Note sur la paramnésie. Par Paul Lapie. 1894.

LAPIEPARAMNESIE0005Paul Lapie. Note sur la paramnésie. Article parut dans la « Revue philosophique de la France et de l’étranger », (Paris), 1, 1894, pp. 351-352.

Paul Lapie (1867-1927). Philosophe universitaire, il fut co-fondateur avec Emile Durkheim, Célestin Bouglé et Dominique Paro de L’Année sociologique, en 1898. Il est considéré comme un des acteurs majeurs de la fondation de l’école laïque..

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons rectifié quelques fautes de composition.
 Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 351]

Note sur la paramnésie.

Les observations présentées dans les derniers numéros de la Revue philosophique sur les cas de fausse mémoire ont conduit leurs auteurs à quatre hypothèses : celle de M. Bourdon, qui explique la paramnésie par la confusion de l’attention et de la reconnaissance, ne rend pas compte de tous les faits : comme celle de M. Le Lorrain, elle explique seulement ce que M. Dugas appelle les « cas douteux ». Les trois autres hypothèses ont le tort d’expliquer un fait obscur par un fait plus obscur : recourir à un sens télépathique avec M. Lalande, au dédoublement de la personnalité avec M. Dugas, ou au don prophétique de l’imagination avec Clément Scott, c’est renoncer à une interprétation claire du phénomène, c’est déplacer la difficulté sans la résoudre

De ces trois hypothèses, la dernière, dégagée de l’appareil poétique qui la défigure, semble pourtant pouvoir conduire à une explication plausihle. Ce sont les lois ordinaires de l’imagination qui font comprendre les paramnésies. Ne disons pas que les paramnésies sont « l’œuvre d’une imagination forte », que « l’imagination prophétise », ni qu’il y a là « révélation ». Mais les combinaisons créées par l’imagination dans la rêverie, le rêve, le souvenir altéré ne peuvent-elles pas expliquer l’illusion de la reconnaissance ? L’imagination altère les données des sens et de la mémoire ; elle en forme des synthèses nouvelles qui, en général, ne sont pas réalisées. Mais pourquoi, parmi toutes ces combinaisons imaginaires, quelques-unes ne se rencontreraient-elles pas avec la réalité ? Pourquoi certains rêves ne seraient-ils pas vérifiés par la veille ?

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Cette hypothèse est justifiée par les faits que rapportent les divers observateurs. «  Je me souviens de tout comme si c’était hier, dit Scott, mais cela, dans un songe, dans un tableau, dans les champs fleuris de l’imagination. » Et M. Dugas : « Je savais que c’était moi qui parlais, mais ce moi qui parlait me faisait l’effet d’un moi perdu, très ancien et soudainement retrouvé ». De même, dans les cas de fausse mémoire que j’ai pu observer, il me semblait revivre un rêve. Il y a identité entre ce qu’on voit et ce qu’on croit se rappeler : pourtant le souvenir apparaît avec cette indécision qui caractérise les perceptions du songe. Cette hypothèse expliquerait en outre pourquoi l’on a cru si longtemps aux prophéties des rêves. Que l’imagination [p. 352] soit forte ou faible, il peut se faire que certaines de ses combinaisons, au lieu de rester purement idéales, se rencontrent avec des combinaisons réelles de sensations. Certains faits imaginaires sont devenus des faits historiques : tel détail de Germinal, inconnu des mineurs de Montceau-les-Mines, semble un récit anticipé du meurtre de l’ingénieur Watrin. L’imagination, dans ses constructions, obéit aux lois logiques qui régissent aussi la réalité: pourquoi ne coincideraient­ elles pas? Cette coïncidence donne aux œuvres d’art l’apparence de la vérité; dans la conscience, elle produit les illusions de la paramnésie. Les paramnésies sont, au sens strict de l’expression, des « hallucinations vraies », ou plutôt ce sont des illusions qui deviennent vraies

PAUL LAPIE.

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