Homosexualité, sexualité, psychanalyse, Freud, uranisme, lesbianisme, thérapeutique,
Paul Schiff. Les conceptions psychanalytiques de l’homosexualité. Article parut dans la revue « Schemas », (Paris), volume I, n°5, 1938, pp. 20-24.
Paul Schiff (1891-1947). Médecin, psychiatre et psychanalyste. Neuropsychiatre des prisons. Membre de la Société psychanalytique de Paris et membre fondateur du groupe de l’Evolution psychiatrique. Paul Schiff parviendra non sans peine à rejoindre les gaullistes pour s’engager dans les Forces françaises libres où il combattra jusqu’à l’écrasement des troupes hitlériennes. Fut l’adjoint du secrétaire général, André Cellier, des Sociétés de biotypologie et de prophylaxie criminelle, crées par Edouard Toulouse. Il participa à titre expérimental, aux examens psychiatriques des services, dans les prisons parisiennes de la Santé, de la Petite Roquette et de Fresnes. Quelques publications de l’auteur:
— Les anormaux devant la refonte du code pénal. In « L’Evolution psychiatrique », (Pars), 1934, pp. 75-96.
— L’évolution des idées sur la folie de persécution : conceptions psychiatrique et psychanalytique des paranoïas. In « L’hygiène mentale, journal de psychiatrie appliquée », (Paris), XXXe année, n°5-6-7, 1935. Et tiré-à-part : . Paris, Gaston Doin, 1935. 1 vol. in-8°, 56 p.
— Médecine légale et psychanalyse. XVIIème Congrès de médecine légale. 1932,
— Les paranoïas et la psychanalyse. Les paranoïas et la psychanalyse. (Contribution au 9° Congrès des Psychanalystes de langue française de 1935). Paris, le 2 février 1935. pp. 44-105. [en ligne sur notre site]
— La prophylaxie en dehors de la prison. In « Annales de médecine légale », (Paris), 1937.
— Paul Schiff, La prophylaxie criminelle et la collaboration médico-judiciaire, in « Revue de sciences criminelles », 1936, p. 479-492.
— Un cas de schizophasie avec glossomanie et syndrome de jeu (présentation de malade). En collaboration avec A. Courtois. [en ligne sur notre site]
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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LES CONCEPTIONS PSYCHANALYTIQUES DE L’HOMOSEXUALITE
par le Dr PAUL SCHIFF
L’HOMOSEXUALITE
ET NOTRE TEMPS
L’homosexualité, la perversion de l’instinct qui pousse un être à rechercher comme partenaires sexuels non pas les sujets du sexe complémentaire, mais ceux du sexe semblable au sien, est-elle, selon une idée assez courante, en forte augmentation depuis la guerre ? Il est possible que l’opinion commune corresponde à quelque chose de réel, mais certainement pas dans les proportions que l’on admet.
Si, avant la guerre, l’amour homosexuel n’osait pas dire ouvertement son nom, il existait de façon notoire dans certains milieux sociaux. Les traités de psychiatrie le mentionnaient, l’histoire le connaissait, mais une convention générale laissait le public dans l’ignorance de ses manifestations.
II semble que les ivresses de la paix retrouvée aient, dans les années 1920- 1930, brisé les conventions en ce domaine comme en tant d’autres. Des romans ont pris l’homosexualité comme thème, des auteurs l’ont portée à la scène, les biologistes l’ont étudiée plus librement, les homosexuels ont porté leurs penchants devant la foule. Qu’un certain prosélytisme se soit ainsi fait jour, c’est probable, mais n’y auront jamais succombé que les [p. 20 – colonne 2] sujets déjà fortement prédisposés : la base réelle de l’homosexualité est d’ordre psychologique et ses causes sont anciennes, profondes, aussi anciennes et profondes que la formation de la cellule familiale. La publicité récente ne l’a pas fait naître de toutes pièces, il faut se garder de confondre étalage et création.
LE PARADOXE SOMATIQUE
DE L’HOMOSEXUALITE
Il est naturel de se demander quel rôle peuvent jouer, dans le développement de l’homosexualité, les déséquilibres nerveux et surtout endocriniens. Nous croyons qu’il ne faut pas, au moins en ce qui concerne l’homme, surestimer la valeur des facteurs endocriniens. Les recherches embryologiques et les greffes génitales avaient fourni, avec la notion de la bisexualité organique primitive de l’être humain, un fondement à des rêveries aussi anciennes que l’humanité. Au lendemain des expériences de Pezard, de Champy, de Steinach et de Sand, une certaine ivresse s’était emparée des chercheurs et divers cas furent publiés d’homosexuels améliorés par des injections ou des greffes hormonales. Le rôle de la suggestion dans ces guérisons ne fut pas admis, l’épreuve du temps négligée, les nombreux échecs laissés de côté. Et pourtant, [p. 21 – colonne 1] bien avant cette période de fièvre endocrinologique, Freud avait mis suffisamment en lumière le rôle des conflits psychiques infantiles dans la genèse de l’homosexualité. Il suivait en cela son compatriote Krafft-Ebing qui, dès 1885, déclarait : « L’origine de cette perversion est dans le cerveau et non dans les glandes sexuelles ».
Notre expérience personnelle permet de reconnaître combien, en matière de sexologie humaine et chez l’adulte tout au moins, les cas sont rares dont l’endocrinologie donne la clef : les homosexuels à structure franchement féminoïde sont aussi peu nombreux que les impuissants du type hypo-hypophysaire ou hypo-testiculaire. L’endocrinologie morphologique, dans ces divers cas, fournit quelques touches d’appoint :; le fond du problème reste d’ordre psychologique et psychogène. C’est la psychologie, et en particulier la psychologie en profondeur, qui explique le mieux, à l’heure actuelle, le paradoxe fréquemment rencontré de ces homosexuels passifs, au type ultra-viril, de ces impuissants à l’aspect de « beaux mâles » dont l’apparence exerce sur les femmes une forte séduction érotique. En ce qui concerne les homosexuels en particulier, si l’examen somatique ne parvient pas à résoudre le paradoxe somatique de l’homosexualité, l’étude psychologique des phénomènes révèle encore d’autres contradictions.
DONNtES CLINIQUES
sur le PARADOXE PSYCHOLOGIQUE
DE L’HOMOSEXUALITE
Nous nous fonderons surtout sur l’homosexualité masculine qui est, dans ses réalisations, beaucoup plus fréquente que la féminine, bien que les progrès dans la libération des femmes aient, après la [p. 21 – colonne 2] guerre, libéré également leur homosexualité.
Il est classique de diviser les invertis en plusieurs groupes : invertis actifs, invertis passifs, invertis idéaux ou platoniciens et invertis sensuels, pédérastes qui recherchent les jeunes garçons, invertis de naissance et par contamination psychique (c’est la distinction classique entre pervers et pervertis).
Toutes ces divisions me paraissent avoir un caractère plus livresque qu’on ne croit généralement. En face d’un problème obscur, et que les confidences des patients ont encore obscurci délibérément, par parade esthétique ou par ignorance de soi, les auteurs ont tenté de clarifier la question en multipliant les schémas et les classifications. Mais ces classifications, loin de l’éclaircir, ont rendu plus incompréhensible encore le « paradoxe psychologique » de l’homosexualité, paradoxe par lequel l’uraniste et la lesbienne essaient de croire et de faire croire qu’ils possèdent les caractères du sexe qui n’est pas le leur, du sexe qu’ils méprisent tout en essayant de s’y rallier.
Très rares, en effet, sont les cas d’homosexualité à type tout à fait net. Quand on est en présence des faits cliniques, des patients eux-mêmes comme ils se révèlent peu à peu au cours d’une psychanalyse approfondie, on s’aperçoit que les limites entre les différents groupes deviennent indistinctes.
Tel homosexuel est passif ou actif tour à tour ; l’amour des éphèbes, chez tel autre qui se fait passer pour « actif », est en réalité avant tout un abaissement devant des êtres peu virils et dont la faiblesse accentue chez lui l’humiliation qu’il convoite. La différence classique entre l’homosexualité imaginative, platonique et la sensuelle, réduite aux seules [p. 22 – colonne 1] pratiques, ne se retrouve que très rarement. Dans nos observations le mélange d’idéalisme et de réalisation a lieu, avec un quotient très variable, mais la condescendance aux pratiques dans les cas d’homosexualité avérée existait toujours. Enfin, la différence elle-même entre le pervers et le perverti apparaît en clinique moins nette que dans les livres : le perverti a une disposition ancienne, une prédisposition à se laisser pervertir ; n’accepte pas qui veut de devenir homosexuel. Le pervers dit constitutionnel, de son côté, est avant tout la victime de constellations psychologiques, de circonstances infantiles.
DONNtES ETIOLOGIQUES
C’est dans l’étude de ces déterminantes infantiles que réside l’originalité et la fécondité des vues freudiennes. Les psychologues adlériens, qui voient dans l’homosexualité avant tout une lâcheté, une fuite devant les obligations sociales de l’hétérosexualité (conquête de la femme, fondation de la famille) nous paraissent avoir une vue trop simplifiée des choses. Ils négligent les manifestations fréquentes de courage physique et moral chez des homosexuels ; ils oublient que l’homosexuel doit, pour obtenir son objet d’amour, s’astreindre à des efforts et des luttes plus difficiles que l’hétérosexuel, risquer des échecs et des humiliations plus graves.
La cause essentielle de l’homosexualité est un ratage du complexe d’Œdipe, une prédominance de l’élan affectif vers le parent du même sexe, avec « identification » avec ce parent — dans le cas d’un petit garçon, par exemple, identification avec la mère.
La bisexualité psychique de l’élan amoureux est normale, selon Freud et d’autres, à la puberté : elle favorise les [p. 22 – colonne 2] erreurs d’aiguillage qui s’installeront avec force à cette époque, en cas d’identification pathologiquement prononcée. Ce processus d’identification, auquel la doctrine freudienne a pu donner sa véritable importance, se rattache à l’imitation normale, mais l’exagère à outrance, pour aboutir à une perte de la personnalité réelle de l’enfant.
L’identification homosexuelle est très variable selon les circonstances individuelles, et la psychanalyse d’un tel sujet consiste justement à en révéler jusqu’en leurs détails toutes les modalités et toutes les origines, les déceptions affectives, les élans brisés. Il ne saurait être question, dans ce bref exposé, de l’examiner même sommairement. On ne peut se passer cependant d’indiquer qu’il en existe à tout le moins deux formes opposées, et qui aboutissent au même résultat : l’identification par amour, par besoin de possessivité amoureuse, et l’identification de haine ou de défense, où l’enfant préfère confondre sa personnalité avec celle du parent dont il dépend, pour éviter de se sentir dominé par une autorité écrasante. Cette confusion, cette identification servent alors à masquer l’hostilité et la révolte. L’attachement persistant, exagéré des homosexuels masculins à leur mère, la fréquence chez eux d’une enfance confinée au gynécée ou féminisée par l’absence du père, d’un contrôle masculin, l’attardement aux voluptés sensorielles de la première enfance sont des faits qu’on retrouve uniformément chez les homosexuels les plus divers, mais qui ne suffisent pas à élucider le problème.
FORMES CLINIQUES
Le processus d’identification, s’il reste le noyau central de J’homosexualité, ne saurait à lui seul en faire comprendre les multiples aspects et, dans la clinique [p. 23 – colonne 1] appliquée, les choses se présentent de façon plus complexe et plus difficile.
Le rôle que joue la découverte infantile de la différence entre les organes génitaux des deux sexes devra, dans chaque psychanalyse, être précisé, et les raisons de sa survivance. Les variantes de l’attitude initiale devant cette découverte expliquent sans doute les modalités de l’homosexualité : l’identification à un être masculin, ou féminin, ou infantile, l’orgueil du pénis, la peur de l’organe féminin, ou masculin, ou la peur des deux, déterminent en grande partie l’orientation plus particulièrement féminoïde, éphéboïde ou socratique du comportement homosexuel.
De même, il faut indiquer en passant que l’homosexualité féminine comporte quelques traits particuliers. Les stigmates corporels y jouent peut-être un rôle plus grand, en créant plus facilement chez la femme un sentiment d’infériorité, et l’inversion sexuelle sera une tentative d’évasion. D’autre part, l’évolution œdipienne normale est mêlée chez toute fillette à un attachement maternel constant qu’elle a en commun avec le petit garçon et dont les modalités peuvent gêner les révolutions affectives de la puberté : l’ambivalence sexuelle, l’orientation imprécise paraissent plus fréquentes, en cas d’homosexualité, chez la femme que chez l’homme.
ASSOCIATIONS CLINIQUES
ET FORMES LARVÉES
L’importance nous paraît exagéée qu’on attache, dans les cercles analytiques, à distinguer l’homosexualité névrotique et l’homosexualité perverse. L’homosexualité tout à fait bien compensée n’existe sans doute pas. Il y a lieu de rechercher et de traiter le facteur névrotique dans toute espèce d’homosexualité. [p. 23 – colonne 2]
II est encore plus nécessaire de traiter le facteur homosexuel qui est à la base de beaucoup de névroses, sans en occuper le premier plan. C’est ainsi que de nombreux cas d’impuissance génitale reconnaissent pour cause réelle une homosexualité latente, ignorée du sujet et qui pourtant influe profondément non seulement sur sa vie sexuelle, mais encore sur son comportement vital tout entier. La guérison d’une impuissance génitale, par mise au jour et résolution d’une homosexualité latente, est une des conquêtes de la psychanalyse.
THERAPEUTIQUE
Nous avons dit plus haut qu’il fallait attacher une importance réduite au facteur organique endocrinien dans la genèse de la perversion homosexuelle. Une telle opinion clinique est sanctionnée par la thérapeutique. Le traitement orchitique est sans action dans cette maladie. Notre pratique sexologique ne nous a donné à ce point de vue aucun résultat, pas plus que les extraits des organes classiquement nommés glande de la génitalité, glande de l’énergie, les extraits hypophysaires et surrénaux.
Nous n’avons pas tenté la greffe testiculaire, mais le cas de guérison complète, publié par Lichtenstein, reste isolé dans la bibliographie ; le succès qu’il rapporta, en 1921, peut être mis au compte de la suggestion collective, du bruit fait à l’époque, en Europe Centrale, autour des expériences de Steinach. La preuve de l’inefficacité endocrinienne nous est donnée aujourd’hui par l’insuccès de l’extrait testiculaire synthétique, vraiment actif dans d’autres affections. L’homosexualité est bien une maladie de l’esprit, une déviation de l’affectivité, et c’est aux traitements psychologiques qu’il faut s’adresser [p. 24 – colonne 1] pour la guérir. Quel sera ce traitement psychologique ? La psychothérapie classique (suggestion, hypnose, etc.) échoue dans la très grande majorité, pour ne pas dire la totalité des cas. Si elle arrive à exercer sur le patient une influence réconfortante, à lui donner une certaine maîtrise de soi dans le cadre de la perversion, elle aura déjà fait œuvre grandement utile.
C’est la psychanalyse freudienne qui se montre seule capable, comme en un certain nombre d’autres affections psychiques, d’orienter l’homosexuel pratiquant vers une existence normale et de l’y maintenir. Encore faut-il que certaines conditions soient présentes pour qu’un psychanalyste puisse honnêtement accepter de tenter la cure d’un homosexuel. Avant tout il faut trouver chez le sujet une volonté certaine de guérir. Une psychanalyse imposée à un sujet (par les parents, une fiancée, etc.), acceptée à contre-cœur par lui, est assurée de ne pas réussir. Une « psychanalyse de curiosité », tentée par un homosexuel satisfait de sa perversion, échouera également. Seul est capable de guérir l’homosexuel malheureux dans son état et chez lequel l’insatisfaction et l’anxiété sont le signe que l’attrait féminin n’est pas trop profondément refoulé, que l’ambosexualité fondamentale n’est pas trop lointaine. Ces [p. 24 – colonne 2] observations valent pour les homosexuels des deux sexes.
La psychanalyse de l’homosexualité offre quelques difficultés particulières. Confiée à un analyste de sexe contraire, elle s’engagera lentement et difficilement. Faite par un analyste du même sexe, le transfert nécessaire devient parfois un obstacle, favorise des atermoiements qui mettent à l’épreuve la conscience de l’analyste. Celui-ci devra se garder, ici plus qu’ailleurs, de promettre une guérison rapide et totale. Il saura se contenter de résultats approchés, comme le mariage, par exemple, d’un homosexuel passif avec une femme virile et dominatrice, ou encore avec une femme-enfant, au corps d’éphèbe. De telles unions peuvent être parfaitement heureuses et fécondes, favorables au point de vue psychique pour les deux époux, utiles au point de vue social.
La thérapeutique analytique aura obtenu, même si elle n’aboutit qu’à un tel compromis, beaucoup plus qu’on ne pouvait espérer jusqu’ici du traitement de l’homosexualité. Il est juste d’ajouter qu’on arrive parfois à des réussites beaucoup plus éclatantes et qu’on peut voir, après une psychanalyse de cas en apparence très graves, un complet changement de signe de la sexualité, avec un revirement total vers des objets d’amour normaux.
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