. 345-360.
— Le Sommeil et les Rêves. Paris, Ernest Flammarion, 1911. 1 vol. Dans la « Bibliothèque de philosophie scientifique ».
— Les théories du rêve et du sommeil. I. La théorie biologique du sommeil de M. Claparède. Extrait de la Revue de Psychiatrie, 1907, n°4. Paris, Octave Doin, 1907. 1 vol. in-8°, pp. 133-144.
— Valeur symptomatique du rêve au point de vue de l’état mental de la veille chez une circulaire. Paris, 1901.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons rectifié quelques fautes de composition.
 – Nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 183]

Physiologie. — Recherches expérimentales sur le rêve. De la continuité des rêves pendant le sommeil. (1). Note de M. Vaschide (Extrait.)

« A notre connaissance, aucune recherche expérimentale méthodique n’a été faite sur la continuité des rêves pendant le sommeil (2). Les auteurs inclinent généralement à croire que ce serait seulement à l’époque prémorphéique du sommeil, de même qu’au moment ·du réveil, que les rêves au raient lieu (3). A. Maury (4) et Dechambre (5), tout en faisant des restrictions, inclinent à croire à la continuité; le marquis d’Hervey (6), Lelut (7), Serguyeff (8) en sont partisans plus catégoriques. [p. 184]

«  Depuis plus de cinq ans, mes recherches sur cette question ont porté sur trente-six sujets, âgés de 1 an à 80 ans, et sur moi-même.

« Dans l’extrême majorité des cas, les sujets n’ont jamais été au courant de mes recherches. En plus, nos observations ont été contrôlées par quarante-six autres personnes, recueillant toujours proprio visu les faits. Notre méthode consistait à surveiller les sujets toute la nuit, ou au moins une partie de la nuit, et à les observer de tout près, recueillant avec soin les changements de physionomie, les gestes, les mouvements, de même que les rêves faits à haute voix et les rêves communiqués par les sujets, n’oubliant jamais de déterminer la profondeur du sommeil par des expériences préalables, notamment celles de Kolschutter, Spitta (9) et Michelson (10). De temps en temps, dans certains cas, nous réveillions le sujet, en lui cachant toujours que son réveil avait été provoqué par nous, et soit laissant le sujet à lui-même, soit lui posant des questions, nous étions renseignés suffisamment sur son état d’esprit et ses rêves. Des réveils spontanés facilitaient parfois notre tâche.

 Lovis Corinth - Young Woman Sleeping.

Lovis Corinth – Young Woman Sleeping.

« Voici les principales conclusions auxquelles nous sommes arrivés.

«  1° On rêve pendant tout le sommeil et même pendant le sommeil le plus profond, le sommeil qui rappelle la syncope. La vraie vie psychique du sommeil, comme la vraie vie des rêves, ne se révèle que lorsque le sommeil commence à devenir profond ; c’est alors qu’entre en action l’inconscient. Les rêves recueillis pendant le sommeil profond révèlent les étapes et l’existence de ce travail cérébral inconscient, auquel nous devons, à notre grand étonnement, la solution des problèmes qui nous occupent depuis longtemps et qui ressortent brusquement, comme par miracle (11).

« 2° On a étudié, sous le nom de rêve et songe, deux expressions dont le contenu est loin d’être bien délimité, plutôt les hallucinations hypnagogiques de l’époque prémorphéique et celle voisine du réveil normal. Les songes du sommeil profond ont un tout autre caractère que les autres rêves ; le chaos du rêve, pour employer l’expression de Gruthuisen, de même que les clichés souvenirs, expression dont le marquis d’Hervey caractérise si bien les rêves, sont presque absents dans les vrais songes, qui paraissent être dirigés par une certaine logique inconsciente, par l’attention et la volonté, et encore par ce quelque chose qui nous échappe et qui nous fait penser au delà des images du rêve, dont parlait Aristote. On pourrait comparer [p. 185] l’état mental de ces rêves avec le travail inconscient de la veille.

« 3° Il y a une relation étroite entre la qualité, la nature des rêves, et la profondeur du sommeil. Plus le sommeil est profond, plus les rêves concernent une partie antérieure de notre existence et sont loin de la réalité ; au contraire, plus le sommeil est superficiel, plus les sensations journalières apparaissent et plus les rêves reflètent les préoccupations et les émotions de la veille. Le Dr Pilez (12), un remarquable observateur, est récemment arrivé à des conclusions semblables.

« 4° L’existence des rêves dans le sommeil profond, comateux, n’implique pas la possibilité de certains cas de sommeil très profond sans rêve. Il y a, comme dans tout phénomène, une question de relativité. L’état comateux ou de syncope est loin de répondre, comme on le prétend, au sommeil profond, quoique nous soyons loin de connaître l’état mental dans ces conditions pathologiques. En somme, comme il y a une probable inertie mentale pour la veille, il y en a une pareille pour le sommeil.

« 5° Les personnes qui ne rêvent pas, ou plutôt qui prétendent n’avoir jamais rêvé, sont victimes d’une illusion d’analyse psychique très curieuse. Comme habituellement on ne fait attention qu’au moment du réveil ou pendant l’époque prémorphéique, le réveil étant brusque de même que la transition entre l’assoupissement du coucher et le sommeil comateux, les étapes hypnagogiques et du réveil n’ont lieu que sous une forme vertigineuse et il y a impossibilité d’attirer l’attention du sujet. Il se peut bien que l’illusion persiste pendant plusieurs années (mon cas, par exemple) et qu’elle se révèle dans une nuit de fatigue.

«  6° Les rêves d’une intensité moyenne persistent plus dans la mémoire et ils sont plus continus, tandis que les rêves énergiques, actionnels, disparaissent rapidement. Pilez a observé ce même fait. Les rêves plus intenses caractérisent le réveil et l’époque prémorphéique du sommeil.

« 7° Les enfants en bas âge et qui ont toujours un sommeil comateux commencent à rêver à haute voix ; il y a concordance des rêves faits à haute voix avec ceux du réveil spontané ou provoqué.

« 8° Les vrais rêves sont plus lucides, et la lucidité est en rapport avec la profondeur du sommeil ; dans le sommeil d’une profondeur moyenne, les rêves sont plus stables, plus précis et moins fugitifs que dans le sommeil superficiel. Le marquis d’Hervey a d’ailleurs très bien deviné ce fait. [p. 186]

« 9° En recueillant les rêves de toute une nuit, on est induit à croire qu’il y a toute une continuité qui se suit dans les conceptions mêmes les plus hallucinatoires. Ce caractère est plus net pour le vrai rêve. Pour une personne réveillée plusieurs fois dans une nuit et d’une façon méthodique, on peut remarquer un certain ordre d’idées dans ses rêves une association étrange, mais nette, et généralement difficile à expliquer par les opinions courantes sur l’association des idées, reliait tous les rêves en apparence très disparates. Cette association rappelle parfois ce genre d’association de la veille, dans laquelle un mot n’agit que pour provoquer une réaction quelconque, ou encore ces associations immédiates où il s’agit d’une coexistence dans le temps ou dans l’espace (Aschaffenburg) (13)

« En résumé, nous pensons, à la suite de nos recherches, que le problème de la continuité des rêves pendant le sommeil est en partie résolu, et qu’on doit reconnaître, avec Descartes, Leibnitz et Lélut, qu’il n’y a pas de sommeil sans rêve (14). Le sommeil ne serait pas, d’après nous, un frère de la mort, comme le désignait Homère, mais, au contraire, un frère de ta vie (15). »

 

René Magritte.

René Magritte.

NOTES

(1) Travail du laboratoire de Physiologie expérimentale de la Salpêtrière, dirigé par M. le Prof. Pierre Janet.

(2) Dernièrement M. Bourdon, répondant à une question que j’avais posée dans l’Intermédiaire des Biologistes (t. I), m’a fait connaitre un travail américain de M. Whiton Colkins : Statistics of dreams (The americ. Journ. of. Psych., t. I. p. 311). Ne connaissant pas ce travail je me contente de le signaler.

(3) LANDOIS, Physiologie humaine. Trad. franc, d’après le 7e album, p. 705 ; 1893. SERlGUYEFF, Le sommeil et le système nerveux ; physiologie de la veille et du sommeil (2 vol. 1890), t. II, p. 890.

(4) Le sommeil et les rêves, 4e éd., p. 49, 52 ;1878. Paris, Didier.

(5) Dictionnaire des Sciences médicales, art. Songe ; 3e série, vol. X, p. 45.

(6) Les rêves et les moyens de les diriger, p. 336 et passim ; Paris, 1867.

(7) Physiologie de la pensée, t. II, p. 450, 453 ; 1862.

(8) Ouvrage cité, t. I, p. 891.

(9) ) Die Schlaf und Traumsustände der menschlichen Seele, p. 24 ; 1878. Tübingen.

(10) Untersuchungen über die Tiefe des Schlafes (Psychol. Arbeiten, Il. Bd, p. 84-118).

(11) Charma a esquissé il y a longtemps, une hypothèse semblable : Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen ; p. 429 : 1851.

(12) Quelques contributions à la psychologie du sommeil chez les sains d’esprit et chez les aliénés (Ann. médico-psychol., 99, n°1, p. 66-75.

(13) Experimentelte Studien über Associationen (Psychol. Arbeiten, t. I, p. 209- 300 ; t. II, p. 1-84).

(14) Dans un travail publié dans la Rivista sperimentale di Freniatria, j’ai dé­ montré l’existence de l’attention comme facteur qui agit et se poursuit pendant le sommeil : N. VASCHIDE, Influensa dell’ attensione durante il sonno ; 1898, fasc. I, vol. XXIV, p. 20-42.

(15) Nos recherches seront exposées dans plusieurs Mémoires qui paraîtront dans la Revue philosophique.

 

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