C. de VESME. L’obsession et la possession l’Extrême-Orient et dans les Pays non civilisés. [Partie 1] Article parut dans la « Revue Métapsychique », (Paris), n°3, année 1929, mai-juillet, pp. 163-183.
César BAUDI DE VESME (1862-1938). D’origine italienne il vécut la plus grande partie de sa vie en France, où il mourut. Défendant une philosophie spiritualiste, bilingue bien sûr, il publia de très nombreux articles et un ouvrage reprenant l’ensemble de ceux-ci. Il se spécialisa dans les études du paranormal et du spiritisme. Son principal ouvrage : Histoire du Spiritualisme expérimental. Paris, Jean Meyer, 1928.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé quelques fautes de typographie. – Par commodité nous avons renvoyé les notes de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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L’Obsession et la Possession dans l’Extrême Orient
et dans les Pays non civilisés.
Partie 1
Par César De VESME.
De toutes les questions que doit nécessairement aborder celui qui s’occupe des croyances religieuses, envisagées au point de vue expérimental, aucune ne se présente sous un jour aussi fâcheux que celle de l’obsession et de la possession. Après avoir joui, pendant de longs siècles, du consentement presque unanime de l’humanité, elle ne rencontre presque plus dans les pays civilisés, que des sceptiques, même parmi les personnes les plus religieuses. Trois causes principales ont contribué à ce revirement de l’opinion humaine, savoir :
1° La réaction protestante, et puis philosophique, contre tout ce qui revêt un caractère de « miracle », ou de quelque chose d’analogue ;
2° Les progrès de la médecine — spécialement de la psychiâtrie — ayant permis de démontrer que beaucoup d’états attribués jadis à l’œuvre des démons pouvaient recevoir une explication purement physio-pathologique ;
3° La diffusion des recherches anthropologiques, ayant mieux fait ressortir la grossièreté de l’erreur dans laquelle tombent la plupart des sauvages, lorsque, dans leur ignorance de la vraie cause des maladies, ils attribuent celles-ci, en bloc, à l’influence de mauvais esprits ou de sorciers.
En ces conditions, les Chrétiens eux-mêmes — les Catholiques non exclus — évitent généralement, autant que possible, de toucher à cette question épineuse, qui leur procure un vague sentiment de gêne, d’embarras, même lorsqu’elle apparaît dans les pages de l’Evangile et sur la bouche du Christ. N’oublions pas que, dès le milieu du XVIIIe siècle, J.-J. Rousseau écrivait que ses premiers doutes sur l’authenticité de l’Evangile lui étaient venus du rôle d’exorciste attribué au Messie.
On ne doit cependant pas se dissimuler qu’une nouvelle période de discussions sur l’« obsession » et la « possession » vient de s’ouvrir et est appelée à prendre peut-être une étendue fort singulière et imprévue dans ce siècle de positivisme et d’incrédulité religieuse. Ceux qui se sont occupés, ne fût-ce que superficiellement, de Métapsychique, n’ignorent pas, en effet, que les phénomènes paranormaux, qu’ils soient de nature matérielle ou de nature mentale, prennent [p. 164] souvent une apparence « spirite », certainement due, dans la plupart des cas, aux croyances conscientes ou subconscientes du médium et de son entourage.
Or cette apparence d’intervention spirite se manifeste, la plupart du temps, au cours des séances médiumniques, sous la forme d’un « contrôle » que les soi-disant esprits prennent du médium. La personnalité du supposé esprit semble parfois se superposer à celle du médium, sans l’éliminer entièrement ; c’est quelque chose d’absolument analogue à la simple « obsession » des théologiens. Mais, en d’autres cas, il semble y avoir une élimination complète de la personnalité du médium, qui est remplacée par celle du soi-disant esprit ; c’est alors la « possession » proprement dite.
Sans doute, dans les séances médiumniques, ce phénomène se produit avec le consentement du sujet et des expérimentateurs qui, loin de s’efforcer de l’empêcher, cherchent à le provoquer. A la fin de la séance, on réveille le médium qui, par cette naïve suggestion, reprend son état normal. Mais il n’est pas moins évident que, si l’on admet la possibilité de l’obsession et de la possession, vraies ou apparentes, au cours des séances ad hoc, on ne saurait contester la possibilité qu’elles se produisent alors même qu’elles ne sont pas provoquées dans un but d’expérimentation. Le contraire apparaît même comme étant assez invraisemblable. En effet, les objections qui ont été soulevées à cet égard par Sir Oliver Lodge et par d’autres sont plutôt de nature philosophique et conjecturale : « Il nous répugne de croire que la liberté individuelle de penser puisse être violée par un être invisible, etc., etc. ». Mais au point de vue positif, et par conséquent scientifique, tout ce que l’on pourrait objecter peut-être c’est que, comme la suggestion hypnotique, pour être efficace, doit être acceptée par le sujet, de même un sujet qui n’accepte point la suggestion d’un esprit ne saurait être subjugué. Cette objection serait d’ailleurs fort discutable : elle constituerait en somme une hypothèse à contrôler par l’expérience.
Voilà donc l’obsession, la possession de jadis revenues avec les mêmes noms, avec les mêmes traits caractéristiques, avec la même signification — ou à peu près — dans l’expérience contemporaine.
Jusque-là, il ne s’agit encore que des altérations de la personnalité. La difficulté d’admettre l’intervention d’esprits dans les maladies corporelles est infiniment plus sérieuse. Et pourtant, la science nous a désormais habitués à penser que les liens entre la psycho-pathologie et la phys1o-pathologie sont bien plus étroits que ne le supposaient nos aïeux, quoique ceux-ci ne les aient jamais entièrement ignorés. En étudiant l’auto-suggestion et l’hétéro-suggestion, ·on ne tarde guère à constater leur influence sur la production ou le développement des maladies corporelles, surtout chez certains sujets [p. 165] hautement suggestibles ou hystériques. On ne devrait donc voir rien de trop étrange ni d’anormal (en principe, bien entendu !), au fait que les maladies les plus diverses puissent avoir une origine qui les rattache à l’obsession et à la possession.
Et même, à cet égard, une remarque préliminaire ne sera pas inutile.
Un général qui n’estime pas à sa juste valeur les forces ou l’habileté de son adversaire s’expose à d’amères surprises. De même, dans les controverses scientifiques, il faut bien se garder de mépriser a priori l’intelligence de son contradicteur et de méconnaître la valeur des arguments qu’il présente. C’est ainsi que, dans la question qui nous occupe, on serait bien naïf de croire triompher de son contradicteur par des phrases faites, telles que la suivante, si rabâchée pourtant : « Lorsque un clinicien soigne un malade que l’on croit possédé par un esprit, non seulement il ne trouve pas cet esprit sous son scalpel ou son microscope, mais il constate chez 1e patient les symptômes correspondants à telle ou telle maladie ». En effet, les sauvages eux-mêmes, quand ils attribuent à de méchants esprits les maladies des leurs : fièvres, dysenterie, lèpre, folie, etc., ne contestent nullement que les symptômes de ces maladies se rencontrent chez les malades. Ils se bornent à affirmer que la maladie est l’œuvre d’un mauvais esprit ou d’un sorcier. Maintenant, mettons de côté les sauvages et entrons dans le domaine de la science. Un hypnotiseur crée par la suggestion un stigmate, une affection pathologique quelconque chez l’hypnotisé. C’est bien lui qui est l’artifex de la maladie ; il a joué le rôle attribué par les sauvages aux démons. Or le médecin constatera chez le malade la présence du stigmate, les symptômes de la maladie ; il ne trouvera sous son scalpel ou son microscope aucune trace du suggestionneur.
En somme, si l’on veut étudier utilement ces questions, il importe que notre jugement ne soit pas faussé par un simplisme excessif, basé sur l’incompréhension et la dépréciation de la thèse des spiritualistes. Dans la petite étude qui suit, nous n’avons d’ailleurs nullement la prétention de résoudre, ni même de discuter, de soulever, le problème de l’essence de la possession. Nous nous proposons tout simplement de contribuer à faire mieux connaître par les Occidentaux les idées et les pratiques de quelques peuples, pour la plupart civilisés, mais chez lesquels la croyance à l’obsession et la possession constitue le fond même de leurs doctrines religieuses. Je désire démontrer aussi avec quelle légèreté et quelle, incompétence cette question a été traitée jusqu’ici par la plupart des anthropologistes et ethnographes.
Ed. B. Tylor, par exemple, a consacré à ce sujet un long chapitre de sa Primitive Culture. Or il n’y a pas plus d’une page ou deux de [p. 166] son exposé qui présentent réellement quelque intérêt pour l’éclaircissement du problème. D’abord, Tylor mêle les phénomènes de transe, d’inspiration, parmi ceux de « possession » proprement dite. De la sorte, non seulement tous les médiums indistinctement, mais les prophètes hébreux, les inspirés chrétiens, tels que Jean Evangéliste, etc., deviennent des « possédés ». Il y a évidemment un rapport entre ces différents phénomènes psychologiques — nous l’avons nous même signalé un peu plus haut — comme il y a un rapport entre un aliéné, un malade qui délire, un homme ivre et un homme qui rêve ; un de ces états peut même être employé à expliquer l’autre ; mais ceci ne signifie pas encore que l’on doive les confondre. Ensuite Tylor, comme la plupart des anthropologistes, nous étale les trésors de sa documentation ethnographique, en nous apprenant que les prêtres de tel îlot se mettent en un état spécial dans lequel un dieu est censé parler par leur bouche, et que chez telle peuplade du Continent Noir on exorcise régulièrement les malades ; mais il n’entre pas dans le vif de la question en nous présentant des cas réellement dignes d’êtres examinés parce que des phénomènes surnormaux y percent. Ce sont cependant les phénomènes surnormaux qui expliquent l’existence de ces croyances, alors même qu’ils ne les justifient point. Aussi le Dr Tylor ne pouvait que conclure d’une manière assez banale, en disant que chez les peuples civilisés ces manifestations existent aussi, mais que « sous l’influence des doctrines médicales, elles sont maintenant expliquées d’une manière plus conforme à la science moderne (1) ». Il ne s’agit là, en somme, que de la constatation d’un état de choses connu, sans l’apport d’aucun nouvel élément de discussion.
La question que Tylor et les anthropologistes en général se contentent de considérer comme étant déjà tranchée sans appel par la Science contemporaine, est par contre soulevée souvent par les missionnaires catholiques, spécialement dans les lettres qu’ils adressent aux organes de leurs Corporations. Depuis quelque temps, elle est même mentionnée, de temps à autre, dans les publications des missionnaires protestants. Malheureusement, les écrits de ces ecclésiastiques ne perdent jamais une tendance propagandiste et apologétique qui leur enlève une très grande partie de leur valeur documentaire. A la place des détails qui seraient nécessaires pour bien nous rendre compte de la nature de chaque cas, nous y trouvons généralement l’enthousiasme religieux et la préoccupation de faire servir les faits à la démonstration de leurs doctrines. [p. 167]
L’enquête du Rêve. Nevius sur la Chine.
En ce qui concerne la Chine — terrain fort intéressant pour ces études, puisque en somme on y est en présence d’un peuple d’une civilisation très ancienne — le débat a été spécialement soulevé par un intéressant ouvrage du Rév. John L. Nevius, D. D. (Docteur en Théologie), paru en 1813 et intitulé : Demon Possession and allied Themes (2). Le Dr Nevius, américain, a été pendant 40 ans, missionnaire dans l’Empire du Milieu. Lorsqu’il y arriva, en 1854, il n’avait aucune idée au sujet de la « possession » ; ou plutôt son, sentiment à cet égard se bornait, dit-il, à un vague regret — commun à presque tous les Chrétiens de nos jours — que la Bible ait fourni sur ce sujet des renseignements détaillés (chap. II, p. 10). II ne tarda cependant pas à constater que les catéchumènes chinois ne partageaient nullement ce sentiment d’embarras ; de tout temps, en effet, on avait cru, dans leur pays, à la possession de l’intelligence et du corps de l’homme par de mauvais esprits. Ces gens avaient donc trouvé tout naturel, sur ce point-là, les enseignements de la Bible ; aussi, tous les Chinois convertis « ne sont pas moins convaincus de la réalité des possessions démoniaques, et du pouvoir qu’avait Jésus d’y remédier, que l’étaient les disciples de l’église évangélique » (Introd., Vl).
Quelques cas assez curieux de troubles mentaux et physiologiques qui furent attribués par les Chrétiens chinois à la possession de mauvais esprits, et qui disparurent après leurs exorcismes, frappèrent davantage encore le Dr Nevius, qui se demandait comment il devait les juger et quelle attitude adopter dans ces circonstances. Il eut alors l’intelligente et courageuse initiative de rédiger une circulaire qu’il adressa, en anglais, aux missionnaires protestants, répandus en diverses régions de la Chine ; une traduction chinoise en fut, en même temps, adressées aux pasteurs et notables chrétiens indigènes. Dans cette circulaire, qu’on peut regarder comme un modèle du genre, on pose aux destinataires les questions suivantes :
I. — Les cas de supposés possession démoniaque sont-ils fréquents dans votre localité ?
II. — Ceux qui y sont sujets sont-ils des personnes constitutionnellement faibles et maladives, ou des gens chez lesquels les fonctions du corps et de l’esprit sont, sous les autres rapports, normales ?
III. — Connaissez-vous des cas dans lesquels ces manifestations sont certainement involontaires, ou dans lesquels le sujet y est contraire, et lutte pour s’en débarrasser ?
IV. — Veuillez indiquer minutieusement les symptômes de ces cas.
V. — Ces manifestations sont-elles uniformes, ou varient-elles ? Et si elles varient, comment pourrait-on les distinguer et les classifier ? [p. 168]
VI. — A quel agent, ou à quels agents sont-elles attribuées ?
VII. — Dans les cas de possession démoniaque où le sujet parle d’une manière qui semble provenir d’une personnalité différente, y a-t-il des preuves qu’il en est bien ainsi ? Le sujet garde-t-il le souvenir de ce qu’il a dit ou fait pendant qu’il se trouvait dans un état anormal ?
VIII. — Quelles sont les méthodes par lesquelles les Chinois païens exorcisent les démons ; et jusqu’à point sont-elles efficaces ?
IX. — De quelle manière les Chrétiens expulsent-ils les esprits, et jusqu’à quel point y parviennent-ils ?
X. — Ces exorcismes sont-ils exécutés par les Chrétiens en général, ou seulement par certains individus, paraissant mieux disposés ou aptes à le faire ? Si cela est fait par une classe spéciale de Chrétiens, en quoi différent-ils des autres ?
XI. — Connaissez-vous des cas dans lesquels des anciens membres de l’Eglise, ayant été exclus de celle-ci, ou d’autres en ayant été exclus plus tard, ont chassé de mauvais esprits ? (3)
XII. — Là où des cas de possession démoniaque se sont produits, leur influence paraît-elle avoir été nuisible, ou bien est-ce le contraire ?
XIII. — Connaissez-vous un Chrétien exemplaire qui ait été sujet à une supposée possession démoniaque ?
Voulez-vous avoir la bonté de fournir en détail l’histoire de tout cas supposé ou réel de possession démoniaque, en répondant aux questions ci-dessus, ou à d’autres analogues oubliées par nous, en donnant les noms des personnes et des localités, ainsi que les dates ?
Je désire spécialement des renseignements authentiques de la part de témoins oculaires ou auriculaires…
Les réponses à cette circulaire furent assez nombreuses. Elles sont, pour la plupart, de pasteurs indigènes — ce qui ne saurait surprendre. Le côté faible de leur exposé est constitué par l’insuffisance de la documentation ; ce qui n’est guère étonnant non plus. Le Rév. Nevius, avoue que quand il voulut lui-même entreprendre personnellement des enquêtes de cette sorte, il se heurta à la mauvaise volonté des intéressés, qui se refusaient presque invariablement à le renseigner. C’est que le fait d’avoir un cas de possession dans la famille est regardé, non seulement comme un malheur, mais aussi comme une sorte de honte (fin du chap. 1) ; on n’avoue pas plus facilement ces choses en Chine qu’on n’avouerait chez nous une tare mentale ou une maladie « honteuse ».
Les exorcismes chinois contre les maladies corporelle
Relativement à la nature des esprits obsédants, le Rév. Timothy Richard dit, dans sa réponse au questionnaire de son confrère que « la définition chinoise orthodoxe est « qu’il s’agit là de l’âme des trépassés » (chap. V, p. 62). On les appelle généralement des Kwei ; on les regarde parfois comme des « Génies » et même comme des dieux [p. 169] (Shin), quelques-uns d’entre eux ayant été élevés à la divinité.
Les Chrétiens indigènes les nomment naturellement des « démons ».
La partie la moins intéressante de ces pratiques est celle qui a trait aux maladies purement physiologiques, dans lesquelles n’apparaissent point, comme dans les maladies mentales, des symptômes tels que l’altération de la personnalité, etc., pouvant du moins expliquer, excuser la croyance à la possession démoniaque. Les Chinois des classes populaires ont bien recours, comme ceux des classes plus élevées, à des médecins, en cas de maladies, parce qu’ils admettent que celles-ci peuvent avoir une origine « naturelle » ; mais pour peu que le mal résiste au traitement de la science jaune, on en conclut qu’il est l’œuvre de mauvais esprits et l’on s’empresse d’appeler le sorcier. Celui-ci n’est point un prêtre, mais un homme du peuple, généralement d’une apparence étrange par lui-même, les figures les plus caractéristiques étant de nature à frapper davantage l’imagination du malade ; il a soin, en outre, de s’accoutrer de la façon la plus bizarre et effrayante. Il gambade en présence du patient, il crie sous le feu de l’inspiration, il écrit des formules magiques avec du sang tiré de ses veines par des entailles qu’il fait sous sa langue. Les assistants, afin de contribuer à effrayer les esprits obsesseurs et les obliger de partir, s’évertuent, à leur tour, à faire autant de tapage que possible par des coups frappés sur des tamtams, des gongs, des cymbales.
Il est rare que l’on ne tente pas de séduire ces esprits vénaux par l’offre de monnaies, qui sont d’ailleurs imités en papier doré et argenté, et que l’on brûle, seul moyen de les faire parvenir dans le monde de l’Au-delà, où il n’existe que « l’essence des choses ». On leur offre même de somptueux banquets. Dans les cas d’épidémies, on place souvent le tout sur un radeau que l’on abandonne ensuite à la dérive des eaux d’un fleuve, afin que les méchants esprits gloutons, s’étant précipités pour se repaître de la substance spirituelle de ces mets, sans prendre garde au piège qui leur est tendu, soient entraînés ailleurs.
Pour tout dire, certaines personnes ont quelquefois recours à d’autres astuces, plutôt qu’aux exorcismes proprement dits, toujours coûteux, pour se débarrasser des esprits obsédants. Par exemple, on suspend le vêtement du possédé dans un angle du logis et on appelle l’esprit qui, naïvement, s’y glisse. On s’empresse alors de jeter le vêtement à l’eau, et le malheureux possédé est considéré comme délivré.
Les exorciseurs ont encore d’autres cordes à leur arc. Un système qui s’était pratiqué jadis, à quelques détails près, dans l’antique Egypte, consiste à rédiger une plainte devant la statue du dieu [p. 170] protecteur de la ville ou de la famille, et à brûler le papier en sa présence. Oncroit que le papier apparaît aussitôt devant la divinité qui se décide parfois à intervenir (4).
Dans les altérations de la personnalité
Il est tout naturel que les Chrétiens n’aiment pas à vanter les succès obtenus par les exorciseurs bouddhistes et taôistes ; mais le simple bon sens nous permet de comprendre que, si l’exorcisme est si généralement pratiqué en Chine, c’est qu’il donne, de temps à autre, d’intéressants et éclatants résultats. Le contraire serait d’ailleurs inexplicable, étant donné ce que l’on connaît aujourd’hui des effets thérapeutiques de la suggestion. II est fait d’ailleurs allusion plus d’une fois, indirectement, à ces guérisons par les Chrétiens eux-mêmes.
Un certain Kwo, par exemple, avait été guérisseur « païen » avant de se convertir au Christianisme ; il opérait à l’aide d’un esprit qui le possédait, disait-il, très souvent. Voici quelques lignes tirées de ses déclarations au Rév. Nevius (chap. II).
Lorsque se manifestaient les symptômes des crises, j’appelais ma femme qui, avec une voisine, moins timide qu’elle, brûlait de l’encens au démon (5) et recevait les instruction de celui-ci ; elle me les communiquait ensuite, parce que, bien que le démon parlât par ma bouche, je n’en gardais aucun souvenir… Le démon nous engageait souvent à ne pas avoir peur de lui, ajoutant que, loin de nous faire du mal, il nous aiderait de différentes manières : entre autres choses, il nous apprendrait à guérir les maladies… Il le fit en effet ; bientôt les gens du village commencèrent à apporter leurs enfants pour les guérir avec l’aide du démon. Parfois, celui-ci guérissait instantanément, et sans l’usage d’aucune médecine. D’autres fois, il ne répondait pas immédiatement quand on l’évoquait ; lorsqu’il venait enfin, il s’excusait en disant qu’il avait été absent ; il indiquait l’endroit où il avait été. Plusieurs maladies n’étaient pas sous son contrôle ; il semblait ne pouvoir guérir que celles introduites par des esprits.
Un certain Chung Youen-Shing, chrétien, ancien prédicateur de l’Eglise Méthodiste, dont il fut exclu plus tard, avait la réputation d’avoir chassé jadis plusieurs diables du corps des patients. Répondant à la VIIIe question de la circulaire du Rév. Nevius, relative [p. 171] au pouvoir des Chinois païens d’exorciser avec succès, il exprima l’avis que les mauvais esprits se rattachent parfois à des idoles, à des images, en leur communiquant une certaine efficacité et en trompant ainsi leurs adorateurs (6), Mr. Nevius ajoute (chap., VI, fin) que tel est l’avis de beaucoup de Chrétiens indigènes, Ceux-ci ont donc cru constater que des exorcismes « païens » réussissent assez souvent, puisqu’ils s’arrangent pour les expliquer ainsi :
Mr Wang Wu-Fang, que le Rév. W. J. Plumb appelle « un catéchiste indigène bien connu et grandement respecté de l’Eglise Baptiste Anglaise de Shan-tung », s’exprime ainsi :
J’étais, avant ma conversion, habitué. à expulser les démons au moyen d’épingles. De ce temps-là, les cas de possession étaient fréquents dans mon village, et l’on avait souvent recours à mon œuvre… (7).
Au sujet de ces exorcismes par les épingles et d’autres systèmes, le Rév. Timothy Richard, lui aussi de l’Eglise Baptiste, fournit ces détails (chap. V, p. 67-68) :
Pour chasser les mauvais esprits des démoniaques, on appelle des docteurs qui emploient des épingles dont ils piquent les extrémités des doigts, le nez, le cou du patient… La piqûre de ces épingles provoque des cris de : « Je m’en vais ; je m’en vais immédiatement ! Je n’oserai jamais plus revenir. Oh, ayez pitié de moi pour cette fois seulement. Je ne reviendrai plus ! »
Quand les manœuvres de ces docteurs ne sont pas couronnées de succès, on a recours à des gens qui pratiquent le spiritualisme, Ceux-ci ne peuvent pas eux-mêmes expulser le démon, mais font appel à un autre démon pour qu’il chasse son confrère. Confucianistes et Taôtistes suivent également ce système…
Parfois les esprits sont fort récalcitrants. On renverse des tables, on abîme des chaises ; on entend un grand bruit d’objets secoués et brisés, à tel point que les médiums eux-mêmes finissent par trembler…
En désespoir de cause, on fait appel à des enchanteurs tels que les Taôistes, qui s’asseyent sur des nattes et sont transférés par une force invisible d’un endroit à l’autre. Ils s’élèvent à la hauteur de vingt à trente pieds et sont portés à une distance de quatre à cinq li (8) …
Ces exorciseurs peuvent appartenir à l’une quelconque des trois religions de la Chine. Selon une tradition, la procession du dragon, qui a lieu le 15 du premier mois, est destinée à rappeler la victoire d’un prêtre bouddhiste sur les mauvais esprits, [p. 172]
Au point de vue des facultés attribuées à quelques ascètes mongols par des missionnaires chrétiens, voici ce que le Dr Martinez écrivait dans la Revue du Monde Invisible, de Mgr. Méric (15 juillet 1907) :
D’ans le courant de l’année 1900 eut lieu, dans des circonstances très spéciales, la conversion d’un chef d’une des sectes très adonnées aux pratiques superstitieuses, dans le Nord de la Corée, et appelées Poulhak.
Il s’y était affilié vers l’âge de dix-huit ans, et s’était mis à suivre, avec toute sa famille, un régi me strictement végétarien ; il s’était condamné en outre à de multiples abstinences. Son but était d’arriver à un état plus parfait et d’obtenir le don des miracles. De fait, il en était venu à opérer des choses extraordinaires. Ainsi, lorsque les membres de sa secte se réunissaient, on plaçait devant eux un vase de terre, vide, sur lequel on collait une formule magique, et, dès qu’il se mettait à prier, suivi par tous les assistants, on ne tardait pas à voir du riz descendre grain à grain et remplir le vase. D’autres fois, il lui arrivait d’entrer en transe, et il apparaissait entouré d’un nimbe de lumière.
Le spectacle de ces prodiges lui attirait un grand nombre de disciples. Il en comptait environ 1.500, qui venaient le visiter à tour de rôle, et lui apportaient des présents… Mais à la fin, voyant qu’aucune métamorphose ne s’accomplissait, que les mêmes faits se reproduisaient sans augmenter la puissance qu’il convoitait, il douta de la vérité de sa doctrine et s’enquit de la religion chrétienne. Il s’adressa à un catéchiste qui lui exposa les vérités catholiques. Ebranlé, mais non convaincu, il demanda un catéchisme et un livre de prières et voulut réfléchir encore.
Un jour que ses disciples nombreux étaient venus le voir, ils placèrent devant eux, selon l’usage, le vase, vide, et se mirent à réciter leurs prières. Pendant ce temps-là, lui se tenait à l’écart et récitait les prières catholiques. Le riz ne descendit pas et aucun signe ne se manifesta. Ce fut pour lui une révélation; l’erreur ne peut prévaloir contre la vérité, se dit-il, et aussitôt il renonça à ses pratiques et détruisit tous ses objets de magie. Il avait pourtant laissé à la cuisine une idole, appelée le roi du foyer. Les jours suivants, il entendit des bruits étranges, comme des chaudières qui se cassent, dans la cuisine vide. Il fit alors disparaître ce roi du foyer et tout bruit cessa…
En admettant, sans discuter, que le phénomène de l’apport du riz dans le vase fût authentique, l’expérience négative faite, en dernier lieu, par notre ascète coréen ne prouverait, en tout cas, qu’une chose : c’est que, lorsqu’on veut obtenir des manifestations de cette sorte, le sujet ne doit pas se tenir à l’écart, avec le désir que le fait surnormal ne se produise pas — ce qui modifie complètement, au point de vue matériel comme au point de vue psychologique, les conditions du phénomène.
De toutes manières, on peut aisément s’imaginer quelles étonnantes guérisons peuvent se produire, surtout chez les hystériques, par l’œuvre de prêtres capables de frapper l’imagination des malades en faisant — ou plus probablement en contrefaisant — de tels prodiges.
Mais la méthode de la flagellation, des piqûres par des aiguilles, [p. 173] des brûlures, etc., n’est pas si bête non plus, et peut même être très efficace en certains cas. Naturellement, les gens malins se contenteront de remarquer que, si les démoniaques guérissent sous le bâton, ou quand on leur inflige de petits tourments, c’est qu’ils simulent leur mal. Or, ces malheureux, dans la presque totalité des cas, n’ont rien à gagner et tout à perdre par une imposture de cette sorte ; cette hypothèse est donc insuffisante. Mais il y a les « simulateurs de bonne foi » — ou presque de bonne foi — ces mythomanes que connaissent nos psychiâtres, Les expériences de Charcot et d’autres hypnologues les ont mis à jour, alors même que ces savants se proposaient d’atteindre le résultat contraire. Avec les mythomanes, les anciens systèmes peuvent faire merveilles.
Dans l’Inde on pratique l’exorcisme par les coups de bâton (9). Ce traitement énergique a été appliqué aux fous pendant des siècles, par les savants médecins latinistes de nos pays ; si cet usage a duré si longtemps, c’est que, presque certainement, il donnait quelquefois de bons résultats, C’est spécialement quand on tombait sur de pauvres hystériques mythomanes, simulant une infirmité par auto-suggestion, et bien convaincus d’en être atteints.
Comment les croyants à la possession expliquent-ils la réussite éventuelle de cette cure par des coups ? D’une façon très simple. Le démon s’est établi dans le corps d’un vivant ; la personnalité de celui-ci s’en trouve éliminée, momentanément supprimée. Ce n’est pas elle qui parle, qui pense, qui se meut, qui prend plaisir ou qui souffre ; c’est le démon. Il s’agit donc d’amener ce dernier à s’en aller, en lui imposant des tourments. Le possédé lui-même ne souffrira point ; ce qui le prouve bien, c’est qu’en revenant à son état normal, il ne se souviendra nullement des souffrances qu’on lui a infligées. (Oh, la logique !) On peut parfaitement expliquer aussi de cette manière qu’une dose de bromure calme le possédé ; les démonologues soutiennent qu’elle agit sur le corps, oui, mais sur le corps occupé par le démon, et non par son propriétaire légitime ; voilà tout. Cet argument fondé sur l’effet des substances bromurées n’a donc pas, contre la thèse de la possession, la valeur que lui attribue, par exemple, le professeur W. A. Hammond (10). En somme, l’explication que les croyants à la possession donnent de l’exorcisme par les coups est parfaitement rationnelle.., une fois la possession admise. Ce qu’elle présente de non-scientifique consiste en ceci : qu’il n’est pas nécessaire d’avoir recours à une hypothèse de nature « « surnaturelle », si une explication « naturelle » du phénomène suffit. Dans les cas qui nous occupent, il est bien difficile de démontrer qu’elle ne suffit point. [p. 174]
Les guérisons dans les sanctuaires de l’Inde.
Depuis longtemps, les chrétiens ont fait une distinction nette entre l’expulsion d’un démon du corps d’un possédé, et la guérison surnaturelle d’une maladie ordinaire par une grâce divine. Les anciens Grecs et Romains en faisaient autant. Nous venons de voir que chez les peuples de l’Asie Centrale et Orientale — comme d’ailleurs chez les non-civilisés — cette distinction est moins nette, parce qu’ils attribuent à de mauvais esprits nombre de maladies, surtout mentales, auxquelles personne, en Europe, ne songerait à attribuer une origine diabolique. Il en résulte que si dans les sanctuaires catholiques — romains ou orthodoxes — où l’on est censé obtenir de ces guérisons « miraculeuses », il ne peut être question que tout à fait exceptionnellement de guérisons d’une possession diabolique, il n’en est pas de même dans les sanctuaires analogues existant dans l’Indoustan, dans l’Indo-Chine, dans l’Extrême Orient. Là-bas, on obtient aussi des guérisons réputées « miraculeuses », mais elles revêtent généralement la forme d’une intervention des divinités contre l’œuvre des mauvais esprits.
Aussi, même le traitement des prétendus possédés à l’aide de ces petits tourments dont nous venons de parler, est pratiqué dans l’Inde par les prêtres de certains temples. On lit en effet dans un article intitulé : Demoniacal Possession in India par W. Knighton, Esq. (11) :
En causant avec un Talukdar intelligent, appelé Abdul-Kurim, lorsque j’étais magistrat à Oudh, j’appris que celte possession satanique ou démoniaque est couramment admise, non seulement par les paysans de l’Hindoustan proprement dit, mais aussi par les classes les plus élevées, par la noblesse, par les propriétaires instruits… Hindous et Mahométans se rendent également au Dongah de Ghonspore, en amenant avec eux leurs parents malades pour les y faire exorciser : idiots, aliénés, patients hystériques, tous y sont portés : pour les paysans ignorants ils appartiennent à la même catégorie : ils sont tous possédés par les diables, et Ghonspore est l’endroit où l’on expulse les démons. Il faut croire qu’on y réalise effectivement des guérisons, sans quoi la superstition ne pourrait survivre : ces guérisons doivent être attribuées à l’action de la douleur ou à une extraordinaire excitation des nerfs détraqués. La foi dans Ghonspore et dans l’efficacité de ses cures des possédés est répandue dans tout le pays environnant.
M. Knighton cite spécialement un cas de guérison qu’il a pu étudier de près. Il s’agit d’une jeune femme appelée Melata, qui, à en juger par les indications de cet auteur, semble avoir été dans un état maniaque dépressif.
Un Hindou, Mr Byrami Hormusji (12), a envoyé en 1908 aux [p. 175] Annales des Sciences Psychiques un intéressant article sur un autre temple hindou où l’on obtient des guérisons « miraculeuses « : celui d’Andambar, vinage du Mahratta méridional. L’auteur remarque qu’il y a quatre sanctuaires de cette espèce dans l’Inde du Nord, consacrés au dieu hindou Dat-tat-riya — ou simplement Datta — au nom duquel les guérisons ont lieu. Le peuple accourt tous les jeudis soirs pour assister aux guérisons qui s’y réalisent alors sans aucun traitement : par la prière et les exorcismes ; mais en plus grand nombre à l’occasion de la pradakshina (13) mensuelle du dieu. Les trains y apportent en foule, de toutes les parties du Deccan, des malades, leurs familiers qui les accompagnent, des croyants, des curieux, qui descendent à la gare d’Astoï-Road, qui n’est pas loin du temple.
L’auteur de l’article décrit la procession nocturne, bien faite pour frapper les esprits des malades, et puis quelques, épisodes caractéristiques. On y voit particulièrement des aliénés, appartenant parfois à d’excellentes et riches familles, lesquels, en se débattant au milieu des parents et des infirmiers qui les entourent, insultent d’abord les prêtres et l’image du dieu, mais finissent par se calmer et revenir à la raison, après les exorcismes. Leur guérison est-elle définitive ? C’est ce que l’on ne dit point…
Il y a aussi, paraît-il, des guérisons de lèpre et autres maladies jugées incurables.
Il n’y a aucune raison de douter que des faits de cette sorte se produisent effectivement à Andambar et en d’autres sanctuaires de l’Inde, puisqu’ils se sont toujours produits en certains temples de, toutes les religions.
Les exorcismes chrétiens
Si, ne disposant guère d’autres documents, nous sommes contraints à déduire les succès des exorciseurs « païens » surtout de phrases échappées à la plume des missionnaires, nous possédons par contre, grâce aux mêmes missionnaires, des témoignages plus nets et directs des triomphes des exorciseurs chrétiens.
Remarquons que les missionnaires catholiques emploient dans ce but des formules prescrites par le Rituel Romain et qui sont conformes à l’esprit de l’exorcisme proprement dit : Injonction au diable, au nom de l’Eternel, dont on est le ministre consacré, de quitter le corps du possédé. Les missionnaires protestants, par contre, emploient plutôt la prière à Dieu (conformément à quelques enseignements de Jésus et des Apôtres), ou la lecture de quelques passages de la Bible. Les missionnaires protestants en général sont moins portés que [p. 176] leurs confrères catholiques à admettre comme réelle la « possession » chez les non-civilisés d’aujourd’hui. Cependant, ceux de certaines sectes d’origine mystique, comme les Baptistes (anciens Anabaptistes), les Frères Moraves (qui possèdent d’importantes missions en Afrique et ailleurs), parlent sans cesse de possédés et d’exorcismes. A Madagascar, les nègres affiliés à la secte protestante des « Disciples du Seigneur » chassent constammen.t les démons et guérissent les malades par l’imposition des mains (14).
Le Rév. T. Richard, que nous avons cité plus haut, a pu écrire avec une véracité incontestable :
Les missionnaires Catholiques ‘Romains et ceux Protestants détiennent les comptes rendus d’un millier de cas dans lesquels, après que tous les autres efforts tentés avaient échoué, une prière faite par un Chrétien, étranger ou indigène, ou même possesseur d’un nouveau Testament, ou d’une portion de la Bible, même le simple voisinage d’un endroit du culte chrétien, ont suffi pour chasser le démon et rendre un esprit sain au démoniaque, qui en a remercié Dieu.
A ce point de vue, on se sent transporté en arrière, aux jours des Apôtres, et l’on est contraint de croire que la domination de Satan, n’est nullement brisée (15).
Voici un cas dans lequel le voisinage d’une réunion chrétienne aurait justement suffi à créer un obstacle aux pratiques « payennes », comme l’affirme le Rév. Richard ; il est raconté par un missionnaire catholique.
A l’époque des massacres de 1874, la petite chrétienté de Ke-quat, de la Sous-préfecture de Huang-son, province de Ha-tinh, s’était cachée dans les montagnes pour fuire les persécutions. Les malheureux se tenaient blottis dans une caverne, à une centaine de mètres d’un petit temple. Les païens du village y venaient deux fois le mois, offrir leurs sacrifices. Ils s’avisèrent un jour de faire le caû-dong (16) ; peine perdue. On revient à la charge, on supplie le démontant et si bien qu’il déclare, par la bouche du médium, qu’il ne pourrait venir tant que les chrétiens cachés dans telle caverne — il désigna l’endroit — y resteraient.
Les païens alors se rendirent au lieu indiqué avec un présent de bananes et de noix d’arêques, et prièrent les Chrétiens de s’éloigner un peu ; puis ils revinrent à la pagode où le diable, débarrassé du voisinage de ses ennemis, entra dans le sujet sans sourciller (17).
On peut se demander si la présence des « païens » ne nuirait point pareillement, en certains cas, à l’efficacité des rites chrétiens. Les [p. 177] Chrétiens diraient alors que c’est la présence d’éléments impurs qui crée un obstacle au développement des sacrifices adressés au vrai Dieu ; c’est ce que doivent avoir dit sans doute aussi les « païens » dont il est question dans le récit ci-dessus. Au demeurant, les païens de la petite pagode connaissaient le voisinage d’une réunion chrétienne ; et ceci empêche d’exclure l’hypothèse que l’inhibition fût tout simplement causée par une auto-suggestion. S’il en était bien ainsi, elle aurait pu se produire même si les Chrétiens avaient quitté la caverne, à l’insu des « païens».
Nous ‘allons rapporter quelques exemples de cas dans lesquels les intéressés croient reconnaître la personnalité de l’esprit obsédant. Nous commençons par un fait relaté par Chang Ah-liang, que le Rév. W. D. Rudland appelle « un catéchiste indigène absolument digne de foi ».
A Yang-fu-Miao, situé à 40 li de Taï-chao, habite une famille composée d’une femme âgée, de ses deux fils et de la femme du fils aîné ; ils vivent ensemble. Le fils aîné était un bouddhiste zélé .., le cadet est chrétien.
En juin 1876, la femme du fils fut saisie d’une violente douleur de poitrine. Son beau-frère chrétien décida de venir nous consulter à ce sujet. Après son départ, sa belle-sœur eut une syncope de la durée d’une heure ; quand elle en revint, elle déclara que la première femme de son mari (morte depuis longtemps) était venue la chercher pour l’emporter, ainsi que son mari. Les amis qui étaient présents en furent très inquiets ; ils promirent successivement au démon de faire chanter des textes sacrés par cinq prêtres, trois jours durant ; de brûler une quantité de papiers sur lesquels serait écrit le nom de Bouddha ; on ne répondit que par des refus…
En attendant, le frère chrétien rentra à là maison ; on lui raconta tout ce qui s’était passé. Il dit à la malade : « Pourquoi parles-tu
confusément, de cette manière ? » Elle répondit : « Je ne suis nullement confuse ; je suis votre belle-sœur décédée ». Et lui : « Tu es un mauvais esprit ; quitte-la ! » Il lui lut des pages de l’Evangile, mais elle se retourna de l’autre côté, en refusant d’écouter. Dès que deux ou trois versets furent lus, elle s’écria : « Ta lecture me fait mortellement souffrir. Ne lis pas ! Je vais m’en aller ». La femme se leva alors et put s’occuper de ses affaires.
Lorsque j’ai quitté Taï-chao, deux ans après, elle était encore bien portante de corps et d’esprit. Son mari a été convaincu du pouvoir de Dieu et professa de croire au Christianisme. Les voisins furent étonnés, l’un d’eux se convertit aussi (18).
Au lieu de citer plusieurs autres faits relatés d’une façon trop sommaire pour qu’il soit possible de se faire une idée exacte de leur étiologie comme de leur séméiologie, nous allons maintenant reproduire presque en entier, d’après le livre du Dr Nevius (Appendice I, c), [p. 178] un récit qui est vraiment un peu long, mais qui peut être regardé comme un beau spécimen en son genre. Il est en outre assez bien documenté, en ce sens que M. Nevius en a reçu la confirmation de divers témoins et qu’il s’agit d’ailleurs d’un fait qui a été de notoriété publique dans le pays où il s’est produit.
Un cas de possession supposée, qui eut lieu à Sa-wo au mois de juin 1882 a fait pendant quelque temps, l’objet de toutes les conversations aux alentours ; il n’y a peut-être pas une seule personne dans ce village qui n’en connaisse tous les détails. Un Chrétien de So-wo, qui fut témoin de plusieurs des incidents du fait, m’en fournit d’abord un récit détaillé. Au cours de l’année 1887, j’ai eu l’occasion d’avoir une longue conversation avec un autre Chrétien, Chu-wen-yuen, qui a été le protagoniste de cette affaire. C’est lui qui m’a communiqué la relation ci-dessous, qui ne diffère des autres que par l’abondance des détails. Voici donc son récit :
Dans le village de Sa-wo, habite une femme de la famille Chu, qui a deux enfants : Wen-heng et wen-fa. La mère obtint une femme pour Wen-fa de la famille Li ; comme elle était toute jeune encore ; elle la prit dans sa propre famille pour l’élever. La fillette fut durement traitée par sa future belle-mère, et elle se suicida en se jetant à l’eau. .
Quelques années après, on obtint une autre fiancée appartenant à une famille appelée Yang, et il fut convenu qu’elle resterait dans sa maison jusqu’au jour du mariage. Quelques jours avant les noces, elle tomba malade de ce qui parut être la possession d’un mauvais esprit. La nuit même. du mariage, après la cérémonie nuptiale, lorsque la plupart des invités avaient déjà quitté la maison, les deux époux furent conduits dans leurs appartements, et laissés ensemble pour boire du vin conformément à l’usage du pays. A ce moment la mariée, changeant d’apparence, et avec la voix et les manières de la fiancée Li, se jeta avec une force presque surhumaine sur le malheureux époux, dans un accès de fureur, et le saisit par la gorge en s’écriant : « Jamais vous ne m’avez traité de cette façon, moi ! Jamais vous ne m’avez seulement donné à boire du vin. Ma vie dans votre famille a été bien malheureuse ». Wen-fa cria, en demandant secours ; d’autres membres de la famille accoururent à son aide, ne parvenant qu’avec difficulté à l’arracher des mains de la jeune femme, qui paraissait transformée en un démon.
Après cela, la femme du frère aîné Wen-heng, tomba dans un accès analogue. Elle resta d’abord quelque temps rigide et insensible ;quand elle reprit connaissance, elle commença à rire, à crier, à pleurer, à parler, toujours en empruntant, comme sa belle-sœur, la voix et les manières de la morte Li, en racontant les mauvais traitements qui l’avaient amenée à se donner la mort.
Son mari Wen-heng vint chez moi, me demandant de chasser le démon au nom du Christ. Il ne m’était pas facile de refuser. Mes frères (j’ai cinq frères, dont aucun n’est chrétien), me le déconseillèrent. Ils disaient : « Pourquoi veux-tu te mêler de cette affaire, en te mettant, ainsi que, nous-mêmes, en mauvaise posture ? D’ailleurs, tu ne réussiras pas et tu te rendras ridicule ». Je répondis : « Je ne puis que réussir ; la promesse du Christ est formelle ». L’un d’eux ajouta : « Si tu réussis à chasser cet esprit, nous nous ferons tous chrétiens ».
J’arrivai à la maison des Chu avec quelques autres Chrétiens, vers le milieu de l’après-midi. Toute une foule s’était réunie là pour voir l’issue [p. 179] de cette affaire ; la plupart n’éprouvaient aucune sympathie pour moi et exprimaient ouvertement l’avis que j’allais à l’encontre d’un échec. Je m’adressais à l’esprit en disant : « Tu n’as aucun droit de venir ici troubler cette famille, et nous sommes venus pour te forcer à t’en aller ». La réponse fut : « Je m’en irai, je m’en irai » ; mais il n’en faisait rien. Nous nous mîmes alors à genoux et nous invoquâmes l’aide de Dieu ; quand nous nous relevâmes, les deux femmes étaient parfaitement bien et normales,
Les assistants étaient bien, pour la plupart, favorablement impressionnés ; mais il y en avait qui disaient qu’il ne s’agissait que d’une coïncidence heureuse ; d’autres pensaient que les deux femmes seraient guéries même si nous n’avions pas été appelés, Wen-fa dit : « Cette affaire d’esprit n’est qu’illusion. Vous, les femmes, vous êtes quelque chose de faible, vous êtes spécialement faites pour ces sortes de choses, Si l’esprits prenaient possession de moi, alors oui, je croirais ». La foule se dispersa enfin. Wen-fa alla dans sa chambre, les autres chrétiens rentrèrent chacun chez soi. Je demeurai quelque temps à causer avec ceux qui étaient restés,
Quelques minutes après, Wen-heng vint en courant m’annoncer que Wen-fa était à son tour réellement possédé par le démon et qu’il avait entièrement perdu connaissance. Il me demanda d’aller aussitôt chasser le démon. Je ne m’y décidai pas, étant seul, les autres chrétiens étant rentrés chez eux ou ayant été aux champs ; en outre, Wen-fa était un non-croyant et un opposant ; en ces conditions, si nous réussissions à expulser le démon, il serait probablement revenu…
Après le coucher du soleil, et justement après que quelques-uns de nous eûmes fait nos prières dans la chapelle, Wen-heng apparut en disant que son frère était très violent ; plusieurs hommes étaient occupés à le tenir. On nous dit qu’une grande foule s’était amassée à la maison, qu’on avait interrogé le démon et qu’on avait eu une longue conversation avec lui. On rapportait entre autre ces questions et ces réponses : « Qui est-tu ? ». — « Je suis un ami de Wen-fa et je suis venu le voir ». — D’où viens-tu ? ». — « Ma maison est au sud-est d’ici ». — « Aimes-tu les Chrétiens ? Sont ils aussi tes amis ? ». — « Non, ils sont loin d’être mes amis ». — « Il s’agit de les faire venir ici pour le chasser ». — « Je n’en ai pas peur ». — La mère de Wen-fa demanda : « Pourquoi ne prends-tu pas possession de moi au lieu de Wen-fa ? ». On répondit : « Oh, chacun a ses affinités et ses préférences ; quant à cela, nous faisons ce que bon nous semble ».
En arrivant à la maison, nous nous frayâmes le chemin à travers la foule avec difficulté, pour pénétrer dans la cour intérieure. Nous eûmes la désagréable surprise de trouver que les deux femmes étaient de nouveau apparemment possédées et que Wen-fa était toujours dans le même état. Wen-fa était pris plus violemment que les autres et je m’occupai plus spécialement de lui. Il me dit : « Pourquoi vous êtes-vous dérangés pour venir ici ? Je n’ai aucun besoin de vos services ». Je répondis : « D’autres amis sont venus ; pourquoi n’aurais-je pas dû venir aussi ?… » Nous nous mîmes alors à prier, en invoquant la présence et le pouvoir du Christ pour expulser les mauvais esprits. Durant la prière, Wen-fa se roulait et se secouait sur son kang (lit de terre). Quand nous nous levâmes de notre prière, toutes les personnes frappées semblaient parfaitement rétablies dans leur état naturel. Les assistants posèrent une foule de questions à Wen-fa pour s’assurer qu’il était bien rendu à lui-même. [p. 180] Il était évident pour tout le monde que, quand il tombait sous l’influence de ce charme, il n’était plus lui-même, et que, quand il rentrait en soi, il ne gardait aucun souvenir de ce qu’il venait de dire ou de faire.
Une grande partie des habitants du village étaient gagnés à notre cause. Il y avait cependant toujours des non-croyants et des opposants, parmi lesquels l’un des plus en vue était l’homme qui employait Wen-fa dans son tafang, établissement pour le battage et le nettoyage du coton. La famille Chu fut heureuse d’avoir trouvé un moyen pour se délivrer des invisibles et indésirables visiteurs…
Le lendemain, Wen-fa alla travailler au Tan-fang, où l’on parla naturellement beaucoup des événements de la veille, une grande partie des ouvriers ayant été à la maison de Wen-fa. Ils lui disaient : « Restez ici avec nous ; aucun démon n’osera venir vous chercher ici ». (On croit qu’une influence émanant des corps d’hommes forts en exercice actif résiste et chasse les mauvais esprits)… Il y eut une vive discussion au cours de laquelle le Christianisme fut attaqué. Avant que la controverse fût terminée, Wen-fa tomba dans un nouvel accès. Il était parfaitement rigide et inanimé ; il semblait mort. Ses compagnons coururent aussitôt chercher des sabres et des pistolets — surtout une épée de bourreau dont on croit que les esprits ont plus spécialement peur ; ils brandissaient leurs armes en criant pour intimider le démon ; mais en vain. Craignant que le possédé mourût sur les lieux, le chef de l’établissement ordonna à ses hommes de le porter dehors. En attendant, ses membres se relâchèrent et reprirent leur flexibilité ; mais il resta immobile et inconscient. Quand ils furent dans la rue, une grande foule s’amassa ; la mère de Wen-fa ne tarda pas à arriver. Quelqu’un commença à crier : « Apportez-le à la chapelle ». La mère et les autres y consentirent volontiers, et les hommes qui le portaient se dirigèrent de ce côté. Quand ils tournèrent la grande rue pour entrer dans la chapelle, Wen-fa commença à résister ; les hommes qui le gardaient durent employer tous leurs efforts pour l’empêcher de leur échapper. Ils parvinrent enfin à l’entraîner dans la chapelle. En y arrivant, il se laissa aller, épuisé et insensible. Il ne tarda cependant pas à se relever, de nouveau parfaitement rétabli, et il demanda : « Qu’êtes-vous venus faire ici ? Que signifie cela ? » Il n’avait nulle idée de ce qui s’était passé.
Après cela, tous les habitants du village, Wen-fa y compris, reconnurent le pouvoir du Christianisme pour chasser les mauvais esprits. Ils disaient que, si cela ne s’était produit qu’une seule fois, on aurait pu songer à une simple coïncidence, mais le rapport du Christianisme avec ces guérisons était trop évident pour en douter. Aujourd’hui encore, tous les habitants du village persistent dans cette opinion. Wen-heng, sa mère, sa femme et sa belle-sœur commencèrent tous à étudier les livres chrétiens, paraissaient s’y intéresser beaucoup et firent des progrès remarquables… Mais un oncle riche et influent finit par les détourner d’embrasser le Christianisme. Ils restèrent toutefois bien disposés envers nous et reconnaissants de ce que nous avions fait pour eux. Ils ne furent plus troublés par de mauvais esprits. .
Le récit qu’on vient de lire se prête à de nombreuses remarques.
La personnalité qui obséda Wen-fa affirme assez légèrement, en dernier lieu, être un ami de celui-ci ; on ne comprend même pas très bien s’il s’agit d’un ami mort ou vivant ; en ce dernier cas, moins [p. 181] conforme aux croyances des Chinois, ce serait une influence exercée par un sorcier des alentours. Mais la clef de toute l’aventure est probablement dans la première personnalité qui se révèle : celle de l’ancienne fiancée qui s’est suicidée. Ce dramatique événement ne pouvait qu’avoir fait un bruit énorme dans la localité où il s’était produit. La nouvelle fiancée ne l’ignorait point ; elle avait même presque certainement connue la victime — tout le monde se connaît un peu dans les villages ; on comprend que ce n’est pas sans de sinistres appréhensions qu’elle était entrée dans la famille de la terrible belle-mère. Peut-être la jeune personne craignait aussi la rancune et la vengeance de la décédée, conformément aux idées du pays. Ces angoisses avaient, été réprimées longuement par l’intérêt et les convenances; mais le soir de la noce, quand la pauvre femme se trouve épuisée d’émotion et de fatigue, surtout excitée par le vin que les époux avaient bu après s’être retirés, et auquel cette femme n’était pas habituée, la crise éclata : un mélange d’ivresse et d’insanité. La constitution psycho-physiologique de la mariée devait l’y prédisposer autant que ses croyances. Tout ceux qui se sont occupés de « possessions », dans l’Antiquité, mais particulièrement au moyen-âge et dans les siècles qui le suivirent immédiatement, n’ignorent point que le trait le plus saillant de ces troubles démoniaques est leur nature épidémique. L’esprit d’imitation s’y manifeste d’une façon tout à fait dangereuse et étonnante chez les personnes qui partagent la croyance à la possession. Rien de surprenant à ce que la femme de Wen-heng y soit tombée à son tour, après sa belle-sœur.
Le cas de Wen-fa lui-même est plus inattendu et moins facilement explicable. Un homme jeune et fort, qui a résisté à la suggestion imitative au moment le plus critique de l’aventure ; qui a parlé avec mépris de la faiblesse des femmes dans ces sortes de matières ; qui a affirmé que toute cette histoire d’esprits n’est qu’illusion, et qui se déclare assez fort pour ne pas y succomber — comment s’y laisse-t-il prendre ensuite tout à coup ? Certes, une auto-suggestion subconsciente n’était pas impossible chez lui non plus ; il pouvait se sentir en réalité moins rassuré qu’il voulait le laisser croire. Mais enfin, reconnaissons-le, son cas est moins aisément explicable.
Quant aux exorcismes, disons tout de suite qu’il paraît assez rationnel que ceux des Chrétiens aient une action plus puissante que les autres, dans les pays « payens ». Tout d’abord, malgré le mépris qu’affectent les Chinois pour les « diables blancs » et leur civilisation occidentale, il est impossible que la plupart d’entre eux ne les regardent pas moins avec une certaine admiration mêlée d’effroi.
On a parlé de l’influence exercée par la majesté royale dans la guérison de plusieurs maladies (cas de Vespasien, relatés par Tacite, [p. 182] guérison des écrouelles par les rois de France et d’Angleterre, le jour de leur sacre, etc.) ; celle dont il s’agirait ici serait approximativement du même ordre. Ensuite, les Chinois, blasés, pour la plupart. au sujet des pratiques cultuelles de leur pays, qu’ils doivent d’ailleurs avoir vu rester sans effet dans une infinité de cas, peuvent parfois subir l’influence de pratiques exotiques, ayant sur eux l’ascendant de la nouveauté et du mystérieux. Personne n’est prophète dans son pays, a dit le Christ lui-même, quand il ne put réussir ses guérisons en Galilée, où il avait été élevé et où l’on se disait : « N’est-il pas le fils de notre charpentier ? » (19).
Au demeurant, il serait surtout intéressant de savoir si le « mauvais esprit » exorcisé lâcherait également prise au cas où le possédé ignorerait l’exorcisme. Seulement, comme il faut presque nécessairement s’adresser au Malin, pour le chasser du corps qu’il est censé occuper, cette épreuve devient pratiquement fort difficile à réaliser d’une façon satisfaisante. Se réaliserait-elle, que l’on pourrait encore se demander si la télépathie, la clairvoyance n’y sont pas pour quelque chose…
Comme les deux femmes, dont il est question dans le récit qui précède avaient presque certainement connu la fiancée suicidée, rien d’étonnant à ce qu’elles en aient subconciemment imité la voix et les manières. Le contraire serait opposé à l’ordre naturel des choses. Il n’y a donc dans ce fait la moindre preuve d’identité de la personnalité de la décédée.
Est-il possible que les Chinois ne connaissent aucun cas dans lequel l’identité parait ressortir au moins dans une certaine mesure ? Est-il possible qu’ils ne s’efforcent jamais d’établir la démonstration de cette identité, en posant à la personnalité qui se manifeste, des questions sur des détails de sa vie passée — détails inconnus du « possédé » ? Non, cela est inadmissible. On sait que les Chinois sont très intelligents ; certains passages du dernier récit que nous venons de reproduire montrent que les sceptiques, les raisonneurs, ne manquent pas, même parmi les habitants incultes de leurs villages. Dans les cas où il s’agit d’établir l’identité d’un enfant affirmant être l’esprit réincarné de telle personne décédée, Hindous et Mongols ont su assez bien entreprendre des enquêtes et des interrogatoires de cette sorte. Mais les missionnaires chrétiens, pour qui la « possession » est l’œuvre du démon, ne se sont naturellement pas souciés autrement de l’identification des personnalités obsédantes, dans les cas qui tombaient sous leur contrôle.
Les ecclésiastiques chrétiens n’ont par contre aucune raison de ne pas s’occuper des faits surnormaux qui accompagnent parfois ces [p. 183] cas de « possession» et qui semblent démontrer qu’il ne s’agit pas de simples phénomènes psycho-physiologiques, mais qu’on y constate bien l’intervention d’un mauvais esprit. Aussi les missionnaires, du moins ceux catholiques — sont plutôt prolixes sur ce chapitre. Ils ont bien raison, car c’est là, de toutes manières, le côté le plus intéressant qu’offre l’étude de la possession. Aussi, allons-nous en faire de même, et donner à cette question toute l’attention et tout le développement qu’elle mérite.
(A suivre) C. DE VESME.
NOTES
(1) Vol. II, p. 142-3.
(2) New-York, Fleming H. Reveil Co, éditeurs.
(3) Cette question se rapporte aux paroles de Matthieu, VII; 22, 23.
(4) Un rapport étendu, bien que superficiel, de ces pratiques nettement et grossièrement superstitieuses a été publié par M. Paul d’Enjoy dans La Revue de Paris, la Review of Review, de Londres (1910), etc. Cet auteur s’est arrêté là, sans aborder la partie intellectuelle — la seule réellement intéressante — de la question.
(5) Naturellement, avant sa conversion, Kwo aurait dit le « dieu », ou le « génie », ou « l’esprit de décédé ».
(6) Rappelons que cet avis a été manifesté aussi par des apologistes chrétiens des premiers siècles (voir notre Histoire du Spiritualisme Expérimental, Livre III, 32, in fine).
(7) Demon-possession, chap. IV, p. 54) .
(8) Un li, correspond à un demi-kilomètre environ. — Voir, au sujet de ces transports fantastiques, le cas raconté par John Bell, au Livre IV, § 46, de notre histoire du Sp.
(9) Demon-Possession, chap., VIII, p, 103.
(10) Nervous Derangement, Somnambulism, etc.
(11) Nineteenth Century, Oct. 1880.
(12) Sola Koti Buildings, Bombay.
(13) Procession autour de l’enclos du sanctuaire, avec, le palki (palanquin) du dieu.
(14) Journal des Missions évangéliques, 1908, Il, p. 230.
(15) Nevius : Dem. Poss., chap. V, in fine.
(16) Possession d’un « médium », qui parle alors en inspiré.
(17) Revue du Monde Invisible, 15 octobre 1901. Les Annales de la Propagation de la Foi (vol. XI, p. 331) contiennent un cas analogue, exposé par Mgr Masson, missionnaire au Tonkin.
(18) NEVIUS, op. cit., ch, VI
(19) Marc, VI, 5 ; Mathieu, XIII, 55-58.
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