Maurice Garçon. La Magie noire de nos jours. Articles parut dans la « Revue Métapsychique », (Paris), n°4, Juillet-Août 1929, p. 260-269.
Maurice Garçon (1889-1967). Avocat, polygraphe, polémiste, et écrivain, il est connu pour abbata participation à des retentissants procès, comme celui de Violette Nozière, mais aussi pour sa conséquente bibliothèque de démonologie, qui lui servit à la publication de ses nombreux ouvrages sur la sorcellerie et l’occultisme. Nous avons retenu les quelques ouvrages suivant.
Nous avons retenus les quelques publications ci-dessous :
— Le Diable, étude historique, critique et médicale (en collaboration avec Jean Vinchon) (1926)
— La Vie exécrable de Guillemette Babin, sorcière (1926)
— Vintras hérésiarque et prophète (1928).
— Le Magnétisme devant la loi pénale, Durville (1928), 33pp.
— Quelques types de guérisseurs. Extrait de la « Revue d’anthropologie », (Paris), 1928, pp. 90-96. [en ligne sur notre site]
— Rosette Tamisier ou La miraculeuse aventure (1929)
— Trois histoires diaboliques (1930
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images ont été rajoutées par nos soins. . – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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La Magie noire de nos jours
Par Me Maurice Garçon,
Avocat à la Cour de Paris
Mesdames, Messieurs,
Lorsqu’on m’a demandé, voilà plusieurs mois, de prononcer une causerie dans votre Institut, j’ai accepté sans hésiter ; et j’ai tant d’amitié pour votre directeur, que j’ai même consenti à me laisser imposer un sujet, en quoi j’ai été fort imprudent. Je me suis engagé à parler de la magie noire de nos jours et c’est le plus dangereux des terrains. Ajouterai-je aussitôt que c’est le plus décevant ?
Vous ne vous en étonnerez pas puisqu’il s’agit du Diable dont le propre est traditionnellement de toujours décevoir.
Il n’est de bon discours sans exorde. Le mien sera pour vous dire, par précaution oratoire, qu’il ne faudra pas attendre de moi de conclusion passionnée. Je sais trop combien il est hasardeux de se prononcer sur une matière où chacun de ceux qui écoutent, a son opinion faite et définitivement arrêtée. Je me propose seulement de vous montrer l’état actuel de la Magie dans notre civilisation contemporaine, et je suis bien résolu à demeurer objectif sans chercher aucunement ce qu’on peut en tirer. Ainsi, je me garderai de vous dire si, personnellement, je crois ou non à la Magie Noire. Je préfère, laissant chacun de vous suivre son opinion, ses tendances, ses goûts ou sa foi, exposer simplement ce que je puis savoir et ce que j’ai pu apprendre, ayant été certains jours singulièrement bien placé pour observer. Dans le domaine surnaturel où je veux vous conduire, rien n’est plus agréable que de laisser errer l’imagination. D’un simple récit chacun peut tirer les conclusions les plus différentes et je désire vous laisser cette entière liberté sans chercher à forcer votre avis. Ainsi, n’ai-je point besoin d’ajouter que, quoi qu’il m’arrive de dire, je supplie celui d’entre vous qui pourrait croire sa croyance offensée, de ne me tenir aucune rigueur de mes paroles. Il devra penser seulement que les mots ont dépassé mes intentions, car je suis résolu à ne contrarier aucune conviction,
Lorsqu’on aborde un sujet aussi vaste, que celui qui m’est fixé et qu’on veuille traiter en une heure, il m’apparaît qu’on a gagné beaucoup de temps lorsqu’on s’est bien mis d’accord sur la définition des mots qu’on emploie. Aussi me semble-t-il d’abord qu’il faut bien s’entendre sur le sens du mot Magie qui est entendu très diversement.
J’ai pu observer, en effet, à de fréquentes reprises, que les historiens les sociologues et les anthropologistes ont enveloppé, sous le vocable général de Magie, un certain nombre de faits qui n’ont aucun rapport avec elle. Il n’est pas de croyance vague et imprécise qu’on n’ait [p. 260] qualifiée de magique et très souvent on a eut tort. L’obscurité qui entoure la Magie ne permet pas d’y enfermer tout ce qui apparaît comme une manifestation primitive de superstition et c’est à mon sens, une bien grande erreur que d’éviter par ce procédé un aveu d’ignorance, qui serait nécessaire. Si l’on examine les ouvrages de certains sociologues actuels les plus éminents, on ne peut manquer d’être frappé de l’imprudence avec laquelle ils interprètent les sources les plus contestables. Les récits des voyageurs les moins préparés à observer les phénomènes sociaux sont acceptés sans contrôle. Des géographes, des hydrographes, des botanistes, des naturalistes, des géologues, des officiers, des missionnaires même, qui ne peuvent être impartiaux lorsqu’il s’agit de questions religieuses, ont rapporté des observations recueillies près de peuplades qui n’ont parfois qu’à peine le langage articulé. Les sociologues en ont tiré de savantes conclusions, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont souvent le seul fruit de leur imagination. Généralisant ensuite, ils établiraient des lois si on voulait les entendre, et ainsi la Magie, mot commode et vague qui comporte toute superstition mystérieuse, devient un terme aisé et qui comprend trop de sens. Je crois que point n’est besoin d’aller chercher si loin ses sources incertaines, et que nous avons autour de nous assez de sujets d’observation sans vouloir recourir aux plus hasardeuses hypothèses.
Je crois, pour ma part, que la Magie est sortie de la religion dont elle est une branche solide, et que, si elle s’en écarte parfois, elle ne s’en sépare jamais.
Pour mieux et plus clairement exprimer ma pensée, je voudrais un instant vous prier d’imaginer· ce que pouvait être l’état d’esprit de l’homme primitif. On a dit parfois que l’être humain est un animal religieux, je crois qu’il est surtout un animal craintif et que la religion est née de la crainte. Rien ne devait être plus terrifiant que la vie primitive de l’homme, ignorant des forces de la nature et qui, à chaque instant se croyait menacé par elles et directement aux prises avec elles. La pluie, la grêle, le vent, l’orage et le tonnerre, le flot montant de la mer, les inondations, les éclipses étaient autant de phénomènes terrifiants au milieu desquels il se débattait apeuré et impuissant. Notre cerveau crée aisément des personnages, et l’anthropomorphisme est une ressource qui nous est chère lorsque nous voulons interpréter ce que nous concevons mal dans le monde. Réduisant tout à nous-mêmes, nous donnons aux choses matérielles une pensée intelligente, ce qui nous permet de leur donner également un caractère, puisque nous le supposons pareil aux nôtres. Ainsi le vent la pluie, le tonnerre, les orages sont devenus des personnages vivants mais tout puissants, tantôt bienfaisants et tantôt furieux. Pour calmer leur colère une invocation s’est élevée, et de cette première prière est née la religion faite d’amour ou de crainte révérentielle.
Craintif, l’homme a supplié. Perdu dans le vaste monde, il s’est senti plus ferme, lorsqu’il a cru pouvoir s’appuyer sur la divinité.
Puis le coïncidence d’un geste qui avait paru avoir une répercussion lointaine, le hasard d’une parole échappée et qui a semblé procurer [p. 261] un certain résultat, la répétition parfois incohérente d’un signe auquel on a attribué un certain pouvoir, a fait naitre l’idée que parfois la divinité peut obéir. L’homme s’est enhardi. On se lasse facilement de craindre et l’on aspire toujours à commander. Pouvoir, par une parole, un geste ou un signe, imposer sa volonté à la divinité, devient l’ambition du plus grand nombre, et la Magie est née le jour où l’homme a cru qu’il pouvait obtenir de la divinité ce qu’il voulait, quand il voulait par un acte que, sans doute, il était au pouvoir de la divinité de faire, mais qu’elle n’eut pas fait nécessairement à ce moment précis.
Ainsi le magicien fait un geste rituel, prononce une parole sacramentelle pour forcer son Dieu à agir à son heure dans le sens où il veut. Pris dans cette acceptation, le mot Magie ne peut être considéré comme péjoratif : la Magie est étroitement liée à la religion et il est souvent difficile, dans la prière pure, de démêler très exactement la part qui lui est faite. C’est la fin envisagée qui, seule, rendra à un moment la Magie pernicieuse et fétide. A l’origine elle est pure de tout crime et paraît difficilement attaquable sur le terrain moral.
Pour n’en donner qu’u exemple dans la religion catholique, je dirai que la Consécration un acte magique puisque les paroles sacramentelles prononcées par le prêtre, fût-il rejeté de l’Eglise, a pour effet de consacrer le pain et le vin. LA divinité consent à descendre dans l’hostie, au moment de l’élévation ; à raison des mots qui sont proférés, et elle n’u descendrait pas nécessairement à ce moment-là, si les paroles rituelles n’étaient pas dites.
Ainsi la religion le plus pure conserve un certain formulaire magique. Ce n’est point de celui-là dont j’ai à m’occuper.
Le mot Magie, dans son sens courant, comporte une idée péjorative. Elle est fort aisée à expliquer. Tant que l’homme demeure dans le domaine de la prière, de l’invocation et de la supplication, il cherche à se concilier la divinité et la flatter. Ses requêtes sont timides, elles tendent à une fin morale. Oserait-on, montrer au bienfaiteur dont on veut s’attirer les bonnes grâces les pensées mauvaises qui peuvent agiter ? Penserait-on qu’il est possible de la prier d’accorder le mal ? Assurément pas. Ainsi l’homme religieux reste dans le chemin de la seule morale. Mais au contraire lorsqu’il s’est fait cette opinion qu’il peut commander, lorsqu’il pense qu’il peut prier la divinité à ses fantaisies et d’obtenir d’elle ce qu’il veut même d’inavouable, il prend une singulière hardiesse, relève la tête, et se fait de lui-même et de sa puissance une redoutable opinion. Il ne supplie plus, il commande et dès lors il manifeste tous es mauvais instincts. Le magicien devient dangereux pour ceux qui l’approchent parce qu’il ne songe plus qu’à la satisfaction de ses passions. Quand on est dans le domaine des instincts, l’imagination humaine ne connaît plus de limites. Dès lors le magicien n’est plus le prêtre de quelque bonne religion sage et morale, il devient le sorcier qui se venge, qui frappe, qui tue. Rapidement il est en exécration au reste de l’humanité : « Tu ne laisseras pas vivre la magicienne » est-il dit au Deutéronome.
Voilà ce qu’il faut entendre par Magie Noire. C’est elle qui en [p. 262] marge du culte admis lorsqu’il persiste, ou remplaçant le culte initial lorsqu’il disparaît, parce que l’universalité devient sorcière et ne croit plus qu’à la sorcellerie, s’élève audacieuse, féroce et assassine pour assouvir sans scrupules ses vengeances ou ses passions.
Sans doute, ainsi analysée, la distinction paraît simple et claire. La vérité est que les degrés qui séparent la religion de la magie sont le plus généralement insensibles. Souvent les deux demeurent étroitement liées. Ce ne sont à l’origine que subtilités, et il est fréquemment bien difficile de discerner l’une de l’autre. D’autres fois, au contraire, la Magie subsiste seule, aisément reconnaissable et sinistrement criminelle, au moins dans ses intentions.
Ce qu’il faut dire, du moins, c’est que dans quelque civilisation qu’on cherche, les principes sont sensiblement les mêmes : la magie, lorsqu’elle est envisagée du seul point de vue maléfique, tend à l’assouvissement immédiat des passions.
Le magicien recherche de l’argent et les satisfactions que procure la luxure. Celui qui tente l’expérience a souvent d’abord usé des moyens licites. Il a échoué. Le désespoir est entré dans son âme et c’est par désespérance qu’il est venu à la Magie. Dégoûté, plein de besoins inassouvis, physiquement quelquefois taré, moralement atteint, il se jette avec frénésie dans un monde inconnu, mais dont il espère obtenir ce que jamais il n’a pu atteindre. Il saute avec fureur un obstacle redoutable, avec la conviction plus ou moins ferme que cette Magie, tant réprouvée lui procurera l’impossible bonheur.
Jamais, peut-être, plus impressionnant tableau de cette angoisse n’a été peint par Goethe au début du Faust.
« Philosophie, hélas ! jurisprudence, médecine, et toi aussi, triste théologie !… Je vous ai donc étudiées à fond avec ardeur et patience : et maintenant me voici là, pauvre fou, tout aussi sage que devant. Je m’intitule, il est vrai, Maître, Docteur, et depuis six ans je promène ça et là mes élèves par le nez. — Et je vois bien que nous ne pouvons rien connaître !… Voilà ce qui me brûle le sang ! J’en sais plus, il est vrai, que tout ce qu’il y a de sots, de docteurs, de maîtres, d’écrivains et de moines au monde ! Ni scrupule ni doute ne me tourmentent plus ! Je ne crains rien du Diable, ni de l’Enfer ; mais aussi toute joie m’est enlevée. Je ne crois rien savoir de bon en effet, ni pouvoir rien enseigner aux hommes pour les améliorer et les convertir.
Aussi n’ai-je ni bien, ni argent, ni honneur, ni domination dans le monde : un chien ne voudrait pas de la vie à ce prix ! Il ne me reste
désormais qu’à me jeter dans la Magie. Oh ! si la force de l’esprit et de la parole dévoilait les secrets que j’ignore, et si je n’étais plus obligé de dire péniblement ce que je ne sais pas ; si, enfin, je pouvais connaître tout ce que le monde cache en lui-même et, sans m’attacher davantage des mots inutiles, voir ce que la nature contient de secrète énergie et de semences éternelles. Astre à la lumière argentée, lune silencieuse daigne pour la dernière fois jeter un regard sur ma peine !… J’ai si souvent, la nuit, veillé près de ce pupitre ! C’et alors que tu m’apparaissais sur un amas de livres et de papiers, mélancolique amie ! Ah ! que ne puis-je à la douce clarté, gravir [p. 263] les hautes montagnes, errer dans les cavernes avec les esprits, danser sur le gazon pâle des prairies, oublier toutes les misères de la science et me baigner rajeuni dans la fraîcheur de la rosée ! »
Sans doute le désespoir de Faust est d’une qualité supérieure. C’est par dégoût pour le néant de ses connaissances qu’il vient à l’enfer et pour retrouver une jeunesse inutilement perdue. Pourquoi l’évolution qui l’amène à la sorcellerie est celle qui a conduit tous les auteurs. C’est la pratique de la Magie noire, la plus dangereuse de toutes, non du point de vue des occultistes que je veux laisser de côté, mais du point de vue de l’éthique parce qu’elle constitue la plus mauvaise hygiène mentale et mène directement au délit et au crime. Elle est pernicieuse parce que celui qui s’y adonne l’un après l’autre ses scrupules, que, s’il se livre d’abord à de seules incantations, il en arrive peu à peu à perdre la notion du réel et supplée quelquefois à l’impuissance de son effort par le fer ou par le poison.
C’est ce qu’on avait fort bien compris sous l’ancien régime. Jusqu’au XVIIe siècle, le crime de sorcellerie était puni dans toutes ses manifestations, mais lorsque l’incrédulité naquit, Louis XIV rendit une ordonnance qui fit cesser les poursuites ordinaires à l’exception des cas où les magiciens avaient employé le poison ou commis quelque autre crime de droit commun ; l’onguent dont les sorcières s’oignaient pour aller au sabbat contenait de la graisse de petits enfants morts, mais il advint que des sorcières tuèrent des enfants à cet effet.
Il faut donc, si l’on veut bien comprendre ce qu’est la magie noire, l’envisager sous cet aspect qu’elle est une école du crime. Tantôt le forfait est purement intellectuel et reste dans le domaine de l’occulte, tantôt il se matérialise, et emprunte les moyens les plus vulgaires, employés par les récidivistes de droit commun. La vraie doctrine magique n’a pas ignoré d’ailleurs le danger de ces pratiques. Elle en a symbolisé le péril dans la manifestation du choc en retour. Le maléfice envoyé par le magicien se retourne contre lui si la victime a pu déjouer ses efforts. C’est le risque effroyable de périr soi-même du sort qu’on a jeté contre un autre. Tous les livres qui s’occupent de magie sont pleins à ce sujet de terribles récits. Je n’en citerai qu’un pour exemple et je l’ai choisi ancien à ce dessein.
En 1687, un individu du nom de Rock était condamné aux galères pour avoir, par ses sortilèges, fait périr le bétail d’un voisin, La condamnation pourtant exemplaire n’avait pas arrêté le misérable. Malgré sa détention le maléfice continuait. On résolut dès lors de surprendre le sorcier par un subterfuge. Un autre condamné, qui était d’accord avec les magistrats, fut enfermé avec lui, l’enivra et lui fit avouer que les pratiques commencées par lui étaient continuées par un sien ami surnommé Bras de Fer. On lui fit aussitôt écrire une lettre à ce Bras de Fer pour lui dire de lever le sort. La lettre fut portée à son adresse. Dès qu’il fut sorti de son ivresse, Hock, se rappelant ce qu’il avait écrit, montra un grand désespoir et dit qu’il allait mourir par choc en retour. De fait, Bras de Fer, s’étant rendu dans la ferme infestée enleva le sort qui était enfoui sous le seuil de la porte [p. 264] et le jeta au feu. Au même instant Hock entra en convulsion et mourut dans d’atroces souffrances.
Libre à vous de tirer de cette histoire classique l’opinion qui vous paraîtra la plus raisonnable. Pour moi, je dirai qu’à ne la prendre seulement que comme un symbole, elle est singulièrement révélatrice du caractère profondément criminel que revêt tout acte de magie.
On en pourrait citer de plus récents et l’on trouve encore de curieux exemples de choc en retour dans le récit des combats livrés par l’abbé Boulan à Stanislas de Guaîta. .
Peut-être trouverez-vous que j’ai pris bien des détours pour conduire à la Magie noire contemporaine. Ils m’ont paru nécessaires pour bien fixer le plan sur lequel nous avons à nous tenir.
Qu’est devenue aujourd’hui la Magie ? Il est peu aisé de le savoir. Par essence, ses pratiques sont secrètes et celui qui les exerce se livre peu. Les anciens jurisconsultes disaient. du crime de sorcellerie qu’il rampe comme le cancer, se commet le plus souvent la nuit, lorsque les hommes y peuvent le moins prendre garde et, qu’il se fait secrètement et proditoirement contre les proches, maîtres, frères, pères, enfants, femmes, associés, compagnon, amis et familiers. C’était un crime de difficile inquisition pour lequel le juge devait s’occuper du moindre bruit commun et indice léger.
Les traditions de la magie se transmettent en général oralement. Le sorcier se cache pour agir. Ainsi est-il souvent insaisissable. De plus il faut se méfier de la littérature. Le Diable a été un grand aliment pour les romantiques. Les vieux grimoires furent repris, réimprimés et remis à la mode. Beaucoup d’auteurs ont abondamment puisé dans les ouvrages de Magie. Le Dragon Rouge, l’Enchiridion ont été dispersés à des centaines de milliers d’exemplaires. Eliphas Lévi a écrit un traité de Magie. Papus a voulu ressusciter la Kabbale, Stanislas de Guaita a rassemblé toutes les traditions éparses et les a illustrées d’anecdotes extraordinaires.
Que faut-il tirer de cela ? A mon sens pas grand’chose. Il n’y faut voir, je crois, qu’une documentation commode pour comparer les vieilles histoires recueillies ainsi, avec les manifestations dont nous pouvons être témoins. Ils doivent, je crois, être pris comme des tableaux des anciennes pratiques qu’on ne doit consulter qu’avec prudence, qui, permettent de classer celles qu’on peut découvrir aujourd’hui et en facilitent la compréhension. Ce qui frappe le plus, en effet, c’est que rien ne paraît changé depuis les époques les plus anciennes. La Magie a son rituel qui se transforme très peu. Il semble que les traditions
magiques soient fixées quasi définitivement et la conférence que je fais ce soir eût pu être prononcée presque sans changement, il y a deux ou trois cents ans. On peut présumer qu’elle sera encore d’actualité dans deux ou trois siècles.
C’est une grande erreur de croire que les progrès de la science apportent quelque modification aux croyances. On apprend à lire à l’école, mais on n’y change pas le fonds des superstitions. Comme l’a dit un auteur, c’est délirer que croire que raison et foi peuvent trottiner de concert. Il y a si peu de changement que nous pouvons [p. 265] affirmer, sans crainte d’erreur, que ceux qui pratiquent aujourd’hui la Magie respectent les plus anciennes traditions. Par là nous connaissons donc toutes apparences extérieures. L’une des premières occupations du magicien est de signer un contrat avec l’esprit du Mal. Nous possédons dans les vieux ouvrages et dans les vieux dossiers de procédure des pactes de jadis. Ceux d’aujourd’hui sont identiques. J’ai tenu entre les mains des parchemins récents. On eût pu croire qu’ils étaient copiés sur les anciens. Je ne jurerais même pas qu’ils n’ont pas été simplement reproduits. Comme eux, ils étaient écrits ou signés avec du sang. Le hasard m’a permis d’en voir qui avaient été rédigés presque sous mes yeux et je suis demeuré stupéfait de la similitude, Même, j’y ai trouvé la même mauvaise foi qui, préside à toutes ces cérémonies. Le Diable est menteur par essence ; aussi doit-on n’avoir aucun, scrupule à le tromper, même lorsqu’on veut se servir de lui. Avec lui il est admis qu’on ne joue pas la règle du jeu. Le pacte est un contrat à terme et à condition. Le terme est la mort du magicien et la condition est que le Diable obéisse jusque là, mais on insère toujours quelque insidieuse restriction pour se débarrasser de l’échéance et échapper à l’Enfer lorsque la promesse faite par le Diable est accomplie.
Ainsi rien de nouveau dans ce rituel initiatique. Les pactes sont assez fréquents et ne comportent pas de changement.
Une question plus délicate et quasi insoluble est celle de savoir où se recrutent ceux qui signent le pacte. Il est certain que les campagnes sont pleines, de croyances encore très primitives et qu’on y pratique assez couramment la Magie. Mais si l’on croyait qu’il faut arrêter là les recherches, on commettrait une erreur.
Sans doute la crédulité est plus grande, les longues conversations des pâtres dans les montagnes, les longues veillées dans les fermes où se répètent d’obscures histoires, sont très propices à la conservation des traditions. Sans doute aussi la pratique de la Magie peut être considérée comme héréditaire et se transmet plus aisément et plus mystérieusement dans les campagnes reculées. Mais il faut aussi chercher ailleurs. Les villes, grandes ou petites, sont pleines de révélations pour ceux qui savent observer. J’ai personnellement reçu un jour une lettre d’un homme fort important, exerçant une profession libérale, demeurant dans une des plus grandes villes de l’Est et qui me demandait des recettes d’envoûtement, estimant que je devais être expert. J’ai cru d’abord à une plaisanterie, j’ai pourtant répondu, mais avec prudence et en demandant seulement de plus amples renseignements. Mon correspondant précisa qu’il voulait faire périr une femme qu’il me désigna. Il parlait avec moi sans feinte, me priant seulement de lui fournir les formules et les moyens, Il m’a envoyé six lettres ; j’ai répondu aux cinq premières, je me suis arrêté effrayé à la sixième. Mon homme, auquel je n’avais donné que de vagues indications destinées seulement à le faire se dévoiler mieux était sur le bord du crime.
De même j’ai découvert un jour, près, de chez moi à Paris, dans [p. 266] une maison devant laquelle j’ai passé chaque jour pendant vingt-cinq ans sans rien soupçonner, un vieil homme qui cherchait la pierre philosophale et qui avait pactisé avec le Diable sans d’ailleurs y parvenir plus vite et mieux.
De même encore, tout récemment j’ai voyagé avec un financier, homme pondéré, menant ses affaires avec un grand sang-froid et qui, en confidence, m’a avoué qu’il devait sa fortune à un pacte signé jadis. Pendant plusieurs heures il m’a fourni des preuves de ce qu’il avançait, sortant de ses poches des documents magiques inouïs, dont il ne se sépare jamais.
Aussi me suis-je fait cette opinion que la Magie ne s’est point, comme on pourrait le croire, réfugiée dans les provinces reculées. Aussi vivante que jadis ou presque, elle n’est point l’apanage d’une seule catégorie. On la rencontre partout sans pouvoir établir de classement de ses serviteurs.
Les pratiques en sont parfois bénignes, d’autres fois criminelles. Si l’on prend les vieilles collections de la Gazette des Tribunaux et qu’on cherche, à la table, aux mots Magie, Superstition, Sorcellerie, Sortilège, Exercice illégal de la médecine, on demeure confondu du nombre de procès plus ou moins graves qui, pendant toute la fin du XIXe siècle, ont révélé dans les enceintes judiciaires l’existence des pratiques magiques. Ce ne sont qu’escroqueries, meurtres, assassinats. On se venge sur le sorcier qui a le mauvais œil, on tue la magicienne qui jette des sorts, on se fait remettre des sommes d’importance diverse pour faire un maléfice ou combattre un sortilège. Sans distinction d’origine ou de région, on pratique communément la sorcellerie en France.
Si l’on examine alors les conditions dans lesquelles la Magie est aujourd’hui pratiquée, on s’aperçoit que les procédés sont fort nombreux.
La Magie s’exerce d’abord sur la durée. Par elle, le magicien est maître du temps puisqu’il évoque les morts et les fait revivre. C’est une idée bien vieille et solidement ancrée dans l’esprit des hommes que la croyance à la survie. La simple mort qui anéantit toutes choses irrémédiablement fait horreur et paraît presque contre nature. Chaque homme s’habitue à être le centre du monde, et n’accepte pas l’idée qu’il périra un jour. La survie est une consolation immense et le nécromant évoque le fantôme. Que les spirites qui peuvent m’entendre ne prennent point ombrage de mes paroles, mon intention n’est point de parler d’eux. Je connais dans la banlieue parisienne un homme qui, depuis plusieurs mois, vit chaque nuit penché sur une baignoire où trempent et chauffent les plus incroyables matières dans le plus invraisemblable mélange. Il veut reconstituer un corps humain qui réincarnera un être cher qu’il a perdu. On pourrait à ma description croire qu’il s’agit d’un dément. En aucune façon ; il exerce dans la journée une profession raisonnable, se montre employé ponctuel et tâche seulement de retrouver une recette magique… Il lit, fouille les manuscrits, les bibliothèques, croit toujours toucher au but, échoue et recommence. [p. 267]
La Magie s’exerce aussi sur les éléments. Celle-là se rencontre surtout dans les campagnes. C’est la plus banale. On bat dc l’urine dans un trou pour faire tomber la grêle. On attire la pluie, on fait souffler le vent. La Magie s’exerce aussi sur les objets : II ne se passe pas d’années sans que les journaux racontent quelque histoire de maison hantée. J’ai eu la curiosité de coucher seul une nuit dans un maison ainsi troublée. Mes observations personnelles ne m’ont conduit
à rien. Emporté par la fatigue, je me suis endormi trop tôt et réveillé trop tard. Ce qui s’est passé pendant mon sommeil m’a été conté. Hélas ! je n’avais rien pu vérifier par moi-même et j’en ai conservé un grand regret.
Nombreuses sont les maisons hantées. Chaque année, deux ou trois sont révélées en France ; toujours le voisinage y voit la preuve de quelque sortilège.
La Magie s’exerce enfin et surtout sur les animaux et sur les hommes ; c’est là qu’elle est la plus dangereuse.
Je ne vous parlerai pas de l’envoûtement qui est trop connu. C’est l’une des plus anciennes manifestations magiques. A l’aube de l’humanité, les hommes faisaient des représentations de bêtes qu’ils désiraient faire périr et y plantaient des dards ou les dessinaient.
L’idée qu’un ennemi peut être atteint spirituellement, psychiquement par une arme qui perce son image et qui l’incarne est une des plus persistantes qu’on puisse rencontrer, et, si l’on examine ces formes d’envoûtements, on peut les réduire à sept. C’est l’envoûtement d’amour, le philtre qui force à aimer et livre la personne désirée sans résistance ; c’est ensuite l’envoûtement qui provoque la haine ; celui des ligatures qui frappe d’inhibition qui en est atteint : ce sont aussi ceux qui provoquent la maladie, la mort, qui ôtent la raison et qui nuisent aux biens matériels. Récemment, étant entré dans une ferme du sud-ouest, j’ai avisé dans une grange, cachée entre deux poutres, une statuette de cire percée de trois épingles, l’une au foie, l’autre au cerveau et la troisième au cœur. J’ai sollicité un éclaircissement feignant d’ignorer ce que pouvait signifier un pareil objet. Chacun a paru s’étonner, a dit ne point savoir ce dont il s’agissait. Je n’ai rien pu tirer de mes gens qui paraissaient embarrassés. N’empêche que je tenais la preuve qu’on avait récemment voulu faire mourir quelqu’un par envoûtement. J’ai pu identifier la statuette. C’était une de celles qu’on vend communément dans un lieu de pèlerinage voisin pour demander des grâces lorsqu’un enfant est malade. Ces statuettes sont bénies et je soupçonne fort que cette bénédiction qui ajoutait une manière de sacrilège à l’acte magique n’avait pas dû paraître indifférente au sorcier.
En ce qui touche les bêtes, les envoûtements sont sensiblement les mêmes ; pourtant une vieille tradition est curieuse, celle des lycanthropes. Les loups-garous ont tenu une place considérable dans la littérature. Il ne faut pas penser qu’on n’y croit plus et qu’on n’attribue pas à certains sorciers le pouvoir de se transformer en bête. Il y a quinze jours, étant à Poitiers, j’ai eu l’occasion de bavarder longuement avec une vieille servante ; la conversation est venue sur [p. 268] un avoué que je connais et qui est le plus brave homme du monde et le plus ignorant des sciences occultes.
Très sérieusement elle me soutint qu’il était un loup-garou et, devant mon scepticisme, elle se mit en colère et me fournit ses preuves. Elle m’affirma que sa propre sœur, rentrant un soir des champs, fut suivie par une chèvre qu’elle voulut chasser. La bête s’obstina, elle lui donna sur le nez un coup de parapluie qui l’étendit à terre et sa stupeur fut grande de voir tout à coup au lieu de la chèvre l’avoué allongé sur l’herbe et revenu à sa forme naturelle.
Comme j’émettais encore des doutes, elle me proposa de m’amener dix témoins de faits presque identiques sur le même personnage, et, pour finir de me convaincre, me dit l’avoir vu un soir se rendre dans sa propriété des champs en traversant l’air « comme un ballon ».
Que répondre à une pareille certitude ?
Ainsi, dans tous les domaines ordinaires, la Magie s’est conservée intacte ; ce qui doit même frapper le plus, c’est que si elle n’a que peu perdu de terrain, elle n’a fait de progrès dans la pratique.
J’avais toujours été curieux d’assister à une opération magique ; jusqu’à ces derniers temps je n’avais pu y parvenir. Le hasard m’a
pourtant récemment permis de voir un des spectacles les plus étranges qu’on puisse imaginer. Une rencontre fortuite me fit apprendre que, dans les bois, du côté de Fontainebleau, un homme allait faire un pacte avec le Démon. On m’avait précisé l’endroit de la cérémonie et l’heure. Accompagné, par prudence, d’un ami, je m’y suis rendu. L’homme avait choisi, comme il sied, la croisée de deux chemins et la nuit était sans lune. Nous nous sommes cachés et nous avons attendu.
Vers minuit le magicien est venu et a tracé avec une baguette un cercle magique autour de lui, et s’est réfugié à l’intérieur. Derrière. lui, il a tracé le monogramme du Christ pour qu’aucun démon ne pût l’attaquer de ce côté. Devant lui, il a planté deux cierges et allumé de l’encens dans un bol. Puis ouvrant un livre il a proféré des imprécations contre Dieu et des invocations à Satan auquel il demandait la fortune. C’était tout le rituel classique du Dragon Rouge, qu’il avait remis en honneur !
La scène m’a paru d’abord ridicule. Le vent soufflait et éteignait les cierges qu’il rallumait aussitôt. C’était une lutte absurde entre ces chandelles qui s’obstinaient à ne pas briller et lui qui voulait en enflammer les mèches. A la fin il s’est lassé, et désespérant de conserver sa lumière, il s’est dressé droit et la main tendue, tenant son pacte prêt et signé. Il a adjuré le Diable de lui donner de l’or, s’engageant à lui fournir une âme pour chaque bienfait.
Que voulait-il dire par cette âme fournie ? Parlait-il au figuré ou promettait-il un crime ? Le spectacle, de grotesque qu’il avait été d’abord, était devenu tragique. L’homme avait peur. Il était arrivé à ce paroxysme nerveux qui fait penser que tout est possible. Les mots s’étranglaient dans sa gorge. Il déployait un courage surhumain pour continuer ses invocations, mettant Lucifer en demeure de paraître. [p. 269] en personne devant lui. Son ombre qui se découpait obscure nous parut grandie. Instinctivement, mon compagnon et moi, nous avons fait quelques pas en arrière et nous sommes partis sans en entendre davantage.
Notre magicien était aussi effrayant à voir que le Diable lui-même s’il avait paru.
Il se tenait sur la limite de la démence. Etait-ce un choc en retour ?
Jamais je n’ai si bien compris le danger des pratiques de la Magie.
C’est ce danger que par mon dernier récit je voudrais pouvoir me flatter d’avoir fait pénétrer dans vos esprits.
MAURICE GARÇON.
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