Jules Maurice. La terreur de la Magie au IVe siècle. Article parut dans la « Revue Historique de droit français et étranger », (Paris), 1927, pp. 108-120.
Cet article a été édité en première mouture, sous le même titre, dans les « Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 70e année, n°3, 1926, pp. 182-188.
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La terreur de la Magie au IVe siècle.
Il est nécessaire de remonter à la distinction fondamentale établie par Constantin le Grand entre une Magie et une divination permises et une Magie et une divination défendues, pour comprendre les procès qui se déroulèrent au IVe siècle et leurs causes juridiques.
La première loi du titre : De Paganis, sacrificiis et templis, du Code Théodosien, autorisa, en 320, c’est-à-dire à l’époque de la réforme religieuse de Constantin, l’art des Haruspices, la consultation des Fulguratores, l’examen des entrailles des victimes, mais seulement dans les temples et les édifices publics (1).
L’empereur avait déjà défendu en 319 et 320 aux Haruspices, aux prêtres sacrificateurs, aux interprètes des sacrifices de franchir le seuil des maisons privées (2).
lis s’exposaient, en méprisant cet ordre, à la peine du feu, et les propriétaires qui les appelaient chez eux étaient punis de la déportation dans une île et de la confiscation des biens (3).
Il existait dès lors une classe de : Vetita Sacrificia. Mais en respectant cette interdiction des sacrifices et des arts magiques défendus, on jouissait de la pleine liberté religieuse [p. 109] si l’empereur lui-même s’adressait aux païens pour leur dire : Adite aras publicas atque delubra et consuetud inis restrae celebrate solemnia (4).
Cet attachement de Constantin aux coutumes anciennes est remarquable chez ce grand novateur en politique religieuse. Il avait recueilli, en ce qui concernait la répression de ce qu’il appelait la superstitio et qui n’était autre que la divination, l’Astrologie et la Magie défendues, la tradition de la loi des XII Tables, des quœstiones de Sylla (5) et des sentences de Paul (6).
Vers la même époque, en 319, Constantin permit les incantations et les arts magiques qui pouvaient apporter des remèdes aux santés ou encore écarter les pluies et les grêles des moissons, mais il condamna les pratiques qui portaient atteinte à la vie des hommes ou servaient à l’impudicité (7). Ici la distinction ne s’établissait plus entre l’exercice public ou privé de l’art comme pour la divination, mais entre la Magie utile ou criminelle (8), cette dernière exercèe par ceux qu’on appellera, à cause de la grandeur de leurs crimes, les Maleficii (9).
Constantin se croyait assez fort pour supprimer la Magie criminelle ; son recours à la pénalité de la loi des XlI Tables et à la législation du Haut-Empire, pour la punition des crimes de la catégorie du meurtre, allait avoir des conséquences terribles. La noblesse qu’il avait créée pour régénérer l’empire, allait ètre décimée et tous les services de l’État désorganisés par les accusations de Magie criminelle.
Les philosophies stoïcienne et néoplatonicienne gardaient encore, au IVe siècle, une réelle influence sur les esprits. Le fatalisme de l’une, la croyance aux démons ou génies de [p. 110] l’autre, étayaient l’Astrologie et la Magie. Il était officiellement question dans les Constitutions impériales et dans les Panégyriques, de l’ordre physique du monde dont l’empereur faisait en quelque sorte partie et dont il répondait.
Aussi les Nécromans, en le troublant, commettaient un crime de lèse-majesté (10) et le crime de la violation des sépultures était particulièrement grave (11). La divinité (Numen) de l’empereur était généralement reconnue pur les païens ; et les chrétiens insuffisamment convertis pensaient avec Firmicus Maternus et les courtisans du Palais que l’empereur commandait même aux astres. C’est pourquoi Constantin le Grand et ses successeurs furent représentés, sur les médailles, par leur administration païenne, tenant le Zodiaque dans la main (12). Mais les empereurs n’avaient plus la douce résignation de Marc-Aurèle, ils étaient trop chrétiens pour croire à leur puissance supraterrestre et quand les flatteurs leur répétaient que si la vie du prince à laquelle était suspendu le salut de l’univers était perdue, tout serait perdu (13), ils en concluaient qu’on pouvait porter atteinte à leur vie par des procédés magiques. La Magie démoniaque, qui permettait de contraindre les dieux du Néoplatonisme, s’était répandue d’Égypte dans tout l’empire (14). Les empereurs y croyaient. Mais l’Astrologie qui permettait de prévoir sans espérer, suivant le mot de Bouché-Leclercq, n’était pas moins redoutée des princes, car l’on pouvait, par les thèmes généthliaques, connaître leurs destinées (15).
Le premier empereur que poursuivit le spectre de la Magie fut Constance Il, D’une intelligence étroite, nous dit Ammien Marcellin, inattentif dans les autres affaires, même les plus sérieuses, il était, dans celles-ci (les procès de [p. 111] Magie), d’une oreille sensible, soupçonneux, sans élévation d’esprit. Sa bile s’échauffait (16).
Le premier procès de Magie eut Iieu, sous son règne, dans les Gaules, à la suite de la défaite du tyran Magnence, lequel avait rétabli les sacrifices nocturnes qui prêtaient aux rites magiques (17), et avait favorisé le Paganisme. La Gaule était un terrain tout préparé pour la Magie (18). — Le second eut pour prétexte les consultations du dieu Bésa, dans la place forte d’Abydos, dans la Haute-Egypte (19). Nous savons par M. Jean Maspero, qu’un temple d’Apollon, le dieu révélateur, subsista à Abydos jusqu’au VIe siècle (20). Des consultations étaient demandées au dieu d’Abydos par correspondances. On saisit un certain nombre de ces parchemins et l’un d’eux parlait de l’empereur. Le notaire Paul qui avait déjà instruit le procès des Gaules, reçut les pleins pouvoirs pour juger : vice sacra, sans appel, et la torture des témoins qui avait été supprimée par Constantin-le-Grand fut remise en vigueur. On peut juger de l’ampleur du procès par ce fait que les inculpés arrivaient en longues bandes, enchaînés, pour être exécutés à Scytopolis. Cette ville avait été choisie, pour les exécutions, à cause de sa position entre l’Égypte et l’Asie Mineure. Les plébéiens, les Honorati, les fonctionnaires de tous degrés étaient confondus ; quelques-uns mouraient en route ; la torture et la peine capitale recherchée pour éviter les supplices, étaient le partage des autres.
Et pourtant Constance II ne persécutait pas, comme on l’a cru, le paganisme. Le savant Godefroid a commis une erreur qui a influencé les historiens lorsque, dans son commentaire d’une loi de 341 (21), il a interprété le terme superstitio dans le sens de religion païenne, dans [p. 112] le texte : Cesset Superstitio, sacrificiorum aboleatur insania (22).
M. Martroye a le premier montré en 1915 que la superstition n’est nullement synonyme de religion païenne, à l’époque de Constance II (23). D’ailleurs, la suite de la loi le prouve. Constantin le Grand n’avait nullement interdit la religion païenne, il l’avait autorisée. Or Constance Il dit lui-même qu’il observe la loi de son père. Nam quicumque contra leqem divi parentis nostri… ausus fuerit sacrificia celebrare, etc… Cette confusion entre la superstition condamnée et la religion païenne a rendu presque impossible l’interprétation des auteurs. Constance II reconnut en 346, de même que l’avait fait son père, la nécessité de célébrer des jeux à l’occasion des fêtes païennes (24) et ordonna pour cette raison de conserver les temples situés hors de Rome. Il respecta ceux qui remplissaient cette ville lorsqu’il y fit son entrée solennelle en 350 (25). — Ce qui prête à confusion c’est qu’il défendit l’entrée des temples en 354 (26), mais afin que, dit-il, ceux qui voulaient se perdre n’aient pas l’occasion de commettre un délit (accessu vetito licentiam delinquendi perditis abnegari). Or il n’y avait encore à cette époque de délit reconnu que dans la pratique de la divination, de la Magie et de l’ Astrologie. Ce fut pour atteindre le même but d’écarter les superstitions que Constance a interdit en 353 les sacrifices nocturnes rétablis par le tyran Magnence (27). Il donna, en 357, la définition de tout ce qui était défendu.
Nemo Haruspicem consulat aut Mathematicum nemo Hariolum, Auqurum. et Vatum praua confessio conticescat. Chaldaei ac Magi et celeri quos Maleficos ob [acinorum maqnitudinem vulgus appellat, nec ad hane partem [p. 113] moliuntu., Sileat omnibus perpetuo divinandi curiositas (28).
Constance II ne respectait plus, comme son père, l’huruspinice qu’autorisera de nouveau Valentinien 1er. Pénétré de terreur, il voulait interdire toute sorte de divination et de Malgie. Les Magiciens et les Nécromans en particulier portaient, dit-il, atteinte à la vie des innocents, ils pouvaient détruire leurs ennemis (29).
Il adressa, le 5 juillet 358, un rescrit au préfet du prétoire (30), dans lequel il insiste sur ce fait que la torture peut être rétablie pour les Honoruti : car les Magiciens sont bien plus coupables lorsqu’ils approchent de la Majesté Impériale. On sent, dans tout ce texte, sourdre I’expression de la teneur.
Et la pensée secrète de Constance II se révèle lorsqu’à la lin du texte il assimile à sa Cour celle du césar Julien. Les distinctions établies par Constantin entre les interprètes des dieux sont supprimées. Il réunit pèle-mêle les Maleficit, l’huruspex, l’hariolus, l’Augur, le Mathematicus,, les interprètes des songes et les prophètes et devins (31). Ce texte laisse transparaître la raison de la haine mortelle qui s’établira entre Constance II et Julien, que ce dernier confirmera dans son discours au Sénat et au peuple d’Athènes. Les dieux lui ont promis l’empire ; bien plus, ils ont exigé par leurs révélations qu’il le conquière. Car Julien n’a pas d’ambition (32), mais il s’est donné corps et âme à la divination. Il s’attache surtout au rétablissement des sacrifices et des cultes orientaux. Maxime d’Ephèse est un magicien (33), mais les conciles ont condamné la )Iagie et [p. 114] toute divination comme des idolâtries (34). Julien fut fatalement conduit par la divination à la rupture avec le christianisme.
Le véritable continuateur de Constantin le Grand, Valentinien Ier, rétablit la distinction entre l’haruspicine, laquelle fait partie des pratiques antiques, et ne peut paraître criminelle si elle est exercée innocemment (35), et les maléfices, qui comprennent toutes les pratiques de la divination défendue, de la sorcellerie, de la Magie, de l’Astrologie (maleficiorum scelus et insidias venenorum) (36). Il prohiba les nefarias preces aut magicos apparatus aut sacrificia funesta. Et défendit pour cette raison les sacrifices nocturnes (37).
Pourtant cet empereur fut le plus libéral de tous.
Il accorda la pleine liberté religieuse, par des lois, au début de son règne : unicuique quod animo inhibisset colcndi libera facultas tributa est (38), paroles dignes de l’Edit de Milan. Ammien Marcellin va jusqu’à dire qu’il était indifférent entre les diverses religions (39). Ce n’est pas exact. Valentinien a favorisé toutes les institutions chrétiennes (40), mais avec une facilité d’assimilation toute gauloise, il a restauré la politique et la législation de Constantin le Grand.
Malheureusement lui et son frère Valens furent superstitieux.
Valentinien n’a pas voulu prendre le pouvoir un jour néfaste, et les deux frères ayant eu la fièvre au début de leur règne à Constantinople, ils l’attribuèrent à la Magie. Le cas d’Apronien explique le leur. Apronien, préfet de Rome, ayant perdu [p. 115] un œil en gagnant son poste, sous Julien, crut son mal causé par des procédés magiques. Dès lors, il considéra comme le principal devoir de sa charge de poursuivre les magiciens (41). Le cirque était devenu un des organes de la vie sociale et la Magie y régnait (42). Les cochers se combattaient à l’aide de formules magiques et les procès de Magie rayonnaient de là dans la ville. Apronien crut devoir rendre la justice au cirque(43). Pareillement, les empereurs croyaient que leurs règnes devaient se défendre contre la magie qu’ils redoutaient. De là, les colères de Valentinien que les procès de Magie détournaient des frontières de l’empire où il se sentait nécessaire ; de là, sa sévérité qu’Ammien Marcellin appelle le goût de la torture, du fer et du feu ; en oubliant que cet empereur avait, à l’imitation de Constantin, mis toute sa confiance dans des fonctionnaires qu’il choisissait avec soin et qu’il fut toujours trompé par eux, ainsi que dans le procès des Tripolitains ; de sorte que la torture parut nécessaire à son caractère violent. Pourtant le grand procès de magie qui se déroula à Rome de 370 à 371 (44) prouve, par sa terminaison, qu’il suffisait parfois de recourir à l’esprit de justice de Valentinien pour mettre fin à un régime de terreur.
Voici les étapes essentielles du procès.
Une affaire d’empoisonnement trainait en longueur devant le tribunal de l’honnête préfet de Rome, Olybrius. Les plaignants demandèrent qu’elle fût portée devant le tribunal du préfet de l’Annone, Maximin. Pour une raison ou pour une autre, les plus indignes juges étaient toujours chargés de ces procès, les autres se récusant ou étant éliminés. Maximin était fils d’un magicien, ami d’un nécroman et avide des dépouilles d’autrui. Il écrivit à l’empereur que le débordement des vices à Rome exigeait une pénalité exceptionnelle et reçut de lui le pouvoir de juger, vice sacra, sans appel. Ce fut le signal des meurtres judiciaires. On vit se succéder parmi les causes de condamnation, l’emploi des procédés magiques pour obtenir [p. 116] la main d’une femme (tel l’avocat Marinus envers Hispanella) ; l’usage des incantations pour adoucir l’humeur de l’empereur, ce qui devait produire l’effet contraire. Le proconsul Hymetius y avait eu recours. Cela suffit pour occasionner un grand nombre de poursuites, et l’emploi de la torture pour tous, y compris les matrones et les sénateurs ; puis quantité d’exécutions capitales (45). Mais le Sénat ayant trouvé moyen de faire parvenir une députation à Valentinien, celui-ci, retrouvant le sens de la justice, rétablit l’appel à son tribunal pour les sénateurs (46). Il n’en était pas moins vrai qu’une nouvelle procédure s’était établie depuis le règne de Constance Il, et que, ainsi que l’a remarqué M. Cuq (47), des procès de tendance avaient lieu ; on en était venu à poursuivre l’intention chez les prévenus.
Les procès se multipliaient dans les États de l’empereur d’Orient, Vulens. Celui-ci redoutait toutes les opérations magiques ; c’est pourquoi il poursuivit, comme Dioclétien l’avait fait, les Manichéens soupçonnés de s’y livrer (48). Des lois signées par les deux empereurs condamnèrent également les pratiques et l’enseignement des astrologues (49). Valens craignait que l’on put pénétrer les secrets de l’avenir et connaître le nom de son successeur. En effet, les païens d’Orient espéraient voir revenir sur le trône un second Julien. La peur dominait Valens, dont le caractère était faible et qui était d’un naturel inquiet. De formidables procès se déroulèrent (50). Les guerres, dit Ammien Marcellin, étaient moins redoutables.
Un honnête intendant de l’empereur, Fortunatien, s’était permis de réclamer à deux Palatins ce qu’ils devaient au Trésor. Ceux-ci pour se débarrasser de lui l’accusèrent de Magie. Fortunatien perdit la tête et livra à la justice un astrologue et un magicien. C’était ce qu’il fallait éviter ; car les révélations [p. 117] commencèrent suscitées par le préfet du prétoire. Modeste, et activées par la torture. Antioche, où étaient jugés les prévenus, voyait arriver des foules enchaînées. Les supplices se multipliaient. Enfin, un gouverneur de province, Fiduce, avoua que lui et son ami Eucère avaient connu le nom qui devait être celui de L’héritier de l’empire de Valens (Théodore), par les révélations d’un trépied magique. Un notaire de ce nom fut arrêté à Constantinople. Le chevalet, les ongles de fer, le feu fatiguèrent si bien les prévenus que les uns parlèrent pour être délivrés de la vie et décapités. Tous étaient égaux devant la torture, mais de rares exemples d’héroïsme montrèrent l’homme supérieur à la douleur. Le philosophe Pamphile sauva son ami Eutrope proconsul d’Afrique.
De tels procès rappelaient toutes les horreurs des plus mauvais règnes du Haut-Empire. Cela tenait à ce que les princes, ignorants comme chrétiens, mais très accessibles à la peur de la Magie, appliquaient la pénalité de la loi des XII Tables que Constantin avait conservée pour les crimes de la catégorie du meurtre : « l’homicide, l’adultère, le rapt, la magie, la sorcellerie, le crime de lèse-majesté » et que des juges avides des biens des condamnés trouvaient le moyen, en suscitant l’inquiétude des empereurs, d’être chargés de l’instruction de ces procès. Les superstitions seules étaient atteintes par les Lois, ainsi que je l’ai rappelé plus haut. Valentinien Ier était un prince libéral. Bien plus, il créa une législation secourable aux prévenus. Il fut l’auteur de la première Loi d’amnistie paschale (51). Cette mesure eut de grandes répercussions. Saint Ambroise, Grégoire de Nysse, saint Jean-Chrysostome l’ont célébrée à l’envi (52). Les anniversaires de l’entrée du Christ à Jérusalem et de sa résurrection étaient l’occasion de la remise des dettes et de l’ouverture des prisons. Il subsistait toutefois un groupe de crimes inexpiables : ceux de la catégorie du meurtre dont il vient d’être question et notamment ceux de magie et de sorcellerie (maleficiorum scelus , insiâias venenorum) (53). [p. 118]
L’Eglise se montra toujours opposée à cette législation d’exception. Elle voulait faire rentrer dans sa juridiction spirituelle les crimes d’idolâtrie.
M. Fournier a bien voulu me faire remarquer combien était étendue cette accusation d’idolâtrie.
L’idolâtrie était inhérente à la célébration des banquets et des fêtes entachées de paganisme, à l’exercice des magistratures municipales.
Le premier concile qui s’occupa de la Magie et de l’Astrelogie fut celui d’Elvire en 306.
Il fut particulièrement sévère et prononça que ceux qui auraient pratiqué le meurtre magique, n’ayant pu le faire sans être idolâtres, ne seraient pas admis à la communion même à l’heure de la mort (54).
Pour comprendre une sentence aussi dure, il faut admettre que l’Espagne était particulièrement exposée aux pratiques des magiciens. Le développement du Priscillianisme eu fournit plus tard la preuve, mais la législation de l’Eglise s’adoucit très rapidement.
Le concile d’Ancyre, tenu en 314, n’imposa plus qu’une pénitence de cinq ans à ceux qui prédisaient l’avenir οί χαταμαντευόμενοί ou qui recevaient dans leurs maisons des gens qui leur révélaient des remèdes magiques ou les secrets de la purification, έπί ανευϛέοετ φχξμαχειών ῒ χαί χαθάροετ.
Mais la Magie fit des progrès parmi les chrétiens sous la forme de superstitions populaires, si bien qu’elle pénétra dans le clergé inférieur. Aussi le concile de Laodicée, au milieu du IVe siècle, interdit aux ecclésiastiques de fabriquer des phylactères (55).
Les pères de l’Eglise développèrent la législation des conciles. Saint Athanase dit que quiconque fait des amulettes est infidèle (56). Saint Jérôme donne comme martyrs les [p. 119] femmes qui préfèrent voir mourir leurs enfants plutôt que de recourir aux remèdes magiques (57). Saint Augustin reproche à un auditoire de chrétiens d’accorder sa confiance aux haruspices, aux augures, aux mathematici, aux malefici (58).
Ainsi l’Eglise a combattu la Magie, mais en n’appliquant que des peines spirituelles pour les chrétiens. Les païens qui ne dépendaient que de la législation impériale ne connurent pas cette modération de l’Eglise. Les lois civiles se distinguaient de celles de l’Eglise par leur pénalité cruelle.
Il en est résulté que l’on s’est mépris sur le caractère de la répression des superstitions magiques et astrologiques au IVe siècle et qu’on l’a prise pour une persécution du paganisme, Les païens ne furent pas plus poursuivis que les chrétiens par les empereurs qui redoutèrent les consultations des devins, des mages et des astrologues. Il semble qu’il y avait toutefois plus de païens superstitieux, pour employer le mot de Code, que de chrétiens. En effet, Julien remit en honneur non seulement les sacrifices, mais la Magie et l’Astrologie (59), et chacun respira, disent les auteurs païens.
L’influence de l’Eglise apparut nettement dans la transformation de la législation au milieu du règne de Théodose le tyran et sous ses successeurs. Dès que le paganisme fut réellement condamné, postérieurement au discours de Libanius, en 390, et après la publication de la première loi qui interdit tout paganisme, en 391 (60), le droit pénal s’adoucit. Bien que Théodose fut un monarque absolu, il ne soumit plus les coupables à la torture et au feu ainsi qu’il était de règle pour les magiciens. La peine de mort fut remplacée par l’amende, la déportation ou la confiscation des biens. Et l’on n’entendit plus parler d’immenses procès.
Ainsi le paganisme, en tant que religion, ne fut interdit que trois quarts de siècle environ après l’Edit de Milan. Les [p. 120] grandes persécutions du IVe siècle dont on lit le récit émouvant dans Ammien Marcellin s’abattirent sur les prétendus magiciens; devins, astrologues, mais en raison de leurs superstitions : multi magicis artibus ausi elementa turbare, dit une loi caractéristique de Constance II.
L’esprit de la législation changea aussi à partir du règne de Gratien. Bientôt le sacrilège devint un crime contre l’empereur (61). Cela résultait du changement de la nature du pouvoir impérial. N’ayant pu triompher des superstitions, les empereurs furent amenés à se demander si le paganisme n’en était pas la cause (61). Mais le développement de l’absolutisme impérial étendait le champ de la culpabilité pour le crime de lèse-majesté. Alors l’on vit tomber sous l’inculpation de sacrilège même les fautes administratives. Ce sera l’objet d’une autre élude.
Jules MAURICE.
NOTES
(1) Cod. Tb., XVI, 10, 1.
(2) Cod. Tb., IX, 16, 2. Cod, Just, IX, 18, 3.
(3) Cod. Tb., IX, 16, 1.
(4) Cod. Th., IX, 16, 2. Il en était de même pour les lois sur le parricide, Cod. Th., IX, 15, 1, et Cod, Just., IX, 17, 1. Auguste avait rétabli la peine de la submersion (Suétone, Auguste, 23).
(5) Il y avait une quaestio compétente pour les affaires de meurtre depuis Sylla : Mommsen, Droit pénal, traduction française, T. Il, p. 343.
(6) Paul, V, 23, 17.
(7) Cod. Th., IX, 16, 3.
(8) Déjà la loi des XII tables distinguait e mauvais cbarme.
(9) Lactance, Instit. Divin., 2, 16, Cod, Th., IX, 16, 4. Saint Augustin, De Civit., Dei 10, 9.
(10) Cod. Th., IX, 16, 5. Si l’empereur légiférait sur ce crime c’est qu’il sentait sa responsabilité sagagée.
(11) Non seulement parce qu’on dépouillait les tombes, mais àl cause du sacrilège. Cod. Tb., LX, i7, 5.
(12) Numismatique Comtantinienne, t. Il, p. 278 et pl. VII, 19.
(13) Am. Marc., XIV, 5.
(14) Hubert, Dict. ant. gr. et rom., t. III, 2, p. 1505. Toutain, Les cultes païens, II, p. 185.
(15) Cod. Th., IX, 16, 4.
(16) Am. Marcellin, XIX, 12.
(17) Id., XlV, 5. Une loi de Valentinien Ier, Cod, Th., IX. 16, 7, indique « rites magiques ».
(18) Am. Marcellin, XVI, 8.
(19) Am. Marcellin, XIX, 12.
(20) J. Maspéro : Horapollon et les derniers néoplatoniciens d’Égypte, Bulletin de l’Institut du Caire, 1914; voir sur la religion égyptienne et son rituel : Cumont, Les religions orientales, Paris, 1909, p, 14.
(21) Cod, Th., XVI, 10, 2.
(22) Godefreid, Code Tltiodosien, édition Ritter, T. VI, p. 298. Commentaire.
(23) F. Martroye, Bulletin de la Soc. N. de. Antiquaires de France, du 24 novembre 1915. C’est une découverte suggestive.
(24) Cod. Th., XVI, 10, 3 (342 ?).
(25) Symmachi Epist., X, 3.
(26) Cod. Th., XVI, 10. 4.
(27) Cod. Th., XVI, 10, 5.
(28) Cod. Th., IX, 16, 4.
(29) Cod. Th., IX, 16, 5 : Mulli Magicis artibus ausi elementa turbare, vitas insontium labefactare non dubitant et manibus accitis audent venri lare, ut quisque suos conficiat malis artibus inimicos. Les ernpercurs n’avouaient jamais eux-mêmes leur peur qui est visible dans toute leur conduite
(30) Cod. Th., IX, 16, 6.
(31) Voir la définition des noms, les noms grecs et I’interprétation sous Bas-Empire dans saint Jérôme, in Daniel, 2.
(32) Il l’exprime.
(33) Eunupe, Vitae Sophist. Maximus, édit. Didot, p. 475.
(34) Nolamment le concile d’Elvire en 308 qui excommunie jusqu’à la mort les pratiquants de toute divination, et celui de Laodicée qui en 314 impose une pénitence de cinq ans à ceux qui ont recours aux devins, aux remèdes magiques et aux purifications. Toutes ces pratiques sont considérées comme des idolâtries. Mais les peines sont toutes spirituelles et diminueront avec le temps.
(35) Cod. Th., IX, 16, 9 de 371.
(36) Cod. Th., IX, 16, 7 de 364.
(37) Cod. Th., IX, 16, 9.
(38) Ibid.
(39) Amm. Marc. XIX, 9.
(40) Cod. Th., IX, 7, 10, repos du dimanche ; XVl, 2, 21, privilèges du clergé ; XVI, 1, 1, protection de la foi des soldats chrétiens, etc. ; IX, 40, 8 ; XV, 7, 1 ; XVI, 10, 4.
(41) Amrn. Marc., XXV1, 3.
(42) Cod. Th., IX, 16, 11.
(43) Amm. Marc,. XXVI, 3 ; XXX, 6.
(44) La loi du Cod. Th., XlV, 17, 6, est adressée à Maximin, préfet de l’Anhune, le 19 mars 370
(45) Amm. Marc., XXVlIll, I.
(46) Cod. Th., IX, 16, 10, 6 décembre 371 ; :rescrit adressé au préfet de la ville pour rectifier la procédure.
(47) Dict. des antiq. gr. et romaine, IV, p. 985.
(48) Pour Dioclétien, voir : Mosaicarum et Romanarum legum collatio, 15, 2 ; pour Valens : Cod. Th., XVI, 5, 3 (a. 372).
(49) Cod. Th., IX, 16, 8.
(50) Amm. Mare., XXIX, 1, ct XVI, 10.
(51) Cod. Th., IX, 38, 3, 4.
(52) Saneti Ambrosius, Epst. 33 : Gregorius Nyssenus, Or, 3 ; de resurrectione Christi ; Chrysoslomus Hom., 6, ad populum Antiocheum.
(53) Cod. Th., IX, 38, 6, 7, 8, 9, 10.
(54) Concile d’Elvire. Canon 6 : « Si quis vero maleficio interficiat alterum, eo quod sine idolatria percifere scelus non potuerit, nec in finem impertiendam illi esse communionem ».
(55) Concile de Laodicée en 363 (?), canon 36. Il dit encore que les clercs d’un degré supérieur ou inférieur ne doivent être ni sorciers, ni magiciens, mathématiciens, ni astrologues. Salat Athanase, P. G., T. XXVI, col. 319
(56) P. G. Migne, T. XXVI, col. 319.
(57) Saint Jérôme, l. VIlI, 5, P. G. LXII, col. 357.
(58) Saint Augustin, Sermon IX, 3, 17.
(59) Voir le panégyrique contemporain de Mamertibn, de mème Libanius Epitaphios Juliani, et C. 1, L, T. I, p. 36 et T. VI, n. 1779, la Magie égyptienne de Maxime (Amm. Marc ., XXJl, 8).
(60) Cod, Th.,, XVI, 10, 10 ; IX, 16 (a, 357) ?
(61) Cuq, Sacrilegium, dans Dict. des ant. gr. et rom., I, IV, p. 982.
(62) De là les lois de 391 et 392 (Cod. Th., XVI, 10, 12), la fermeture du Serapeion en Égypte et des temples de Rome
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